Juillet 2009 Par V. HUBENS et al. P. JONCKHEER J. LAPERCHE Initiatives

La promotion de la santé, vous en avez déjà entendu parler. Vous avez même pu lire un article consacré à ce sujet dans cette même revue, en août 2007 (1). Mais en pratique, que pensent de nous les associations identifiées comme actrices en promotion de la santé? Et qu’avons-nous à leur répondre? Peut-on travailler ensemble?
Nombreux sont les médecins généralistes qui considèrent jouer un rôle important en promotion de la santé: par exemple, en proposant à leurs patients les dépistages et les vaccinations recommandés, en les soutenant dans certaines difficultés de vie, en les aidant à rester autonomes malgré un handicap ou à se débarrasser d’une dépendance…
Cette manière de travailler entre dans le cadre d’une relation individualisée et souvent durable. Elle est différente de l’action plus collective des professionnels du secteur de la promotion de la santé. Ces derniers peuvent en effet mener des activités aussi diverses que lutter contre les facteurs de pollution, contre le tabagisme ou d’autres facteurs de risque, sécuriser les infrastructures routières, assurer de bonnes conditions d’hygiène dans les écoles, revitaliser des quartiers déshérités, recréer du lien social lorsque les gens souffrent d’isolement…
De nombreuses compétences, issues de disciplines différentes, sont donc nécessaires pour faire de la promotion de la santé. Encore faut-il que les différents professionnels qui pourraient travailler de concert se reconnaissent, soient prêts à se rencontrer, à collaborer.
Comment les associations considèrent-elles la place des médecins généralistes en promotion de la santé? Quels leviers entrevoient-elles pour collaborer avec nous? Quels obstacles?
Pour répondre à ces questions, nous avons envoyé un questionnaire à une série d’associations/organismes/services de promotion de la santé de tous horizons. Nous les avons ensuite invités à une rencontre pour préciser leurs réponses et en débattre avec quelques médecins généralistes. Enfin, nous avons soumis le compte rendu de cette rencontre au regard critique de quelques autres omnipraticiens. Nous vous présentons ici l’ensemble de ces échanges.
Les commentaires des médecins généralistes relecteurs sont présentés en caractères italiques.

Quelques précisions

D’abord, «on ne fait pas de la promotion de la santé, on agit pour promouvoir la santé!».
Autrement dit, plus qu’une technique ou une méthode bien spécifique, la promotion de la santé est avant tout une manière de faire et de penser, où chacun peut intervenir, comme il est, où il est.
Bien sûr, il existe des professionnels formés en promotion de la santé. Ils possèdent un savoir et des compétences spécifiques à ce domaine. Mais cela n’exclut nullement le médecin généraliste, bien au contraire: pour les associations interrogées, le médecin généraliste peut agir en promotion de la santé, de plusieurs manières:
-en assurant une écoute attentive et une approche globale de ses patients;
-en favorisant la participation de ses patients à la prise en charge de leur santé;
-en facilitant l’information du public et en développant un message commun en promotion de la santé: cela peut se faire de manière individuelle en consultation, mais aussi en relayant des campagnes publiques auprès de ses patients (via par exemple des brochures ou affiches dans la salle d’attente);
-en aidant ses patients à identifier ce qui détermine, influence leur santé, quels sont leurs risques — ce qui est une manière de décliner, de manière individualisée, sur le terrain, les données de santé publique;
-en les aidant à définir leurs priorités, à identifier les ressources qu’ils ont pour construire/rétablir leur santé.
Bref, le médecin généraliste a une place essentielle pour aider ses patients à élaborer leurs choix de santé/de soins, dans le respect de leur autonomie et de leur liberté.
Peut-on construire des liens entre les actions collectives, de santé publique et l’action plus individualisée des médecins? C’est une question complexe: il est démontré, souligne un participant (médecin généraliste!), que si l’on met la priorité sur une approche individuelle de la santé sans investir au niveau social, collectif, les inégalités face à la santé augmentent!
Il n’empêche, dit un autre, que le médecin de famille reçoit des personnes, et qu’il peut avoir un grand impact sur leur bien-être…
«D’ailleurs, si le conseil minimal est une méthode validée pour la cessation tabagique, pourquoi ne fonctionnerait-il pas dans d’autres démarches de promotion de la santé?»
L’articulation entre l’approche collective et l’approche individuelle est souvent absente. Les deux mondes semblent séparés, avec certaines méconnaissances, voire défiances: le secteur de la promotion de la santé craint que soient négligés les aspects non médicaux de la santé, tandis que le corps médical ne semble pas toujours prêt à penser en termes de santé publique… Il y a là, sans doute, plus d’incompréhension que de réelle opposition!
«Personnellement, dit un médecin généraliste, ce qui m’a permis d’articuler l’approche individuelle et l’approche collective, c’est la participation à un projet au niveau d’un petit comité (rôle de garde de 10 médecins généralistes), qui s’est étendu ensuite à un arrondissement (100 médecins généralistes) puis à une région (8000 médecins généralistes). Le temps pédagogique des actions collectives doit sans doute se situer au niveau des GLEMs, dodécagroupes ou rôles de garde.»

Merci aux personnes qui ont nourri cette réflexion:
Étienne Baijot, médecin généraliste
Martine Bantuelle, Éduca Santé asbl
Luc Berghmans, Observatoire de la Santé du Hainaut
Anne Boucquiau, cabinet de Mme Fonck
Raffaele Bracci, Centre local de promotion de la santé de Verviers
Sophie Clément, médecin généraliste
Jean-Luc Collignon, Centre d’Éducation du Patient asbl
Marie-José Couteau, Observatoire de la Santé du Hainaut
Christian De Bock, Infor Santé ANMC
Gaby Deleu, médecin généraliste
Michel Demarteau, Observatoire de la Santé du Hainaut
Isabelle Deschamps, Fédération des Maisons Médicales
Myriam De Spiegelaere, Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles
Anne Geraerts, Centre local de promotion de la santé du Brabant Wallon
Claire Geraerst, médecin généraliste
Dominique Lamy, médecin généraliste
Natacha Lange, Espace Santé
Alain Levêque, École de Santé Publique ULB
Jean-Claude Loneux, Service de prévention et de médecine du travail
Véronique Morelle, médecin généraliste
Julie Pelicand, médecin généraliste et RESO-UCL
Nathalie Pierrard, médecin généraliste
Michel Roland, médecin généraliste
Patrick Trefois, Question Santé asbl
Didier Vander Steichel, Fondation Contre le Cancer
Chantal Vandoorne, APES-Ulg
Carl Vanwelde, médecin généraliste
Maryse Wanlin, FARES

Des points positifs

Selon les associations interrogées, le médecin généraliste a de nombreux atouts pour agir en promotion de la santé. Ainsi en va-t-il de la relation qu’il construit avec son patient. Elle est particulièrement intéressante car:
-elle est directe;
-elle a lieu dans son milieu de vie (y compris le domicile);
-elle dure longtemps;
-elle survient à des moments sensibles de la vie d’un être humain;
-elle est basée sur la confiance; le crédit que porte le patient à «son médecin» est large.
En outre, quand les médecins participent activement à une démarche de promotion de la santé, ils sont particulièrement efficaces. Plusieurs intervenants l’ont expérimenté lors de projets locaux.
«A contrario, les chances de succès de telles actions sont nettement réduites lorsque les médecins généralistes sont peu ou pas impliqués.»

Des points un peu moins positifs

Il ne faut cependant pas se leurrer, les obstacles à l’action des généralistes en promotion de la santé sont bien réels. Certains obstacles sont liés au métier même, aux difficultés à l’exercer au quotidien — difficultés qui risquent de s’accentuer encore avec le numerus clausus. Cela entraîne parfois une tendance au repli sur soi, à une attitude défensive, peu favorable à une ouverture aux autres professions.
«Il faut certainement se poser des questions sur le malaise (mal-être) des généralistes en activité, plus encore que sur un pseudo-problème de numerus clausus. La revalorisation de la médecine générale ne tient pas dans l’ouverture des vannes de la formation mais plus dans une réelle reconnaissance de l’action des généralistes face à d’autres lobbies de la santé qui envahissent le monde des soins de santé primaire avec leurs pseudopodes et pseudo-centres de l’obésité, de la douleur…»
L’habitude de travailler seul peut aussi être un frein au travail avec d’autres acteurs de promotion de la santé. En tant que médecin de famille, on est en quelque sorte choisi par le patient. Alors l’envoyer vers d’autres, ce n’est pas toujours évident. C’est peut-être plus facile si l’on travaille déjà en équipe pluridisciplinaire, comme en maison médicale…
«Les avantages apportés par le travail en maison médicale peuvent être largement compensés par un travail efficace au niveau des Cercles par exemple. Mais pour cela, il faut vraisemblablement professionnaliser le ‘management’ des cercles.»
Le temps est une autre notion majeure à prendre en considération: le temps que l’on n’a pas, le temps que l’on a de moins en moins parce que les déplacements, le travail administratif et les consultations en consomment davantage chaque année, le temps que l’on doit prendre en plus (ainsi, les réunions avec les généralistes se font à midi, le soir ou le week-end).
«Mais le temps doit s’organiser en fonction des actions menées et du résultat escompté.»
La formation lacunaire en promotion de la santé, voire même en prévention, dans le cursus universitaire joue également en défaveur d‘une pratique ouverte à ces aspects. Autant le médecin se sent responsable de l’aspect curatif, autant il agit en prévention selon sa personnalité, ses conditions de travail.
À cet égard, la croyance d’une absence de rémunération spécifique est funeste. Et elle n’est pas tout à fait exacte: l’INAMI nous dit (dans la loi coordonnée du 14 juillet 1994, article 34, Chapitre III. Des prestations de santé) que: «Les prestations de santé portent tant sur les soins préventifs que sur les soins curatifs». Mais rares sont les médecins de terrain qui «osent» consacrer une consultation entière à la prévention et se faire payer pour cette consultation.
«La consultation de prévention proposée récemment par la ministre fédérale de la santé va sans doute lever quelques-unes de ces réticences.»
D’autres obstacles, plus extérieurs ceux-là, ont été relevés par les participants à la discussion. La création de partenariats est le premier d’entre eux. Elle implique en effet d’apprendre à se connaître, à respecter le rythme de l’autre (comme les réunions du soir des généralistes), ses contraintes, ses aptitudes. On commence par devoir négocier. Souvent, les associations de promotion de la santé s’adressent d’abord à quelques généralistes. Mais ceux-ci ne sont pas toujours représentatifs de l’ensemble de leurs confrères (même au niveau local). Ce qui semblait faisable le devient parfois nettement moins une fois porté sur le terrain. Et les porteurs de projet finissent eux-mêmes par s’essouffler. Entrer dans une dynamique de projet n’est pas toujours chose aisée.
Par ailleurs, le turn over des personnes engagées dans les associations, dont le statut et les ressources financières sont fragiles, ne facilite pas l’établissement de relations durables.
«Pourtant, de cette double rencontre peut naître une synergie d’action où tant le promoteur de la santé que le généraliste retrouveront leurs mots (et peut-être éviteront leurs maux) pour se parler et parler au public/ patient de sa santé d’une seule voix.»
Un second obstacle est lié à la nature même des projets dans lesquels peuvent entrer les médecins généralistes. N’a-t-on pas tendance à mettre la barre trop haut, à attendre des médecins des changements de pratique trop radicaux? Alors qu’il serait déjà très pertinent d’améliorer le travail de prévention et d’éducation à la santé dans la pratique individuelle des omnipraticiens.
Car tous les médecins ne sont pas convaincus qu’accompagner les patients pour agir sur leurs milieux et leurs modes de vie est possible. Et même les convaincus se sentent parfois démunis par manque d’outils adéquats pour ce faire. Certaines associations proposent d’ailleurs une aide concrète aux généralistes: comme l’éducation des patients diabétiques à la diététique (Réseau santé diabète des Marolles par exemple) ou la prise en charge des aspects sociaux par un service local (tel Mic-Ados, un service d’aide aux jeunes en milieu ouvert à Marche-en-Famenne), etc.
«Le médecin généraliste agit également en promotion de la santé par l’adéquation entre son discours et sa façon d’être! Prôner l’arrêt du tabac lorsque l’on fume soi-même n’est pas simple!»
Un troisième obstacle est le contexte dans lequel évolue la promotion de la santé. Les politiques sont frileuses, les investissements sont faibles. C’est simple, alors que le nombre de projets et de besoins croît, l’enveloppe budgétaire de la Communauté française pour ce secteur stagne. En plus, il manque des structures de pilotage, une reconnaissance d’agents de promotion de la santé, etc.
«Nous aurions tellement à gagner si les programmes étaient cohérents et bien articulés. Si nous pouvions retrouver en même temps sur les murs, les écrans et dans les salles d’attente des praticiens les mêmes messages de promotion de la santé, déclinés sur le même mode, imaginez la force de ce message tant au niveau collectif que dans le colloque singulier du médecin et de son patient.»

Conclusion

La prévention fait partie de nos missions. La promotion de la santé est une compétence faisant partie intégrante de «l’excellence de la pratique médicale» (2). Elle donne du sens à la pratique de la médecine générale, ouvre à de nouvelles manières d’accompagner la population et pas seulement les malades, aide les médecins à rendre la personne actrice de sa santé.
Bien sûr des obstacles existent mais des leviers sont également disponibles. Le plus important d’entre eux est sans doute le travail en partenariat, avec d’autres acteurs, professionnels de la santé ou non. Cela ne signifie pas que les médecins doivent arrêter de travailler en solo, ni que l’importance du colloque singulier doit être sous-estimée; simplement, l’avantage des réseaux est d’offrir des relais, des services, des “supports” pour suivre le patient et l’aider à prendre sa santé en charge. Les réseaux existants comme les cercles ou les SISD (3) pourraient être une piste à creuser.
Avant de lancer de grands projets de promotion de la santé, mieux vaut de toute manière démarrer par de petits projets locaux concrets, caractérisés par des objectifs précis, des stratégies validées, des effets observables et évaluables… et surtout avec des médecins généralistes intégrés dans les projets dès leur conception. Il est nécessaire, aussi, de prévoir d’emblée des “piqûres de rappel” régulières pour combattre la tendance naturelle à l’essoufflement de tout projet. Le contenu de ces rappels doit s’adapter en fonction de l’évolution du projet. Pour favoriser les rencontres entre associations locales et médecins généralistes, les Centres locaux de promotion de la santé (4) peuvent être des ressources utiles.
Enfin, il existe de nombreuses réussites, des actions de promotion de la santé qui ont bien fonctionné avec des médecins généralistes, des trucs et astuces qui aident. Encore faut-il les mettre en lumière! Un colloque pourrait être consacré à un échange d’expériences en la matière. C’est ce que nous nous sommes engagés à réaliser en 2009. Alors, si vous avez des idées, si vous avez déjà participé à, ou simplement observé, des expériences intéressantes, n’hésitez surtout pas à nous contacter!
Pascale Jonckheer , médecin de santé publique, Valérie Hubens , chercheur en santé publique, Jean Laperche , médecin généraliste, Marianne Prévost , sociologue, Pierre Legat , médecin généraliste, Thierry Wathelet , médecin généraliste et André Dufour , médecin généraliste
Cet article est une version (très) légèrement modifiée d’un texte déjà paru dans la Revue de Médecine générale n° 255, en septembre 2008, et reproduit avec son aimable autorisation.

(1) Laperche J. La «promotion» de la santé cardio-vasculaire, mais encore? Éducation Santé, 225, août 2007.
http://www.educationsante.be/es/article.php?id=928
(2) Frank J. Le Cadre de compétences CanMEDS 2005 pour les médecins. Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada 2005.
(3) Les SISD ou Services Intégrés de Soins à domicile sont des ‘institutions de soins de santé qui, dans une zone de soins, renforcent l’ensemble des soins aux patients entre autres par l’organisation pratique et l’encadrement des prestations fournies dans le cadre des soins à domicile, qui requièrent l’intervention des praticiens professionnels appartenant à différentes disciplines’.
(4) Les CLPS sont des organismes agréés pour coordonner sur le plan local la mise en oeuvre du programme quinquennal de promotion de la santé de la Communauté française. Ils sont constitués en asbl et regroupent différents partenaires (villes, universités, mutuelles, associations…). Ils apportent une aide méthodologique aux organismes ou personnes qui développent des actions de terrain en promotion de la santé, y compris la médecine préventive, mettent à leur disposition des ressources disponibles et renforcent les dynamiques locales et les actions de proximité notamment par l’organisation de conférences locales.