Une campagne efficace, à intensifier
«Grande dis’» pour la campagne de prévention de la mort subite du nourrisson: largement diffusée, elle porte des effets positifs. Mais des efforts restent à mener, surtout auprès des publics les plus fragilisés. Et le slogan doit être revu et corrigé.
Dans nos pays, la mort subite du nourrisson (MSN) est responsable de 35 à 40 % des décès d’enfants âgés de 1 à 12 mois. Elle représente la principale cause de décès des tout-petits. Or, de nombreuses recherches ont montré que quelques mesures de précaution simples réduisent considérablement le nombre de décès: ne pas fumer durant la grossesse ou près du bébé, veiller à maintenir une température adéquate (pas plus de 18° ou 20°) dans la pièce où dort le nourrisson, ne pas trop le couvrir et être attentif à la sécurité dans le lit.
Différents pays (les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, la Norvège, les U.S.A., la France…) ont mené des campagnes de sensibilisation à ces mesures avec un réel succès.
Ce constat a conduit le Centre d’éducation du patient à élaborer une vaste campagne de prévention en Communauté française de Belgique: «C’est si simple de bien commencer la vie» . Cette campagne a été l’objet d’une évaluation auprès des parents et des professionnels de la santé et de la petite enfance. Largement positifs, les résultats de cette évaluation montrent que la sensibilisation à la MSN est prioritaire et doit être renforcée.
Un projet «boule de neige»
Tout a commencé à la Clinique Saint-Vincent de Rocourt qui, dès le début des années ’90, organise différentes actions de prévention de la mort subite du nourrisson. En ’94 et en ’95, le Centre d’éducation du patient participe au projet «Pour la sécurité du sommeil du nourrisson» qui réunit cinq institutions partenaires: les Cliniques Saint-Vincent de Rocourt bien sûr, Saint-Joseph de Liège, de l’Espérance à Montegnée, Notre-Dame de Hermalle-sous-Argenteau et Notre-Dame des Bruyères. Le Centre d’Education au Patient, convaincu de l’opportunité d’étendre la démarche à l’ensemble de la Communauté Wallonie-Bruxelles, met sur pied en ’98 et ’99 la campagne «C’est si simple de bien commencer la vie» . Elle est soutenue par la Communauté française et organisée en collaboration avec Question-Santé, l’Observatoire de la mortalité du nourrisson, l’ONE et Infor-allaitement.
L’objectif du programme est de réduire le nombre de morts subites et d’accidents durant le sommeil (étranglement, étouffement, etc) grâce à la promotion de conseils de prévention. Les promoteurs de la campagne souhaitent que parents et futurs parents soient capables de détecter les situations à risques, qu’ils connaissent les mesures à mettre en place pour y remédier et qu’ils les appliquent.
Une campagne de sensibilisation
Les promoteurs de la campagne entendaient créer un contexte général de sensibilisation à la problématique et mettre l’accent sur la simplicité des conseils à suivre pour prévenir les accidents. Ils voulaient convaincre du rôle actif que chaque personne peut jouer pour lutter contre la mort subite et amener les (futurs) parents à s’informer auprès de professionnels sur la manière d’assurer un sommeil sain à leur bébé.
Parallèlement, ils souhaitaient informer les professionnels de l’importance de leur rôle auprès des parents et les aider à jouer efficacement ce rôle en mettant à leurs dispositions des outils clairs et efficaces et en les mettant au courant de l’évolution des recherches scientifiques en la matière.
Différents outils ont donc été élaborés pour atteindre ces objectifs. A destination des parents et du grand public: des articles dans la presse écrite via une conférence de presse, des spots en radio et en télévision, des affiches, des dépliants informatifs et une cassette vidéo. Affiche, vidéo et dépliants ont également été mis à la disposition des professionnels de la santé. Mais ceux-ci ont bénéficié aussi d’actions plus ciblées: stands d’information dans les hôpitaux, numéro du Bulletin d’Education du Patient distribué aux médecins, au personnel soignant et au personnel des crèches, conférences et actions de promotion plus intenses à partir d’institutions hospitalières.
Evaluation auprès des parents…
En novembre dernier, les promoteurs de la campagne ont mené à bien une évaluation rigoureuse de la campagne et de ses effets. Cette évaluation visait un double objectif: d’une part faire le point sur la situation actuelle en matière de prévention de la MSN et d’autre part mesurer l’impact de la campagne.
Plusieurs évaluations ont donc été réalisées. Pour estimer globalement la situation actuelle en Communauté française Wallonie-Bruxelles, une enquête a été réalisée auprès de 1130 parents d’un bébé né entre le 1er mars et le 31 août 1999. Trente-quatre communes ont été sélectionnées de manière aléatoire dans la région de Bruxelles-Capitale et les provinces du Brabant wallon, de Namur, Liège, du Hainaut et du Luxembourg. Les communes ont été tirées au sort jusqu’à l’obtention de 200 parents environ par province. Grâce à l’autorisation des bourgmestres des communes concernées, les enquêteurs ont pu obtenir de l’Etat civil les coordonnées des mamans d’un enfant né durant la période déterminée.
Les 1130 parents concernés ont reçu un questionnaire par la poste et un rappel trois semaines plus tard. 438 questionnaires (soit 39 %) ont été renvoyés. Cette méthode est intéressante, mais elle provoque inévitablement un biais dans le profil des répondants; en effet, on sait par expérience que les personnes qui répondent à ce type d’enquête sont généralement plus instruites que la moyenne de la population.
Les résultats engrangés auprès des parents sont donc difficilement utilisables pour découvrir d’éventuels progrès généraux de la population et les comparaisons avec d’autres enquêtes sont à prendre avec beaucoup de précautions. En revanche, ils sont très intéressants pour évaluer les besoins éducatifs encore à rencontrer: en effet, tenant compte du groupe des répondants, on peut estimer que les besoins globaux exprimés dans l’enquête sont encore largement inférieurs aux besoins de l’ensemble de la population.
…et des professionnels de la santé
Les professionnels de la santé, quant à eux, ont été interrogés via une enquête téléphonique. Ils ont été répertoriés en deux groupes: ceux qui ont commandé des outils de campagne et ceux qui ne l’ont pas fait. Tous ont été divisés en diverses catégories: crèches, consultations de nourrissons, services de maternité, services de pédiatrie, gynécologues et pédiatres en consultation privée. Un tirage aléatoire a été réalisé au sein de ces catégories. Dix personnes par catégorie ont été interviewées dans le groupe qui avait commandé des outils et cinq par catégorie dans le groupe qui ne l’avait pas fait. Enfin, deux évaluations plus spécifiques ont été réalisées: une évaluation des conférences et une évaluation des stands en milieu hospitalier.
Des comportements relativement adéquats
L’enquête menée auprès des parents a permis d’envisager leurs comportements en regard des quatre recommandations principales de la campagne.
Coucher le bébé sur le dos
78 % des parents qui ont répondu à l’enquête disent coucher systématiquement leur bébé sur le dos. Mais 10 % disent le coucher systématiquement sur le côté et 6 % sur le ventre. Encore faut-il nuancer tous ces chiffres, car les réponses sont parfois contradictoires: parmi les personnes qui disent coucher «toujours» le bébé sur le dos, 38 % le couchent quand même «parfois» sur le côté. Elles expliquent ce changement par leur souci d’éviter les régurgitations ou tout simplement parce que le bébé dort mieux ainsi.
Malgré tout, 83 % des parents estiment que la position sur le dos est une mesure efficace contre la MSN et 88 % trouvent le conseil facile à appliquer.
Eviter tout tabagisme
D’après l’enquête, 79 % des mères ne fument pas actuellement et 89 % n’ont pas fumé durant leur grossesse. Parmi les 20 % qui ont fumé pendant leur grossesse, 3 % ont arrêté au cours de celle-ci. Des quatre conseils de la campagne, ce sont les mesures relatives au tabac qui sont considérées comme les plus difficiles à respecter par les parents. Pourquoi? Sans doute parce que ce comportement est propre aux parents (et non spécifique au bébé), parce qu’il met en œuvre des comportements physiologiques et psychologiques, et parce qu’il est souvent très difficile de contrôler le comportement de l’entourage.
Logiquement, les personnes qui croient le plus en l’efficacité de protéger le bébé du tabac après sa naissance sont celles qui fument le moins. Et celles qui ignorent (ou nient) cette efficacité ou qui y croient le moins, sont celles qui fument le plus. De plus, ce sont les conseils relatifs au tabac qui sont les plus «coûteux», mais dans la mesure où leur efficacité est reconnue, il semble essentiel d’aider les parents à réduire ce coût au maximum. Et, au-delà du travail d’information, la difficulté rencontrée par les parents pour suivre ce conseil met en évidence la nécessité d’un travail d’accompagnement important.
Ne pas trop chauffer la pièce où dort le bébé
Pour 79 % des parents qui ont répondu à l’enquête, une température de 18° à 20° dans la pièce où dort le bébé est une mesure efficace de prévention de la MSN et 85 % trouvent le conseil facile à appliquer. Toutefois, 90 % des professionnels interviewés par téléphone considèrent que les parents ont encore besoin d’informations sur ce point.
Veiller à la sécurité dans le lit
Le sac de couchage pour bébé est entré dans les mœurs: 75 % des parents couvrent ainsi leur bébé durant son sommeil. Ils expliquent leur choix pour des raisons de sécurité (52 %), parce qu’ainsi l’enfant ne se découvre pas (24 %), par souci de chaleur (15 %). Mais 17 % des parents ne choisissent pas ce moyen, car ils disposent d’autres moyens plus chauds pour couvrir le bébé.
Un sentiment de vulnérabilité
Enfin, la sécurité du sommeil, c’est aussi éviter les risques d’étouffement: absorption de poils, tête recouverte… 91 % des personnes qui ont répondu à l’enquête ne mettent jamais d’oreiller dans le lit du bébé mais 5 % en mettent systématiquement un. 38 % ne mettent jamais de peluches dans le lit de l’enfant mais 31 % en mettent systématiquement. Parmi elles, on trouve essentiellement des parents d’un premier enfant. Et si 69 % des parents utilisent systématiquement un tour de lit, 23 % n’en utilisent jamais.
Qu’est-ce qui fait changer les comportements des parents?
L’enquête permet de constater que le niveau d’information sur la MSN, le sentiment de vulnérabilité par rapport à la mort subite, la représentation des risques et le sentiment de pouvoir agir sur les facteurs de risque sont autant d’éléments qui interviennent dans la prise en compte des conseils de prévention. Ainsi, 99 % des parents pensent pouvoir réduire les risques s’ils mettent en œuvre les quatre conseils qui leur ont été donnés. Et parmi ceux qui ne le pensent pas, on retrouve essentiellement les publics les moins bien informés, donc ceux qui connaissent le moins bien les facteurs d’influence de la MSN. On retrouve aussi tous ceux qui pensent plus que les autres que le destin est un facteur d’influence. Or cette croyance rend évidemment bien difficile toute action de prévention.
Atteindre mieux les publics fragilisés
L’enquête menée sur la campagne, on l’a dit, a touché un public plus favorisé que l’ensemble de la population. Malgré tout, les réponses reçues permettent d’observer un ensemble de comportements et de conditions défavorables liés au faible niveau d’instruction (pas d’études, des études primaires ou les trois premières années du secondaire), à un âge plus jeune (moins de 24 ans) et à la primiparité.
Ainsi, 42 % des parents faiblement scolarisés s’estiment assez informés sur la MSN contre 73 % dans l’échantillon général. La conviction que l’on peut agir sur les facteurs de risque augmente avec le niveau d’instruction: 75 % des personnes faiblement scolarisées seulement ont cette conviction contre 94 % dans l’échantillon général. Par ailleurs, il y a plus de fumeurs chez les personnes faiblement scolarisées que dans les catégories mieux scolarisées: 40 % des femmes faiblement scolarisées fument pour 20 % dans l’échantillon général. Et ce sont aussi les personnes les moins instruites qui continuent à mettre un oreiller à leur bébé.
De nombreux professionnels de la santé (76 %) sont d’ailleurs bien conscients que certains publics demandent une attention particulière. Ils citent majoritairement les personnes issues de milieux défavorisés et tout spécialement celles qui ont un faible niveau d’instruction (64 %), les très jeunes parents (27 %) et les parents primipares (21 %).
Un slogan qui fait mal
L’évaluation de la campagne a également permis de mesurer son image et son impact auprès des personnes interviewées. Les résultats sont globalement très positifs et encourageants tant chez les parents que chez les professionnels. Plus de 99 % des parents qui ont répondu à l’enquête, estiment que l’information des jeunes parents est indispensable et 98 % d’entre eux trouvent la campagne tout à fait utile. 97 % des professionnels interrogés estiment que la prévention de la MSN est une priorité et ils accordent une «grande distinction» à la campagne.
Les professionnels apprécient les stratégies de diffusion actuelles et souhaitent les voir conservées, avec toutefois un bémol pour les stands qui ont souvent touché un autre public que celui qui était visé. 72,5 % d’entre eux ont distribué spontanément les dépliants à tous les (futurs) parents, 30 % les ont mis à leur disposition dans les salles d’attente et 20 % ne les ont donnés qu’aux personnes qui manifestaient leur intérêt pour le sujet. Enfin, 19 % des professionnels insistent sur la complémentarité des différents modes d’intervention: dépliants et brochures, spots radio et télé, et dialogue avec les professionnels.
Si la campagne est convaincante, son slogan doit cependant être modifié. Certes 74 % des parents répondants le jugent globalement positif et 22 % sont d’accord avec son contenu. Mais 7 % l’estiment trop peu explicite vis-à-vis de la MSN. Et, surtout, 5 % le jugent très dur pour les parents qui ont perdu un enfant. Des personnes extérieures à l’enquête ont également insisté sur ce point: le slogan peut blesser et culpabiliser des parents en deuil qui ont le sentiment de n’avoir pas pu mettre en œuvre pour éviter la mort de leur enfant cette «simplicité» dont parle la campagne.
Renforcer la sensibilisation des professionnels
…
Enfin, l’enquête menée auprès des parents a montré que tous les soignants ne diffusent pas les bons conseils. Ceci s’est particulièrement vérifié pour le conseil relatif à la position corporelle du bébé durant le sommeil. A la sortie de la maternité, 79 % des soignants ont conseillé aux parents de coucher le nourrisson sur le dos, mais 37 % ont conseillé de le coucher sur le côté et 2 % sur le ventre. Si ce total excède 100 %, c’est que certains soignants ont proposé différentes positions aux parents. Ce constat est particulièrement important dans la mesure où la maternité est un moment d’ancrage pour les habitudes.
Qu’en disent les professionnels? La très grande majorité de ceux qui ont été interrogés aux conférences sont convaincus de l’efficacité des différents conseils: 96 à 97 % sont persuadés du bien-fondé des conseils pour l’environnement sans tabac, la température de la pièce et la sécurité dans le lit, mais 84 % seulement du bien fondé du sommeil sur le dos.
Ce nombre constitue pourtant un progrès puisque, selon leur propre dire, la campagne «C’est si simple de bien commencer la vie » a amené 33 % d’entre eux à changer d’opinion à ce propos. Pour les professionnels de la santé, la campagne a représenté une importante source d’information: 50 % ont lu le Bulletin d’éducation du patient, 37 % citent une conférence ou un séminaire, 41 % citent l’affiche et 61 % se sont informés grâce au dépliant.
…et leur proposer des formations
Enfin, l’enquête a mis en évidence l’importance de la relation des parents avec les professionnels de la santé et de la petite enfance en matière de prévention de la MSN. 68 % des personnes interrogées ont discuté des quatre conseils de la campagne avec ces professionnels soit après avoir posé des questions (48 %), soit après avoir été invités à le faire (20 %). Les parents qui n’ont pas eu cette discussion sont aussi ceux qui sont sous-informés en matière de MSN, ne connaissent pas les conseils et leur efficacité, donc les personnes les moins instruites et les moins favorisées. Or, 72 % des personnes qui ont répondu à l’enquête disent avoir discuté des quatre conseils de la campagne avec un professionnel, disent aussi avoir été influencées dans leurs comportements vis-à-vis du bébé.
Pour leur part, 93 % des professionnels interviewés estiment avoir un rôle à jouer auprès des parents en matière de prévention, mais 58,6 % seulement estiment avoir les moyens de remplir ce rôle. Un certain nombre expriment des difficultés ou des freins de divers ordres, dont le fait que les futurs parents ne changent pas facilement leurs comportements (25,7 %) et ne sont pas demandeurs d’informations (9,9 %).Un certain nombre de ces freins sont liés à la gestion de la relation éducative entre parents et professionnels: le rôle de ces derniers est lourd et ils ne savent pas toujours comment s’y prendre pour amener les parents à adapter leurs comportements. Ces compétences mériteraient donc d’être développées grâce à des formations spécifiques.
Anne-Marie Pirard
D’après le Rapport d’évaluation de la campagne de prévention de la mort subite du nourrisson 1998-1999 «C’est si simple de bien commencer la vie», novembre 2000» , Centre d’éducation du patient asbl.. Ce rapport, ainsi que les outils de la campagne sont disponibles au Centre d’éducation du patient, rue Fond de la Biche 4, 5530 Godinne.
Tél. 082-61 46 25. Mél: cep_godinne@skynet.be
La Mort subite du nourrisson dans Education Santé
– Echos du symposium « Succès et limites de la prévention de la mort subite du nourrisson (6/3/99), n° 137, avril 1999, pp. 6 et 7.
– « C’est si simple de bien commencer la vie…. », par J.-L. Collignon, M.M. Leurquin, A. Malice, A. Clément, n° 140, juillet-août 1999, pp. 1 à 4.
– L’information écrite concernant la mort subite du nourrisson passe-t-elle bien ?, par C. Bazelmans, A. Kahn et D. Piette, n° 144, décembre 1999, pp. 9 et 10.
Ajustement sémantique
L’évaluation de la campagne témoigne d’une large adhésion du public au message de prévention qu’elle véhicule. Toutefois, certaines critiques ont été formulées à l’égard du slogan ‘C’est si simple de bien commencer la vie…’, jugé un peu réducteur, et qui risque d’être rejeté par les parents ayant vécu le drame de la perte d’un bébé.
Pour la reprise de la campagne en 2000-2001, le Centre d’éducation du patient a choisi le slogan ‘Ensemble, réduire les risques de mort subite, c’est possible’, qui évite l’écueil de la formule précédente, et témoigne en outre de la volonté du promoteur d’inscrire sa démarche dans une dynamique plus collective.