Les enfants, acteurs de leur hospitalisation, priorité numéro un pour l’Espérance
Un enfant a généralement comme expérience de l’hôpital une visite à un parent malade… Aussi, le jour où il doit être hospitalisé, son image de l’institution n’est certainement pas très rose… Alors que le mouvement pour une humanisation des soins à l’hôpital se généralise, avec plus ou moins d’ampleur selon les institutions, voyons une initiative de la Clinique de l’Espérance à Liège. Le but: préparer les enfants à un soin, un examen ou une opération par le jeu. Une philosophie qui a inspiré bon nombre de services hospitaliers chez nous, mais aussi en France, où la clinique liégeoise a participé à l’enregistrement d’une vidéo ‘Informer par le jeu à l’hôpital’ avec l’association Sparadrap, qui aide les parents d’enfants malades ou hospitalisés (voir encadré).
Développer des supports ludiques pour apprendre à l’enfant ce qui va lui arriver, pour l’aider à appréhender les traitements, ce n’est pas une idée neuve: « Mettre à disposition des enfants des valisettes de médecins , déguisements d’infirmières ,… n’a rien d’exceptionnel . Par contre , sortir le jeu de la salle de jeux pour l’introduire dans les salles de soin , afin qu’il soit le support d’une communication entre l’enfant , ses parents et le personnel soignant , c’est un tout autre objectif !», explique Bénédicte Minguet , psychologue et responsable de la coordination des projets d’humanisation dans la clinique liégeoise (1).
«En France, par exemple, l’association Sparadrap avait été sollicitée par la Fondation de France pour envisager la diffusion d’un ourson bleu appelé ‘Tamalou’. Il était distribué aux petits patients par les services du SAMU et servait à la fois à rassurer l’enfant et comme support d’évaluation de la douleur. Cette dernière ‘mission’ n’était pas rencontrée et la peluche servait surtout de ‘doudou’, sans valeur éducative. Il fallait donc trouver un outil avec un objectif plus clair et Sparadrap a été tentée de mettre en place une formation à l’information des soignants par le jeu. Il s’agissait de travailler au départ une poupée, médicalisée, et d’encourager l’utilisation du jeu dans la pratique des soignants.»
Pour ce faire, ils ont fait appel en 2001 à l’expertise liégeoise: « Ils m’ont contactée car nous avions depuis 10 ans déjà cette expérience au sein de la Clinique de l’Espérance », poursuit Bénédicte Minguet.
En effet, cette institution a adopté le principe du jeu pour préparer l’enfant à une intervention ou à des soins particuliers dans le service de pédiatrie. « Que ce soit pour une intervention en hôpital de jour ou pour une hospitalisation de plus longue durée , nous organisons une visite préalable pour expliquer l’intervention , les soins , etc .» Il s’agit d’enrichir la consultation traditionnelle (informations médicales) par un dispositif spécifique d’information pour l’enfant. « Nous allons engager un dialogue avec l’enfant et ses parents , lui montrer au départ de personnages miniatures , type Playmobil , comment va se passer l’hospitalisation , de l’admission à sa sortie en passant par le bloc opératoire . Des médecins , des infirmières , le petit patient , les parents sont ainsi représentés par ces petits personnages qui évoluent dans un décor hospitalier , avec le lit de la salle d’opération , les lumières , les écrans de contrôle … que l’enfant , petit à petit apprivoise à son rythme . Avec ce matériel de jeu , nous allons être très concrets et montrer par exemple que l’enfant va aller sur un lit à roulettes vers la salle d’opération , mais nous allons aborder aussi le moment tant redouté de la séparation d’avec les parents tout en anticipant avec lui ce moment ( arrivé à la porte de l’ascenseur , ce sera pour maman et papa le moment de t’embrasser pour te dire au revoir ) etc .»
C’est comme si l’infirmière racontait une histoire à l’enfant, mais une histoire qui va se dérouler «pour de vrai», et dans laquelle il sera le principal protagoniste. Le tout en dédramatisant, en répondant aux questions qu’il peut se poser. Cette explication ludique peut se poursuivre par la visite de la chambre dans laquelle l’enfant sera accueilli durant son hospitalisation, afin qu’il se familiarise déjà et ne soit pas trop impressionné par ce cadre qu’il ne connaît pas.
Manifester son appréhension
Pour préparer l’enfant aux interventions, d’autres méthodes sont préconisées: « Pour expliquer ce qui se passera durant l’intervention même , les soins ou les traitements , nous allons opter plutôt pour une poupée . Cela peut être une poupée classique , pour expliquer à des plus jeunes que l’on va mettre un masque sur la bouche , appliquer du produit désinfectant rouge , etc . D’autres poupées plus spécifiques existent aussi , par exemple une poupée à laquelle l’enfant peut retirer les amygdales .»
L’infirmière et le médecin vont présenter une information médicale individualisée au départ de poupées sur lesquelles la pathologie de l’enfant est représentée (grandeur de la cicatrice, drain…) tel un support visuel en trois dimensions, avec des mots que l’enfant (et ses parents) comprendra, sans pour autant bêtifier! Ainsi, l’enfant est impliqué dans ce qui va lui arriver. « L’avantage est que le jeu peut être individualisé à l’enfant , selon sa réalité , son état émotionnel ou son niveau de compréhension , par exemple » poursuit Bénédicte Minguet. Pour les plus grands, des livrets explicatifs voire un cédérom pourront également venir appuyer les explications. Et au moment où en tant que patient, ils verront les chirurgiens et infirmières avec masques et bonnets, ils seront en terrain connu et disposeront de plus de ressources pour faire face à la situation…
Le jeu peut aussi être poursuivi par l’enfant. C’est lui qui soignera la poupée, par exemple. Muni de masques et de bonnets de salle d’opération, il peut «faire comme les grands».
L’avantage avec ce type de méthode est que l’enfant peut, dans le cadre du jeu, décider à tout moment de changer de rôle: devenir le soignant et passer à un rôle plus actif, ou être le parent de l’enfant opéré. Son imagination a libre cours: « Cela permet de détecter certaines appréhensions que l’enfant peut ressentir et qu’il va exprimer indirectement , par exemple en faisant parler la poupée . Il se peut aussi qu’un enfant tape sa poupée à terre , sous le coup de la colère . Cela ne signifie pas qu’il aura cette attitude durant le traitement . Au contraire , il peut ainsi manifester publiquement et sans risque de reproche sa frustration . En effet , la poupée peut aussi être une occasion de dire ‘ non’ , de s’exprimer , de laisser sortir sa colère de l’hospitalisation . Il ne peut pas refuser les actes médicaux , mais avec la poupée , il peut tout de même dire non durant le jeu .»
Mais tous les enfants accrochent-ils? La crainte, l’angoisse n’est-elle pas à certains moment plus forte que l’envie de jouer? « La poupée fonctionne avec tous les enfants , parce qu’elle entre dans le cadre d’une relation avec le soignant et que l’enfant se sent alors concerné par ce qui va lui arriver », nous rassure Bénédicte Minguet. « Les enfants qui maintiennent une certaine distance par rapport à cette approche , attendent en fait d’être de retour à la maison pour reproduire et jouer au départ de ce qu’ils ont observé du jeu .»
Québec, source d’inspiration
Ce projet est en cours depuis 1996 à l’Espérance, et a été relayé par l’association française Sparadrap, qui en a édité très récemment une cassette vidéo. « Le principe d’utiliser des poupées pour expliquer des interventions à l’enfant , en pré – opératoire , existait déjà au Québec . J’ai visité trois hôpitaux qui l’utilisaient et j’ai rapidement été séduite par la philosophie du projet : l’hôpital s’adapte à l’enfant , et non l’inverse … J’ai donc proposé de transposer cette méthode à la Clinique de l’Espérance mais avec une grande différence : je ne voulais pas réserver cette méthode aux seuls éducateurs mais faire en sorte qu’elle soit utilisée par tous les professionnels qui pratiquent un acte de soin : médecin , infirmière … que chaque intervenant adhère au projet et se l’approprie . Il s’agissait donc de repérer tous les départements et services où il était possible de préparer l’enfant atteint d’une maladie grave , ou qui doit subir une intervention chirurgicale , ou un simple soin : expliquer les interventions , les gestes des infirmières ou des médecins , les traitements , les effets secondaires , etc . Résultat : tous les services concernés se sont appropriés le jeu …»
Comme tout projet nouveau qui touche au changement de pratiques, il a rencontré l’enthousiasme de certains et la crainte des autres, comme celle de devoir changer sa manière de faire, depuis tant de temps instituée… Une attitude bien comprise par les initiateurs du concept, tant que l’ensemble du personnel n’avait pas identifié les bénéfices pour les enfants, et pour eux-mêmes. « Il fallait leur donner du temps pour que chacun adopte cette proposition », se souvient Bénédicte Minguet.
Même si tout le monde est d’accord sur les principes théoriques des droits de l’enfant hospitalisé, concrètement, cela demande du temps pour accorder une équipe autour d’une nouvelle pratique. Ce phénomène a été observé tant au nouveau de la prise en charge de la douleur, que de l’information ou de la présence des parents. Soulignons cependant qu’à l’heure actuelle, de nombreuses initiatives existent dans l’ensemble des services pédiatriques belges, c’est un mouvement important!
Partenaires de soins
Un changement positif qui a convaincu le personnel soignant est très certainement l’attitude des enfants: « Un enfant informé et adéquatement préparé posera moins de problèmes au moment de poser les actes , que ce soit les soins , les traitements ou les interventions … Il n’y a le plus souvent plus besoin de contention , de s’y reprendre à plusieurs fois pour piquer parce que l’enfant ne se laisse pas faire , etc . Au final , les équipes soignantes y gagnent non seulement en temps , mais aussi en qualité des soins et en qualité dans la relation avec les petits patients et leurs parents .»
Et c’est ce que confirment les équipes soignantes qui ont eu l’occasion de mettre en pratique ces techniques d’information des enfants par le jeu: leur qualité de vie au travail s’en est trouvée améliorée. Les enfants sont moins angoissés, leur niveau d’information est meilleur, chose qu’ils peuvent évaluer en direct, grâce à la simulation par le jeu. De même, les enfants qui ont reçu l’information grâce à la poupée communiquent mieux avec leurs amis ou leur famille sur ce qu’ils vivent ou ont vécu. Ils parlent de leurs traitements de manière plus nuancée; ainsi ils peuvent très bien dire: «je n’aime pas suivre ce traitement, mais quand je devrai revenir, j’aurai moins peur.»
Et, chose très importante, l’infirmière et le médecin ne sont plus perçus tant par l’enfant que par les parents comme ceux qui font mal… Un véritable partenariat thérapeutique peut alors soutenir l’enfant dans cette expérience que représente l’hospitalisation.
Même les médecins et chirurgiens constatent une différence, précisant qu’en pré-opératoire, les enfants préparés sont moins stressés et collaborent nettement mieux au moment de l’anesthésie, ou au moment de les amener au bloc. Par ailleurs, en post-opératoire, les médecins affirment que les échelles de douleur sont nettement abaissées chez les enfants bien préparés. La réduction de l’anxiété permettant d’influencer positivement la douleur…
Enfin, l’avantage est aussi indéniable pour les parents: « Grâce à leur implication dans les jeux , ils ont une meilleure compréhension de leur rôle avant ou après les interventions . Non seulement ils se sentent mieux armés pour communiquer à un moment important pour leur enfant et pour eux , mais surtout , ils deviennent des partenaires de l’équipe soignante , et non plus des adversaires qui ne voient qu’une forme d’agression envers leur enfant … Ils sont rassurés par les explications données , ils peuvent dédramatiser leur perception de certaines interventions et deviennent des relais de l’information , notamment lorsque les jeux sont repris à la maison , avant et après l’intervention . Enfin , de manière préventive , l’enfant pourra communiquer à partir de son expérience , se préparer à l’hospitalisation – ou la suivante le cas échéant et y arriver plus serein .»
Mais informer les enfants ne suffit pas, si cette mesure est prise isolément… « C’est vrai , il faut faire en sorte que l’enfant soit acteur de son hospitalisation , en l’informant au mieux et en répondant sans lui mentir à ses interrogations , simplement , avec un vocabulaire adapté . Mais pour cela , il faut que le personnel soignant qui sera amené à donner ces informations soit correctement formé pour accepter de se laisser remettre en question sans cesse par les paroles et le vécu des enfants . Il faut aussi que l’encadrement physique soit en harmonie avec cette place que l’on réserve à l’enfant : avec l’école à l’hôpital , des infrastructures adaptées aux enfants , etc . Aussi , l’humanisation des soins à l’hôpital pour l’enfant , c’est un tout auquel tous les intervenants doivent participer , de la femme de ménage au directeur de l’hôpital , en passant par le médecin . Et , dans le cas de l’information par le jeu , le lien entre tous les intervenants est palpable pour l’enfant et ses parents .»
En effet, pour être cohérent aux yeux de l’enfant, il est indispensable que tous les intervenants des services que devra fréquenter l’enfant puissent faire référence à cette poupée. « Si tout le monde utilise la poupée , l’enfant percevra une image cohérente entre les différents professionnels de santé , qui tiendront un langage commun .»
Par ailleurs, cette préparation a été poussée plus loin par l’équipe de Bénédicte Minguet dans le domaine de la prévention: l’hôpital invite les classes maternelles et primaires à venir visiter un service d’urgences. « Cela peut se faire sur simple demande ou , par exemple , lorsqu’un enfant de la classe a subi une intervention . Dans ce cas , cela permet à cet enfant de communiquer ce qu’il a vécu et de s’approprier son histoire , et aux autres de se familiariser avec un univers de la même manière que l’école visite la caserne des pompiers ! Quelques soins peuvent être expliqués , le fonctionnement des hospitalisations , etc . Pour ceux qui ont eu la chance de ne jamais avoir vécu l’hospitalisation , cela peut les aider à dédramatiser pour le jour où ça devrait leur arriver .»
Carine Maillard
(1) Bénédicte Minguet collabore également au projet ‘Ensemble, découvrons l’hôpital’, avec les Mutualités chrétiennes et l’asbl Jeunesse et Santé. Nous vous l’avons déjà présenté dans Education Santé ( 171 – août 2002 et 198 – février 2004).
Informer par le jeu à l’hôpital
Le but de Sparadrap, en réalisant cette vidéo, est de sensibiliser les professionnels de la santé et de la petite enfance pour qu’ils osent utiliser le jeu dans leurs pratiques de soins, d’examen ou lors d’une intervention chirurgicale. Ce film vise également à les sensibiliser à la prise en charge spécifique de certains aspects, comme la douleur. Enfin, il peut également être montré aux parents d’enfants hospitalisés ou malades, afin de leur expliquer le projet ou, s’il n’est pas mis en pratique, de les inciter à en parler avec leur équipe soignante.
L’exploitation de ces outils dans le cadre de l’information par le jeu n’est pas encore optimale car il ne s’agit pas seulement d’utiliser des outils mais d’engager une équipe dans un projet. « Il existe pourtant une formation à l’utilisation de ces jeux , qui a été validée , pour que ses utilisateurs puissent disposer d’éléments concrets au sein de leur équipe pour entrer dans cette démarche », précise Bénédicte Minguet.
Le film est disponible en VHS ou DVD, aussi bien en France qu’en Belgique. Il a été primé en septembre 2005 aux «Entretiens de Bichat» et au Festival du film médical de Paris. Quelque 1000 exemplaires sont disponibles, auprès de l’association Sparadrap, 48 rue de la Plaine, 75020 Paris. Tél.: 0033 1 43 48 11 80 ou via le site http://www.sparadrap.org .
La Charte de Leiden
1. Le droit aux meilleurs soins possibles est un droit fondamental, particulièrement pour les enfants (UNESCO).
2. L’admission à l’hôpital d’un enfant ne doit être réalisée que si les soins nécessités par sa maladie ne peuvent être prodigués à la maison , en consultation externe ou en hôpital de jour.
3. Un enfant hospitalisé a le droit d’avoir ses parents ou leur substitut auprès de lui jour et nuit , quels que soient son âge et son état.
4. On encouragera les parents à rester auprès de leur enfant et on leur offrira pour cela toutes les facilités matérielles , sans que cela entraîne un supplément financier ou une perte de salaire.
5. On informera les parents sur les règles de vie et les modes de faire propres au service afin qu’ils participent activement aux soins de leur enfant. Les enfants et leurs parents ont le droit de recevoir une information sur la maladie et les soins, adaptée à leur âge et leur compréhension, afin de participer aux décisions les concernant.
6. On évitera tout traitement qui n’est pas indispensable . On essayera de réduire au maximum les agressions physiques ou émotionnelles et la douleur.
7. Les enfants ne doivent pas être admis dans les services adultes . Ils doivent être réunis par groupe d’âge, en toute sécurité. Leurs visiteurs doivent être acceptés sans limite d’âge.
8. L’hôpital doit fournir aux enfants un environnement correspondant à leurs besoins physiques , affectifs et éducatifs , tant sur le plan de l’équipement, que du personnel et de la sécurité.
9. L’équipe soignante doit être formée pour répondre aux besoins psychologiques et émotionnels des enfants et de leur famille.
10. L’intimité de chaque enfant doit être respectée . Il doit être traité avec tact et compréhension en toute circonstance.
Charte élaborée par EACH (Association européenne des enfants hospitalisés)