Comment transmettre les notions d’équilibre alimentaire à celles et ceux dont les ressources sont précaires, l’accès à l’alimentation limité, et les repères éducatifs parfois flous ?
Ashley Puiatti et Nancy Peltier sont chargées de projets au Centre Local de Promotion de la Santé de Charleroi-Thuin.

C’est à partir de cette question qu’est né Mon assiette en couleurs : un outil pédagogique visuel, ludique et modulable, co-construit par un large réseau de partenaires de terrain, sous l’impulsion du CLPS de Charleroi-Thuin. L’objectif est d’identifier ce qu’on met dans son assiette, comment, à quelle heure et pourquoi. La discussion doit permettre de rendre les messages nutritionnels plus concrets, accessibles et de s’assurer qu’ils sont ancrés dans les réalités des publics fragilisés.
Un outil pensé pour les publics en situation de fragilité alimentaire
Malgré sa notoriété en éducation nutritionnelle, la pyramide alimentaire reste difficile à mobiliser auprès de certains publics. Trop théorique, trop abstraite, trop éloignée du vécu, elle peut perdre de sa pertinence dans des contextes marqués par la précarité, la diversité des habitudes ou des parcours de vie complexes.
Lors de la construction de l’outil, de nombreux professionnels ont fait part de leur étonnement. Il s’agissait parfois d’incompréhension : “Un de mes patients pensait que la pyramide correspondait à l’ordre dans lequel on doit manger les aliments”, de méconnaissance : « On a des parents qui sont convaincus que c’est bon de donner du soda aux enfants tous les jours » ou d’impuissance : « Quand on n’a pas de logement et qu’on dépend de l’aide alimentaire, l’essentiel c’est de manger, et l’équilibre alimentaire est bien loin derrière ».
Mon assiette en couleurs s’inscrit dans une approche globale de la santé, en lien avec les déterminants sociaux, permettant ainsi de prendre en compte la diversité des réalités de vie. Cela permet d’adapter ces recommandations aux adultes, familles et adolescent·es en situation de fragilité alimentaire — c’est-à-dire exposé·es à des facteurs de risque pouvant compromettre l’accès à une alimentation suffisante, équilibrée et saine.
Ludique, adaptable, engageant : un support visuel et participatif
Cet outil se distingue par son format participatif et modulaire. Il repose sur des supports téléchargeables, colorés et manipulables : pyramide simplifiée, cartes-aliments, plateaux-repas, cartes d’activités physiques, horloges-assiettes, etc.
L’animation de ces supports en ateliers collectifs, entretiens individuels, stands, etc. n’a pas pour but de « corriger » des comportements, mais de créer un espace de dialogue autour des vécus liés à l’alimentation.
Mon assiette en couleurs vise les objectifs suivants :
- comprendre les bases d’une alimentation saine et équilibrée au quotidien, y compris la place de l’activité physique qui constitue la base même de la pyramide alimentaire ;
- savoir composer une assiette équilibrée de saison, adaptée à son mode de vie ;
- faire des choix alimentaires sains, durables et adaptés à son quotidien ;
- comprendre les proportions recommandées pour chaque groupe d’aliments.
Renforcer la littératie alimentaire
Au-delà de l’éducation nutritionnelle, cet outil cherche à renforcer la littératie alimentaire, la capacité des individus à faire des choix alimentaires sains dans différents contextes et situations.
Comme le précise Sciensano dans son enquête alimentaire 2022-2023, la littératie alimentaire englobe les connaissances, les compétences et l’évaluation des informations sur une alimentation favorable à la santé, ainsi que la capacité à planifier, sélectionner, acheter, préparer et consommer des aliments favorables à la santé.
Avec cet outil, l’objectif est de dépasser les injonctions culpabilisantes, renforcer l’autonomie dans les choix quotidiens pour aller vers une alimentation réaliste et appropriée.
Le dossier pédagogique de Mon Assiette en Couleur détaille sur 52 pages le matériel téléchargeable gratuitement (à la demande). Il présente aussi avec beaucoup de clarté différents types d’animation à mettre en place autour de l’Horloge-Assiette, d’un buffet ou d’un stand. Celles-ci permettent d’introduire les principes de l’alimentation durable et des représentations de référence, comme l’épi alimentaire, auquel s’ajoute un tableau synthétique d’une page, qui récapitule de manière limpide les apports nutritionnels de chaque catégorie : eau, fruits et légumes, féculents, etc…
Un outil intersectoriel au croisement de plusieurs missions
La création de Mon assiette en couleurs a débuté en janvier 2023, avec l’ambition de co-construire un support réellement adapté aux besoins du terrain, dans un processus de création continue. Pour ce faire, des partenaires issus de secteurs variés ont été associés à la réflexion : santé physique, mentale, sociale et environnementale. Chaque institution-partenaire s’est engagée activement de janvier 2023 à juin 2025. Cela a contribué à renforcer le réseau et à faire émerger une dynamique collective.
De nombreux outils existants sur la thématique de l’alimentation ont été analysés lors de ces rencontres. Ce qui a permis d’identifier les éléments manquants qui pourraient composer notre outil. LudoVortex a également été utilisé afin de structurer et ajuster la démarche de réflexion autour des composants du futur outil pédagogique pour un levier contre les inégalités sociales de santé.
Plus d’une vingtaine de pré-tests menés auprès de publics variés (adultes, adolescents en autonomie, familles, adultes porteurs de handicap, etc.) ont permis d’affiner à la fois le contenu et la forme, pour proposer un outil au plus près des réalités du terrain et des attentes des utilisateurs.
Soi-même, quand on se retrouve devant la pyramide vierge, on est un peu perdu. Par exemple, on va avoir envie de placer le pain au chocolat, dans les féculents, alors qu’il appartient à la catégorie des produit non indispensables situé dans le sommet décapité, avec la charcuterie et les chips. Ça provoque souvent de l’étonnement et de la frustration. La confiture aussi est souvent rangée dans les fruits – alors qu’elle est dans la pointe !
Les ateliers avec les aides-familiales ont permis de manipuler l’horloge assiette pour travailler les déterminants qui influencent les prises alimentaires. Toutes mangeaient dans leur voiture à midi – car leur timing d’intervention auprès des bénéficiaires et usagers est très serré. C’était intéressant pour leur propre prise de conscience, mais comme elles n’ont pas trop le choix, ni la latitude pour faire évoluer leurs conditions de travail, il est important que l’animateur le prenne en considération.
Plus qu’un outil
Mon assiette en couleurs illustre comment un support simple, visuel peut répondre à des enjeux complexes de santé publique et de lutte contre les inégalités sociales. En partant du vécu des personnes, il permet d’aborder l’alimentation avec bienveillance, sans jugement, et dans le respect de chacun·e.
Une foire aux questions favorise les échanges autour de l’outil, n’hésitez pas à vous en emparer ! Il a été conçu pour répondre aux questions fréquemment posées lors des animations. Ce document se veut évolutif. Afin qu’il puisse être alimenté au fil des retours de terrain et des échanges avec les participants·es, nous vous invitons à nous transmettre vos propres suggestions/questions afin de contribuer à son amélioration.
Le projet a été initié par le Centre Local de Promotion de la Santé de Charleroi-Thuin (CLPSCT) en collaboration avec de nombreux partenaires : La Maison de l’Alimentation Durable (MAD) de Charleroi Métropole, Espace Environnement asbl, la Mutualité Chrétienne, Solidaris Promo-Santé, Aide & Soins à Domicile Hainaut Oriental (ASDHO), la Maison Médicale Espace-Temps, la Maison Médicale La Brèche, Comme Chez Nous asbl, Le Rebond – Service d’Accompagnement Socio-Éducatif, ASIS Les Projets Brasiers, La Chrysalide – logements supervisés, le SES – Service Éducation Santé, et V.R.A.C Charleroi Métropole (Vers un Réseau d’Achat en Commun).
Pour plus d’informations:
– clpsct.org/nos-realisations/mon-assiette-en-couleurs/
– Retrouvez le dossier pédagogique sur : clpsct.org/wp-content/uploads/2025/06/Dossier-peda-Pyramide-1.pdf
L’envoi d’un mail à la coordination permet de télécharger l’ensemble des supports
– La nouvelle pyramide alimentaire : de la santé à la durabilité – Manger Demain
Faciliter les choix alimentaires sains
Selon Sciensano, seuls 7 % des adultes mangent suffisamment de légumes et 10 % à peine mangent assez de fruits, selon les résultats de l’Enquête de consommation alimentaire publiés en juin dernier. De même, les Belges consomment trop peu de fruits à coque (idéalement 20 à 30g par jour), de légumineuses (plusieurs fois par semaine), de produits laitiers (250-500 g par jour) et de poisson (200 g par semaine). “Les évolutions positives depuis la dernière enquête sont malheureusement peu nombreuses, affirme Nicolas Berger, responsable de l’étude. Depuis notre enquête précédente en 2014-2015, les Belges boivent en moyenne plus d’eau et ils mangent plus de légumes mais cela reste insuffisant. La consommation de viande rouge transformée telle que la charcuterie est inquiétante et la consommation d’alcool et de boissons sucrées devrait également être fortement réduite”.
Ces résultats soulignent la nécessité de faciliter les choix alimentaires sains selon souligne l’institut. “La création d’un environnement dans lequel une alimentation saine est la solution la plus simple doit occuper une place centrale dans la politique de santé publique, affirme Nicolas Berger. Pensons par exemple à des mesures telles que rendre les produits sains plus abordables, procéder à un meilleur étiquetage et prévoir une réglementation plus stricte du marketing alimentaire”, conclut-il. Il est également important de continuer à miser sur l’éducation et la prévention. Des initiatives existent déjà, comme des cours sur l’alimentation saine dans les écoles ou des campagnes de sensibilisation, mais il est encore possible de les renforcer et de les élargir. « De cette façon, les citoyens reçoivent non seulement le soutien de leur environnement pour manger plus sainement, mais apprennent également à faire eux-mêmes des choix alimentaires plus judicieux et plus conscients« .
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