On le sait: pour éviter l’obésité, il n’y a pas de miracle. Il faut, pour faire simple, adapter ses apports caloriques à ses dépenses. Et pour nous y aider, l’industrie agro-alimentaire, le COIB et Nubel ont mis le paquet, en lançant une grande opération marketing: «Happy Body». Mais on se pose tout de même la question: pourquoi ces partenaires du Plan national nutrition santé font-ils cavaliers seuls pour, théoriquement, arriver au même résultat?
De quoi s’agit-il?
Commençons par vous présenter Happy Body. Il s’agit d’une fondation d’utilité publique mise sur pied par la FEVIA (représentant une grande partie des industriels de l’agro-alimentaire), le Comité olympique et interfédéral belge (COIB) et l’asbl Nubel (Nutriments Belgique). Peut-être avez-vous déjà vu fleurir les différents supports de campagne, dont le moindre n’est certainement pas le spot télévisé, pourtant peu évocateur. Disons qu’il peut susciter la curiosité et inciter à aller visiter le site auquel il se réfère…
La raison d’être de cette fondation: aider la population belge à adopter des bonnes habitudes de vie, tout particulièrement en termes d’alimentation et d’activité physique.
« Un Belge sur deux est en surpoids ou obèse », argue le Pr André Huyghebaert , Président de la Fondation Happy Body. « Cela est dû à un déséquilibre énergétique , avec de mauvaises habitudes alimentaires couplées à une trop grande sédentarité , le tout dans un environnement ‘ obésogène’ . Il est donc grand temps d’agir sur tous les plans , en pesant sur les comportements individuels , sur l’environnement et le contexte de vie et en optant pour une approche ‘ multi – acteurs’ . Notre but est de créer un effet sociétal en induisant un changement de mentalité et de comportement , de ne pas limiter notre action à une action ponctuelle , mais à l’inscrire dans la durée .»
Une initiative de plus
Il faut bien l’avouer, bon nombre d’initiatives sont menées dans différents secteurs, qui poursuivent grosso modo le même objectif: inciter ici les écoliers à manger sain, là à faire du sport à l’école ou en-dehors de l’école, là encore à donner des conseils personnalisés de diététique sur internet, etc…
Mais – martèlent les organisateurs – le principe de Happy Body est plus global et compte bien agir sur tous les plans. Ainsi, d’un côté, la fondation compte mener – sous son propre nom – différentes initiatives, comme par exemple le «web- coaching », calqué sur ce qui existe déjà en matière d’arrêt tabagique. Les personnes qui veulent changer leur mode de vie peuvent aller sur le site internet pour obtenir une évaluation, des informations, fixer des objectifs, recevoir des conseils et des encouragements afin de parvenir à leur but.
De l’autre côté, la fondation souhaite chapeauter diverses initiatives qui ont le même objectif de promotion du manger sain et de la pratique d’une activité physique régulière.
« Happy Body offre un cadre pour une action globale pour les initiatives existantes et pour de nouvelles . Souvent , ces initiatives ont peu ou pas d’effet , en tout cas visible , sur le comportement . Aussi , Happy Body offre un soutien en matière de mise en place des projets , une collaboration entre les campagnes ayant les mêmes objectifs et enfin vise à évaluer les résultats obtenus par cette collaboration », explique le Pr Jan Vinck , président du comité d’accompagnement de la fondation. Celle-ci proposera également à toutes ces campagnes d’information et de sensibilisation plus de visibilité.
Mais ce rôle là n’incombe-t-il pas au PNNS? « Je ne comprends pas cette volonté de faire cavalier seul , d’autant que ces trois partenaires , la FEVIA , le COIB et Nubel font partie du PNNS . Pour le public , on a évidemment intérêt à tenir un langage commun , avec un seul logo , et cela devrait être celui du PNNS … On peut discuter de l’opportunité de mener des actions plus locales ou plus spécifiques , mais cette réflexion devrait être menée entre les partenaires du PNNS », s’étonne Luc Berghmans , Directeur de l’Observatoire de la Santé du Hainaut et membre du comité directeur du PNNS. Notons que la Fondation Happy Body va investir environ le double du budget octroyé au Plan national, dont les moyens déjà insuffisants ont encore été grignotés cette année, passant de quelque 800.000 à 700.000 euros… « Le PNNS est certainement perfectible , mais pour y arriver , il faudrait lui donner les moyens de fonctionner …», suggère Luc Berghmans.
Juge et partie
A l’annonce du lancement de cette grande campagne nationale, les responsables ont donc fait part de leur ambition de diriger («pour plus de cohérence et de moyens financiers») celles qui pourraient être menées par tout intervenant en prévention (imaginons une association qui voudrait mener une campagne d’alimentation saine dans les écoles…). On ne peut que s’interroger sur cette main-mise de cette Fondation Happy Body – qui est on le rappelle financée pour une grande partie par l’industrie agro-alimentaire – par rapport aux critères de reconnaissance des projets qui pourront porter le label.
Les responsables de la fondation précisent en effet que les initiatives devront promouvoir une alimentation plus saine et l’activité physique vers tous les groupes et couches de la population, mais devront adopter pour ce faire une approche positive et non stigmatisante… Cela signifie-t-il que les projets qui conseilleraient de rayer les confiseries de nos habitudes alimentaires ne pourraient pas obtenir le fameux «sésame»? Réponse de Chris Moris , administrateur délégué de la fondation et également directeur de FEVIA: « Notre philosophie est de ne pas diaboliser certains aliments : certaines personnes peuvent avoir envie de consommer des produits qui ne sont pas idéaux pour leur ligne ! Il n’est pas question pour nous d’avoir une démarche normative …»
Luc Berghmans s’interroge aussi sur cette manière de procéder: « Il faut une rigueur scientifique et des procédures de sélection indépendantes . Je ne suis certainement pas opposé à la participation de l’industrie dans des initiatives de promotion de la santé , mais à condition que cela soit supervisé par des organismes indépendants , comme par le PNNS qui a pour vocation de fédérer des initiatives et d’en assurer la qualité en appliquant des critères de santé publique .
Mais qu’est-ce qui peut inciter l’industrie alimentaire, premier annonceur dans la presse et qui se fait parfois remonter les bretelles pour des pratiques quelque peu douteuses, à lancer son propre programme?
« Nous voulons une autorégulation encore plus stricte de notre secteur . Nous souhaitons éviter les taxes sur les produits trop énergétiques , ou des mentions obligatoires dans nos écrans publicitaires jetant ainsi le discrédit sur les produits (comme en France où on oblige les annonceurs de produits alimentaires à ajouter des messages conseillant de ne pas manger trop gras, trop sucré, trop salé et de faire de l’exercice, ndlr). La demande pour des produits plus sains peut aussi inciter l’industrie à investir dans la recherche pour les produire !», poursuit Chris Moris. Autrement dit, l’industrie prend les devants, afin de ne pas être accusée d’être responsable de la mauvaise alimentation de la population, rester maître de sa communication et éviter les sanctions…
Convertir des croyants?
Outre le message – qui soit dit en passant est particulièrement banal –, ce type d’initiative ne risque-t-il donc pas de ne cibler que des personnes qui adoptent déjà un mode de vie sain? Pire: ne risque-t-elle pas d’exclure la population la plus à risque, à savoir les personnes défavorisées où l’on retrouve les plus mauvaises habitudes alimentaires et la sédentarité? Déjà que les campagnes classiques ont beaucoup de mal à les toucher, précisons que ce qui est présenté comme le support essentiel des initiatives de Happy Body est le site internet, dont l’accès est nettement plus limité dans ces populations.
« Vous touchez là un point important : il est essentiel de travailler avec des personnes du secteur social pour avoir leur opinion sur la meilleure méthode pour toucher cette population . De plus , ce n’est pas nous qui pourrons influencer le prix des matières premières et des produits sains , inciter à construire des infrastructures sportives ou rendre les prix des clubs sportifs plus démocratiques !», confirme le Pr Vinck. Pour information, le sport présenté comme l’un des plus démocratiques, le football, demande un investissement déjà important: l’affiliation d’un jeune enfant coûte au moins 150 euros dans un petit club de village, plus du double (au bas mot) dans les plus grands clubs…
Et nous en arrivons au troisième axe d’actions de Happy Body: parallèlement aux modifications d’habitudes de vie à conseiller aux individus (via le site web et les campagnes de sensibilisation), la fondation annonce donc comme objectif de discuter avec les instances responsables (responsables politiques, secteur économique, médias, secteur social, enseignement, secteur médical, secteur de la prévention, scientifiques, mutuelles…), pour supprimer cet «environnement obésogène».
Mais n’est-ce pas là une campagne de lobbying destinée à attirer l’attention dans une autre direction, puisqu’à l’heure actuelle, les «coupables» désignés sont avant tout la mauvaise nutrition et la sédentarité?
« Cette initiative Happy Body est un contre – feu à celles menées par le PNNS . Elle disperse à la fois les initiatives , donc les messages et de ce fait , les moyens financiers …», regrette Luc Berghmans.
Le loup dans la bergerie?
Autre aspect à prendre en compte, le risque d’immixtion du privé par des moyens détournés dans des sphères protégées depuis peu. Comme dans le cas de la publicité à l’école. En effet, la Fondation Happy Body est aussi là pour faire la promotion des initiatives à destination des écoles, toujours dans la logique de sa philosophie. « Mais attention ! Les entreprises ne pourront pas directement placer leur logo ou leurs marques sur les campagnes destinées aux écoles . De même , une marque ne pourra pas apposer le logo ‘ Happy Body’ sur son emballage !», précise Chris Moris.
Il n’empêche: la fondation elle-même ne veille-t-elle pas d’emblée à la «cohérence» des messages? Aussi, Happy Body ne serait-il pas un moyen de contourner cette interdiction, à travers des associations soutenues par la fondation, mais qui respecteraient ses conditions d’admission? Il s’agira donc de garder l’œil ouvert!
Pour des infos sur Happy Body: http://www.happybodytoyou.be
Carine Maillard