Octobre 2014 Par Carole FEULIEN Initiatives

Le combat pour une alimentation de qualité

Le 24 avril dernier, la Mutualité socialiste-Solidaris organisait un colloque intitulé «Vers une politique concertée de l’alimentation en Belgique. Quels enjeux, quelles priorités?», faisant écho aux résultats de l’enquête du Thermomètre Solidaris parus en décembre de l’année dernièreNote bas de page.L’introduction d’Alain Cheniaux, Secrétaire général de la Mutualité socialiste du Brabant wallon, en charge du Thermomètre Solidaris, donna le ton : «La confiance n’est plus de mise (…), le consommateur est dans le brouillard (…), il estime que la plupart des produits alimentaires représentent un risque important, voire très important, pour sa santé (…), la liste des scandales alimentaires est, hélas, longue et a semé le doute dans nos assiettes (…)». Ensuite, c’est le Directeur du Service marketing, Martin Wauthy, qui prit la parole afin de nous présenter plus concrètement les résultats de cette 4e enquête sur la perception par la population de l’offre de produits alimentairesNote bas de page. Il conclut son exposé en décrivant l’attente de la population vis-à-vis des pouvoirs publics afin que ceux-ci soient davantage acteurs de changement, attente malheureusement actuellement non rencontrée.Après cela, notre collègue Pierre Baldewyns, Responsable du Service Promotion de la Santé de l’UNMS, choisit de faire un focus sur deux déterminants sociétaux importants et souvent oubliés : d’une part les écarts de revenus et l’importance qu’ils jouent dans l’accès à une alimentation de qualité et le taux d’obésité, d’autre part l’importance de l’offre alimentaire et la liberté toute relative du choix laissé au consommateur-mangeur.Enfin, pour clôturer cette première partie, Martin Biernaux, Responsable de projets dans le même service, nous présenta les nombreux déterminants de l’accès à une alimentation de qualitéNote bas de page.

Des recommandations tous azimuts

La seconde partie de la matinée fut consacrée à la présentation du Livre blanc Solidaris pour un accès de tous à une alimentation de qualité, un ensemble de 35 recommandations à destination de tous les niveaux de pouvoir. Martin Biernaux rappela qu’il avait une double ambition: permettre à la mutualité d’assumer son rôle de gestionnaire de l’assurance maladie-invalidité par le biais de la promotion de la santé et renforcer son rôle d’acteur socio-politique, en invitant les acteurs publics et du monde alimentaire à discuter de l’élaboration d’un plan intégré en matière d’alimentation de qualité.

Le Livre blanc Solidaris

Le Livre blanc se compose de 35 recommandations à destination de tous les niveaux de pouvoir car nombre de politiques influencent l’accès à une alimentation de qualité. Ces recommandations visent à:

  • améliorer la gouvernance en matière d’alimentation;
  • agir sur la qualité de l’offre (en agissant sur les pratiques de l’agro-alimentaire, en promouvant des produits de qualité, en améliorant l’offre dans les collectivités);
  • améliorer l’accès à une alimentation de qualité des personnes en situation précaire;
  • et enfin, informer, sensibiliser et outiller les publics en matière d’alimentation.

Il s’inscrit résolument dans une démarche de promotion de la santé car:

  • il identifie un ensemble de déterminants variés de l’accès à une alimentation de qualité;
  • il recommande un travail multidisciplinaire et intersectoriel pour concevoir et mettre en œuvre une politique intégrée de l’alimentation;
  • il plaide pour la prise en compte de l’accessibilité à l’alimentation de qualité au niveau de toutes les politiques publiques;
  • il réaffirme le nécessaire travail de proximité avec les publics pour plus d’empowerment individuel et collectif;
  • il veut faire évoluer les environnements et les lieux de vie vers plus de santé;
  • enfin il vise la réduction des inégalités sociales par des recommandations ayant trait à la gouvernance alimentaire, à la qualité des systèmes de protection sociale et à des mesures spécifiques à destination des publics précarisés.

Plus concrètement, il est scindé en 4 grandes parties:

  • la première traite du système alimentaire et des inégalités sociales;
  • la seconde aborde les déterminants de l’accessibilité à une alimentation de qualité;
  • la troisième amène la réflexion sur les niveaux de pouvoir à impliquer pour réaliser un plan intégré de l’alimentation;
  • et la dernière, partagée en 6 axes complémentaires témoignant de l’approche transversale et globale du Livre blanc, présente les 35 recommandations de Solidaris.

Pour chacune, on trouve un descriptif argumenté de la recommandation, des exemples concrets pour l’illustrer et les niveaux de pouvoir identifiés pour la mettre en place.

Extrait – Recommandation 6

Conclure des accords volontaires toujours plus ambitieux avec le secteur de l’industrie alimentaire pour diminuer la teneur en graisse, sucre et sel des produits transformésAprès le tabac et l’hypertension, l’obésité et le surpoids constituent selon l’OMS le troisième facteur de risque de mortalité dans les pays riches, sans parler des discriminations sociales qui en découlent. À part le tabagisme, ces facteurs de risque sont étroitement liés à l’alimentation et à l’exercice physique.Pour cette raison les produits alimentaires transformés doivent être reformulés, afin qu’ils contiennent moins de sucre, moins de graisse et moins de sel, tout en restant vigilant aux éventuels produits de substitution utilisés.Un des moyens d’y parvenir est de conclure des accords avec le secteur de l’industrie alimentaire. C’est ainsi que l’actuelle Ministre de la Santé publique (en mai 2014, ndlr) veut amener les producteurs alimentaires à diminuer les graisses saturées de 5% pour 2016 et de 10% pour 2020.Des accords similaires avaient déjà été conclus par le passé, amenant l’industrie à diminuer de 20% la quantité de sel dans les viandes et les plats préparés. Des objectifs relatifs à la teneur en sucre devraient être définis en 2014.Ces accord sont un bon moyen de faire progresser l’offre alimentaire vers plus d’adéquation avec les préoccupations de santé publique, d’autant plus que la Fédération de l’industrie alimentaire (Fevia) semble ouverte à la collaboration et que les industriels ont démontré qu’ils savaient faire des efforts.Exemple: accords précédents concernant la teneur en sel des viandes et plats préparés.Niveaux de pouvoir: État fédéral.Ce Livre blanc peut être obtenu gratuitement auprès du Service Promotion de la Santé de l’UNMS – rue Saint-Jean 32-38 à 1000 Bruxelles – Tél.: 02 515 05 85. Il peut aussi être téléchargé sur le site de la mutualité.

Juste avant une pause bien méritée, Olivier De Schutter, notre compatriote Rapporteur spécial pour le Droit à l’Alimentation du Conseil des droits de l’homme à l’ONU nous entretint (par Skype!) des enjeux de l’alimentation en Europe. Il expliqua, de manière très intéressante et accessible, le sentiment global de la population qui se sent dépossédée du monde alimentaire dont elle dépend. Il énonça la réalité qui s’impose à lui depuis plusieurs années: l’information sur les produits est très faible, et empêche les consommateurs de faire des choix éclairés.Il nous rassura quelque peu en nous parlant d’initiatives alternatives développées à petite échelle et de la possible prise de conscience du fait que la démocratie peut s’installer dans l’alimentation. Il évoqua aussi le désir des gens de reprendre le contrôle. Mais à côté de cela, les obstacles, la difficulté de ‘changer de cap’ sont énormes. On peut résumer en 4 facteurs:

  • les infrastructures et technologies développées par et pour les géants de l’agro-alimentaire, qui ont été pensées pour faire des économies d’échelle;
  • la compétitivité de ces grands acteurs sur le plan économique (leur grande capacité de négocier sur les chaînes alimentaires, etc.) et donc, la difficulté d’émerger pour les petits producteurs;
  • notre mode de vie ‘pressé’, un obstacle culturel majeur: nous n’avons ‘pas le temps’ de faire la cuisine, nous nous replions sur des aliments ‘clés en main’, sur des plats préparés par l’industrie;
  • la volonté des grands acteurs agro-alimentaires de ne pas changer les choses et leur grand pouvoir d’influence sur les acteurs politiques.

S’il ne croit pas à une ‘révolution immédiate’, Olivier De Schutter reste néanmoins positif car, malgré les divers freins au changement, la multiplication d’initiatives locales peut être vue comme un signe encourageant. «Cela signifie que des préoccupations nouvelles se font jour aujourd’hui.»S’ensuivit une série d’échanges très riches avec le public. Nous retenons la question sur la responsabilité et le rôle du consommateur dans ce changement attendu. À quoi Olivier De Schutter répondit qu’ «il ne faut pas attendre que l’État fasse les choses, sans quoi on risque d’attendre longtemps. Il faut utiliser les opportunités qu’on a pour faire passer le message, vers les pouvoirs publics mais aussi vers le secteur privé, dire qu’on souhaite autre chose. Nous avons une responsabilité et des choix à poser concernant notre alimentation et celle de nos enfants… L’État ne bougera pas si les citoyens ne lui donnent pas un signe.»Il termina la discussion avec une conviction personnelle: nous sommes à la fin d’un modèle où les politiques sociales sont mises entre parenthèses en proposant, en substitut, un système alimentaire low-cost assorti d’un terrible écrasement des prix pour certains types de produits. Or, les effets négatifs de ce système, surtout dans les milieux défavorisés, sont bien connus. L’évidence que ce n’est pas la solution va bientôt s’imposer… Il s’agira alors de commencer à penser à développer des politiques sociales qui permettent à chacun de s’alimenter dignement.Un discours pour le moins sans détour, honnête et… lucide!

À table(s)… ronde(s)

Après cette intervention musclée, le temps de midi tomba à pic… Il fut l’occasion de prendre le lunch composé exclusivement de légumes, rien de tel pour nous rappeler comment y (re)prendre plaisir. Le verre de vin fut aussi l’occasion d’échanger quelque peu entre collègues et de déplorer, ensemble, le peu de moyens dont nous disposons pour faire face aux fins stratèges que sont les acteurs de l’industrie agro-alimentaire…La première table ronde de l’après-midi portait sur des campagnes de promotion de la santé sur l’alimentation… mais autrement! D’abord, Carlo De Pascale, parrain du programme «Goûtez-moi ça!» de Solidaris, annonça la couleurNote bas de page : «Je suis là pour qu’on arrête ces campagnes ‘anti-gras’. On a besoin de gras, Nicolas GuggenbühlNote bas de page ne me contredira pas: sans gras, on meurt!». Avec sa verve habituelle il expliqua combien il en a marre des articles ‘marronniers’ des magazines féminins sur la meilleure manière de perdre les 3 kg qu’on a au niveau de la ceinture abdominale pour rentrer dans son bikini… Il est certain que le fondateur de Mmmmh! et chroniqueur culinaire de la RTBF n’a pas la langue en poche! Il nous raconta d’ailleurs quelques anecdotes amusantes sur les pseudo-comportements anti-gras de ses élèves lors des cours de cuisine.Difficile pour Bernadette Taeymans (Question Santé asbl) de prendre la parole derrière lui. Elle parvint cependant à présenter habilement la dernière campagne de son asbl sur un thème peu commun: ‘Les 10 bonnes raisons de ne pas faire régime’Note bas de page.Ensuite, Denis Mannaerts, Directeur de l’asbl Cultures&Santé, rappela l’importance de ne pas confondre «l’alimentation nutritionnellement équilibrée» et «l’alimentation favorable à la santé». Il expliqua que les campagnes de prévention souvent axées sur les aspects nutritionnels devraient à l’avenir davantage mettre en évidence l’aspect global de l’alimentation, avec ses côtés culturels, sociaux, etc.Il prôna le passage à un modèle plus participatif reposant sur une vision communautaire de la santé et de l’alimentation. Pour ce faire, il s’agirait de définir des objectifs de manière négociée pour mettre en place des actions en rapport avec le contexte de vie des personnes. Il y a donc un travail à faire sur l’environnement (social, économique…). Il prôna aussi le rapprochement de la population des lieux de décision, pour créer une forme de ‘démocratie alimentaire’. Car il estime que même les personnes défavorisées ont des savoirs, savoirs qui pourraient bien faire changer les choses. Il suggéra enfin la création d’un ‘construit commun’ grâce à des espaces d’expression.Le dernier intervenant à cette table ronde fut Michel Demarteau, fraîchement nommé Directeur de l’Observatoire de la Santé du Hainaut qui y occupa pendant des années le poste de Responsable du Secteur Prévention et Promotion de la Santé. Il expliqua que les campagnes de prévention ne suffisent pas et plaida pour un plan intégré avec une vision partagée de la politique alimentaire en Belgique. Il rappela enfin l’importance de la valeur incitative et de soutien de l’État vis-à-vis des acteurs et des initiatives locales.La première table ronde fut suivie d’un débat, lors duquel les intervenants et la salle tombèrent rapidement d’accord, contrairement aux participants de la seconde… Forcément… Celle-ci réunissait, entre autres, des professionnels de l’agro-alimentaire (FEVIA, Carrefour) et une lobbyiste issue d’une organisation européenne de consommateurs (BEUCNote bas de page). Le sujet: la malbouffe et les produits transformés.Anne Reul, Secrétaire générale de la FEVIA Wallonie, nous étonna en se disant «prête à prendre ses responsabilités dans ce type de débat». Mais quelles responsabilités? Elle estima par exemple que le système de trafic lightsNote bas de page sur les produits instauré en Grande-Bretagne déresponsabiliserait le consommateur tandis que les indications actuelles l’«aideraient»…On peut dire que le débat fut passionné, les intervenants rejetant la balle aux autres sur les questions délicates, la FEVIA allant même jusqu’à faire endosser la pleine et entière responsabilité au consommateur, en prétextant l’aider à la prendre…Un bel exemple des discours de l’industrie agro-alimentaire (qui a tout de même eu le mérite de participer au colloque, soulignons-le), qui feint de s’intéresser à la problématique et avance des arguments qui ne convainquent personne, et sûrement pas Pauline Castres, Food Policy Assistant au BEUC, qui eut un discours beaucoup plus clair et direct de nature à démonter tous les arguments de ses interlocuteurs.La dernière table rond portait sur la politique agricole durable. Beaucoup plus calme que la précédente, elle rassemblait Muriel Bernard, fondatrice de efarmz, un site de vente en ligne de produits fermiers, partie prenante dans la nécessaire réorganisation des filières pour une alimentation de qualité; François Héroufosse, Directeur de WagrALIM, un pôle de compétitivité regroupant des entreprises industrielles et des travailleurs du monde de la recherche et de la formation, afin de mettre en place des projets collaboratifs innovants; Stéphane Desgain, du Centre national de coopération au développement (CNCD), qui prôna, à l’instar d’Olivier De Schutter le matin, un changement du modèle actuel, basé sur le prix le plus bas et qui visiblement, ne fonctionne pas; et enfin Guy Francq, représentant de la Fédération Unie de Groupements d’Éleveurs et d’Agriculteurs, qui releva la difficulté pour les jeunes agriculteurs de s’en sortir face à l’industrie.«Pour un poulet vendu en grande surface, le consommateur paye 9,99 euros le kilo. Les producteurs ne touchent que 0,92 euro. Ils travaillent souvent à perte.» Il en profita pour pousser un coup de gueule contre les contraintes imposées par l’industrie: «Tous les poulets industriels qui font maintenant 2,9 kg (au lieu de 2,2) sont sous perfusion d’antibiotiques du 1er au dernier jour. Jamais je ne produirai des volailles dégueulasses parce que l’industrie me pousse à le faire, pour être rentable. Et à l’heure actuelle, je ne le suis plus!».Son discours, même si on l’avait déjà entendu, émut le public. À quoi la personne représentant l’industrie répondit qu’il convenait de ne pas généraliser et que son organisation souhaitait que tout le monde gagne sa vie dignement… À méditer.Alain Cheniaux, qui avait introduit la journée, la clôtura. Le chantier est certes vaste mais la mutualité entend bien apporter sa pierre à l’élaboration d’un plan global et concerté pour un accès de tous à une alimentation de qualité, saine, durable et éthique.La journée fut riche en présentations et en échanges. À l’issue de chaque table ronde, cinq pistes d’action ont été soumises au vote des participants. Retrouvez-les sur le site de Pipsa.Découvrez les vidéos, photos, etc. de la journée.Lire aussi sur le même sujet: ‘Du pain sur la planche! Forum politique des usagers’, par Carole Feulien, Éducation Santé n° 299, avril 2014.

©Stéphanie Jassogne

Le Thermomètre Solidaris est une enquête réalisée par Internet auprès d’un échantillon représentatif de 1200 personnes, sur une thématique donnée.

voir ‘Goûtez-moi ça!’ , l’article de Jeanne d’Ornesson paru dans Éducation Santé n° 285, janvier 2013.

Expert en nutrition

voir l’article de Christian De Bock, ‘10 bonnes raisons de ne pas faire régime’, dans Éducation Santé n°292 de septembre 2013.

il s’agit d’une signalétique très lisible sur les qualités nutritionnelles des produits alimentaires, inspirée des feux tricolores de circulation routière. Trop lisible sans doute aux yeux de certains.