La Ministre de l’Enseignement de la Communauté française, Marie Arena , a décidé d’interdire les distributeurs de sodas et snacks sucrés dans toutes les écoles primaires et secondaires à la rentrée 2005. Les machines pourront rester si elles délivrent des aliments jugés plus diététiques. Et un effort sera fait pour mettre des fontaines d’eau à la disposition des élèves. Cette annonce énergique a suscité bon nombre de réactions, positives, fatalistes, nuancées. En voici quelques-unes.
La Mutualité socialiste applaudit
En octobre dernier, la Mutualité Socialiste, dans un communiqué commun avec le CRIOC, la Ligue des familles et les Femmes prévoyantes socialistes, tirait la sonnette d’alarme pour dénoncer l’ingérence des sociétés commerciales dans le domaine de l’enseignement et tout particulièrement le rôle néfaste que jouent les firmes agroalimentaires dans le domaine de l’alimentation des enfants.
Le problème de l’excès de poids est considéré par l’OMS comme le risque de décès le plus important après le tabac. En 2000, le coût médical des pathologies liées à l’obésité s’élevait à environ 600 millions d’euros, soit 6% du budget de l’INAMI. En Belgique, 19% des enfants entre 9 et 12 ans sont considérés en surpoids. Il s’agit véritablement d’un problème majeur de santé publique.
La Mutualité socialiste est gestionnaire de l’assurance soins de santé. Elle est aussi un acteur en promotion de la santé. Elle se réjouit de la décision prise par la Ministre de l’Enseignement en Communauté française.
A travers son service Promotion de la santé et ses asbl, la Mutualité socialiste développe des programmes d’éducation nutritionnelle. Elle sera donc attentive aux diverses consultations des acteurs de la santé, consultations relatives à l’introduction d’une alimentation saine et équilibrée en milieu scolaire. Elle soutiendra aussi toute initiative pour enrayer la surcharge pondérale et pour lutter contre l’obésité chez les jeunes, notamment par des pratiques diététiques.
La Mutualité socialiste restera également vigilante envers toutes tentatives de marchandisation de l’école. Ces tentatives pourraient en effet ouvrir la porte à des entreprises commerciales qui, sous le couvert d’un discours d’apparence éducative valorisant de prétendus aliments et boissons diététiques, ne viseraient rien d’autre qu’une démarche commerciale des plus ordinaires peu compatible avec le respect de la santé des enfants.
La Ligue des droits de l’enfant nuance
Il s’agit pour la Ligue d’un trop petit pas dans une problématique beaucoup plus vaste. La lutte contre la mauvaise alimentation chez les jeunes est, effectivement, un problème de santé publique mais doit être abordée dans sa globalité.
Objectif insuffisant
Supprimer les distributeurs de soda et d’aliments sucrés dans les écoles est un premier pas. Il est cependant loin d’être suffisant. Sans l’éducation, cette mesure risque d’être contre-productive. La diabolisation du tabac, par exemple, n’a fait que renforcer son pouvoir d’attrait chez les jeunes. Il y a donc lieu de mettre en place, au sein de l’école, une véritable éducation aux bonnes habitudes alimentaires.
L’obésité: la pointe de l’iceberg
En ne visant que les distributeurs de sodas et aliments sucrés ainsi que les cantines scolaires, la Ministre de l’Enseignement voit le problème par le mauvais côté de la lorgnette. En effet, l’obésité n’est qu’un symptôme de la mauvaise alimentation, en quelque sorte la pointe émergée de l’iceberg. Le problème est plus profond. Il faut y ajouter le manque d’activités physiques (l’école n’est pas un exemple en la matière), les problèmes de marginalisation sociale et de pauvreté. En somme la question est mal posée. Il ne s’agit pas de savoir comment mangent les jeunes mais comment ils vivent . La problématique est sociétale et doit donc recevoir une réponse globale. La lutte contre l’obésité passe par le combat pour l’égalité sociale.
Le problème de la publicité à l’école
Transformer les distributeurs de sodas en distributeurs d’aliments sains ne modifiera pas le problème. Encore faut-il donner aux jeunes l’envie de les acheter. Remplacer Coca-Cola par Danone ne changera rien à la mauvaise alimentation des jeunes, qui est une question d’éducation. Par contre, cela continuera à marchandiser l’école. La Ligue n’admet pas que les enfants, au sein des établissements scolaires, soient vendus aux marques. Depuis 1959, la publicité – et donc les marques – sont interdites au sein des établissements scolaires. La loi doit, tout simplement, être respectée.
Coca-Cola fait des efforts
Le célèbre producteur de sodas concentre les critiques ces jours-ci. En consultant son site belge, en cherchant un peu, on trouve son Code de conduite auprès des écoles primaires et secondaires. L’entreprise y affirme sa volonté de tenir compte ‘ de l’opinion et des intérêts d’autres groupes sociaux . Dans les milieux scolaires , nous sommes à l’écoute des parents , du personnel pédagogique et de la direction . Il nous paraît important de réglementer de façon détaillée notre présence dans les établissements , en nous engageant de façon très concrète sur ce que nous pouvons faire ou non .’
Les directives, contraignantes pour les représentants, ne sont pas tout à fait les mêmes dans le primaire et dans le secondaire. L’offre est adaptée, tant le contenu que le contenant, et la visibilité de la marque n’est pas la même non plus (1).
Pour plus de détails: http://www.cocacola.be/fr/corporate/business/health/attachments/code_fr.pdf
On trouve aussi sur le site une brochure ‘Actif pour une vie saine’ que ne désavoueraient pas les éducateurs purs et durs…
Pas facile de concilier respect d’une certaine éthique et souci de maintenir ou développer les ventes. Le nouveau PDG de la marque la plus connue du monde, Neville Isdell , ne déclarait-il pas récemment: ‘ Nous réalisons de mauvaises performances depuis 1997 . Nous avons raté le mouvement des consommateurs vers la santé’?
La Ministre de la Santé voit plus loin
Interpellée par les professionnels du secteur, les services de promotion de la santé à l’école (PSE) et le grand public, Catherine Fonck souhaite pour sa part recadrer son action dans le cadre du Plan stratégique de promotion de l’alimentation saine.
Il est évident que toute action d’éducation nutritionnelle n’a de sens que si elle prend place dans une action globale de promotion de l’alimentation saine qui porte tant sur des actions à mettre en place au niveau des écoles que sur des actions vis-à-vis de l’ensemble de la population en vue d’améliorer de façon globale l’environnement nutritionnel.
Quel rôle pour les services PSE?
Les services PSE sont des acteurs capitaux car ils rencontrent les enfants à plusieurs reprises durant leur scolarité. Ils ont un rôle à jouer à deux niveaux: pratiquer le dépistage individuel de l’obésité chez les enfants, et être des partenaires à la mise en œuvre d’actions collectives en milieu scolaire.
Il est indispensable que le «bilan de santé» soit le lieu d’un dépistage systématique d’une surcharge pondérale chez les enfants et les adolescents. En effet, concernant les inégalités sociales de santé que l’on connaît par rapport à ce problème, les équipes PSE sont à un poste d’observation privilégié de la santé de tous les enfants.
Ce dépistage des enfants à risque nécessite:
– de mesurer le BMI (indice de masse corporelle) des enfants lors de la visite médicale et de tracer les courbes de corpulence;
– d’utiliser les mêmes seuils pour définir une surcharge pondérale ou une obésité. Les bornes internationales recommandées sont celles de Cole (British Medical Journal 2000);
– de convenir d’une démarche de prise en charge des enfants en surcharge pondérale. Il s’agira, tout d’abord, d’une information et de conseils aux parents. Pour les cas d’«obésité», il sera indispensable de référer les enfants et les adolescents aux médecins généralistes ou aux pédiatres pour une prise en charge médicale la plus précoce possible. Il convient donc d’établir de réels partenariats entre les services PSE et le secteur curatif.
La promotion de la santé et d’une alimentation saine doit, progressivement, se faire une place dans les programmes scolaires, avec l’aide des équipes PSE. Elle doit inclure différentes actions. Les études montrent que la lutte contre la sédentarité est une des armes de la prévention de l’obésité (par exemple interventions visant à diminuer le temps passé par les enfants à regarder la TV et à jouer aux jeux vidéo).
Cette lutte contre la sédentarité est efficace à court terme comme le sont la limitation des apports caloriques et la promotion de l’activité physique. Le point crucial est le maintien de cette efficacité à long terme dans des sociétés qui incitent à la sédentarité, à la surconsommation alimentaire et où les obstacles à la pratique d’une activité sportive sont nombreux.
Les interventions en milieu scolaire seront limitées dans leur impact si elles restent isolées. Il est donc nécessaire d’intégrer les interventions dans un cadre plus global:
– impliquer l’industrie agroalimentaire, bien sûr;
– limiter les stimulations par la publicité et la présence de distributeurs;
– promouvoir l’activité physique dans la population générale par une augmentation de la dépense d’énergie dans les déplacements et les activités de loisirs.
Le Plan stratégique de promotion de l’alimentation saine
Ce plan est actuellement en cours de finalisation dans le cadre de la mise en œuvre du Plan opérationnel communautaire de promotion de la santé.
La promotion de l’alimentation saine et de la pratique de l’exercice physique s’intègre dans le cadre d’une des priorités de santé publique définie dans le programme quinquennal à savoir la prévention cardio-vasculaire.
Les grandes lignes du Plan ‘alimentation saine’ peuvent déjà être tracées.
Actions en direction des parents
L’allaitement, la découverte des goûts, la diversification de l’alimentation, l’inactivité physique, les légumes, le grignotage, les questions de poids… Il est parfois difficile d’aider son enfant dans ses apprentissages alimentaires. Catherine Fonck propose de rédiger, avec un éditeur, un guide à l’attention de tous les parents qui répond à toutes les questions que ces derniers peuvent se poser sur l’alimentation de leur nourrisson, de leur enfant ou de leur ado. Ce guide proposera les repères nutritionnels les concernant. Il pourra également favoriser le dialogue entre enfants et parents. Ces actions envers les parents s’intègrent également dans une politique globale de soutien à la parentalité.
Actions en direction du grand public
Création et diffusion d’un « guide alimentaire », et promotion d’une activité physique quotidienne limitée mais régulière.
Actions auprès des entreprises
Ces actions devront permettre de relayer la campagne de promotion de l’activité physique en ciblant le public sur son lieu de travail par le développement d’une signalétique ludique à l’intérieur de l’entreprise pour favoriser le passage à l’acte: dépliants, autocollants à placer sur les ascenseurs, affiches, etc.
France: reconnaissance légale d’un déterminant majeur de la santé
La loi française sur la politique de santé publique indique la direction à prendre pour essayer de prévenir le développement de certaines maladies chroniques au travers d’un déterminant majeur, l’alimentation. Mais tout reste à faire.
La loi française de santé publique, adoptée durant l’été 2004, comporte un volet sur la prévention nutritionnelle des maladies chroniques. Objectifs d’ici à 2008: réduire la fréquence du surpoids et de l’obésité chez les adultes, et stopper son augmentation chez les enfants; diminuer le nombre de personnes consommant moins de cinq fruits et légumes par jour; réduire le contenu en sel des aliments; réduire la fréquence de la déficience en iode, etc.
Deux mesures concrètes ont été adoptées: l’une interdit la présence de distributeurs automatiques de boissons et de produits alimentaires payants dans les établissements scolaires à compter du 1er septembre 2005; l’autre stipule que les publicités pour boissons sucrées et aliments manufacturés doivent contenir une information à caractère sanitaire, sous peine de verser une contribution au profit de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé.
Il était grand temps que l’alimentation soit reconnue en France au niveau législatif comme un déterminant majeur de l’état de santé de la population. La loi est votée, mais la question de son application reste entière. La revue Prescrire rappelle en effet dans son numéro de janvier 2005 les manœuvres politico-industrielles qui ont tenté d’affaiblir la loi de santé publique, et qui remettent en cause aujourd’hui la loi Evin sur l’alcool.
Seule une politique sincère et de grande ampleur permettrait d’espérer un changement tangible, avec le soutien de tous, citoyens, professionnels de santé, médias, responsables politiques et administratifs, industriels.
Communiqué de presse de la revue Prescrire , janvier 2005
Actions des pouvoirs locaux
Les pouvoirs locaux (communes, provinces) peuvent s’appuyer sur une série de lieux et de compétences pour mettre en place des actions d’éducation nutritionnelle:
– dans le cadre des activités extra-scolaires;
– dans le cadre des bâtiments publics (maison communale, bibliothèque communale, médiathèque, etc);
– en valorisant les supports de communication existants (journaux communaux, site Internet de la commune).
Les pouvoirs locaux pourraient stimuler des actions telles que:
– l’organisation d’une journée ou d’une semaine de la nutrition;
– l’animation de quartier, les initiatives citoyennes;
– la promotion des fruits et légumes avec les commerçants.
L’action de la Communauté française serait d’assurer la promotion de ces activités, de mettre à disposition des outils. Les Centres locaux de promotion de la santé seraient chargés d’assurer la coordination de ces actions.
Afin de piloter l’ensemble du programme, la Ministre Fonck va mettre en place prochainement un Conseil supérieur pour l’alimentation saine.
Compilation réalisée par Christian De Bock
(1) Aux dernières nouvelles, le groupe Coca-Cola a décidé de ne plus vendre du tout de sodas dans les écoles primaires belges. Et dans les écoles secondaires, les distributeurs proposent également de l’eau, un jus de fruit et une version pauvre en calories des sodas.