Juin 2015 Par Conseil supérieur de Promotion de la Santé Politiques

Les trois axes fondamentaux pour un programme quinquennal: des principes d’action

Le Programme quinquennal 2004-2008 prolongé jusqu’en 2014 retient trois axes pour la définition des priorités de la politique de promotion de la santé en Fédération Wallonie-Bruxelles: des principes d’action, des acteurs prioritaires et des problématiques de santé prioritaires. Ces trois axes ont été maintenus dans la présente proposition mais leur contenu a évolué en tenant compte des opportunités ouvertes par la gestion des compétences de promotion de la santé dans les régions. Notamment, les milieux de vie dans lesquels interviennent les acteurs prioritaires ont été beaucoup plus détaillés.

Les principes d’action sont de véritables objectifs stratégiques indispensables pour assurer l’efficacité de la promotion de la santé face au défi des inégalités sociales de santé.

En 2003, à Genève, devant la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, le rapporteur spécial Paul Hunt soulignait ainsi notamment que «le droit à la santé est un droit global, dans le champ duquel entrent non seulement les prestations de soins de santé appropriées en temps opportun, mais aussi les facteurs fondamentaux déterminants de la santé. Le droit à la santé est étroitement lié à l’exercice d’un certain nombre d’autres droits de l’homme et d’autres libertés fondamentales énoncés dans les principaux traités internationaux relatifs aux droits de l’homme. Il s’agit notamment du droit à l’alimentation, au logement, au travail, à l’éducation, à la vie, à la non-discrimination et à l’égalité, du droit de ne pas être soumis à la torture, du droit au respect de la vie privée, du droit de participer, du droit d’accès à l’information, et des droits à la liberté d’association, de réunion et de circulation».

Les États ont l’obligation de prendre des mesures délibérées, concrètes et ciblées pour la réalisation intégrale du droit à la santé, notamment en élaborant une stratégie nationale et un plan d’action national dans le domaine de la santé publique.

L’amélioration du niveau de vie et l’insertion socio-économique des personnes défavorisées sont donc des buts prioritaires, en amont des interventions plus spécifiques de la compétence de la Communauté française dans le cadre du décret du 14 juillet 1997. L’article 17, 2e alinéa, de ce décret précise d’ailleurs: ‘Il sera en particulier tenu compte des populations qui connaissent une situation sociale, sanitaire ou économique défavorable et des différences de cultures’. Le terme de ‘cultures’ ne doit pas seulement être entendu ici dans ses aspects ethnico-religieux ou nationaux (cas des populations d’origine immigrée), mais aussi dans ses aspects éducatifs ou socio-économiques (cas des populations appauvries, marginalisées ou exclues, qui développent effectivement une culture propre, au sens sociologique du mot).

Le Conseil supérieur de promotion de la santé a réaffirmé l’importance de la réduction des inégalités sociales de santé dans un avis de juin 2011; il y précise que les personnes défavorisées (difficultés économiques, psychosociales…) sont davantage confrontées à la maladie que d’autres. Mises à part quelques très rares exceptions, les gradients sociaux de santé se retrouvent pour chaque problématique de santé et sont visibles tant en termes de mortalité (dont par exemple l’espérance de vie) que de morbidité (bien-être global intégrant santé physique, mentale et sociale).

En conséquence, le Conseil a notamment insisté sur la nécessité de maintenir voire de développer une offre universelle orientée vers la prévention, l’éducation pour la santé et la promotion de la santé. Il s’agit de rendre cette offre disponible à l’ensemble de la population et non pas de viser uniquement les plus précarisés. Cependant il importe de développer simultanément des stratégies spécifiques proportionnées aux difficultés vécues par les populations. Dans un contexte socio-économique dégradé, il est important de porter une attention spécifique aux publics fragilisés et marginalisés afin de garantir l’égalité de l’accès au bien-être, à la santé physique, mentale et sociale pour tous.

Articuler l’approche de promotion de la santé, les stratégies de médecine préventive et les soins de première ligne

La Communauté française s’est dotée d’un cadre décrétal permettant de prendre en compte des programmes de médecine préventive. Un consensus s’est progressivement dégagé dans la communauté scientifique pour s’accorder sur la pertinence de certaines démarches de médecine préventive et en confirmer le bénéfice pour la santé et la qualité de vie de la population. Actuellement, il s’agit du programme de vaccination, des programmes organisés de dépistage des cancers du sein et de l’intestin, de la prévention du cancer du col de l’utérus, de la prévention du diabète sucré et de l’identification du risque cardiovasculaire global, basé sur le dépistage de l’hypertension, du tabagisme, du cholestérol, de la sédentarité et du surpoids. Les services de promotion de santé à l’école ainsi que le Dossier médical global + sont des expressions concrètes de l’intégration de la médecine préventive dans les pratiques de première ligne.

Au niveau néonatal, les dépistages de la surdité et des anomalies congénitales font également l’objet de programmes organisés. La tuberculose mérite également une attention particulière dans des groupes de populations particulièrement vulnérables essentiellement regroupées dans les grandes villes…

L’enjeu est d’articuler les différents programmes et les services de médecine préventive entre eux, mais aussi de les articuler avec les démarches d’éducation pour la santé et de promotion de la santé, qui doivent intervenir, le plus possible, en amont des problèmes de santé et de façon globale (déterminants sociaux, éducatifs, culturels, économiques…) sans forcément cibler telle ou telle maladie. Il s’agit également de développer des stratégies concertées d’une part avec les intervenants de première ligne et du secteur ambulatoire, et d’autre part avec tous les autres intervenants impliqués dans les déterminants de la santé globale, en amont et en aval des problématiques de santé.

Promouvoir la participation citoyenne, impliquer les populations concernées en particulier au niveau local

La participation des populations aux programmes, actions ou projets portant sur les problématiques de santé ou les déterminants de la santé qui les affectent constitue une deuxième priorité stratégique. Il importe, en effet, non seulement de favoriser l’accès de la population aux services et soins de santé, mais aussi d’impliquer les citoyens en tant qu’acteurs de promotion de la santé à part entière, depuis la définition des besoins et la conception des interventions jusqu’à la réalisation et l’évaluation de celles-ci.

L’utilisation de méthodes bien éprouvées pourrait favoriser la participation de la population sur les politiques de santé et de promotion de la santé. Une attention particulière sera accordée aux conditions pratiques et méthodes de participation permettant aux populations en situation de précarité de prendre une place active dans les actions de promotion de la santé.

Cet objectif est ambitieux; il ne sera pas atteint facilement. Il constitue cependant un important enjeu démocratique. Il peut notamment être réalisé par l’action et le travail communautaires comme en témoigne l’expérience de plusieurs associations et services, en particulier auprès de populations en situation de vulnérabilité (pauvreté, logements inadéquats et/ou insalubres, mauvaise maîtrise du français, exclusion sociale ou culturelle, etc.). Il s’appuiera utilement sur les dispositifs de participation prévus au niveau local ou dans les institutions (commissions consultatives, conseils de participation…).

Développer le travail en réseau et le partenariat intersectoriel à tous les niveaux

Cette priorité stratégique découle de la conception multifactorielle de la santé. La promotion de la santé cherche à créer les conditions d’une action plus globale et donc plus adaptée à la complexité des réalités. Elle cherche à créer des modes de concertation et des interventions intersectorielles réunissant des partenaires provenant de divers domaines : santé, éducation, politique, économie.

L’intersectorialité favorise le décloisonnement, l’élargissement du cadre de référence, la mise en commun de ressources diversifiées, la coordination des actions menées au sein des différents secteurs, la diffusion de messages cohérents…

On sait cependant que le travail intersectoriel – via des dispositifs tels que les coordinations sociales, les concertations locales, les conseils de prévention, etc. – est délicat, et se heurte à la complexité des contextes sur le terrain, aux clivages professionnels et institutionnels, aux conflits de compétences.

Trois pistes doivent être favorisées pour pallier ces inévitables difficultés et donner de meilleures réponses aux réalités des usagers :

  • une structure moins formelle, celle du réseau, constitue une piste de travail notamment pour favoriser une première ligne forte et cohérente ou pour favoriser un tissage horizontal de liens entre acteurs de promotion de la santé, acteurs du soin et acteurs d’autres secteurs (environnement, enseignement, culture, action sociale). Ce type de réseau peut se définir comme un assemblage non structuré d’acteurs libres entretenant entre eux une communication forte, susceptible de les renforcer, d’établir des échanges centrés sur un objectif commun à partir de concepts, compétences, activités partagées;
  • accentuer au niveau local le partenariat intersectoriel et les alliances entre services publics et monde associatif. L’évaluation d’impact sur la santé (EIS) par les collectivités locales paraît être un bon moyen pour une mise en œuvre de l’intersectorialité;
  • renforcer la concertation aux différents niveaux de pouvoirs et de représentation: communes, régions, entités fédérées, fédéral en insistant sur les synergies à mettre en place pour mener des politiques cohérentes ayant un impact favorable sur la santé des gens.

Développer des procédures d’assurance de qualité des projets

Intervenir en promotion de la santé implique la mise en œuvre d’une grande diversité d’acteurs et de structures, mais peu des ressources sont disponibles pour ce faire. En conséquence, la qualité des actions, projets et programmes, reste la meilleure garantie d’efficacité de ceux-ci. La qualité est basée sur des critères méthodologiques et éthiques. Ces critères de qualité ont été détaillés dans le Programme quinquennal 1998-2003 et adaptés plusieurs fois par le CSPS et ses commissions d’avis.

La qualité est soutenue par une procédure d’examen des demandes de financement, fondée sur des critères soigneusement décrits et sur une démarche d’avis impliquant des acteurs eux-mêmes. L’exigence d’évaluation qui accompagne le financement d’actions et de programmes contribue aussi à créer une culture de l’assurance de qualité parmi ces opérateurs, dans la mesure où elle apporte des informations utiles à améliorer ou à réorienter leurs actions et pratiques (évaluation de processus et de mise en œuvre). La promotion d’une évaluation faite par et pour les intervenants, respectueuse de leurs pratiques et ressources, de la priorité à donner à l’action constitue un socle pour l’assurance de qualité des projets. L’association de la population et des usagers à ce type d’évaluation doit être amplifiée.

La qualité est encore plus soutenue par l’existence de services qui peuvent apporter un appui gratuit à la demande de tout acteur ou organisme impliqué dans des projets de promotion de la santé, en quête ou non de subsides.

Les organismes spécialisés en promotion de la santé, qu’ils le soient par thématique, par public, par territoire, ou par méthodologie, sont essentiels pour assurer la diffusion auprès d’un grand nombre de professionnels de proximité d’outils et de pratiques cohérentes avec le cadre de référence de la promotion de la santé.

Des informations extrêmement utiles sont disponibles pour anticiper les effets sur la santé, l’efficience et la qualité des programmes dès leur conception. Ce socle de connaissances comporte aussi bien des données probantes sur les causes, les stratégies et les interventions que des outils de prospective et d’évaluation. Les organismes situés à l’interface entre le monde de la recherche et celui des pratiques professionnelles peuvent faciliter le courtage de connaissances c’est-à-dire le transfert des connaissances issues de la recherche et des expériences internationales, la mutualisation des connaissances issues de la pratique des opérateurs de notre territoire et in fine, l’articulation de ces deux sources d’information pour baliser des pratiques en adéquation avec le contexte des entités fédérées.

Augmenter les compétences et les capacités d’action par l’information et l’éducation permanente

Il s’agit de permettre aux individus et collectivités d’avoir accès à l’information sur la santé et la prévention, de pouvoir la comprendre, l’évaluer et la communiquer pour promouvoir, maintenir et améliorer la santé dans différents milieux tout au long de la vieNote bas de page.

Les stratégies d’information et de communication viseront à augmenter l’accès aux services offerts, aux messages de prévention, aux actions sur les conditions de vie et les déterminants de santé.

Les démarches d’éducation permanente devront permettre aux individus et collectivités :

  • de s’approprier de manière critique les informations à propos de leur santé et de ses déterminants;
  • de renforcer leurs capacités de choix en ce qui concerne la santé;
  • d’exprimer et de construire des savoirs stratégiques afin de créer des environnements favorables à la santé.

Les stratégies d’information et de communication devront être ‘multi-canaux’ et prendre en compte le développement du web 2.0, pour en exploiter au mieux les potentialités, tout en évaluant ses avantages et inconvénients.

Augmenter les compétences des relais en promotion de la santé par la formation continue

Les professionnels doivent faire face à des demandes et des problématiques de plus en plus complexes, c’est pourquoi la formation continue est un levier essentiel pour les soutenir face à ces défis.

Ces programmes de formation doivent viser des objectifs tels que :

  • travailler sur les représentations sociales, notamment par rapport à la santé et aux risques, aux inégalités sociales de santé et situations de vulnérabilité, à l’empowerment et à la participation des populations;
  • intégrer les trois registres d’objectifs d’apprentissage (savoir, savoir-faire, savoir être) dans les processus d’acquisition des compétences;
  • approfondir la compréhension des situations problématiques pour dépasser des réponses standardisées et instrumentales.

Au niveau des méthodes de formation, ces programmes doivent :

  • privilégier les groupes de formation plurisectoriels ou pluriprofessionnels et les équipes pluridisciplinaires de formateurs;
  • privilégier les processus de formation qui prévoient des allers-retours entre moments de formation et confrontation à la pratique;
  • valoriser les atouts des participants, par exemple en développant les échanges de pratiques;
  • assurer le suivi des formations par des accompagnements personnalisés pour une meilleure appropriation et intégration dans les pratiques professionnelles.

Articuler le champ de la promotion de la santé et les autres champs d’action politique

L’impact sur la santé des diverses politiques sectorielles est déterminant et peut être favorable, mais aussi défavorable. Les actions transversales et les politiques intersectorielles (notamment des politiques transversales aux différents champs de compétences) sont en effet indispensables à apporter une réponse adéquate.

C’est pourquoi, il faut investir dans des actions de plaidoyer du secteur de la promotion de la santé vers d’autres secteurs. C’est aussi pourquoi l’interaction entre le champ de la santé et le champ des autres politiques doit pouvoir être évaluée, notamment dans le cadre des évaluations d’impact sur la santé (EIS) et d’évaluation d’impact sur les inégalités sociales de santé (E2I2S).

Cette articulation a pour but de dépasser les limites des compétences des différents pouvoirs publics. Seule, en effet, une politique interministérielle peut favoriser les décisions – sociales, économiques, culturelles, urbanistiques, d’enseignement… – qui ont pour effet de produire de la santé.

Le concept d’HiAP (Health in all policies) évoqué précédemment, signifie littéralement la ‘santé dans tous les domaines politiques’, c’est-à-dire la conduite d’une collaboration intersectorielle en matière de santé impliquant la participation de tous les domaines d’action politique et de tous les niveaux de pouvoir.

‘La Charte d’Ottawa précise que la promotion de la santé ne doit pas relever du seul secteur sanitaire mais impliquer l’ensemble des politiques dans les conséquences de leurs décisions sur la santé des populations. La dispersion des compétences et des intervenants nécessite aussi une concertation permanente dans l’élaboration de ces politiques’ [P.C.F. 127(1996-1997) n°16 pp 21 et 22]. L’évaluation des dispositifs de politique de santé en 2010-2011 a confirmé la nécessité de politiques transversales pour agir sur les déterminants de la santé.

Promouvoir la santé tout au long de la vie

Le premier principe d’action prôné par la Commission des déterminants sociaux de la santé (OMS, 2008) consiste à «améliorer les conditions de vie quotidienne, c’est-à-dire les circonstances dans lesquelles les individus naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent.»

Cette approche diachronique de la santé complète et enrichit l’approche par les milieux de vie.

Elle permet de mettre en avant l’importance des facteurs liés au développement de l’enfant dès la vie in utero. «L’une des mesures qui offre les meilleures chances de réduire les inégalités sociales en santé en l’espace d’une génération est d’investir dans les premières années de l’existence» (OMS, 2008). C’est ce que l’OMS appelle l’équité dès le départ. Ce qu’il faut c’est avoir une approche globale du développement social, affectif et cognitif.

Elle attire l’attention sur toutes les phases de transition physique et sociale liées au développement qui sont des phases de plus grande fragilité comme l’adolescence, les transitions solaires ou familiales, la recherche ou la perte d’un emploi.

Elle rappelle l’importance de la quantité et de la qualité du travail sur la santé (revenu, réseau social, accomplissement, bien-être au travail…), mais permet aussi d’argumenter sur l’importance économique et sociale cruciale de travailleurs en santé. Le parcours d’inclusion sociale surtout pour les plus éloignés de l’emploi passe par la prise en compte des facteurs psycho-médico-sociaux qui affectent durablement la santé et l’intégration sociale et professionnelle.

Elle introduit enfin le concept du vieillissement actif et en bonne santé. Il n’y a pas d’âge pour espérer des bénéfices d’une action de promotion de la santé ! Pour faire face aux défis d’une société vieillissante, il ne faut pas seulement raisonner en termes de prise en charge et de places d’accueil, mais prendre des mesures sur les conditions de vie qui favorisent un vieillissement en santé : participation, sécurité, cadres de vie… (OMS, Vieillir en restant actif)

De manière complémentaire, la dimension transgénérationnelle pourrait aussi compléter cette approche en soulignant les atouts mais aussi les contraintes liées aux relations entre générations.

Kickbusch, I., et al., Health literacy: the solid facts. 2013, Geneva: WHO Europe.