Dans son dernier ‘check-up’ de notre système de santé, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE), en collaboration avec l’INAMI et avec l’Institut scientifique de santé publique (ISP), a examiné 106 indicateurs sur la période 2008-2013. Le tableau est mitigé: si la qualité des soins se situe dans la moyenne européenne, 34 signaux d’alarme ont été identifiés. Les constats en matière de promotion de la santé et de santé mentale interpellent particulièrement.
La promotion de la santé enfin évaluée
Les liens entre promotion de la santé et performance du système de santé sont très épineux à évaluer. À la demande des autorités, le KCE avait déjà tenté l’exercice dans le rapport 2012 lors d’une phase exploratoire qui considérait le cadre défini par Don Nutbeam comme un outil descriptif approprié, grâce à la classification des indicateurs de promotion de la santé en plusieurs grandes catégories, des plus proximaux (actions de promotion de la santé) aux résultats sanitaires et sociaux finaux (santé physique et sociale). Cette phase exploratoire avait déjà montré ses limites, la conclusion étant que le rapport sur la performance du système de santé ne pouvait par définition s’en tenir qu’à une description très limitée de la situation en matière de promotion de la santé.
«Une évaluation exhaustive du champ de la promotion de la santé nous obligerait à mesurer des dimensions cruciales des interventions dans ce domaine (la participation, l’autonomisation, la soutenabilité, l’approche multistratégique, l’équité et la multisectorialité), ce qui sort des objectifs originaux de ce rapport», mentionnent ainsi les auteurs.
Conscients des limites de l’exercice, ceux-ci soulignent la nécessité d’une évaluation distincte pour ce champ qui excède largement le cadre du système de santé, notamment si l’on considère les actions menées à l’école, dans le milieu professionnel, en matière de sécurité routière, etc.
Dans le rapport 2015, 13 indicateurs ont donc été finalement retenus, afin de permettre une description partielle représentative des catégories proposées par le cadre de Nutbeam, dans la lignée de la Charte d’Ottawa.
Bien que les paramètres les plus éloignés de l’action (résultats de santé ou modes de vie) soient plus faciles à documenter, des indicateurs plus proximaux, comme les connaissances en matière de santé, ont également été pris en compte. Dans la mesure du possible, la préférence a par ailleurs été donnée aux indicateurs pour lesquels le système de santé pouvait influencer, au moins partiellement, le résultat. «On estime généralement que la santé ne présente qu’un lien tenu avec le système de soins, celui-ci n’étant qu’un élément parmi la multitude de déterminants qui la façonnent (biologie, mode de vie, conditions sociales, environnement, politiques de santé…)», rappelle en effet le rapport. Un lien de cause à effet d’autant plus compliqué à élucider dans le champ de la promotion de la santé.
13 indicateurs pour la promotion de la santé
Dans le Rapport Performance 2015 du KCE, les trois premiers indicateurs de la promotion de la santé sont aussi des indicateurs utilisés pour mesurer ‘l’état de santé’. Il s’agit de la santé perçue par le patient, de l’espérance de vie sans invalidité à l’âge de 65 ans et de la mortalité évitable grâce aux politiques de santé.
Près de 78% des Belges s’estiment ainsi en bonne ou très bonne santé, avec un fort gradient socio-économique. L’espérance de vie sans incapacité à 65 ans est quant à elle de 11,2 ans pour les hommes et de 12,3 ans pour les femmes, avec une augmentation significative entre 2001 et 2013 (+2 ans environ). Concernant la mortalité évitable grâce aux politiques de santé (décès liés au tabac, à l’alcool, aux accidents de la route etc.), les résultats de la Belgique sont médiocres et contrastent avec ses résultats plus qu’honorables en termes de mortalité évitable grâce au système de soins proprement dit (appendicites, pneumonies, ulcères gastro-duodénaux, etc.).
Les dix autres indicateurs pris en compte sont spécifiques à la promotion de la santé. Le premier concerne la prévalence de l’obésité chez les personnes adultes, proche de la moyenne UE-15, avec 13,7% de la population présentant un IMC égal ou supérieur à 30. Des disparités régionales significatives apparaissent, puisque 16,1% des Wallons sont concernés contre 12,6% des Flamands. Le gradient socio-économique est lui aussi significatif.
Le deuxième indicateur, qui porte sur la prévalence du surpoids chez les enfants d’âge scolaire et les adolescents, est plus favorable: la Belgique est mieux classée que la plupart des pays européens, même si l’on peut s’inquiéter de la stabilisation des chiffres, en dépit des efforts engagés pour encourager une alimentation saine et une activité physique suffisante, «ce qui laisse à penser que ces efforts pourraient encore être intensifiés».
Le troisième indicateur concerne le taux de diagnostic du VIH qui reste stable, avec 10 nouveaux diagnostics par 100.000 habitants en 2013. Un résultat jugé peu satisfaisant, compte tenu du fait que l’on connaît pertinemment les moyens de prévenir cette infection.
Les indicateurs 4, 5, 6 et 7 concernent différents aspects du mode de vie. Premièrement, le tabagisme. Le rapport révèle que la Belgique compte 18,9% de fumeurs quotidiens, une moyenne proche de l’UE-15. Globalement, le tabagisme est en recul chez les deux sexes, ce qui est une bonne nouvelle.
En revanche, il apparaît que le degré d’activité physique est nettement trop faible et même en baisse par rapport à 2008, en particulier chez les femmes. Rappelons que le manque d’activité physique est pourtant considéré par l’OMS comme le 4e facteur de risque de mortalité dans le monde. Le rapport révèle par ailleurs que la consommation d’alcool à risque n’est pas alarmante mais que les nouvelles pratiques de ‘binge drinking’ sont en revanche très inquiétantes. Défini comme la consommation de plus de 6 unités de boissons alcoolisées à une même occasion, et ce au moins une fois par semaine, ce phénomène concerne 8,5% de la population belge, en majorité des hommes jeunes. À noter que si le gradient socio-économique intervient dans la consommation d’alcool, il est inversé pour les femmes: celles qui sont le mieux placées sur l’échelle sociale sont aussi plus nombreuses à avoir une consommation problématique.
L’indicateur 8 prend en compte l’utilisation du DMG+ (22% des 45-75 ans), module ajouté au dossier médical global géré par le médecin généraliste et contenant des données relatives à la promotion de la santé et aux soins préventifs. Rappelons à ce propos que le DMG+ n’est plus financé depuis le 1er janvier 2016 (suppression du code de nomenclature) mais que des recommandations spécifiques de prévention devraient être intégrées dans une nouvelle définition du DMG en préparation. La liste des recommandations devrait d’ailleurs être étendue aux plus de 75 ans.L’indicateur 9 mesure pour sa part les connaissances en santé, essentielles à l’alphabétisation en santé, autrement dit à l’autonomisation du patient. Et pour le coup, les résultats sont sans appel: une étude réalisée en 2012 via internet met au jour des connaissances insuffisantes chez près de 40% de la population. Enfin, en matière de contrôle du tabac (indicateur 10), paramètre qui se réfère aux politiques publiques visant à maîtriser la consommation tabagique, il apparaît que la Belgique se classe au milieu de l’échelle européenne. «Aucun des indicateurs sélectionnés dans le domaine de la promotion de la santé et du mode de vie ne livre de bons résultats. Nombre d’entre eux affichent même un score médiocre voire franchement mauvais», concluent les auteurs du rapport.
Suicides et antidépresseurs
Parallèlement à ce constat inquiétant, il apparaît que le secteur de la santé mentale peine lui aussi à évoluer. Comme pour la promotion de la santé, le Rapport Performance souligne la difficulté d’une évaluation optimale, notamment concernant l’impact des récentes réformes qui vont dans le sens de la désinstitutionalisation : hospitalisations plus courtes, insertion et réintégration des patients psychiatriques dans la société, services alternatifs au sein de la communauté. Compte tenu de l’absence de données disponibles pour évaluer les impacts de cette mutation qui touche la plupart des pays industrialisés, le rapport Performance estime qu’«il n’a pas été possible de développer des indicateurs pertinents pour le suivi de ces évolutions (p.ex. gestion de cas).» Il a donc fallu se rabattre sur des indicateurs généraux – comme le taux de suicide – ou relatifs aux hospitalisations psychiatriques – comme le nombre de jours d’hospitalisation dans un centre psychiatrique ou les admissions sous contrainte. Dix indicateurs ont ainsi été examinés.
Avec 18,3 suicides pour 100.000 habitants, la Belgique – malgré un léger recul – se situe bien au-dessus de la moyenne des pays européens (10,6 dans l’UE-15). «Il n’est pas possible de tirer des conclusions claires de ces résultats – le suicide n’est en effet qu’un indicateur de substitution pour l’état de la santé mentale d’une population et doit être considéré en combinaison avec d’autres paramètres», nuance le rapport qui reconnaît néanmoins l’existence d’une marge d’amélioration. Exemple? Un rapport récent des mutualités socialistes révèle que 27% de leurs affiliés hospitalisés suite à une tentative de suicide (environ 4.000 personnes entre 2011 et 2013) n’ont pas bénéficié d’une consultation de suivi chez un médecin généraliste ou un psychiatre au cours des trois mois suivant la sortie !
Les différences sont par ailleurs très marquées entre régions, avec un taux de suicide sensiblement plus élevé en Wallonie (21,9/100.000 habitants) qu’à Bruxelles (11,9) et en Flandre (17,4). «Le taux apparemment faible enregistré à Bruxelles pourrait toutefois découler d’un artefact de données (p.ex. communication tardive des causes de morts violentes par le procureur)», précisent les auteurs du rapport.
Autre dossier sensible en santé mentale : les prescriptions d’antidépresseurs. En augmentation partout en Europe, elles atteignent des records en Belgique, avec 71 DDD (doses quotidiennes déterminées) par jour pour 1000 habitants contre 64,6 DDD en moyenne dans les autres pays européens.
On observe par ailleurs une consommation nettement plus élevée en Wallonie (88,1) qu’en Flandre (65,1) ou à Bruxelles (54,7). «Il conviendrait d’examiner si cette différence s’explique par des différences socioéconomiques et démographiques ou si elle découle d’autres causes (culture médicale, diffusion des directives evidence-based…)», avancent les auteurs.
En regard du rapport 2012, deux indicateurs supplémentaires livrent des informations intéressantes sur ces prescriptions. Le premier concerne le pourcentage d’adultes ayant pris des antidépresseurs au cours de l’année écoulée : celui-ci était en diminution au cours des dernières années mais s’avère aujourd’hui relativement stable (13,4% en 2013). Sans surprise, les taux de prescription les plus élevés sont observés parmi les seniors bénéficiant de soins de longue durée : 37,4% chez les patients traités à domicile, 47% chez les patients vivant en MRS/MRPA et 16,6% chez ceux qui ne reçoivent pas de soins de longue durée…
L’autre nouvel indicateur est la mesure du respect des recommandations concernant ces médicaments. Il apparaît en effet que, si la dépression majeure nécessite au moins trois mois de traitement par antidépresseurs avant de connaître une amélioration significative, un pourcentage élevé d’adultes sous traitement – 47,4% en 2013 – prennent ces médicaments pendant une période plus courte. Par ailleurs, cet indicateur prend également en compte la prescription de certains antidépresseurs connus pour leurs effets secondaires anticholinergiques (cause potentielle de chutes) chez les personnes âgées : elle est stabilisée à 15% mais atteste, comme le point précédent, d’une consommation encore largement inappropriée d’antidépresseurs. Voilà peut-être la forêt que cache l’arbre de la ‘surconsommation’.
Au vu de ces chiffres, il apparaît très clairement que les prescriptions d’antidépresseurs s’accompagnent d’une information parcellaire du patient, ce qui ne promeut pas son autonomie.
La désinstitutionalisation invisible ?
Malgré les réformes récentes, le nombre de journées d’hospitalisation psychiatrique de 2008 à 2013 reste élevé. Paradoxalement, le nombre de jours d’hospitalisation en psychiatrie par année semble même avoir augmenté entre 2000 et 2012, passant de 304 pour 1000 habitants à 336 pour 1000 habitants. Deux autres variables qu’on s’attendrait à voir diminuer restent également stables : les passages aux urgences pour des problèmes sociaux, mentaux ou psychologiques (1,5% des admissions aux urgences dans les hôpitaux généraux en 2008 et 2012) et le nombre d’hospitalisations sous contrainte dans une structure psychiatrique (6,8 pour 10.000 habitants en 2008; 7,0 en 2012). Ici, c’est la Flandre qui affiche un nombre plus élevé de jours d’hospitalisation en psychiatrie. «Nous ne savons pas si ces admissions sont appropriées ou si elles résultent de lacunes dans l’offre de services (p.ex. manque d’alternatives au sein de la communauté, gestion des cas insuffisante)», expliquent les auteurs du rapport.
À noter que les données flamandes révèlent qu’une proportion non négligeable de patients (37% en 2013) doit par ailleurs attendre un mois ou plus pour un premier contact avec un centre de santé mentale ambulatoire et que ce nombre a légèrement augmenté au fil du temps – ce qui tendrait à crédibiliser la seconde hypothèse.
«Les résultats des indicateurs touchant à la santé mentale et aux soins dans ce domaine restent alarmants. Le fruit des réformes passées n’est pas (encore) suffisamment visible et les taux de suicide demeurent élevés. De plus, le suivi de la performance reste délicat car les systèmes de données devraient idéalement permettre un monitoring de l’ensemble du parcours de soins (y compris au niveau ambulatoire), ce qui n’est pas encore suffisamment le cas», conclut le rapport.
Nul doute que l’enjeu de l’évaluation reste central pour ces domaines de la promotion de la santé et de la santé mentale, qui pâtissent, dans leur exercice quotidien, d’un manque de données aisément valorisables. Mais un système de santé ‘performant’ se doit d’autant plus de les intégrer que les ‘maladies de civilisation’ gagnent du terrain.
L’auteure remercie Françoise Renard et France Vrijens pour leur aide.
L’UE-15 correspond à l’ensemble des pays membres de l’Union européenne entre 1995 et 2004, par opposition à l’Union européenne actuelle (UE-28). Elle fait ainsi référence aux pays européens les plus économiquement développés, à savoir l’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Danemark, l’Irlande, le Royaume-Uni, la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Autriche, la Finlande et la Suède.