“Dans notre société conservatrice et patriarcale , on parle difficilement de la sexualité . Par crainte d’éveiller ou d’inciter les jeunes à avoir des relations sexuelles , on préfère utiliser le registre de l’interdit , de la peur , de la menace …”, déclare Raul Mideros , professeur et chercheur à l’Université andine Simon Bolivar à Quito. Pour illustrer ses propos, Raul Mideros montre un prospectus destiné aux jeunes qui affiche un slogan pour le moins édifiant: «13 conséquences mortelles des relations sexuelles avant le mariage». Parmi les dangers de l’acte sexuel avant le mariage auxquels les jeunes s’exposent, sont cités la perte de la virginité, l’avortement, le sentiment de culpabilité, la destruction des organes reproducteurs suite à un avortement clandestin. Si ce prospectus émane d’une institution catholique, il n’en illustre pas moins le contexte du pays en général. “ En Équateur , le système éducatif est fort rigide et moralisateur . Il y a peu de culture de la démocratie , de la participation . L’éducation à la liberté , à l’autonomie est encore embryonnaire ”, explique-t-il.
En Équateur, le nombre de grossesses non désirées des adolescentes et jeunes femmes est élevé. Avec pour conséquences de nombreux avortements clandestins, souvent à risque. Côté chiffres, on peut tirer la sonnette d’alarme: 17 % des adolescentes de moins de 15 ans ont déjà subi un avortement. Et, l’avortement est la seconde cause de mortalité chez les adolescentes de moins de 20 ans. Pour les jeunes filles qui mènent leur grossesse à terme, les risques d’hémorragies, d’anémie, de malnutrition sont importants. « Ne pas parler de sexualité à l’adolescence , c’est comme tenter de cacher le sol avec un doigt !», s’indigne Raul Mideros. Certes, l’État équatorien a pris une série de mesures. En 1994, la loi sur la maternité gratuite est instaurée. Elle garantit le droit au suivi médical gratuit pendant la grossesse, l’accouchement et le post-accouchement, ainsi que l’accès aux programmes de santé reproductive. De la même façon, les nouveau-nés et les enfants de moins de 5 ans bénéficient d’un suivi médical gratuit.
En 1998, la loi sur l’éducation à la sexualité est votée. Il s’agit d’un axe transversal qui touche l’ensemble des programmes des écoles publiques et privées. “ Comme c’est souvent le cas dans notre pays , cette loi n’est pas assortie de mesures réelles ”, regrette Raul Mideros. D’où le travail important mené par les ONG et les associations de jeunes pour combler ce vide. Parmi elles, l’ONG Plan a mis sur pied de nombreux ateliers sur le thème de la sexualité, pour briser les tabous et faire valoir les droits des jeunes. Plan a concentré son action dans différentes zones du pays, marquées par la précarité et la discrimination envers les populations d’origine indigène.
Quand culture et prévention font bon ménage
Au sein de l’école de la communauté de Maca, nichée à 2800 mètres d’altitude sur la Cordillère des Andes, près de Latacunga, plusieurs groupes de jeunes suivent régulièrement les ateliers de Plan. « Pour s’adapter à l’évolution de chacun , les groupes se retrouvent par tranche d’âge . Mais ils sont mixtes pour permettre aux participants d’apprendre à connaître l’autre et pour s’épanouir pleinement et ensemble », précise Angélica Palacios , Responsable des programmes droits sexuels et reproductifs de Plan.
Dans la méthodologie de Plan appelée «Pas à pas», l’interactivité dans le déroulement des séances est prônée. Ainsi par exemple, à la question ouverte : «qu’est-ce que l’amour?» posée par l’animateur, le mariage est la première réponse. Cette institution est une norme bien présente dans les communautés traditionnelles andines.
À la question «Qu’est-ce que la coquetterie?», une jeune fille se lève et répond: «On est coquette avant d’être enceinte, après on ne l’est plus». Ce commentaire reflète une croyance fortement ancrée. Selon certaines filles, il y a les femmes «bien» que les hommes choisissent pour être mères et les «mauvaises» femmes avec qui ils ont du plaisir.
Dans la mentalité andine, le couple femme-mère est indissociable. Comme la Pachamama, la terre mère à laquelle les peuples indigènes vouent une véritable adoration, la femme doit être féconde. Et l’infertilité est vécue comme une anormalité, voire comme une véritable malédiction. Ces croyances ont fait naître un mythe encore fort présent, celui de la pilule qui rendrait stérile.
Pour certains peuples d’Amazonie, le nombre d’enfants est une preuve de virilité. « Quand on parle de planification familiale au sein des communautés , il faut faire attention . Certains pensent qu’il s’agit d’une tentative pour éradiquer leur peuple », relève Angélica Palacios. « L’Équateur est un pays pluriethnique . Nous devons adapter à chaque fois notre méthodologie au public . Il y a autant de manières de vivre la sexualité que de cultures ».
La conception de l’adolescence est différente dans certaines populations indigènes. Par exemple, à Otavalo, au sein du peuple Kichwa, l’adolescence est vécue comme une continuité entre l’enfance et l’âge adulte. Il n’existe pas une étape spécifique appelée adolescence.
Dans les communautés indigènes d’Équateur, le corps relève du domaine de l’intime et du sacré. La femme ne le dévoile pas, même lorsqu’elle met un enfant au monde. Pour aborder plus facilement le corps et son langage, Plan mise sur les danses folkloriques. “ Les danses traditionnelles andines font partie intégrante de notre culture . Elles sont l’occasion de rencontres entre filles et garçons . Il y a pour nous beaucoup de sensualité . La danse est la manifestation verticale de ce qui se fait à l’horizontale ”, explique une animatrice. D’autres méthodes privilégient le dessin. « Il s’agit de dessiner les parties de son corps pour lesquelles les jeunes ressentent de la gêne , de la honte …», poursuit-elle.
Mon corps est mon territoire
Un tiers des jeunes entre 15 et 17 ans n’utilisent pas de moyens contraceptifs lors de leur premier rapport sexuel. En matière de contraception, l’ONG Plan lutte contre certains mythes et croyances entretenus sur les méthodes dites «naturelles». Boire du vinaigre ou se laver les parties génitales avec du citron pour ne pas tomber enceinte en font partie.
« Le travail que nous faisons va bien au – delà de la connaissance des moyens contraceptifs », soutient Angélica Palacios. Dans la ligne des valeurs prônées par la charte d’Ottawa, la santé sexuelle et reproductive résulte, pour Plan Équateur, de l’aptitude à prendre des décisions sur la manière de vivre ses relations affectives et sexuelles.
« À travers nos ateliers , nous montrons aux jeunes que leur corps est le bien le plus précieux qu’ils possèdent . Et , qu’ils ont le droit , au même titre que leurs parents , à vivre une sexualité sans peur , sans honte , sans culpabilité , sans fausse croyance et à résister à tout ce qui empêche la libre expression de leurs désirs », relève Angélica. Quand on sait que dans la culture andine, la plupart des décisions se prennent à l’échelle de la communauté et non de l’individu, c’est loin d’être évident.
«Qui décide du nombre d’enfants?», pose l’animateur devant un cercle de jeunes âgés entre 8 et 15 ans. «L’homme», répond une fillette. «Non, c’est les deux», souffle une autre. Dans le mode de pensée andin, le principe de complémentarité implique que le couple constitue une unité inséparable. Malgré ces valeurs culturelles sur la complémentarité homme-femme, les relations sont asymétriques. Les femmes doivent soumission et respect à l’homme. La souveraineté du corps de la femme revient au mari. Ces relations inégalitaires forment d’ailleurs le terreau pour l’apparition de la violence dans les couples. 6% des filles entre 15 et 19 ans ont subi un acte de violence sexuelle.
Pour Plan, le bien-être des jeunes passe par le fait d’apprendre à poser des limites, à s’affirmer et à dire non. Des apprentissages qui chamboulent les comportements stéréotypés. «Ton premier droit est celui de ne pas te faire du mal». Des phrases à méditer comme celle-ci, Plan en a compilé plusieurs au sein de carnets confectionnés à l’intention des jeunes.
Dans la même veine, une émission radio animée par le Docteur Marillès et diffusée via le Net dans plusieurs pays d’Amérique latine assure la promotion d’une sexualité libre et épanouie. «Mon corps est mon territoire», scande le slogan de l’émission. La notion de plaisir y est même abordée. Les jeunes peuvent librement faire part au Docteur Marillès de leurs inquiétudes, de leurs doutes et de leurs histoires de cœur. Une stratégie sans nul doute plus efficace que celle de l’induction de la peur et de l’interdit…
Laurence Biron
L’auteure de cet article a eu l’occasion de faire un voyage d’études en Équateur l’an dernier, avec un intérêt particulier pour la médecine traditionnelle et le chamanisme, auxquels les populations indiennes sont toujours très fidèles de nos jours. Éducation Santé lui a suggéré d’en profiter pour aborder un sujet à caractère préventif. La question de l’éducation sexuelle et affective dans une société fortement imprégnée par les traditions indienne et catholique s’est imposée naturellement (ndlr).