Août 2004 Par K. RENARD D. PIETTE Initiatives

Un état des lieux en 2003

Introduction et objectifs

Suite au constat d’un manque en matière de sensibilisation à la vie affective et sexuelle chez les jeunes en Communauté française, un projet d’organisation et d’implantation de séances sur ce thème a été décidé par la Ministre de la Santé, Nicole Maréchal: quatre heures en 4e et 6e primaire ainsi que quatre heures en 2e et 4e secondaire. La Ministre a demandé à l’ULB-PROMES un état des lieux préliminaire de ces activités dans l’enseignement ordinaire et dans l’enseignement spécial. Cet état des lieux comportait 4 volets:
– une enquête qualitative auprès d’équipes actives en éducation à la vie affective et sexuelle (1);
– une enquête quantitative auprès des relais (directeurs d’école et autres équipes actives repérées) (2);
– une estimation du besoin en animations en Communauté française (3);
– une enquête quantitative auprès de jeunes de 2e, 3e et 4e secondaire (4).
Les objectifs des deux premières enquêtes étaient:
– de décrire les activités d’éducation à la vie affective et sexuelle réalisées;
– d’identifier les acteurs;
– d’objectiver les sources de financement;
– d’identifier les relais, les difficultés rencontrées, les refus d’animations, les leviers et le degré de satisfaction des répondants par rapport à ces animations;
– d’identifier d’autres acteurs par un effet «boule de neige».
L’objectif de la troisième enquête fut la réalisation d’une estimation rapide des besoins en activités d’éducation à la vie affective et sexuelle en Communauté française en fonction du projet afin d’identifier l’adéquation de l’offre actuelle avec le projet.
Enfin, les objectifs de l’enquête auprès des jeunes étaient de décrire les activités d’éducation à la vie affective et sexuelle auxquelles ils ont participé et d’identifier leurs attentes dans ce domaine.

Résultats

Enquête qualitative auprès des équipes actives

Une hétérogénéité des pratiques
Actuellement, des animations sont organisées de manière régulière mais peu systématisée. Il existe une diversité importante dans le public-cible, la mixité et la taille des groupes animés, la durée des animations, le matériel utilisé et les objectifs développés. Il en est de même dans la préparation et l’évaluation de l’activité ainsi que dans la mise en place de relais pour les jeunes et les acteurs.
Un consensus sur l’intérêt des jeunes dans ce domaine en fonction de leur âge
Les équipes s’accordent à dire que les jeunes de la fin du primaire et du début du secondaire sont plus intéressés par des informations sur la connaissance du corps, les différences filles/garçons, les nouveautés corporelles, affectives et sexuelles de la puberté ainsi que par des questions sur l’accouchement et le handicap.
Les plus âgés sont plutôt concernés par les relations affectives, amicales, amoureuses et de couple ainsi que par la contraception, les rapports sexuels et tout ce qui concerne la gynécologie.
Une hétérogénéité des formations des animateurs et du financement des animations
Les formations de base des animateurs (psychologues, infirmiers, assistants sociaux, médecins, etc.) et spécifiques à ce type d’animation sont très diversifiées.
Le financement de ces animations varie en fonction de l’intervenant (agents des services de Promotion de la Santé à l’Ecole (PSE) ou des centres psycho-médico-sociaux (PMS), centre de planning familial, bénévole, asbl, entreprise commerciale).
Les freins et les leviers
Parmi les freins, les répondants citent la «délicatesse» du sujet, l’absence de formation spécifique et continue des animateurs, l’absence de relais, des difficultés financières, géographiques ou un manque de ressources humaines et de temps. Des freins liés au public-cible ont été relevés tels que l’hétérogénéité et la dynamique du groupe à animer ou les difficultés de réaliser des animations pour certaines personnes déficientes.
Les leviers sont essentiellement ce qui constitue le ‘cadre’ de l’animation, c’est-à-dire la collaboration des divers acteurs (les animateurs, les centres PSE et PMS, l’école, les élèves et les parents) avec une clarification des rôles lors de la préparation, de l’évaluation de l’animation et la mise en place de relais pour tous les acteurs.
L’influence des médias sur la vie affective et sexuelle des jeunes
Des questions des jeunes au sujet de la pornographie ont été régulièrement signalées. Leurs sources d’informations dans ce domaine semblent être l’environnement audiovisuel et littéraire (magazines, télévision, radio, Internet).

Enquête quantitative auprès des relais

Enquête auprès des directeurs d’écoles
Le pourcentage d’écoles offrant des animations d’éducation à la vie affective et sexuelle est de 55% dans l’enseignement ordinaire fondamental et de 65% dans le spécial. Dans les enseignements secondaires, elle est supérieure à 80%. Toutefois, les résultats obtenus doivent être pris avec réserve car ces données ne tiennent pas compte de la ponctualité ou de la récurrence des activités. Actuellement, la fréquence de telles animations organisées de manière systématique , (toutes les classes /élèves d’un niveau, tous les ans), est peu élevée dans les différents enseignements.

Tableau 1 – Fréquence des animations organisées dans toutes les classes d’un niveau, tous les ans dans les différents enseignements en Communauté française

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Enseignement ordinaire

Toutes les classes, toutes les années Enseignement spécial Toutes les classes, toutes les années
Fondamental (n=65) Fondamental (n=51) < ou = 8 %
1e-4e primaire 8 %
5e primaire 30 %
6e primaire 64 %
Secondaire (n=70) Secondaire
1e secondaire 16 % Forme 1 (n=21) 5 %
2e secondaire 34 % Forme 2 (n=31) 26 %
3e secondaire 26 % Forme 3 (n=42) 24 %
4e–6e secondaire < 15 % Forme 4 (n=9) 33 %

Les résultats concernant l’organisation des animations (lieu, durée, mixité, contenu) et les leviers confirment ceux obtenus lors de l’enquête qualitative auprès des équipes actives dans ce domaine. Des difficultés sont plus fréquemment signalées dans l’enseignement spécial. Elles n’ont pu être identifiées.
Les animateurs sont essentiellement des enseignants, les équipes PSE et PMS et les centres de planning familial. Ces derniers interviennent plus régulièrement dans le secondaire que dans le fondamental. Dans l’enseignement spécial, les équipes éducatives et paramédicales ont aussi été citées comme animateurs par les répondants.
Des coordinateurs et des relais ne sont pas identifiés dans toutes les écoles des différents enseignements (c’est-à-dire dans 50 à 63% des cas). En cas de non-identification, le ‘cadre’ adéquat pour l’animation ne peut être mis en place.
L’affectivité, l’anatomie, les différences filles/garçons et la puberté sont abordés dès l’enseignement fondamental. Les relations amoureuses, la sexualité, la contraception, les maladies sexuellement transmissibles et le rôle des centres de planning familial sont plutôt discutés dans le secondaire.
La majorité des répondants est plutôt satisfaite ou tout à fait satisfaite des animations réalisées dans leur établissement (enseignement ordinaire fondamental (75%), secondaire (92%), enseignement spécial (> 80%)). Ils signalent peu de refus de ce type d’animation.
Enquête auprès des autres équipes actives repérées
Les questionnaires ‘équipes actives’ n’ont pas été traités. En effet, l’effectif (n=19) était trop restreint et les réponses n’apportaient rien de plus que l’enquête qualitative effectuée auprès d’équipes actives dans le domaine. Un descriptif des équipes actives repérées et des projets en cours dans ce domaine en Communauté française a été adressé au Ministère de la Santé sous la forme d’un rapport interne.

Estimation du besoin en animation

Pour effectuer l’estimation du besoin en activités, il était essentiel d’objectiver les heures prestées dans ce domaine par les acteurs en 2002 et de calculer le nombre d’heures d’animation nécessaires pour couvrir l’ensemble des élèves concernés par le projet d’implantation d’activités d’éducation à la vie affective et sexuelle en milieu scolaire sur base du nombre d’élèves concernés en 2001-2002.
Des représentants des différents types d’acteurs (fédérations des centres de planning familial et de centres PSE et PMS, services d’inspection et autres asbl) furent contactés de même que des personnes ressources (Division des Etudes et de l’exploitation des statistiques, Ministère de la Région wallonne) pour permettre d’obtenir ces deux variables et ainsi en déduire le besoin en animations.
Le nombre d’heures prestées par les centres PMS et PSE ainsi que celui requis pour les enfants de l’enseignement spécial de type II n’ont pu être définis.

Tableau 2 – Estimation du besoin en activités

53.224 h/an + les heures nécessaires aux élèves du type II
= les besoins complémentaires estimés

– 22.752 h/an = 30.472 h/an d’animations
nombre d’heures requises (estimé) nombre d’heures prestées (estimé) – les heures prestées par les PSE et PMS

Le besoin en animation calculé est une valeur estimée . En effet, suite à un manque de données, de nombreuses hypothèses ont été émises pour permettre sa réalisation.
Une estimation des heures prestées par les centres PSE/PMS n’a pas été proposée car les données collectées révèlent une diversité importante de pratiques concernant ces animations d’un centre à l’autre. Toutefois, si le besoin estimé en heures d’animation devait être couvert par les centres PSE et PMS, cela impliquerait que chaque centre devrait assurer plus de 120 heures annuelles d’animation dans ce domaine. Ceci ne concerne pas les heures nécessaires à l’enseignement spécial de type II qui devraient être ajoutées.
Cette estimation fut présentée à titre indicatif pour permettre aux décideurs politiques de connaître ce qui est réalisé dans ce domaine, les capacités et les disponibilités des acteurs et les éventuels moyens à dégager.

L’enquête auprès de jeunes

2957 élèves de la deuxième à la quatrième secondaire ont rempli le questionnaire. 78% des jeunes ont bénéficié au moins une fois d’une animation au cours de leur cursus scolaire actuel (4e primaire jusqu’à l’année du secondaire actuelle). Cependant, 44% ont eu une seule animation, seulement 34% des élèves ont eu plusieurs animations et 22% aucune.
25% des jeunes de 2e secondaire n’ont pas encore eu d’animation. Les élèves des enseignements technique et artistique (26%) et professionnel (30%) sont plus nombreux que ceux de l’enseignement général (18%) à ne pas avoir bénéficié d’animation.
Les animateurs cités par les jeunes sont les mêmes que ceux identifiés par l’enquête auprès des relais. Ces animations sont principalement réalisées soit en classe mais pas pendant un cours, soit durant le cours de biologie, de sciences ou de morale/religion. Dans l’enseignement professionnel, ces animations ont aussi lieu durant le cours de français ou durant un autre cours.
Les préférences des jeunes en matière d’animateur sont soit un professeur choisi par les élèves, soit un médecin, soit une infirmière, soit une personne du centre de planning familial.
La moitié des jeunes ne désirent pas que n’importe quel professeur de l’école aborde ce domaine et près de 50% des jeunes (pour tous ou certains thèmes) ne désirent pas en parler avec leurs parents à domicile.
Dans 37% des animations, les filles et les garçons sont séparés. La moitié des garçons estiment que les groupes devraient toujours être mixtes lors des animations, tandis que les filles sont plus nombreuses à penser que cela dépend du sujet abordé.
Actuellement, le contenu des animations est très variable. Dans certains cas, seuls les aspects biologiques ou techniques sont discutés et dans d’autres, les notions affectives sont prises en compte. Quant aux jeunes, ils désirent certes recevoir des informations sur les thèmes biomédicaux mais aussi des informations diversifiées sur la vie affective et sexuelle. En effet, ils estiment très utile qu’on leur parle de l’amour, de la responsabilité, de la maltraitance et de l’identité sexuelle en parallèle au développement physique, aux infections sexuellement transmissibles, au sida et aux méthodes contraceptives.
Les filles sont plus intéressées que les garçons par les méthodes contraceptives et comment les obtenir, par la maltraitance, par un lieu où parler, des centres à contacter et les centres de planning familial.

Conclusion

A la lumière de cet état des lieux, la couverture en animation à la vie affective et sexuelle et la concertation des acteurs pour ces activités apparaissent insuffisantes. Des inégalités subsistent en faveur des élèves de l’enseignement général alors que se sont ceux de l’enseignement professionnel qui n’ont pas de cours de biologie leur permettant d’acquérir les bases sur le fonctionnement de l’appareil reproducteur. C’est ainsi que le projet pilote de la ministre prévoit dans une première phase des heures d’animation dans l’enseignement fondamental et dans l’enseignement professionnel. Toutefois, un minimum d’heures d’animation pour tous les élèves permettrait dans l’avenir d’assurer l’équité dans ce domaine au sein de l’enseignement en Communauté française.
La mission de coordination des programmes de promotion de la santé à l’école confiée aux équipes PSE pourrait faciliter la concertation des acteurs impliqués dans ces animations.
L’accès plus aisé des jeunes à la pornographie par le biais de l’environnement audiovisuel et d’Internet, mériterait que l’on s’interroge sur son influence sur les représentations des jeunes dans le domaine de la vie affective et sexuelle.
En conclusion, nous ne pouvons que souhaiter que ces animations soient réalisées non pas pour les jeunes mais avec tous les jeunes dans un environnement cohérent et favorable à leur épanouissement.
Katty Renard , Danielle Piette , ULB-PROMES
Adresse des auteurs: ULB-PROMES, route de Lennik 808 CP 596, 1070 Bruxelles. Tél.: 02 555 40 81. Courriel: promes@ulb.ac.be
(1) Renard K., Piette D.: «Etat des lieux des activités d’éducation à la vie affective et sexuelle en milieu scolaire en Communauté française de Belgique: Enquête qualitative.» Département d’Epidémiologie et de Promotion de la Santé, Unité de Promotion Education Santé (ULB-PROMES), Université Libre de Bruxelles, Bruxelles; 2003.
(2) Renard K., Senterre C., Piette D.: «Etat des lieux des activités d’éducation à la vie affective et sexuelle en milieu scolaire en Communauté française de Belgique: Enquête quantitative auprès des relais.» Département d’Epidémiologie et de Promotion de la Santé, Unité de Promotion Education Santé (ULB-PROMES), Université Libre de Bruxelles, Bruxelles; 2003.
(3) Renard K., Vandenbussche P., Piette D.: «Etat des lieux des activités d’éducation à la vie affective et sexuelle en milieu scolaire en Communauté française de Belgique: Estimation du besoin en activités.» Département d’Epidémiologie et de Promotion de la Santé, Unité de Promotion Education Santé (ULB-PROMES), Université Libre de Bruxelles, Bruxelles; 2003.
(4) Renard K., Senterre C., de Smet P., Piette D.: «Etat des lieux des activités d’éducation à la vie affective et sexuelle en milieu scolaire en Communauté française de Belgique: Enquête quantitative auprès des jeunes.» Département d’Epidémiologie et de Promotion de la Santé, Unité de Promotion Education Santé (ULB-PROMES), Université Libre de Bruxelles, Bruxelles; 2003.
Ces rapports sont disponibles sur le site: [L]http//www.ulb.ac.be/promes[/L] , dans «recherche-action».