Le développement d’un système alimentaire durable est un enjeu central pour la Wallonie. Dans le cadre des objectifs stratégiques du référentiel « Vers un système alimentaire durable en Wallonie » [1], la région a lancé en septembre 2020 un appel à projets, initiative conjointe des Ministres de l’agriculture, de l’environnement et de la santé, afin de soutenir des dynamiques territoriales innovantes et variées qui contribuent, de manière durable, à la relocalisation du système alimentaire.
Cet appel pose deux questions : « Comment répondre à la demande croissante des consommateurs de s’approvisionner localement et d’avoir des produits de qualité et diversifiés ? » ; « Comment faire évoluer le système alimentaire pour qu’il réponde aux enjeux sociaux et environnementaux ? »
La Maison de l’alimentation durable et inclusive de Liège (MAdiL) s’inscrit dans ce deuxième enjeu d’une transition alimentaire durable et socialement juste avec une approche territoriale et un système de gouvernance participatif. Rencontre avec sa coordinatrice Émilie Farcy.
Naissance de l’initiative
La MAdiL est un projet introduit par le Plan de Cohésion Sociale de la Ville de Liège en étroite collaboration avec l’échevinat de l’écologie de la transition de la ville de Liège, la Ceinture Aliment-Terre Liégeoise (CATL), la plateforme interfacultaire ESPRIst-ULiège.
Il a été initié à la suite du travail réalisé dans le cadre du programme « Alimentation saine pour tous » mis en œuvre par le Plan de Cohésion Sociale de la Ville de Liège. Le projet est né de deux constats comme l’explique Emilie Farcy : « D’une part, en terrain liégeois, il y a énormément d’initiatives en lien avec la transition vers une alimentation plus saine et plus durable ; mais, celles-ci ne sont pas nécessairement coordonnées et sont parfois méconnues du public. D’autre part, ces initiatives sont potentiellement inaccessibles pour toute une partie de la population ».
Ces constats ont été le fil conducteur de la mise sur pied de l’initiative qui se veut un « laboratoire d’innovations sociales et inclusives et une vitrine socio-économique d’expérimentation et de déploiement de l’alimentation équilibrée, locale et durable accessible à tous [3]».
Le Plan de cohésion Sociale a également travaillé en étroite collaboration avec l’échevinat de la transition écologique de la Ville de Liège dans le cadre d’un groupe inter-échevinats plus large (incluant notamment le développement économique et l’instruction publique) pour introduire le projet auprès de la Région Wallonne.
« Ensuite, très rapidement, complète Emilie Farcy, des partenaires privilégiés ont été identifiés et se sont engagés à contribuer au plein déploiement de la MAdiL ». Il s’agit du CPAS de Liège, la Ferme des Enfants, Liège Ville Santé, Intradel, Vaincre la Pauvreté, le Centre Liégeois de Promotion Santé (CLPS) et la Province de Liège.
Approche systémique avec une gouvernance participative
La MAdiL vise à opérer comme une interface entre la population, les acteurs du secteur agroalimentaire et les initiatives déjà existantes visant une alimentation plus durable et inclusive.
De fait, l’initiative propose une approche systémique en associant une multitude d’acteurs avec une forme de gouvernance participative autour de la co-construction d’actions de sensibilisation et de promotion de l’alimentation équilibrée, durable et inclusive.
Dès le lancement du projet en juin 2021, deux démarches ont été menées en parallèle. D’une part, la co-construction d’une vision commune de la MAdiL avec l’ensemble des partenaires. D’autre part, la prise de contact avec le public en lui proposant des activités grâce à la collaboration entre partenaires. Chaque partenaire apportant ses savoir-faire, ressources et expertises au projet.
Construction d’une vision commune
« On a travaillé sur la vision commune afin d’identifier les valeurs et les missions que nous visons. » explique Emilie Farcy. « La MAdiL s’est fixé l’objectif de permettre à l’ensemble de la population d’améliorer progressivement la qualité de son alimentation ». La coordinatrice précise : « Pour y arriver, la MAdiL se donne 4 missions :
- lever les freins et favoriser l’accès pour tous à une alimentation de qualité ;
- favoriser l’apprentissage de l’alimentation saine et durable par la pratique ;
- valoriser les compétences et renforcer le pouvoir d’agir par elles-mêmes des personnes ;
- aller au contact des publics plus éloignés a priori de l’alimentation saine et durable ».
La MAdiL a pris le parti de ne pas construire de définition d’une « alimentation durable inclusive ». Elle a préféré réunir les partenaires autour d’axes communs de santé, de développement durable, et d’inclusion. La coordinatrice précise : « L’idée est de pouvoir dire : c’est une activité MAdiL dans ce sens qu’on favorise d’une part l’accessibilité, le non-jugement, et d’autre part le développement durable et la promotion de la santé. La MAdiL, c’est un processus où chacun apporte sa contribution propre et converge vers un idéal partagé. Elle a vocation à s’élargir et à faire réseau. »
La MAdiL a également développé une « Charte MAdiL » dédiée plus spécifiquement aux animations qui sont proposées. « C’est une forme de « label qualité » explique Emilie Farcy. Trois volets ont été identifiés comme essentiels dans la démarche de la MAdiL, développe la coordinatrice.
- Le premier volet est de favoriser des apprentissages par la pratique. « Cela a été un élément mis en avant par l’ensemble des partenaires dès le début. Il s’agit d’inviter très rapidement les participants à mettre la main à la pâte et à être dans du concret. »
- Le second volet est celui du « caractère de non-jugement ». « Il s’agit d’éviter les injonctions morales « il faut absolument manger que du bio ou que du local » mais plutôt de permettre aux gens d’y aller progressivement et de s’approprier petit à petit les différents outils qu’on leur propose. »
- Le dernier volet concerne la valorisation des savoir-faire existants et le renforcement des compétences et du pouvoir d’agir des personnes. « C’est de se dire que les infos qu’on transmet, on permet qu’elles soient remobilisables dans le contexte privé de la personne et surtout on essaye de rendre la personne capable d’aller elle-même rechercher l’information. »
Démarche d’évaluation
La démarche d’évaluation mise en place par ESPRIst-ULiège est participative et négociée. Les différentes parties prenantes sont associées aux étapes de construction de la démarche d’évaluation. Ainsi, les partenaires ont défini un ensemble de questions auxquelles ils souhaitaient que l’évaluation réponde en fin de projet.« Le souhait des partenaires était de pouvoir mesurer « l’effet MAdiL » auprès des participants aux activités, et également, d’évaluer la dynamique partenariale de la MadiL. Afin de pouvoir porter un jugement évaluatif sur ces questions, la MadiL et ses partenaires ont décliné ces questions en critères et en indicateurs. »
Concernant la participation aux activités de la MadiL, trois éléments sont questionnés : le fait que les participants aient retenus certains savoirs et savoir-faire, qu’ils les mettent en pratique au quotidien et qu’ils continuent à prendre part aux activités proposées. Cette évaluation prend la forme d’un sondage, récemment finalisé, qui sera désormais systématiquement transmis à toutes les personnes qui participent aux activités. Des entretiens seront également menés avec les participants.
Mise en place d’activités
Dans la mise en place de ses actions, la MAdiL cible la découverte et l’appropriation des « bonnes pratiques de la filière alimentaire, de la production à l’assiette, en ce compris la protection de l’environnement et la lutte contre le gaspillage alimentaire avec une attention particulière aux personnes les plus vulnérables. » [4]
Dès le départ, la MAdiL a proposé des activités à trois publics cibles :
- le public scolaire pour lequel la MAdiL a déployé un programme d’animation qui est testé dans 5 écoles communales à destination des 3e et 4e primaires ;
- le public adulte ou « grand public » : la MAdiL a rapidement proposé, chaque mois, un programme d’activités variées comme un atelier culinaire sur la lactofermentation, une balade nature sur les fruits comestibles de chez nous ou une table d’hôtes sublimant des produits locaux ;
le public vulnérable, en veillant à lever les freins financiers, sociaux ou culturels. La MAdiL se veut inclusive en ayant une démarche proactive avec le public vulnérable, qu’elle définit comme en situation de précarité. « La volonté est de pouvoir inclure dans la dynamique ces personnes qui, a priori, sont éloignées de l’alimentation durable » explique Emilie Farcy « On mobilise toute une série de partenaires associatifs qui travaillent avec ce public et qui sont des relais pour nous permettre d’entrer en contact avec ces personnes. Cela intervient tant sur le terrain que dans les réflexions de co-construction des stratégies d‘actions de la MAdiL. « C’est la richesse de l’initiative qui réunit différents partenaires dont le Plan de Cohésion sociale, le CPAS ou l’asbl Vaincre la Pauvreté. »
En octobre dernier, la MAdiL a organisé une journée de l’alimentation durable et inclusive . Pour cette journée, la MAdiL a pris son rôle de vitrine des initiatives existantes et a réuni une quarantaine de partenaires. En posant la question « Quelle place pour l’alimentation durable dans les cuisines d’ici et d’ailleurs ? », elle a souhaité mettre au défi les différents acteurs en croisant les thèmes de l’alimentation durable et de la multiculturalité. D’un petit déjeuner à un souper « banquet du monde, solidaire et durable », des activités et des stands de découvertes ont été proposés toute la journée. La conférence de clôture a par ailleurs permis d’explorer les liens entre alimentation et migrations et des enjeux communs face aux défis de demain.
Vers un système alimentaire durable à Liège
Après un peu plus d’un an d’existence, la MAdiL apparait comme un dispositif utile pour renforcer les synergies entre les acteurs locaux d’une part et les autorités locales d’autre part puisque le projet est intégré au sein de la Ville de Liège.
Le projet avance mais avec certains défis. L’un deux est l’absence de lieu propre. « C’est un frein pour permettre aux personnes intéressées de nous trouver » explique la coordinatrice « C’est l’une des prochaines priorités d’action. » A cela, s’ajoute des capacités d’animation limitées. En effet, le financement obtenu permet l’activité d’une coordinatrice à temps plein et d’une animatrice à mi-temps. Or, « quand on a introduit le projet, il y avait le souhait qu’il cible « l’agglomération liégeoise » et donc les 24 communes de la métropole. Et là, on n’a pas encore eu l’occasion d’essaimer significativement au-delà de la ville » explique Emilie Farcy. La volonté est que le projet puisse se déployer pleinement tant dans l’agglomération mais aussi dans la temporalité. En effet, le souhait est d’éviter de réaliser uniquement une initiative ponctuelle mais d’inscrire la MAdiL comme une dynamique pérenne. C’est un autre défi étant donné que le financement est actuellement obtenu pour une durée de 3 ans (jusqu’en 2024).
Malgré ces défis, la MAdiL se réjouit de son succès. « Les activités affichent rapidement complet, parfois même sans qu’une communication ait été lancée. » souligne Emilie Farcy « On communique principalement notre programme à une mailing list (+/- 600 personnes), et cela suffit à ce que les activités soient remplies. Par ailleurs, on est de plus en plus sollicités par les acteurs qui travaillent avec les publics vulnérables, que ce soit des organismes d’insertion professionnelle ou des professionnels qui travaillent avec des primo-arrivants. Alors c’est un peu frustrant parce que notre capacité d’animation étant limitée, on ne sait pas répondre à tout. Mais pour autant, c’est rassurant sur le fait qu’on est attendu là-dessus pour pouvoir proposer des choses à ces publics. »
Face à ces défis, la MAdiL souhaite « inventer de nouvelles approches et justifier son ambition d‘être un laboratoire d’innovations sociales et inclusives de la transition alimentaire à Liège en s’appuyant sur les expertises existantes au niveau wallon et bruxellois comme par exemple l’autre projet de Maison de l’alimentation durable de Charleroi, sans oublier les Maisons de l’alimentation durable créées en France ou en Suisse ».
Pour en savoir plus
Site internet de la MAdiL : https://www.madil.be/
Page facebook de la MAdiL : https://www.facebook.com/MADILiege/
Ressources
Référentiel »Vers un système alimentaire durable en Wallonie » : https://developpementdurable.wallonie.be/sites/dd/files/2022-07/Referentiel_AD_WEB_compressed.pdf
Site web de la stratégie wallonne « Manger demain » : https://www.mangerdemain.be/strategie/