Avril 2010 Par Christian DE BOCK Initiatives

Le mois dernier, nous vous avons présenté le programme ‘mammotest’, qui vient de revêtir de nouveaux habits en Communauté française. Notre dossier ne faisait pas allusion à un projet de modification de la nomenclature pour la mammographie, qui devrait rendre le mammotest plus attractif que le bilan sénologique. En effet, ce dernier offre jusqu’ici une meilleure rétribution aux médecins, et fait donc une forte concurrence au programme organisé, du moins dans le sud du pays.
Cette modification de nomenclature a fait l’objet de vives critiques dans certains médias francophones, visant le grand public et aussi le corps médical. Il y a même eu une pétition signée par de nombreux médecins (francophones).
Le Centre communautaire de référence chargé de coordonner les programmes de dépistage du cancer en Communauté française souhaite apporter quelques informations de nature à éclairer ce vif débat.

Rappel de quelques évidences scientifiques

Tout d’abord, le mammotest (mammographie réalisée dans le cadre d’un programme d’assurance de qualité) est le seul examen recommandé par les experts cancérologues et les experts en santé publique (1): « Le dépistage du cancer du sein doit s’adresser à l’ensemble de la population cible et être réalisé dans le cadre d’un programme d’assurance de qualité : contrôle de qualité , enregistrement , évaluation ».
La démarche d’assurance de qualité a pour objectif d’atteindre une efficacité optimale et de réduire au minimum les effets négatifs.

Cahier prévention

Les données d’évaluation du mammotest indiquent que le Programme fonctionne bien de ce point de vue, et permet de mettre en évidence un nombre élevé de cancers de petite taille, sans envahissement ganglionnaire.
Ces résultats sont conformes et même supérieurs aux critères définis dans les «European guidelines for quality assurance in mammography screening» (2).
Cela permet de prévoir une réduction de la mortalité liée au cancer du sein en Communauté française, à condition toutefois que la participation des femmes soit suffisante.
Le dépistage individuel (bilan sénologique de dépistage) n’est pas soumis à un contrôle de qualité. À ce jour aucune évaluation de sa qualité et de son efficacité n’a été réalisée.
Il est donc éthiquement inacceptable de tenir un discours indiquant que le bilan sénologique de dépistage est plus performant que le mammotest.
« Ce qui est réalisé en dehors d’un programme organisé est non éthique et ne permet de fournir qu’un service dont la qualité ne peut être mesurée , et donc non assurée , et dont les coûts sont totalement incontrôlés » ( 3 ).
À propos de la sensibilité du mammotest (sa capacité à détecter un cancer) par rapport au bilan sénologique de dépistage, la double lecture réalisée systématiquement dans le cadre du mammotest a récupéré 5 fois plus de cancers que l’échographie réalisée en raison d’une densité mammaire élevée.
La sensibilité du mammotest est donc plus élevée que celle du dépistage individuel.

L’avis des radiologues

Avis du Concilium Radiologicum concernant la pétition contre le projet de modification des modalités de remboursement de la mammographie de dépistage
Le Docteur Christian Delcour , Président du Concilium Radiologicum, signale que le point de vue des médecins signataires de la pétition contre le projet de modification de nomenclature n’est pas partagé par la communauté radiologique belge dans son ensemble. Ce projet n’est donc pas soutenu par le Concilium Radiologicum, car il n’a pas été avalisé par le groupe de travail ad hoc de la Société Royale Belge de Radiologie.
Il est indispensable de remettre en question des habitudes non scientifiquement validées. Modifier les modalités de remboursement de la mammographie de dépistage permettra à toutes les femmes de bénéficier d’un dépistage dont la qualité est contrôlée et dont les effets sont évalués, aux sénologues de consacrer leur expertise et leur temps aux patientes qui ont le plus besoin de leur savoir-faire et de leur écoute, et de réduire au minimum les examens complémentaires chez celles qui n’en n’ont pas besoin. N’oublions pas qu’entre 50 et 69 ans, plus de 990 femmes sur 1000 sont indemnes de cancer du sein!

Campagne sexiste ?

Comme si cela ne suffisait pas, certains ont aussi rudement critiqué le nouveau spot de sensibilisation, les ‘seins animés’, en y voyant l’expression lamentable du machisme le plus méprisant à l’égard des femmes.
Le Service communautaire de promotion de la santé, chargé de la communication pour la Communauté française, rappelle la démarche à l’origine de cette création.
La campagne audiovisuelle envisagée pour le Programme vise à améliorer la perception générale du dépistage et s’adresse à une majorité de femmes: il s’agit de réduire la charge dramatique, d’apprivoiser le sujet, de permettre d’en parler (entre femmes, avec son conjoint, avec les professionnels de la santé, etc.).
Cependant, il est évident qu’il y a une grande diversité de réticences personnelles, d’obstacles divers à la pratique du dépistage, etc. Ce type de freins nécessite une diversité d’approches de communication, alliant spécificité de l’argumentation et communication de proximité.
Se référant aux recommandations actuellement proposées en matière de campagnes de santé publique, le SCPS Question Santé a proposé au groupe d’accompagnement mis en place pour la réalisation de cette campagne audiovisuelle, de s’appuyer sur trois priorités de communication:
-élaborer des messages ouverts, qui interpellent et amènent leurs destinataires à construire une réflexion qui leur est propre;
-élaborer des messages responsabilisants;
-élaborer des messages qui offrent des solutions et évitent de donner le sentiment à leurs destinataires qu’ils se trouvent enfermés dans un destin inéluctable.
Ainsi, dans la campagne audiovisuelle, chaque femme est invitée à prendre soin d’elle-même: «nous sommes vos seins (…) on aimerait que vous fassiez le mammotest, pour nous c’est important»; chaque femme est invitée à faire un mammotest avant qu’un symptôme ne l’y invite: «n’attendez pas que vos seins vous le réclament. Entre 50 et 69 ans , faites le mammotest tous les 2 ans.»; enfin, le message souligne que «en cas d’anomalie, plus vite c’est dépisté, mieux c’est soigné» et invite à recourir au médecin «Parlez-en à votre médecin».

Le texte du spot

Bonjour !
Bonjour !
Nous sommes vos seins et on a quelque chose à vous dire .
Voilà on aimerait que vous fassiez le mammotest , pour nous c’est important .
Il est gratuit et permet de dépister le cancer du sein car en cas d’anomalie plus vite c’est dépisté mieux c’est soigné . Et ainsi vous prenez soin de nous ( rires ).
N’attendez pas que vos seins vous le réclament . Entre 50 et 69 ans faites le mammotest tous les 2 ans .
Parlez en à votre médecin ou surfez sur [L]http:/www.lemammotest.be

La diffusion d’une communication publique sur un sujet donné a pour effet de légitimer l’existence d’un problème de santé. Une campagne de communication via les médias de masse s’adresse évidemment au plus grand nombre (ce qui en fait l’intérêt majeur), et globalement aux classes moyennes (critères socio-économiques et niveaux d’études).
Cependant, au travers de ces campagnes, il y a des possibilités de prendre partiellement en compte les objectifs de réduction des inégalités de santé. Comment? Philippe Lamoureux (Directeur général de l’Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé, en France) le précise: « Il s’agit là de simplifier les outils de communication , de façon à les rendre compréhensibles pour des publics peu ( ou pas ) lecteurs . Pour ce faire , la logique consiste à privilégier l’animation par rapport à la fiction ou encore le dessin par rapport au texte . Les post tests réalisés en ce domaine font apparaître des scores d’appropriation très satisfaisants .» Le choix de la formule du dessin animé répond donc à ces
constatations récentes dans le domaine de la communication en santé publique.

Mise en place de la communication

Un appel à concurrence a été diffusé, avec notamment les éléments suivants repris dans le cahier des charges: réaliser un/des spot(s) avec un message positif; créer un climat de complicité; éviter de mettre en avant l’acte médical (femme qui fait le mammotest).
Un accent était demandé sur la motivation des femmes qui ne sont pas suivies et/ou ne pratiquent pas de dépistage. Il s’agissait de montrer les avantages à faire un dépistage et à ne pas attendre la maladie pour consulter un professionnel de la santé, de suggérer au public cible un climat de confiance, de complicité et d’appartenance en jouant sur la féminité, sans excès publicitaire ni stéréotypes de la femme.
Sept sociétés ont répondu à l’appel d’offre, dont certaines ont présenté plusieurs projets.
Un jury s’est réuni et a examiné les propositions, sur base d’une grille de 8 critères:
-prix;
-respect du délai pour rentrer l’appel d’offre;
-cohérence avec la promotion de la santé (fondements scientifiques, objectifs et public visés, intégration dans l’ensemble du programme de dépistage, adéquation au sujet traité);
-fidélité aux objectifs (simplicité, complicité, féminité, appartenance, tendresse…);
-compréhension du message en lien avec la forme, originalité, rythme, accroche, attractivité;
-expériences antérieures dans la réalisation de campagnes audiovisuelles en promotion de la santé;
-respect des aspects éthiques;
-appréciation personnelle;
-réserves éventuelles
Le choix du jury (essentiellement féminin, contrairement à ce que les détracteurs du spot imaginent) s’est porté à l’unanimité – ce qui est un élément rare à souligner – sur la proposition faite par EuroRSCG.
Parmi les arguments retenus par le jury, citons: approche centrée sur le bénéfice du dépistage («plus vite c’est dépisté, mieux c’est soigné…») et la gratuité; forme amenant directement au cœur du sujet mais avec sobriété: le choix des seins comme visuel permet d’identifier directement le thème de la campagne; traitement de l’image épuré (trait fin, fond sobre); traitement émotionnel, complice / intimiste par le son (voix off et musique) et l’image (yeux animés); éveil de la curiosité pour susciter l’attention; interpellation par le «regard» (les seins ont des yeux); la campagne proposée est rassurante et positive tout en invitant les femmes (de 50 à 69 ans) à franchir le pas, à en parler et à dédramatiser; être à l’écoute de son corps (de sa féminité). Un pré-test sur base du plan-image a confirmé la lisibilité et la compréhension du message et n’a pas mis en évidence d’effets indésirables. Une non adaptation de la forme du spot à des sous-groupes de femmes (pour des raisons culturelles ou autres) était attendue, mais considérée comme acceptable.
Christian De Bock , d’après un communiqué du Centre de référence communautaire pour le dépistage du cancer du sein, et avec l’aide du SCPS Question Santé

(1) Advisory Committee on Cancer Prevention. EJC 2000; 36: 1473-78.
(2) European guidelines for quality assurance in mammography screening and diagnosis. Fourth edition . European Communities 2006.
(3) Helene Sancho-Garnier – Professeur de santé publique à Montpellier