Avril 2015 Par N. QUERUEL S. HERCBERG Initiatives

Politique nutritionnelle en France

«Prendre des mesures radicales est une nécessité pour les citoyens et notre système de santé» (Serge Hercberg)

La politique nutritionnelle engagée, depuis 2001, par les pouvoirs publics français connaît un nouvel élan avec des propositions en faveur d’une alimentation plus saine.

La Santé en action : Quel état des lieux peut-on faire aujourd’hui du surpoids et de l’obésité dans notre pays ?

Serge Hercberg : Depuis 2000, la situation s’est légèrement améliorée alors que pendant les deux décennies précédentes, la fréquence du surpoids et de l’obésité avait doublé. Nous observons une stabilisation, voire une diminution de cette fréquence chez les enfants: de 18% en 2001, au moment du lancement du Plan national nutrition santé (PNNS), à 17,5 % environ dans les plus récentes enquêtes.

Chez les adultes, nous avons constaté une augmentation de la prévalence du surpoids et de l’obésité – autour de 17 % aujourd’hui – mais cette progression s’est ralentie au cours des trois dernières annéesNote bas de page.

Malgré tout, il faut tempérer cette note d’optimisme car il existe de très fortes inégalités sociales de santé particulièrement nettes pour l’obésité. Les populations les plus défavorisées présentent, en effet, un risque beaucoup plus grand, tant chez l’enfant que chez l’adulte. L’obésité est un marqueur social, lié au niveau socio-économique des ménages.

Nous notons que l’amélioration est concomitante avec la mise en oeuvre de politiques de santé publique, notamment le PNNS. Sans affirmer un lien de causalité, il est raisonnable de penser que les mesures déployées expliquent en grande partie cette évolution.

S. A. : En quinze ans, quels sont les domaines où la prévention a progressé ?

S. H. : Des progrès indéniables ont été réalisés dans le champ de l’information et de la communication. La connaissance s’est améliorée, celle des professionnels de santé mais aussi celle du grand public : par exemple, 85 % des Français savent qu’il est bon de manger au moins «cinq fruits et légumes par jour», un des repères du PNNS.

La mobilisation des différents acteurs, notamment de terrain, qu’ils soient du secteur de la santé ou de l’éducation, du monde associatif, des collectivités territoriales, correspond à une prise de conscience de l’importance de la nutrition; c’est une avancée.

Enfin, nous avons fait une petite révolution culturelle car la problématique de la nutrition intègre désormais aussi bien l’alimentation que l’activité physique : ce qui rentre dans le corps avec l’alimentation est mis en balance avec ce qui sort grâce à l’activité physique. C’est une des réussites de la politique de santé publique développée en France.

S. A. : A contrario, qu’est-ce qui n’a pas ou mal fonctionné ?

S. H. : Nous avons rencontré de grandes difficultés à mobiliser les acteurs du secteur privé, spécialement les industriels de l’agroalimentaire, sur la qualité nutritionnelle de leurs produits. Seule une trentaine de chartes d’engagement a été signée… loin d’une adhésion massive des entreprises concernées.

Mais celles qui ont signé une charte ont réellement amélioré leur offre alimentaire, réduisant de 5 à 25 %, selon les cas, les teneurs en sel, sucre et gras.

Nous n’avons également pas réussi à convaincre, malgré nos efforts, certains opposants qui voient dans ces actions trop de normalisation, voire de médicalisation. Or ce n’est pas l’esprit du PNNS. Nous avons toujours eu la volonté de ne pas réduire l’alimentation à un acte biologique et de dire que plaisir et santé sont associés. Nous avons eu à coeur de penser une politique de santé publique à la française, qui prenne en considération la gastronomie et la convivialité.

Enfin les mesures mises en place n’ont pas eu une efficacité suffisante pour toucher les publics prioritaires, les foyers défavorisés et leurs enfants.

S. A. : Au vu de ce constat, quelles nouvelles stratégies préconisez-vous ?

S. H. : Si l’information et l’éducation demeurent essentielles, il faut les coupler avec une action sur l’environnement, au niveau de l’alimentation et de l’activité physique, afin de donner aux Français les moyens de mettre les recommandations en pratique.

Cette stratégie comprend plusieurs volets : une information concrète et lisible sur la qualité nutritionnelle des produits, un meilleur accès aux aliments dont les qualités sont reconnues et une baisse de la pression marketing pour les moins intéressants. Bien se nourrir ne relève pas que des comportements individuels. Si 85 % des Français connaissent les «cinq fruits et légumes par jour», ils sont 43 % à les consommer et seulement 6 % parmi les foyers les plus défavorisés. Il faut donc, par des réglementations, changer les déterminants qui ne sont pas de la responsabilité des individus mais de notre société (offre alimentaire ou d’activité physique, pression de la publicité, coût des aliments, transparence sur la qualité nutritionnelle des aliments etc.), pour créer des environnements favorables à l’équilibre nutritionnel et ce, pour toutes les catégories de la population.

L’autorégulation et le volontariat ont montré leurs limites, particulièrement quand des enjeux économiques importants interviennent.

S. A. : Comment mettre en oeuvre cette stratégie ?

S. H. : Au coeur du dispositif se trouve la définition de la qualité nutritionnelle des aliments car tous ne se valent pas. Elle pourrait prendre la forme d’un score notant la teneur de plusieurs éléments – sel, sucre, gras, calories, fibres.

Et ce score va servir à plusieurs choses. Premièrement, donner une information simple, sur la face avant de l’emballage des produits, grâce à un dégradé de couleur: du vert au rouge, comme pour les équipements électroménagers.

Plutôt que d’avoir les étiquettes actuelles sur la composition, illisibles, le logo de couleur, attribué en fonction du score, permettra au consommateur de voir si un aliment est plus ou moins favorable à l’équilibre nutritionnel, et ce d’un seul regard. Et donc de comparer. Non pas les chips et les légumes, tout le monde connaît la différence, mais entre deux paquets de céréales, deux pizzas ou deux desserts lactés.

Voilà un système simple donnant une bonne vision de la qualité nutritionnelle des produits, chacun décidant ensuite de son acte d’achat. Il est utilisé en Grande-Bretagne par de grands réseaux de distribution, sur la base du volontariat. En outre, le score pourrait être un outil pour réguler la pression marketing : il s’agirait de définir un seuil au-delà duquel la publicité des produits serait interdite sur les médias, aux heures de grande écoute des enfants. Cette mesure n’interdit pas les produits en question mais la promotion de leur consommation. Elle inciterait les industriels de l’agroalimentaire à améliorer leur offre pour pouvoir communiquer.

S. A. : Comment favoriser l’accès à des aliments de bonne qualité nutritionnelle, souvent plus onéreux, notamment pour les catégories sociales défavorisées ?

S. H. : L’idée serait d’instaurer un système de taxation-subvention proportionnel, là aussi basé sur le score des aliments. Moins ces derniers présentent de qualité nutritionnelle, plus ils seraient taxés. Mais il faut contrebalancer cette mesure par une alternative pour que les consommateurs les plus pauvres ne soient pas pénalisés : les produits aux apports nutritionnels favorables bénéficieraient de subventions, qui pourraient d’ailleurs provenir des ressources de la taxe; ils seraient ainsi moins chers et plus accessibles à tous. C’est un cercle doublement vertueux qui amènera aussi les entreprises agroalimentaires à réduire les teneurs en gras, sel et sucre, comme l’ont fait celles qui se sont engagées via la charte, car elles y auront intérêt économiquement.

S. A. : Des pays ont-ils déjà expérimenté la taxation et certains n’ont-ils pas fait machine arrière ?

S. H. : Ce principe existe déjà, y compris en France, avec la taxe sur les sodas qui a fait reculer le marché de 4 %, alors qu’il était en croissance de 2 % par an, tandis que la consommation des eaux en bouteille progressait.

Certes, le Danemark avait mis en place une taxation, avant de revenir en arrière un an plus tard, mais il faut relativiser cet échec. La taxe, forfaitaire, ne concernait que les produits contenant des acides gras saturés.

Deux arguments ont motivé cet abandon: d’une part, les industriels devaient fournir des données certifiées et, selon eux, le dosage sur tous leurs produits coûtait trop cher; d’autre part, les Danois allaient s’approvisionner dans les pays limitrophes. Cette taxe a été abandonnée pour des raisons économiques qui ne pèsent pas de la même façon en France aujourd’hui : le risque transfrontalier dans un pays aussi vaste que le nôtre paraît limité; et il n’y aura pas de surcoût puisqu’un règlement de la Commission européenne va obliger les entreprises à afficher sur les étiquettes de leurs produits le dosage de certains nutriments – dont ceux que nous prenons en compte pour le score dans nos propositions – à partir de 2016.

Les industriels voient ce projet de taxation comme une contrainte mais elle peut être aussi une voie à l’innovation et favoriser les exportations, avec des produits combinant plaisir et santé. Car l’accès à des aliments de bonne qualité nutritionnelle est devenu un enjeu international.

S. A. : Quel accueil ont reçu vos propositions et avez-vous bon espoir qu’elles soient adoptées ?

S. H. : L’intérêt a été manifeste, de la part du ministère de la Santé mais aussi des professionnels puisque les sociétés savantes en santé publique, en pédiatrie, en nutrition ainsi que des associations de consommateurs ont soutenu ce projet et ont même lancé une grande pétition citoyenne pour soutenir la mesure (www.sfsp.fr). Néanmoins, et on peut le comprendre, un certain nombre d’acteurs économiques ont déclaré publiquement leur opposition.

Nous attendons maintenant un affichage politique fort de l’ensemble des ministères concernés : la Santé, bien sûr, mais aussi l’Agriculture, la Consommation, l’Économie et les Finances. L’obésité, le diabète, l’hypertension, les pathologies cardio-vasculaires et les cancers ont un coût humain, social et économique très important. Il faut que tous soient engagés dans la réflexion pour réduire les risques de ces maladies. Et la nutrition est un moyen simple de diminuer leur fréquence. Prendre des mesures radicales est une nécessité, au niveau individuel et collectif, pour les citoyens et notre système de santé.

Pour en savoir plus

Hercberg S. Propositions pour un nouvel élan de la politique nutritionnelle française de santé publique dans le cadre de la stratégie nationale de santé. 1re partie: mesures concernant la prévention nutritionnelle [Rapport à la ministre de la Santé]. Paris: La Documentation française, 2013: 128 p. En ligne sur le site de la Documentation française.

Article publié initialement dans ‘La Santé en action’ n°430, décembre 2014 et reproduit avec son aimable autorisation.

En Belgique, d’après la récente enquête de santé par interview de l’Institut de santé publique, réalisée en 2013, 14% des adultes de plus de 18 ans sont obèses, pour 12% en 2001 (note de la rédaction d’Éducation Santé).