Un contexte inédit
Sous l’impulsion de l’Organisation Mondiale de la Santé et de mesures prises au niveau politique, la dénormalisation du tabagisme a récemment pu connaître un développement déterminant en Belgique. En effet, de nos jours, il n’est plus anodin ni branché de fumer. Le regard du grand public change, le tabac est perçu comme addictif et le tabagisme environnemental ou passif est une préoccupation de plus en plus prégnante qui conduit à une réglementation plus restrictive en divers lieux de vie: au restaurant comme au travail, dans les transports en commun, dans les lieux publics y compris les lieux de sport et plus récemment à l’école. Autres changements: le paquet de cigarettes comporte maintenant des illustrations en plus d’avertissements sanitaires, le prix du tabac évolue à la hausse et sa vente est interdite aux moins de 16 ans.
Le gouvernement fédéral a pris ses responsabilités, en l’occurrence des mesures ayant pour effet la dénormalisation du tabac: campagnes, avertissements, restrictions, taxes, interdictions… Tandis que la prévention du tabagisme incombe à la Communauté française Wallonie-Bruxelles, l’aide aux fumeurs est du ressort de la Région.
C’est à cet échelon que réside un formidable enjeu: car si le tabagisme est combattu sur tous les fronts, comment les consommateurs de tabac, jeunes ou moins jeunes, hommes ou femmes vivent-ils ces contraintes et gèrent-ils leur consommation selon les lieux qu’ils fréquentent? Alors que ces nouvelles règles de vie bousculent leurs habitudes, il apparaît que pour certains c’est l’occasion de réguler voire d’abandonner leur consommation. Se pose alors la question de l’aide proposée par les professionnels de santé, par des structures spécialisées ou par les pairs.
Aider les fumeurs en Wallonie
L’aide aux fumeurs ne se limite pas à la voie unique du sevrage. En effet, l’accompagnement proposé permet d’explorer les motivations éventuelles du fumeur pour un changement et d’engager un processus de réflexion en terme de gestion du comportement. Ceci passe par la sensibilisation et/ou l’exploration d’une ambivalence pour étayer le changement avec une visée de bien-être ou de recherche d’un nouvel équilibre. C’est notamment vers un public cible ambivalent voire rétif et spécialement vers les populations fragilisées que se déploient des initiatives originales et complémentaires telles que des groupes de parole, notamment en maisons médicales et dans le cadre de filières de formation/requalification professionnelle ou sociale.
Aider les fumeurs est l’option prise d’emblée par la Région wallonne en appui sur les compétences et l’interaction des professionnels de santé, au premier rang desquels figure le médecin généraliste, avec à ses côtés le pharmacien, les tabacologues en ligne au numéro vert de Tabac-Stop (0800 111 00), les intervenants du cadre hospitalier, ceux des maisons médicales et des consultations spécialisées (Centres d’aide aux fumeurs (CAF) et consultations de tabacologie). Outils, formations, diversification des offres et des modalités, permettant de baliser la réduction des risques ou l’arrêt du tabagisme, en sont les axes principaux d’autant qu’il semblait primordial de mobiliser l’intérêt des acteurs potentiels et d’augmenter à la fois leurs moyens et leur sentiment d’efficacité personnelle dans l’abord et dans la gestion de la problématique.
Ainsi, en septembre 2003, un Comité de pilotage réunissant plusieurs organisations (1) actives dans le domaine de la gestion du tabagisme, s’est mis en place en Région wallonne et avec son soutien, pour proposer, en concertation, diverses dynamiques complémentaires et interactives à déployer au travers d’un Plan wallon sans tabac.
Un état des lieux des offres de service a été réalisé. Il a permis de mettre en évidence des lacunes en terme de sensibilisation, d’émergence de motivations, d’information et de formation. Certaines sont encore actuelles tandis que d’autres ont évolué, ou évoluent encore, positivement.
Le premier Plan wallon sans tabac (de septembre 2003 à juin 2005)
Il a permis
-la mise en place d’une dynamique de réseau pour favoriser les échanges de pratiques entre professionnels de santé et une complémentarité dans les modes d’intervention à mettre au service de la population;
-l’ offre de formations initiales et continuées aux professionnels de santé actuels et à venir (assistants en formation de médecine générale, médecins généralistes, médecins spécialisés, infirmiers, aides familiales, kinésithérapeutes, pharmaciens, psychologues…) pour les préparer à l’abord de la question du tabagisme et travailler également sur les motivations et les modes de communication;
-la création d’outils assurant la promotion et la visibilité de l’aide disponible pour les personnes désireuses d’être accompagnées dans la gestion de leur tabagisme dans une perspective de bien-être et de qualité de vie (brochures «Mon patient fume» et «Plan wallon sans tabac», groupes de paroles, recommandations de bonnes pratiques en médecine générale, annuaire des structures et personnes ressources pour une gestion du tabagisme, lancement d’une ligne «Tabac stop»…);
-une évaluation continue des nouveaux besoins tant des professionnels de santé que des patients , en ce compris de publics particuliers (populations plus fragilisées, précarisées, femmes enceintes, adolescents, travailleurs, patients à consommations multiples…).
L’aide au sevrage se décline selon trois niveaux.
Première ligne : acteurs locaux comprenant les médecins généralistes, les pharmaciens, les professionnels de santé, etc. (niveau de sensibilisation et de motivation).
Deuxième ligne : constitution d’un réseau de personnes et d’institutions ressources au niveau local, dont les Centres d’aide aux fumeurs, des généralistes spécialisés, des tabacologues… (niveau d’intervention: offre à la préparation au sevrage et sevrage à mettre en lien avec le décret «assuétudes» de la Région wallonne).
Troisième ligne : recherche, évaluation et formation sur l’ensemble du territoire wallon (niveau d’implantation et de structuration en veillant à une cohérence avec le Plan fédéral et le plan opérationnel de la Communauté française).
Le deuxième «Plan wallon sans tabac» (de juin 2005 à juin 2007)
Il s’est donné pour but de consolider et pérenniser les actions réalisées, de les amplifier voire même de les compléter. Ainsi le Comité de pilotage réunissant les acteurs wallons poursuit son travail de concertation et de développement de stratégies nouvelles tandis que la mobilisation suscitée auprès des médecins généralistes et autres professionnels de santé se structure et s’intensifie. De nouveaux modes d’intervention sont explorés notamment par le biais du «coaching (2)» ou encore de «l’entretien motivationnel (3)». De nouveaux canaux d’échanges de pratiques et de questionnement se constituent («hotline» pour les médecins généralistes, «forum de tabacologie», vidéos illustrant l’entretien motivationnel…).
Les sujets abordés lors de formations proposées sont jugés «fort pratiques et concrets». Ils contribuent à rafraîchir voire à actualiser des connaissances tout en proposant une meilleure approche de la communication avec le patient au sens large: l’écoute efficace, ne pas «le braquer» dans ses positions, pouvoir répondre à ses attentes au bon moment sans brûler les étapes…
Plus à l’aise pour aborder le sujet, les professionnels de santé situent mieux le patient et proposent plus systématiquement une aide. Par ailleurs, les échanges entre professionnels favorisent l’expression de feed-back des situations vécues, le croisement d’expériences individuelles et collectives ainsi que le questionnement et le partage de compétences.
Des partenariats étroits se développent au fil du temps, et on perçoit très clairement une reconnaissance des rôles et des compétences de chacun des acteurs wallons. Une économie d’échelle est ainsi réalisée, limitant les doubles emplois et les pertes d’énergie, tablant sur la complémentarité des compétences et des niveaux d’intervention . Les échanges sont porteurs de stratégies nouvelles et de réponses en fonction de l’évolution des besoins constatés au travers de l’ensemble des actions développées. Une meilleure cohérence des contacts tabacologues/médecins généralistes se dessine et une complémentarité des structures SSMG (4)/SEPT (5), par des formations continues communes s’installe.
La plupart des dynamiques enclenchées visent un effet «boule de neige» et un travail en réseau:
-formation de futurs formateurs (maîtres de stage, médecins généralistes formateurs, référents en terme de ressources pour une «hotline» ou la «ligne Tabac stop»;
-formation de relais permettant une amélioration et une augmentation de l’offre d’aide (augmentation croissante du réseau des professionnels formés à l’accompagnement de la gestion du tabagisme, à une pratique de coaching ou d’entretien motivationnel…);
-implantation de groupes de parole destinés aux fumeurs et aux ex-fumeurs (transposables et adaptables à diverses formes de publics et touchant des publics différents de ceux que l’on retrouve en consultation privée);
-meilleure connaissance des pratiques d’entretien et d’accompagnement, des structures et personnes relais (annuaire des personnes et structures ressources en gestion du tabagisme, forum de tabacologie, promotion de la recommandation de bonne pratique et de l’accompagnement par les 5 A (Ask – Advice – Assess – Assist – Arrange), interrogatoire systématique à propos du tabagisme…);
-création de lieux d’échanges entre professionnels de santé et au profit de la population.
La dédramatisation de l’échec, l’analyse de la localisation du patient dans le cycle du fumeur (Prochaska Di Clemente), les précisions apportées quant au rôle du médecin sont des notions très appréciées. Trop souvent, en effet, on s’enferme dans un raisonnement d’obligation de résultat quand la question du sevrage tabagique est abordée. Chacun est invité à une gestion plus gratifiante de la question du tabagisme. Le savoir-être et les habiletés relationnelles revêtent autant d’importance que les connaissances factuelles.
La relation médecin/patient est très importante. Aussi, il est essentiel de maintenir cette «relation de confiance» dans le suivi voire l’orientation proposée. D’où l’intérêt d’un travail en réseau sur un mode multi-disciplinaire. A ce titre, le binôme «médecin/psychologue» constitue un enrichissement dans le soutien à proposer.
La mobilisation de professionnels de santé dans les formations «continuées» ou «de base» qui y sont proposées sont porteuses d’effets à long terme et garantissent une meilleure accessibilité et proximité de l’aide à apporter au grand public en terme de gestion du tabagisme dans une perspective plus large de bien-être et de qualité de vie.
Un processus d’évaluation continue est intégré aux actions développées dans le cadre du plan wallon. Cette évaluation permet d’assurer une validation des projets et un pilotage des stratégies. Ceci offre une vision globale des diverses dynamiques, de leurs objectifs, de la méthodologie utilisée et de leur impact. Déclinées sous forme de fiches, il s’agit en quelque sorte des pièces d’un puzzle qui rassemblées constituent ensemble le dispositif du «Plan wallon sans tabac».
Le Comité de pilotage du Plan wallon sans tabac
(1) Centre Académique de Médecine Générale (CAMG UCL), Département de Médecine (DUMG ULg), Fédération des Maisons Médicales (FMM), Fonds des Affections Respiratoires (FARES), Promotion Santé et Développement Durable (PSDD), Service d’Etude et de Prévention du Tabagisme (SEPT), Société Scientifique de Médecine Générale (SSMG).
(2) Le coaching est l’accompagnement d’une personne par un coach (ou accompagnant) qui, par l’écoute et la reformulation, par le diagnostic de la situation et la recherche d’options, aide son client dans une période donnée et dans un cadre fixé, à franchir différentes étapes afin d’atteindre l’objectif qu’il s’est fixé, que ce soit dans la sphère privée ou dans la sphère professionnelle.
(3) L’entretien motivationnel est une méthode de communication directive et centrée sur le patient/client, utilisée pour augmenter la motivation intrinsèque au changement, par l’exploration et la résolution de l’ambivalence (traduction libre par V.Rossignol – Québec).
(4) Société Scientifique de Médecine Générale.
(5) Service d’Etude et de Prévention du Tabagisme.