Sandrine Roussel de l’Université Catholique de Louvain, Marie Porcu de la Clinique Mont-Légia , François Martin du CH Dreux (expert pour Innoviris), et Stephan Van Den Broucke de l’Université Catholique de Louvain.
INNOVIRIS, l’Institut bruxellois pour la Recherche et l’Innovation, finance des projets de recherche thématiques, associant équipes de recherche et organismes intéressés par les implications directes de ces recherches, les projets Bridge. En 2017, l’appel à projets concernait la médecine personnalisée et les soins intégrés. CARE-TEST fait partie des projets sélectionnés. Il bénéficie du parrainage de la Mutualité Chrétienne, de la Société Scientifique de Médecine Générale, de l’Association Pharmaceutique Belge et de l’Association Belge des praticiens de l’art infirmier.
A l’issue de la recherche qualitative ‘CARE-TEST’ en région de Bruxelles-Capitale, voici les recommandations formulées par l’équipe de recherche concernant les relations patient-médecin-pharmacien à l’épreuve des autotests à visée diagnostique.
CARE-TEST s’intéresse aux relations patient-médecin-pharmacien, en général et à ces relations dans le contexte des autotests à visée diagnostique0 , en particulier. Les autotests sont un phénomène récent en Belgique. Ils pourraient créer un nouvel équilibre dans la relation patient-professionnel, dans la mesure où le patient peut réaliser un test, sans l’intervention d’un professionnel de santé. Cet équilibre pourrait induire plus de partenariat 1, 2. Une marge d’amélioration est en effet possible : les pratiques d’éducation du patient sont encore souvent limitées à une transmission unilatérale d’informations biomédicales sur la maladie 3-5, alors que des approches partenariales impliquant le patient dans la gestion de sa santé/maladie s’avèrent plus efficaces. Ces approches considèrent le patient et le professionnel comme dépositaires de connaissances propres de la santé/maladie. Elles impliquent la décision partagée, comprennent un travail sur la motivation basé sur les objectifs du patient et consistent en un accompagnement progressif vers l’autonomie. L’autonomie est comprise comme la capacité de gérer sa santé au quotidien (autonomie fonctionnelle) mais aussi de faire des choix éclairés en matière de santé (autonomie décisionnelle). Il ne s’agit pas de gérer sa santé indépendamment de tout professionnel de santé3.
CARE-TEST considère les autotests comme un élément de contexte susceptible d’interroger les relations patient-médecin-pharmacien. Il ne s’agit ni d’étudier les autotests, ni de les promouvoir.
Méthodologie
Cette recherche qualitative exploratoire a été menée, par entretiens semi-directifs, auprès de 17 patients, 25 médecins et 16 pharmaciens de la Région de Bruxelles-Capitale. Elle a été réalisée de l’été 2018 à l’été2019, soit avant la pandémie de Covid-19. Elle visait à obtenir une vue d’ensemble des relations patient-médecin-pharmacien, à explorer les représentations des autotests ainsi qu’à comprendre les changements escomptés dans les relations patient-professionnel et médecin-pharmacien, suite à l’introduction des autotests en officine. La durée moyenne des entretiens était de 69 minutes [33min ; 148min]. Une analyse thématique réflexive a ensuite été menée.
Recommandations-clés
Cet article présente les recommandations-clés relatives aux relations patient-professionnel. Le lecteur désireux de prendre connaissance de l’ensemble des résultats/recommandations trouvera, à la fin de l’article, un lien permettant d’accéder au rapport de recherche.
Les principaux changements escomptés par les participants à la recherche étaient plus d’autonomie, au sens de « se réapproprier sa santé » pour le patient et un risque de mise à l’écart du médecin. Les autotests pourraient en effet encourager une prise de distance du patient vis-à-vis du monde médical (notamment par des pratiques d’auto-traitement), faute précisément de relations partenariales préalables. En effet, des tendances sont favorables à une telle évolution. Elles soulignent la pertinence de développer des approches partenariales, en amont.
Voici un exemple. Des patients favorables aux autotests étaient insatisfaits du peu de dialogue dans leur relation avec les médecins. Les médecins défavorables aux autotests présentaient quant à eux des pratiques peu partenariales. La réalisation d’un autotest par le patient risque d’être accueillie négativement par ces médecins. Cette réaction pourrait alors renforcer la prise de distance par le patient.
Les recommandations reposent sur :
- les résultats de recherche. Les résultats correspondants sont spécifiés après chaque recommandation, sous l’intitulé « observations » ;
- les propositions émises par les participants à la recherche. Elles permettent d’optimiser l’adhésion aux recommandations ;
- une discussion des recommandations avec les parrains de la recherche ;
- le cadre idéologique de la recherche. CARE-TEST vise le développement et le maintien de relations partenariales.
Recommandations pour le terrain
Assurer un « service de base »
L’idée est ici de proposer une approche qui satisfasse les attentes du patient afin de ne pas encourager une prise de distance vis-à-vis du monde médical. Il s’agit d’une approche à minima.
- Le médecin : donner au patient des informations claires et compréhensibles, sur la maladie, les causes, le pourquoi du traitement. Respecter ses options de santé (plus ou moins de médicaments, d’examens perçus comme invasifs, d’acharnement thérapeutique). Réévaluer « régulièrement » les desiderata du patient en matière de participation.
Observations : Les patients attendent au minimum cette approche. Répondre à cette attente, c’est aussi prévenir la « non-observance » du patient voire sa rupture avec le monde médical, faute de « dialogue ». Les souhaits du patient peuvent varier vers plus ou moins de participation, suite à l’apparition/aggravation d’une pathologie.
- Le pharmacien : fournir au patient une information sur le « produit », systématique, compréhensible et acceptable pour celui-ci. Un tel rôle permet aussi de faire évoluer l’image du pharmacien. Sensibiliser, en amont, le pharmacien aux outils existants (phrases-types, fiche didactique, étiquettes à apposer sur la boite).
Observations : accompagner la délivrance d’un produit pharmaceutique par une information ne fait pas partie des routines de toute officine. Elle peut être conditionnée à l’affluence à l’officine, l’existence d’une prescription, la demande du patient, la motivation du pharmacien… En l’absence de ces conditions, le « produit » est délivré sans information. Il n’est parfois pas utilisé notamment en raison de son incompatibilité avec le traitement existant.
Viser des relations partenariales
L’idée est ici d’évoluer vers un véritable partenariat.
Recommandations portant sur la formation
- Le patient : intensifier les efforts en matière d’éducation santé, en la rendant systématique lors de la scolarité obligatoire. Les séances seraient données par des professionnels qualifiés, légitimes pour en parler et formés aux approches partenariales. Les contenus suggérés sont : situer ses organes, identifier les signaux d’alarme, acquérir un esprit critique en regard des informations, connaitre les implications pratiques des droits du patient, communiquer avec le généraliste…
Observations : le niveau de littératie en santé6 de la population est perçu comme bas, par les patients et par les professionnels. Ce bagage insuffisant est décrit comme maintenant le patient dans la passivité voire dans la surconsommation d’examens/soins/médicaments, par manque d’esprit critique. Il complique aussi le travail du professionnel qui ne peut s’appuyer sur une base minimale pour informer. Enfin, il ne permet pas au patient de dialoguer avec le professionnel.
- Le professionnel de santé : former systématiquement les (futurs) professionnels aux approches partenariales, en formation initiale et continue. Discuter les concepts qui s’inscrivent dans un discours de « participation ». Sensibiliser à la pertinence d’une démarche partenariale en encourageant l’utilisation de typologies permettant de situer sa pratique en regard de la participation.
Observations : les relations patient-professionnel ne sont pas massivement partenariales. Or, une partie des patients est en demande de relations plus partenariales avec le médecin et les patients les plus satisfaits de leur relation avec le pharmacien sont ceux qui ont établi une relation égalitaire, de confiance avec lui. Par ailleurs, les approches partenariales sont déployées par des professionnels formés à ces approches. Enfin, un discours de « participation » (expliquer, patient partenaire, responsabilité partagée, autonomie, négocier, etc.) est intégré au langage du professionnel. Il recouvre toutefois des pratiques variées. Il peut être mal aisé pour le professionnel d’estimer dans quelle mesure sa pratique est partenariale.
Recommandations portant sur les sources d’information
- Mettre à disposition des sources d’informations fiables, compréhensibles et à jour (par exemple des sites web avec une navigation, une fonction de recherche et une impression papier aisées) afin de faciliter le dialogue. Cette recommandation vise la relation patient-généraliste, elle est toutefois valable pour tout professionnel de santé.
Observations : l’information sur Internet peut être de mauvaise qualité. Disposer d’un support papier pouvant être lu après consultation est utile pour certains patients.
Recommandations relatives à la gestion des données
- (Re)Penser la circulation des données de santé du patient entre les professionnels ainsi qu’entre le patient et le professionnel. Trouver un équilibre entre accessibilité et respect de la vie privée.
Observations : des patients craignent de vieillir dans un système « où il est nécessaire d’être suffisamment bien pour assurer le suivi de sa santé ». Le délai pour accéder aux résultats en ligne est jugé trop long. Il ne permet pas au patient d’être acteur de santé. Par ailleurs, l’informatisation préoccupe patients et médecins sur les dimensions suivantes : le respect du non partage de données demandé par le patient, la protection des données vis-à-vis de tiers et le risque de commercialisation des données.
Recommandations portant sur le rôle du pharmacien
- Mener une réflexion sur la profession de pharmacien d’officine et son avenir, par les pharmaciens. Cette réflexion intégrerait la relation à la personne et aux autres professionnels de santé. Les questions suggérées sont : qu’est-ce qu’un bon pharmacien ? Quelles compétences doit-il avoir ? Comment les développer ? Quelle est la place du conseil, de la vente ? Clarifier ensuite les rôles respectifs du médecin et du pharmacien en matière de « suivi » du patient.
Observations : le pharmacien est perçu comme une « profession en crise ». La perspective des autotests souligne des crispations sur le plan de la répartition des rôles entre médecin et pharmacien. L’utilisation que pourrait en faire le pharmacien (information fournie, initiation du traitement, …) suscite la méfiance de certains médecins et la réprobation de quelques pharmaciens. La réaction escomptée du médecin plonge des pharmaciens dans l’inconfort. Cette situation n’est pas spécifique aux autotests. Elle est vécue au quotidien lors de la substitution et l’avance de médicaments.
- Autres points d’attention : outiller le professionnel pour la gestion des « mauvaises nouvelles » ; former les soignants aux pathologies transmissibles (afin d’éviter les mesures de protection inadaptées qui nuisent au soin) ; poursuivre les efforts en vue d’une approche concertée avec les patients maitrisant d’autres langues ou issus d’autres cultures, tout en capitalisant ces initiatives.
Recommandations pour la recherche
- Déterminer dans quelle mesure les tendances observées sont présentes dans la population bruxelloise, par des recherches à plus grande échelle.
Observations : La recherche est qualitative. Elle permet de mettre en évidence l’existence de tendances mais ne donne pas d’indication sur l’ampleur de ces dernières.
- Etudier dans quelle mesure la notion de fiabilité (…à traduire pour la rendre intelligible !) est maitrisée et souhaitée par les patients, médecins, pharmaciens.
Observations :Il n’existe de consensus ni sur la pertinence d’en parler au patient, ni sur le degré de maitrise de cette notion par les professionnels.
Conclusion
Les autotests, apparus dans un contexte peu partenarial, ont eu un succès très limité sur le plan du volume des ventes. Ils invitent à réfléchir plus globalement aux balises d’une relation plus partenariale. D’autres dispositifs d’automesure feront en effet tôt ou tard leur apparition. Or, dans une relation égalitaire apaisée, les autotests apparaissent comme un outil au service de la relation patient-professionnel, non comme un outil de dérégulation de cette dernière.
Enfin, si les présentes recommandations concernent les patients, les médecins et les pharmaciens, celles-ci s’inscrivent dans le contexte d’une politique de soins de santé. Des relations partenariales patient-professionnel nécessitent des efforts concertés, dans la durée (éducation pour la santé, formation, contexte favorable…).
Le rapport de recherche sera disponible sur http://hdl.handle.net/2078.1/249438, en septembre 2022. Il est disponible sur demande auprès de : sandrine.roussel@uclouvain.be .
[0] Ce terme désigne ici les autotests commercialisés en officine à l’automne 2016. Ils peuvent être réalisés et interprétés par le patient lui-même. Ils concernent les infections urinaires, le VIH, la maladie de Lyme, le tétanos, le Chlamydia, le cholestérol… Ils n’incluent pas les tests de grossesse et les autotests Covid-19. Le terme « autotest » sera utilisé dans cet article.
[1] Szasz TS, Hollender MH. A contribution to the philosophy of medicine. The basic models of the doctor-patient relationship. AMA Archives of internal medicine. 1956;97(5):585-92.
[2] Botelho RJ. A Negotiation Model for the Doctor-Patient Relationship. Fam Pract. 1992;9(2):210-8.
[3] Roussel S. Interactions entre les représentations sociales des professionnels de soins de santé et leurs pratiques d’éducation du patient [Thèse de doctorat]. Bruxelles: Université Catholique de Louvain; 2016. http://hdl.handle.net/2078.1/177070
[4] Chambouleyron M, Lasserre-Moutet A, Lagger G, Golay A. History of patient education, what a story! Med Mal Metab. 2013;7(6):543-7.
[5] Hoving C, Visser A, Mullen PD, van den Borne B. A history of patient education by health professionals in Europe and North America: From authority to shared decision making education. Patient Educ Couns. 2010;78(3):275-81.
[6] Les participants parlent de niveau d’éducation santé « bas ». Le terme « littératie » n’était pas utilisé par les patients et utilisé dans une acception souvent limitée par les professionnels (« utiliser des mots simples »). La littératie en santé est la capacité d’accéder à l’information, de la comprendre, de l’évaluer et de l’appliquer afin d’améliorer/maintenir sa santé et sa qualité de vie. L’éducation santé est un moyen pour parvenir à un niveau plus élevé de littératie.