Il est beaucoup question de pollution intérieure dans les habitations et la sensibilisation aux risques des substances toxiques présentes dans notre air ambiant est lancée. Mais c’est oublier que les enfants passent aussi beaucoup de temps dans les crèches ou les écoles, où ils peuvent être tout aussi exposés… Mais dans quelle mesure au juste? Et quel impact faut-il craindre sur leur santé?
Le débat a fait rage autour du vote, en décembre dernier au Parlement européen, de la fameuse directive REACH (acronyme de Registration, Evaluation and Autorisation of Chemicals – soit Enregistrement, évaluation et autorisation des produits chimiques). Les polluants que nous retrouvons dans les objets, meubles ou autres produits de notre quotidien nous pourriraient la santé… Une accusation qui est relayée notamment par Greenpeace, le World Wildlife Fund ou encore le groupe ARTAC (Association française pour la recherche thérapeutique anti-cancéreuse) qui a lancé l’Appel de Paris (1). Cet appel, signé par de nombreuses personnalités, essentiellement du monde scientifique, mais également politique ou culturel, dénonce les effets délétères des substances chimiques utilisées pour fabriquer les objets et substances les plus usuels.
Dominique Belpomme , professeur de cancérologie à l’Université Paris-V et fondateur de l’association ARTAC a consacré plusieurs ouvrages à cette question (2). En décembre 2004, il s’alertait de l’évolution inquiétante des cancers, notamment ceux de l’enfant qui augmentent chaque année de 1% depuis les années 70.
De passage chez nous, il dénonçait ouvertement l’impact de l’utilisation des pesticides et autres produits chimiques couramment utilisés dans les industries. « Sur les 150 000 morts par an en France par cancer , il n’y en a que 30 000 dont le décès soit lié au tabac . Il reste donc à expliquer les 120 000 autres cas liés à notre mode de vie et à la pollution de notre environnement », explique-t-il. Et il s’inquiète de voir que, alors que les médecins luttent chaque jour avec les patients pour contrer la maladie, on ne se préoccupe que très peu de l’environnement qui est lui-même malade.
« Le plus grand nombre de nos maladies ne sont plus naturelles , mais artificielles , fabriquées en quelque sorte par l’Homme lui – même . Tel est le cas , en particulier , des stérilités masculines , des malformations congénitales , de la plupart des maladies cardiovasculaires , de l’obésité , de certains diabètes , des infections nosocomiales , des allergies , de l’asthme », clame-t-il sur le site de son association. « Or , précise-t-il, aucun des modes de vie comme l’alcoolisme , le déséquilibre du régime alimentaire , le surpoids , la sédentarité , les traitements de substitution hormonale … n’est mutagène . Or , pour développer un cancer , il doit impérativement y avoir des mutations . Et où se trouvent – elles ? Si elles ne sont pas dans le mode de vie , elles ne peuvent se trouver que dans l’environnement . Par ailleurs , on sait pertinemment que non seulement les rayonnements , ionisants et non – ionisants , mais également de nombreux produits chimiques sont mutagènes .»
Et le message du Prof. Belpomme est d’insister sur l’exposition des enfants, bien plus sensibles aux produits et substances cancérogènes notamment d’origine chimique, puisqu’ils sont contaminés par trois voies: in utero , par l’accumulation de polluants organiques persistants, potentiellement mutagènes ou immunosuppresseurs; après la naissance lors de l’allaitement, où ils sont encore exposés via la mère; et durant leur plus jeune âge puisque par rapport à leur poids, la quantité d’air respiré et d’eau ingérée, est plus importante que pour les adultes. Il constate que les déficits immunitaires ainsi que les maladies du système nerveux central sont également en augmentation.
Ce cri d’alarme a été largement relayé par les médias, mais également par d’autres associations et des partis politiques. Autour de la date du vote par le Parlement européen de la directive REACH, divers colloques et journées de débat ont eu lieu sur l’influence des produits chimiques et des objets usuels à base de ces substances, notamment sur la santé des enfants. Et pour soutenir ce mouvement, la presse a fait écho d’une journée de travail consacrée à la qualité de l’air intérieur dans les classes des écoles dans quelques pays d’Europe, en juillet 2005 à Paris (3). Les experts ont présenté les résultats d’études qui montrent l’influence de la présence de substances chimiques nocives dans les classes où des enfants restent plusieurs heures par jour.
Aérer, tout simplement
Cette journée d’étude française est d’autant plus intéressante que rien n’a été étudié dans notre pays. Et donc, connaître les observations de pays voisins peut ouvrir la réflexion chez nous.
Parmi les intervenants au colloque parisien, Anne-Marie Laurent , du Laboratoire d’Hygiène de la Ville de Paris, a livré les conclusions d’une étude menée dans 10 écoles de la capitale française: « Les résultats de composés organiques volatils ( COV ) ont révélé que l’air intérieur des écoles est surtout enrichi en hydrocarbures chlorés ( 1 , 1 , 1 – trichloroéthane et 1 , 4 – dichlorobenzène ) et en composés carbonylés ( aldéhydes , cétones et esters ). Les profils de COV en adéquation avec les activités scolaires ont permis de mettre en évidence l’impact des fournitures utilisées par les enfants ( feutres , colles , effaceurs …). Par ailleurs , des teneurs en formaldéhyde anormalement élevées ont été décelées dans une classe maternelle restructurée avec une mezzanine en bois aggloméré servant de dortoir .»
Globalement, la plupart des COV – hormis le benzène – et les aldéhydes sont plus concentrés à l’intérieur qu’à l’extérieur des classes; on constate même une concentration en formaldéhyde et acétaldéhyde excessive d’un point de vue sanitaire. Des taux moyens de 38.4µg/m³ ont ainsi été relevés dans les classes reprises dans cette étude, avec des pics de 66.8µg/m³.
Pour situer l’ampleur du problème, la norme européenne est fixée à 10µg/m³; au-delà de 30, on note des signes d’irritation. Il faut aussi se souvenir que le formaldéhyde est classé comme substance cancérogène… Par ailleurs, on retrouve dans une proportion non négligeable de classes des traces de moisissures.
Mais quel peut être l’impact de la présence de telles substances sur la santé des enfants? Séverine Kirchner , du Centre scientifique et technique du bâtiment français, explique: « Les principaux effets sur la santé observés sont les symptômes regroupés sous le vocable SBS ( Sick Building Syndrome ), à savoir les manifestations allergiques et la possibilité de transmission accrue de maladies respiratoires contagieuses . Les groupes de population considérés comme les plus susceptibles à une moindre qualité de l’air sont notamment les personnes allergiques ( y compris les asthmatiques ), les personnes présentant une hypersensibilité à des composés chimiques , celles souffrant de maladies respiratoires , de déficits immunitaires ( du fait d’une maladie ou d’un traitement ) et celles ayant une perception négative de la qualité de l’air .»
Mais des manifestations plus spécifiques aux enfants fréquentant des classes «polluées» ont également été relevées dans d’autres études, notamment scandinaves: « Elles montrent que la performance des élèves – déclinée en termes de temps de réaction , de notes obtenues , d’absentéisme ou de performance mentale subjective – est affectée par un taux de renouvellement d’air faible ou encore une concentration en CO2 élevée .» La présence excessive de polluants est liée au confinement: les classes les plus polluées sont à la fois trop isolées – le double vitrage ayant été placé pour des raisons évidentes d’économie d’énergie – et insuffisamment aérées…
Données manquantes en Belgique
Ces constatations, qui n’existent pas chez nous, devraient dès lors apporter de l’eau au moulin des médecins scolaires, habilités à conseiller aux enseignants à ventiler les classes, même à proximité de sources polluantes, comme des routes. L’un des intervenants à la journée d’étude française a conseillé une aération de minimum 4 heures… De quoi faire frémir les plus frileux en période hivernale… et les directeurs d’écoles lorsqu’ils voient leur facture de mazout…
Chez nous, on est encore loin du compte: bien que des normes pour la ventilation des locaux existent, il n’y a aucun contrôle: « Pour les salles de classe , la Région wallonne impose un renouvellement de l’air de 8 , 6m ³/ h / m ². Si l’on prend une petite classe de 40 m ² sur une hauteur de 2 mètres , il faudrait renouveler l’air 4 à 5 fois par heure . Or , ventiler a un coût , puisque ensuite , en hiver , il faut à nouveau chauffer cet air frais … Or , bien souvent , les écoles n’ont pas les moyens financiers pour le faire , d’autant plus avec l’augmentation du coût du mazout », souligne Alfred Bernard , toxicologue à l’Université Catholique de Louvain.
Pourtant, puisque les sources de pollution ne sont pas différentes dans notre pays, il n’y a pas de raison de penser que la situation en Belgique soit profondément différente de ce qui est observé en France: « Aujourd’hui , tout le mobilier ou presque est en contreplaqué et émet du formaldéhyde , notamment . Le matériel scolaire est de plus en plus chimique , avec de plus en plus de solvants et de COV . Bref , les sources de pollution sont de plus en plus nombreuses dans les classes . Et le coût du chauffage ne cesse de croître . Le dilemme entre faire des économies d’énergie et ventiler les classes se pose avec toujours plus d’acuité », poursuit le Pr Bernard.
Malheureusement, le premier est nettement plus facile à chiffrer que l’impact d’une mauvaise ventilation et l’exposition des enfants et des enseignants à cet air intérieur vicié. « J’ai aussi remarqué , dans certaines écoles que j’ai visitées , que dans les classes qui n’étaient pas ventilées , les enseignants avaient tendance à vaporiser des désodorisants pour masquer les odeurs résultant , justement , de ce manque de ventilation . Au lieu d’apporter une solution , ils aggravent , en toute bonne foi , le problème en ajoutant encore des substances chimiques . Sans parler des sanitaires qui sont hyperchlorés par l’utilisation abondante d’eau de Javel , qui vient aggraver l’exposition des petits enfants à une source polluante . Il me semble important de sensibiliser le corps enseignant à la nécessité de tout simplement aérer les locaux . En hiver , on peut imaginer que les fenêtres des classes soient ouvertes durant les récréations , ce serait déjà un progrès important . Il faut aussi que les directions d’école sachent qu’il existe des normes à respecter , même si elles ne sont pas contraignantes . Si elles existent , c’est qu’elles sont nécessaires , surtout dans un contexte d’épidémie d’asthme .»
Enfin, il y a aussi le problème qui peut se poser en amont, lors de la rénovation de bâtiments ou de nouvelles constructions. Une sensibilisation des pouvoirs organisateurs à l’utilisation de matériaux et produits de rénovation qui ne polluent pas l’air des classes, comme des peintures sans solvants par exemple, n’est pas farfelue. De même, des systèmes de ventilation pourraient également être inclus lors des travaux… Car ventiler est le mot d’ordre: « Il n’est pas facile de n’acheter que du mobilier en bois massif ou de bannir les fournitures scolaires sans solvants . C’est la raison pour laquelle il faut toujours insister sur cette nécessité de ventiler !», conclut Alfred Bernard. On ne ré-invente pas la roue, et la mesure est simple; ce qui l’est moins, c’est de changer les mentalités!
Les crèches aussi!
En janvier 2004, le ministre en charge de la Santé à la Région wallonne, Thierry Detienne , avait commandé une étude pour examiner la qualité de l’air dans les crèches du Hainaut. Le ministre s’était inquiété de la découverte de la présence de plomb dans une crèche sur deux, et avait donc décidé de connaître l’ampleur du problème de la qualité de l’air et de l’eau, dans un espace fréquenté par des tout-petits.
Quarante-six établissements ont donc été visités et examinés par les équipes d’ Etienne Noël , Médecin-directeur à l’Institut provincial d’hygiène et de bactériologie du Hainaut. « Pour ce qui est des substances chimiques , nous avons trouvé des traces de formaldéhyde dans quasiment toutes les crèches , mais le taux le plus élevé était en – deçà de la norme admise par l’OMS . Mais rappelons que ces seuils ne sont pas basés sur les spécificités physiologiques des enfants , et que l’impact de ces quantités même faibles sur des nourrissons n’est pas connu … Pour ce qui est des composés organiques volatiles ( COV ), nous avons recherché plus particulièrement le benzène , le toluène , l’éthyl – benzène , les mp – xylènes et l’o – xylène . Bien qu’en faibles concentrations , les COV ont été retrouvés en grand nombre dans l’air intérieur des crèches , avec parfois des « cocktails » de plus de 100 composés , contre 15 à 25 dans l’air extérieur .»
La présence de plomb a par ailleurs été constatée dans la moitié des établissements visités: soit dans l’eau alimentaire via la tuyauterie, soit dans les peintures murales, les éléments de jeux, les meubles, les plinthes… Bref, tout ce qui est à la portée des jeunes enfants. « Le plomb dans l’eau de distribution a été retrouvé dans 30 % des cas , avec des concentrations atteignant même parfois 1500 μg / l », précise Etienne Noël.
Si la situation des crèches hennuyères n’est pas dramatique, elle n’en reste pas moins inquiétante: ici aussi, une aération et une ventilation seraient nécessaires. De même, le choix de matériaux moins polluants ne serait pas superflu, même si plus cher…
A l’heure actuelle, il n’est donc pas toujours évident de relier avec certitude la présence de substances chimiques, avérées toxiques ou non, avec l’émergence de problèmes de santé, notamment chez les enfants. Cependant, le principe de précaution exigerait que l’on tape encore une fois sur le clou: à la maison, comme à la crèche ou à l’école, ventilons!
Carine Maillard
(1) http://www.greenpeace.be ; http://www.wwf.be/detox ; http://www.artac.info
(2) Dominique Belpomme, Ces maladies créées par l’homme , Ed. Albin Michel, 2004, 378 pages et Guérir du cancer ou s’en protéger , Fayard, 2005, 441 pages
(3) Journée scientifique sur la qualité de l’air dans les écoles organisée le 4 juillet 2005 à Paris par le réseau Recherche santé environnement intérieur (RSEIN) et l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur (OQAI).