Professionnels et usagers des soins de santé ont chacun leurs représentations de la maladie et de la santé. Ces représentations sont bien souvent différentes voire contradictoires. Il est essentiel que le soignant décode les représentations de la maladie de son patient pour améliorer l’adhésion de celui-ci au diagnostic et au traitement. Il est tout aussi important qu’il se reconnaisse façonné par des représentations «savantes» et qu’il prête une oreille attentive aux savoirs profanes, qui peuvent contribuer à une meilleure prise en charge de la maladie.
Sur ce sujet aussi complexe qu’imparable, Question Santé nous a offert le 12 décembre dernier, dans la belle Maison du livre de Saint-Gilles (Bruxelles), une journée de réflexion aussi brève que stimulante comme Robert Bontemps et ses amis en ont le secret.
Sylvie Carbonnelle , anthropologue, chercheur au Centre de diffusion de la culture sanitaire asbl et assistante à l’ULB, planta le décor avec une approche épistémologique de la question, soulignant l’intérêt croissant pour la dimension culturelle de la santé depuis une vingtaine d’années.
Elle nous décrivit avec clarté quatre courants d’interprétation des représentations de santé qui firent florès au vingtième siècle, de l’empirisme non dénué d’ethnocentrisme des débuts à une vision postmoderne considérant les représentations comme des mystifications, en passant par le cognitivisme qui reconnaissait la relativité culturelle de la maladie, et l’anthropologie interprétative des années 80. Toutes ces démarches permirent de mettre en évidence le décalage entre le modèle médical et le vécu de la maladie, et de théoriser la distinction féconde entre trois acceptions du mot ‘maladie’ en anglais, disease (état pathologique) renvoyant à illness (vécu individuel) et à sickness (dimension sociale).
Comment répondre dans ces conditions à un patient en recherche de sens et d’efficacité, alors qu’on est bien conscient que la ‘virtuosité anthropologique’ des modèles ne rend que si faiblement compte du flou et du morcèlement de la réalité?
Catherine Le Grand-Sébille , maître de conférence en socio-anthropologie de la santé et éthique médicale à la Faculté de Médecine Lille 2, au départ de sa riche expérience professionnelle de la maladie grave et de la mort, se livra avec beaucoup de générosité (et de nuance) à une réhabilitation de la différence culturelle, qui permet de comprendre bien des ratés dans l’adhésion des patients aux traitements qui leur sont rationnellement pro(im)posés. Elle nous dit ainsi avec des mots justes que pour bien des immigrés, l’hospitalisation est vécue comme une deuxième migration, et que l’incompréhension de l’altérité, qui nuit tant à la qualité des soins, n’est pas seulement exotique, mais vaut aussi pour le travail avec les familles en grande pauvreté.
Isabelle Aujoulat , chercheur à l’Unité d’Education pour la santé RESO de l’UCL, se livra quant à elle à un plaidoyer en faveur de l’empowerment, qui pourrait donner ou redonner au patient le contrôle de sa vie, et pas seulement la maîtrise des symptômes de son mal. Exposé humaniste, lui aussi, s’appuyant sur une recherche qualitative auprès de 40 malades.
Il revenait à Etienne Vermeire , médecin généraliste, professeur à l’Université d’Anvers, au départ d’une recherche auprès de diabétiques de type II, d’introduire la notion de ‘concordance’ entre soignant et soigné, la promotion de la qualité de la relation pouvant (hypothèse à vérifier) lever certains obstacles à la ‘compliance’.
Lucide, le dernier intervenant reconnaissait volontiers le caractère quelque peu angélique de son souci de valoriser l’expertise propre au soigné.
Ces quatre éléments de réponse à la question du jour ne vident évidemment pas un débat passionnant. Nous inviterons nos lecteurs à en prendre connaissance de façon approfondie dans quelques mois, quand les actes de cette journée organisée avec le soutien de la Commission communautaire française de la Région de Bruxelles-Capitale sortiront.
Christian De Bock