Mai 2025 Par Ingrid PELGRIMS Données

La pollution atmosphérique a un impact majeur sur la santé des Belges. Pourtant des solutions efficaces existent. Reste à convaincre l’opinion publique et sensibiliser les décideurs politiques afin de favoriser une adoption plus large des mesures.

motorcycle and cars on street

Ingrid Pelgrims est chercheuse chez Sciensano au sein du service « Évaluation des risques et de l’impact sur la santé » qui évalue l’effet des expositions environnementales sur la santé humaine. Sciensano adopte une approche « One Health », qui favorise une vision intégrée de la santé humaine, animale et environnementale.

La pollution de l’air constitue de loin le plus grand risque environnemental pour la santé en Belgique. A ce titre, la Belgique est un bien mauvais élève en Europe. Elle se place au quatrième rang des pays de l’UE-14 le plus exposé aux particules fines et en cinquième position pour le dioxyde d’azote (NO2)[1]. La quasi-totalité de la population belge vit dans un environnement où les niveaux de pollution sont supérieurs à la valeur recommandée par l’OMS[2] pour les PM2.5  et plus de 85 % de la population belge est exposée à des niveaux dépassant cette valeur seuil pour le N02. Bruxelles et Anvers figurent même parmi les dix premières villes européennes où le dioxyde d’azote est le plus meurtrier[3].

air pollution 2018 sciensano

Cinq sources de pollution de l’air identifiées

Plus de la moitié des émissions de polluants en Belgique est issue des secteurs du transport et du chauffage résidentiel[4]. En ville, le trafic routier reste la principale source de pollution. Dans le secteur résidentiel, l’utilisation de la biomasse (bois) pour le chauffage domestique est une source majeure d’émissions, tandis que dans le secteur des transports, principalement le trafic routier, en particulier les véhicules passagers équipés de moteurs diesel (e.g. EURO 4), constitue une source significative d’émissions de NO2.

A ces deux sources s’ajoutent :

  • la production d’énergie, principalement à travers la combustion de charbon, de gaz naturel ou de pétrole dans les centrales thermiques pour produire électricité et chaleur ;
  • les processus industriels, qui nécessitent des températures très élevées ;
  • l’agriculture, qui génère des poussières lors des travaux agricoles.  Les déjections animales et l’utilisation d’engrais dans les champs produisent également de l’ammoniac. Ce dernier, lorsqu’il se combine avec d’autres gaz dans l’air, forme des particules fines.

Les effets méconnus de la pollution de l’air sur la santé

Les particules fines présentes dans l’air peuvent pénétrer profondément dans les voies respiratoires et atteindre les alvéoles pulmonaires. De là, elles peuvent entrer dans la circulation sanguine et affecter de nombreux organes du corps humain. Celles-ci sont même capables de franchir les barrières hématoencéphalique, qui protège le cerveau[5] et placentaire, qui protège le fœtus[6]. Elles provoquent des réactions inflammatoires au niveau des organes, entraînant une multitude de problèmes de santé à court et à long terme, allant de difficultés respiratoires passagères à des maladies chroniques, telles que l’asthme, les infarctus du myocarde, les accidents vasculaires cérébraux (AVC), et même les cancers. La pollution de l’air est en effet reconnue depuis 2013 comme un cancérogène avéré par le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer), en particulier en ce qui concerne le cancer du poumon.

Moins connus mais tout aussi préoccupants, les effets de la pollution de l’air influent sur la démence, la dépression, les troubles neurologiques et le diabète. Et ce n’est pas tout : de récentes études ont montré qu’elle augmente le risque de contracter des maladies respiratoires infectieuses, comme le COVID-19 et la grippe[7] [8]. La pollution de l’air est également un tueur silencieux, puisqu’elle est responsable chaque année en Belgique de plus de 5.000 décès prématurés[9].

Les enfants sont particulièrement vulnérables aux effets néfastes de la pollution de l’air car leur système respiratoire, immunitaire et cérébral est en plein développement. Ils ont ainsi plus de risque de développer des allergies, de l’asthme, de l’eczéma, mais aussi des troubles cognitifs et neurodéveloppementaux tels que les troubles du déficit de l’attention (TDA) et les troubles du spectre autistique[10].

L’exposition à la pollution de l’air durant l’enfance est par ailleurs associée à un risque accru de maladies respiratoires, cardiovasculaires et cutanées tout au long de leur vie. Enfin, l’exposition à la pollution de l’air durant la grossesse constitue une période particulièrement critique durant laquelle une exposition élevée aux particules fines augmente le risque de fausses couches, de faible poids à la naissance, ainsi que des troubles du développement neurocomportemental chez les nouveau-nés et les enfants en âge préscolaire[11].

Réduire les émissions provenant du trafic routier, un impératif catégorique

Les stratégies de réduction et de contrôle du trafic routier, telles que les zones basse émission, les rues piétonnes, les rues scolaires, les infrastructures adaptées aux cyclistes et aux piétons, sont parmi les plus efficaces pour réduire l’utilisation de la voiture et les émissions polluantes dans les villes[12]. De récentes études épidémiologiques menées en Belgique par Sciensano démontrent que les interventions de réduction de la pollution de l’air peuvent réduire de façon significative la prévalence des accidents cérébro-vasculaires au sein de la population belge, ainsi que de l’asthme pédiatrique chez les enfants[13] [14].

Les Zones à faible émission (ZFE ou LEZ en anglais) représentent le principal levier en Europe pour lutter contre la pollution de l’air liée au trafic et améliorer la santé publique. A Bruxelles et Anvers entre 2018 et 2022, l’implémentation de la ZFE a permis une nette amélioration de la qualité de l’air, avec une baisse de plus 30 % de la concentration de NO2 selon une étude publiée en 2024[15]. Elle constate d’ailleurs que les quartiers les plus défavorisés de Bruxelles ont connu la plus grande amélioration relative de la qualité de l’air.

Plusieurs grandes villes, telles qu’Anvers, Gand et Bruxelles, ont mis en place des « rues scolaires » où l’accès aux véhicules motorisés est restreint, généralement pendant les heures d’arrivée et de départ des élèves. Ces initiatives sont particulièrement importantes pour protéger la santé des enfants, qui passent une grande partie de leur journée à l’extérieur, notamment dans la cour de récréation. En Wallonie, l’existence des rues scolaires reste encore très limitée. A Bruxelles, près d’une école sur cinq reste largement surexposée à la pollution de l’air[16]. En Flandre, une étude pilote a démontré le potentiel des rues scolaires pour réduire l’exposition au NO2 et au carbone noir aux abords des écoles. Cette étude a révélé une diminution de 14 % de l’inflammation des voies respiratoires et une augmentation de 10 % de l’élasticité des voies respiratoires chez les élèves[17].

Les quartiers apaisés sont des zones où un plan de circulation limite le trafic motorisé de transit par des mesures comme la réduction de la vitesse et la création de davantage d’espace pour la mobilité active. Ces initiatives offrent de nombreux bénéfices : elles améliorent la qualité de l’air, encouragent la marche et le vélo, augmentent la sécurité routière, réduisent le bruit ambiant et améliorent la qualité de vie des habitants. De plus, elles permettent de libérer de l’espace public et crée des opportunités pour accroître les espaces verts en ville, avec de nombreux effets bénéfiques sur la santé. En Flandre, Gand est un exemple de ville mettant en œuvre des quartiers apaisés, notamment dans le centre-ville historique, où la circulation des voitures est interdite, ce qui a permis une diminution de 18 % de la concentration en NO2[18].

A Bruxelles, les politiques de réduction du trafic local, telles que les journées sans voiture, pourraient réduire jusqu’à 30 % l’incidence de l’asthme pédiatrique dans les zones à fort trafic[19]. Et la suppression des véhicules à moteur thermique en région Bruxelles-capitale, initialement prévue pour 2030, pourrait aussi permettre d’éviter jusqu’à 15 % des décès prématurés dus à la pollution de l’air[20].

La végétalisation des espaces urbains

Par leur effet « barrière » et filtrant, les végétaux, et en particulier les arbres, peuvent réduire la contribution des émissions locales aux concentrations de polluants de 15 à 20 %[21]. La création d’espaces verts dans un contexte urbain constitue donc une solution complémentaire intéressante pour réduire l’exposition des citadins à la pollution de l’air. Si elle est bien réfléchie, la végétation permet en effet de dévier l’air pollué vers des couches d’air plus élevées où il se dilue. L’effet est d’autant plus important que la barrière végétale est située à proximité immédiate de la source de pollution. Bien que cet effet soit moindre, la végétation peut aussi avoir un effet filtrant, quand les polluants sont interceptés par les feuilles et les branches, que ce soit par dépôt ou absorption. La présence de végétation dans les espaces urbains offre de nombreux avantages : amélioration de la biodiversité, lutte contre les îlots de chaleur, diminution du bruit et impact bénéfique sur la santé et le bien-être des citadins[22].

Sciensano a récemment publié un rapport complet[23] répertoriant l’ensemble des mesures existantes pour la réduction du trafic routier, et les études scientifiques ayant démontré leur efficacité. Ce rapport a été réalisé dans le cadre du projet BELAIR-POL, financé par le fonds Orcadia, un fonds géré par la Fondation Roi Baudouin et alimenté par la société de gestion Orcadia AM, une société de gestion d’actifs axée sur l’investissement durable. Le rapport est le fruit d’une collaboration avec un large éventail d’acteurs belges impliqués dans la lutte contre la pollution de l’air[24], notamment des représentants des autorités sanitaires et environnementales fédérales et régionales, des mouvements citoyens, des instituts scientifiques, ainsi que des mutualités et organisations environnementales. Parmi ceux-ci, les Chercheurs d’Air ou encore le BRAL cherchent à renforcer la capacité d’agir et impliquer activement les citoyens belges dans le débat. Le 23 mai prochain, les chercheurs d’air organisent une mobilisation pour demander plus de rues scolaires. 

Les SUV, pollueurs massifs
Plus grands, plus puissants, plus lourds et surtout plus polluants, les SUV (Sport Utility Vehicles) ont un impact majeur sur l’environnement et la santé publique. Leur poids élevé et leur taille imposante, combinés à une consommation élevée de carburant en font de véritables « pollueurs ». En raison de leur poids, ces véhicules[C1] [PI2] , génèrent une quantité significative de particules nuisibles, principalement issues de l’usure des pneus sur la route. Si les émissions de particules provenant des échappements ont diminué grâce aux filtres, celles issues de l’usure des pneus et des freins ont, quant à elles, augmenté et représentent aujourd’hui plus de la moitié des particules générées par le trafic routier en Europe[25].
Outre l’émission de particules fines, ils sont par ailleurs responsables d’une hausse significative des gaz à effet de serre. Si les SUV formaient un pays, ils seraient le 5e plus gros émetteur de CO2 au monde. Enfin, Les SUV ne sont pas seulement une menace pour l’environnement, ils sont aussi beaucoup plus dangereux et plus souvent impliqués dans des accidents graves et mortels[26].

Le charme d’un feu de bois, mais à quel prix pour la santé ?
Les cheminées ouvertes produisent une combustion incomplète, ce qui génère une grande quantité de polluants gazeux et particulaires. En Wallonie, le chauffage au bois, tous types d’installations confondues, est ainsi responsable de plus d’un tiers des émissions de particules fines.
En plus de leur très faible rendement énergétique, leur impact sanitaire est considérable. En Europe, la pollution provenant du chauffage à bois est responsable chaque année de 40 000 décès prématurés[27]. Une récente étude, basée sur l’analyse du parcours de santé de 50.000 femmes aux USA, a par ailleurs montré que l’utilisation accrue de poêles à bois ou de feux ouverts augmentait considérablement le risque de développer un cancer du poumon. Ce risque augmenterait ainsi de 68 % pour une population se chauffant au bois minimum 30 jours par an en comparaison avec une population ne se chauffant pas au bois[28]. L’étude suggère par ailleurs que même la combustion occasionnelle de bois à l’intérieur contribue à l’augmentation du risque de cancer du poumon.

Références
[1] Vers une Belgique en bonne santé. 2024
[2] Les Directives de qualité de l’air de l’OMS fixent des valeurs limites de concentration pour les polluants dans l’air afin de protéger la santé humaine. Pour les PM2.5 par exemple (particules dont le diamètre est inférieur à 0,0025 millimètres), l’OMS recommande une concentration annuelle maximale de 10 µg/m³.
[3] Khomenko S, et al. Premature mortality due to air pollution in European cities: a health impact assessment. The Lancet Planetary Health. 1 mars 2021;5(3):e121‑34
[4] Bruxelles-Environnement.Qualité de l’air extérieur : état des lieux. 2024
[5] Qi Y, et al. Passage of exogeneous fine particles from the lung into the brain in humans and animals. Proceedings of the National Academy of Sciences. 28 June 2022; 119(26):e2117083119
[6] Bové H, et al. Ambient black carbon particles reach the fetal side of human placenta. Nat Commun. 17 sept 2019;10(1):3866
[7] Zorn J, et al. Effects of long-term exposure to outdoor air pollution on COVID-19 incidence: A population-based cohort study accounting for SARS-CoV-2 exposure levels in the Netherlands. Environ Res. 2024 Jul 1;252(Pt 1):118812
[8] Weaver AK, et al. Environmental Factors Influencing COVID-19 Incidence and Severity. Annu Rev Public Health. 5 avr 2022;43:271‑91
[9] European Environment Agency. Harm to human health from air pollution in Europe: burden of disease 2023
[10] European Environment Agency. Air pollution and children’s health, April 2023
[11] Cosemans C, et al. Prenatal particulate matter exposure is linked with neurobehavioural development in early life. Environmental Research. 1 juill 2024;252:118879.
[12] Paula K, et al. A dozen effective interventions to reduce car use in European cities: Lessons learned from a meta-analysis and transition management, Case Studies on Transport Policy. 2022; 10 (3): 1494-1513
[13] Pelgrims I, et al. Assessing the benefits of hypothetical air pollution reduction interventions on stroke in Belgium. European Journal of Public Health. 1 oct 2023;33(Supplement_2):ckad160.031.
[14] Vandeninden B, et al. Impact assessment of local traffic interventions on disease burden: A case study on paediatric asthma incidence in two European cities. Journal of Transport & Health. 1 Feb 2025;40:101953.
[15] Bruyneel L, et al. Positive Impact of the Introduction of Low-Emission Zones in Antwerp and Brussels on Air Quality, Socio-Economic Disparities and Health: A Quasi-Experimental Study. Rochester, NY: Social Science Research Network; 2024
[16] Leemans R, Dornier P. Plus d’une centaine d’écoles fondamentales bruxelloises surexposées au NO2. Les chercheurs d’air; 2024
[17] Den Hondt E. Interventiestudie schoolomgeving: Impact van schoolstraat. VITO; 2020.
[18] IVA Mobiliteitsbedrijf i.s.m. Transport & Mobility Leuven. Evaluatie Circulatieplan Gent. Transport & Mobility Leuven; 2018
[19] Van de Vel K, et al. Phasing out of combustion engine vehicles in the Brussels-Capital Region : impact on health. Bruxelles-Environnement; 2021
[20] Pelgrims I, Pauwels A, De Clercq E. Overview of air quality measures aiming to reduce emissions from road traffic and mitigate health impact in Belgium. Bruxelles: Sciensano; 2024 p. 58.
[21] Lauwaet D, et al. Impact van Nature Based Solutions in het Brussels hoofdstedelijk gewest. Bruxelles-Environnement ; 2020
[22] Aerts R, et al. Residential green space and mental health-related prescription medication sales: An ecological study in Belgium. Environ Res. août 2022;211:113056
[23] Pelgrims I, Pauwels A, De Clercq E. Overview of air quality measures aiming to reduce emissions from road traffic and mitigate health impact in Belgium. Bruxelles: Sciensano; 2024 p. 58.
[24] Membres du comité de suivi du projet BELAIR-POL: Department Zorg, SPF Santé Publique, Sécurité de la Chaine alimentaire et Environnement, Cellule Interrégionale de l’environnement (Celine), Vlaamse Milieumaatschappij (VMM), Les Mutualités Libres, Canopea, Institut Scientifique de Service Public (ISSEP), Bruxelles-environnement, Les chercheurs d’air, BRAL, Federal Planning Bureau, Kom op tegen kanker, Agence wallonne de l’Air et du climat (AWAC)
[25] Martini G. Scientific evidence on vehicle’s emissions 2018 : Preparing for the future European Emission Standards for Light and Heavy Duty Vehicles
[26] Nuyttens N. Impact des caractéristiques des véhicules sur la gravité des lésions des occupants de voiture et de la partie adverse. VIAS ; 2023
[27] Sigsgaard T, et al. Health impacts of anthropogenic biomass burning in the developed world. European Respiratory Journal. 30 nov 2015;46(6):1577‑88
[28] Mehta SS, et al. Indoor wood-burning from stoves and fireplaces and incident lung cancer among Sister Study participants. Environment International. 1 août 2023;178:108128