Améliorer l’accessibilité aux soins des femmes enceintes vulnérables. C’était l’ambition d’un projet pilote mené au sein de la maternité du centre hospitalo-universitaire de Jette (UZ Brussel). Le dispositif, qui a fait ses preuves localement, est en train d’être mis en œuvre dans toute la Belgique sous la forme d’une plateforme numérique baptisée Born in Belgium Professionals.
Jusqu’alors les soins périnataux étaient fragmentés et complexes. Si bien, que les équipes de soins « constataient des vulnérabilités tardivement, le plus souvent au moment de l’accouchement, raconte Katrien Beeckman, sage-femme à la maternité de l’UZ Brussel. Certaines femmes ne pouvaient pas rentrer chez elles après la naissance parce qu’elles avaient des problèmes de logement, de santé mentale ou de violences intrafamiliales ».
Le centre hospitalo-universitaire de Jette, situé en région Bruxelles Capitale (UZ Brussel) disposait bien d’un protocole sur l’alcool et les drogues, mais n’avait pas d’outil plus large pour dépister les autres vulnérabilités psychosociales des mères au cours de la grossesse.
Or dans le cadre de sa thèse sur les inégalités dans les parcours de soins à Bruxelles soutenue en 2011, Katrien Beeckman avait pu constater de nombreuses barrières dans l’accès aux soins : manque de temps dédié au suivi, manque de financement, manque de transparence sur l’offre, listes d’attente, manque d’expertise. Elle y relevait la nécessité de mettre au point un accompagnement spécifique pour les femmes enceintes vulnérables.
Pourquoi ? Parce que la vulnérabilité psycho-sociale affecte l’accès aux soins et peut générer des difficultés à la naissance aussi bien chez la mère (prise de poids excessif, morbidité, dépression ou anxiété, allant parfois jusqu’au suicide) que chez l’enfant (faible poids du nourrisson, naissance prématurée).
Les statistiques sur la santé psychosociale périnatale à Bruxelles sont sans appel : une mère sur cinq a ou développe des problèmes de santé mentale au cours de la grossesse ou après la naissance. De surcroît : un enfant sur cinq naît dans la précarité (alors qu’elle concerne un nouveau-né sur six en Wallonie, un sur douze en Flandre).
La mise au point d’indicateurs de vulnérabilités
Entre 2017 et 2019, l’UZ Brussel soutient l’initiative de ses équipes dans la création d’un outil de dépistage des vulnérabilités. Une équipe comprenant des sage-femmes et des gynécologues lance une recherche approfondie sur la littérature scientifique et les bonnes pratiques autour de la santé périnatale en Belgique et en Europe.
Elles dégagent 15 indicateurs pertinents sur le niveau d’éducation, le pays de naissance, le statut de résidence, la profession de la mère, la profession de son ou sa partenaire, sa situation financière, la situation de logement, la communication, le soutien social, l’anxiété, la dépression, les antécédents psychologiques, la violence, la consommation de médicaments et la consommation de substances psychoactives.
Le prototype de la plateforme est baptisé « Born in Brussels Screening Tool (ST) ». Il favorise l’approche et l’accompagnement pluridisciplinaire. Très rapidement, l’expérimentation se fait connaître dans le cadre des travaux autour du livre blanc sur l’accès aux soins. L’Inami et le SPF Santé Publique s’y impliquent et l’équipe de l’UZ Brussel choisit d’abriter l’expérimentation au sein d’une asbl « Together We Care » pour notamment assurer le respect du droit des patientes en matière de traitement des données personnelles (RGPD).
Un outil d’aide à la décision et à l’action
La plateforme numérique est formalisée avec l’aide d’un groupe d’experts hébergé par l’Inami. Elle comporte désormais deux volets : le premier permet toujours de réaliser le screening/dépistage, le second de mettre en place des soins et un soutien spécifique personnalisé.
L’ambition est « d’agir le plus tôt possible lors du premier trimestre pour tenter de régler les problèmes en amont de la naissance, pour que l’enfant à naître ait les meilleures chances dans la vie » précise Sabine Verschelde, qui participe à la mise en œuvre au sein de l’équipe qui compte désormais huit personnes.
L’année 2021 marque un tournant. L’évaluation du dispositif conforte l’Inami sur sa pertinence. La Flandre s’y intéresse aussi. Le projet est alors repris dans le cadre du protocole d’accord soins intégrés (8 novembre 2023) et devient un volet dédié du projet fédéral sur les 1000 premiers jours de l’enfant. L’Inami finance la plateforme BiB et propose de généraliser la mise en place de la plateforme dans toute la Belgique.
Systématiser le dépistage en interrogeant toutes les mères
« L’objectif est de dépister dès l’anamnèse de début de grossesse les fragilités psycho-sociales en interrogeant toutes les mères à l’aide d’un questionnaire », explique Sabine Verschelde. Pourquoi toutes les mères ? Parce que les traumatismes, les violences conjugales ou l’anxiété n’ont pas de couleur sociale et aussi pour éviter la stigmatisation.
« On stimule le fait de poser les questions : peut-être qu’une dame se sent seule, peut-être qu’elle a du mal à payer ses factures en fin de mois. Si on ne lui demande pas, elle ne le dira peut-être pas spontanément. Il faut parler de bien-être psychosocial avec chaque femme enceinte »,, ajoute Manon Moulin, sage-femme de formation, désormais chargée de l’implémentation de BiB en Wallonie.
Accord préalable formalisé
Ces questions ne sont posées qu’avec l’accord formel préalable de la patiente. Cette dernière est d’abord informée qu’il existe la possibilité d’ouvrir un dossier BiB. L’ouverture peut se faire lors de la consultation de confirmation de grossesse qui a lieu avec le médecin généraliste ou la sage-femme. Il n’est ouvert qu’après signature d’un formulaire officiel de consentement éclairé.
Le questionnaire, disponible en dix langues, comporte aujourd’hui 24 questions. La personne qui conduit l’entretien ne doit pas nécessairement poser toutes les questions. « Quoiqu’il en soit, le questionnaire a été conçu pour être faisable en 20 minutes, dit Katrien Beeckman. Si la patiente a beaucoup de vulnérabilités, cela peut prendre plus de temps, mais une consultation prénatale dure en principe une heure. Quoiqu’il en soit, le plan interfédéral prévoit une intervention financière pour s’assurer que les prestataires de soins ont assez de temps pour écouter la femme enceinte ».
Secret professionnel partagé
Le recueil des informations sur la situation psychosociale de la femme enceinte n’est pas nécessairement exhaustif. La plateforme BiB permet de remplir les champs au fur et à mesure des entretiens. Les données personnelles de la femme enceinte sont conservées de manière sécurisée et ne sont visibles que par les professionnels de santé avec lesquels elle a une relation thérapeutique. Ce système à l’avantage d’éviter que la femme enceinte soit obligée de répéter son histoire à chaque fois qu’elle rencontre un nouvel interlocuteur. Le dossier est relié au numéro de registre national, au n° BIS1, ou au n° BIP qui a été mis en place pour les femmes sans papier.
L’Inami dispense actuellement des formations d’une journée autour des techniques d’entretien pour les prestataires de soins. « Ils se familiarisent avec des sujets qu’ils connaissent peu, ils s’entraînent à poser des questions délicates de manière adaptée, à réagir aux réponses et à conclure l’entretien afin que la patiente reparte en se sentant vraiment bien prise en charge » précise Sabine Verschelde.
Quand un seul indicateur de vulnérabilité est identifié, la future maman a droit à deux consultations prénatales personnalisées. Ces informations permettent d’orienter vers le service social de l’hôpital, ou de mobiliser le psychologue de l’équipe périnatale si la patiente est d’accord. Si une aide d’urgence est nécessaire pour des problèmes de santé mentale, l’outil permet également de voir immédiatement à qui la patiente peut s’adresser dans son quartier et le ou la praticien.ne peut appeler immédiatement pour voir s’il est possible de prendre un rendez-vous en urgence.
Le rôle du coordinateur de soins
Pour les situations de très grande vulnérabilité, dès qu’une femme enceinte cumule plus de deux indicateurs, il est aussi possible de désigner un coordinateur des soins au sein de l’équipe périnatale. « Cette personne-clé va développer un plan en concertation étroite avec la femme enceinte pour que toutes les questions et préoccupations de la mère et du ménage soient prises en compte, et ce, potentiellement sur une période de 1000 jours ».
L’équipe de BiB travaille actuellement au déploiement sur les territoires au sein des maternités. « Grâce à la mise en place du plan interfédéral, de plus en plus de portes s’ouvrent, constate Manon Moulin. De la première présentation, à la signature d’une convention avec les hôpitaux et la mise en place opérationnelle, il faut compter au moins 6 mois ». Gestionnaires et prestataires peuvent aussi compter sur l’aide de la plateforme pour identifier et créer un réseau de soutien prénatal avec les services sociaux et de santé environnants.
Retrouvez plus d’information sur le site Born in Belgium Profesionnals
La liste des partenaires à ce jour
Si vous souhaitez obtenir plus d’informations sur la plateforme, Born in Belgium Professionals organise des webinaires
Au sujet du plan interfédéral des soins intégrés et des 1000 premiers jours de l’enfant, voir ce dossier de l’Inami
L’étude sur le prototype de la plateforme BiB baptisée « Born in Brussels Screening Tool (ST) » dans la revue BMC (en anglais)