Janvier 2006 Par Véronique JANZYK Initiatives

Le taux de suicide est de 21,1 pour 100 000 en Belgique. Le taux de suicide des 65-74 ans est de 23,4 et de 39,7 après 75 ans. Le taux monte à 35,5 pour 100 000 chez les hommes de 65 à 74 ans et à 86,8 au-delà de cette tranche d’âge. Pour les femmes, il est de respectivement 13,6 pour 100 000 entre 65 et 74 ans et de 15,6 pour 100 000 au-delà. Les provinces de Hainaut et de Liège apparaissent plus touchées que les autres. Les personnes âgées sont deux fois plus nombreuses que les jeunes à mettre fin à leur vie de manière intentionnelle. Et le taux de suicide est deux fois plus important en maison de repos qu’au domicile. Une situation analysée lors d’un récent colloque de l’Institut européen interuniversitaire de l’action sociale (IEIAS).
Certaines personnes âgées partagent avec les adolescents un sentiment d’inutilité, une peur du déficit psychique et la crainte de l’incapacité sexuelle. Trois facteurs parmi d’autres qui, hypothèse, conduisent certains et certaines parmi ces deux tranches d’âge à en finir avec la vie. Selon Claude Renard , Vice-président de la Société francophone de prévention du suicide, un véritable problème sociétal se pose avec le suicide des personnes âgées: il intervient à une période de la vie où la mort se profile comme étant dans l’ordre naturel des choses, à la différence des jeunes où le nombre d’années de vie potentiellement perdues est très important. Pourtant les chiffres sont aussi écrasants que la réalité qu’ils cernent: sur les 2146 suicides annuels en Belgique, plus de 350 concernent des hommes de plus de 65 ans et 150 des femmes de plus de 65 ans. Les aînés s’empoisonnent, se défenestrent, se pendent aux potences de leur lit, recourent aux armes à feux. « Mais il est d’autres modes opératoires que ceux là encore , nommés équivalents suicidaires , explique Claude Renard. Ils et elles arrêtent de prendre un traitement . Je pense aux diabétiques . Des cardiaques se mettent à faire un sport violent . Il existe aussi ce qu’on qualifie de syndrome de glissement , soit une conduite passive de refus de la vie .» On notera que les derniers chiffres disponibles datent de 1997. Et qu’ils donnent une vision sous-évaluée du problème: une étude auprès des médecins généralistes montre qu’il est arrivé à un médecin traitant sur deux de déclarer comme accident un suicide, et cela notamment dans un souci de protéger l’entourage.

Culture

Les taux de suicide les plus élevés se trouvent en Hongrie, Croatie, Slovénie, Autriche, Suisse, Belgique, France, Ukraine, Allemagne, Luxembourg, Suède, Danemark. Les taux sont nettement plus bas à Malte, en Grèce, en Irlande, au Royaume-Uni, en Pologne, en Norvège, aux Pays-Bas, en Italie, en Roumanie, en Finlande, au Portugal et en Espagne.
Un classement à mettre en rapport avec des choix politiques. « On a en Irlande , explique Claude Renard, une politique de reconnaissance de l’acquis des connaissances et des compétences acquises avec l’organisation d’échange de savoirs . Les aînés sont mis à contribution
On pourrait relever aussi le «poids» de la religion. « Des études américaines , je pense à celles de Charles Reynolds , et irlandaises , se sont penchées sur les rapports entre psychiatrie et religion », explique le Dr Jérôme Pellerin du Service de psychiatrie de la personne âgée de l’Hôpital Charles Foix d’Yvry-sur-Seine. Une dimension difficile à prendre en compte dans l’installation d’une véritable politique de prévention du suicide, comme l’a souligné une représentante du Centre de prévention du suicide… Ce qu’ Hélène Reboul , gérontologue et professeur à l’Université de Lyon II, illustre par le cas de Freud: « Celui ci , atteint du cancer , avait fait promettre à son fidèle médecin de lui faire une piqûre finale . Mais ses convictions religieuses rendaient en fait le suicide impossible
Anthropologue des religions, Kadri Agha y va, lui, de son cri d’alarme: « Notre société suicide les vieux . Le jeunisme ambiant est mortifère . Il faut être conservé . Vieillir est hors normes . Pour 85 % de l’humanité , les vieux sont une référence sociale . Ils transmettent des valeurs . Ce que font les personnes âgées en se tuant , c’est ne pas mourir . Ne pas accepter l’indifférence dans laquelle le groupe les maintient . En même temps , paradoxalement , ils soulagent la société du poids qu’ils sentent bien être . Qu’est ce que ce monde qui nous fait vivre plus longtemps physiologiquement mais qui nous tue psychologiquement

Dépression

Selon le Dr Françoise Dumont , psychiatre à l’Hôpital Vincent Van Gogh (Charleroi), le diagnostic de la dépression chez la personne âgée est crucial en matière de prévention du suicide. « On peut dire , explique-t-elle, que 90 % des tentatives de suicide se déroulent en présence d’une affection psychiatrique . Si le taux de dépression dans la population générale peut être estimé à 20 %, il peut croître jusqu’à 40 % en maison de repos . Il est important de l’identifier , car si le grand âge est un facteur tertiaire et l’isolement social un facteur secondaire , la dépression , elle , est bien un facteur primaire que l’on peut désamorcer .» Le sous-diagnostic a plusieurs causes: une croyance erronée, comme si grand âge et dépression allaient de pair; pudeur des personnes âgées à évoquer leurs états d’âme. « Cependant , poursuit le Dr Françoise Dumont, les médecins qui prennent l’initiative de poser des questions sur l’état affectif de leurs patients âgés obtiennent un meilleur taux de diagnostic de la dépression . L’information est importante lorsqu’on la met en rapport avec le fait que 75 % des personnes âgées se suicidant ont consulté un médecin dans le mois précédant l’acte
Parmi les questions à investiguer par les médecins: le sommeil, comme porte-parole de la douleur morale, les angoisses matinales, la mobilité, mais aussi la constipation «qui peut être un indice d’un non dit émotif ». Et la psychiatre carolorégienne de rappeler que les antidépresseurs sont bénéfiques dans 80 % des traitements et qu’un tiers des dépressions sont ainsi guéries sans rechute. Le Dr Pellerin (Hôpital Charles Foix) met cependant en garde de s’engouffrer trop rapidement dans l’hypothèse dépressive: « L’explication peut rassurer entourage et professionnels . C’est une cause qui trouve son origine dans la personne qui est morte ou a voulu mourir .» Et de s’interroger: « N’existerait il pas des suicides réussis , choisis
Véronique Janzyk