En Belgique, comme dans toute l’Europe de l’Ouest, l’accès à la santé est très inégal et ce, malgré les progrès thérapeutiques et technologiques et malgré le renforcement de l’accès aux soins. Même lorsque les services sont financièrement accessibles, les personnes socialement défavorisées sont en moins bonne santé et meurent plus jeunes. Le réseau liégeois ROSALIE a été mis sur pied pour tenter de répondre aux besoins de ces populations et des professionnels qui les accompagnent.
«Monsieur, porteur du sida, raconte que ce sont les gens de son village qui lui ont jeté un sort. La nuit, dans sa chambre, il les entend parler et rire.», «Comment cette dame qui a subi des mutilations génitales peut-elle être soignée alors qu’elle est sans-papiers?», «Voilà plusieurs fois que Monsieur et Madame n’amènent pas leur enfant à un rendez-vous médical important. On m’a dit qu’ils étaient candidats réfugiés politiques et qu’ils venaient de recevoir une décision négative. Mais je ne sais pas exactement ce que cela signifie…».
Les professionnels qui développent des projets à l’attention des publics précarisés sont souvent confrontés à des situations pour le moins délicates, et doivent réagir dans l’urgence la plupart du temps. Comment intervenir avec ces personnes ? Comment interpréter leurs paroles et leurs actes ? Comment communiquer dans le respect des différences ?
ROSALIE est le Réseau d’observation des réalités sociales et de promotion de la santé sur l’arrondissement de Liège. Il est composé de nombreux professionnels de l’arrondissement de Liège (1) qui ont souhaité renforcer le travail en réseau pour construire une vision partagée des liens entre santé des populations précarisées et réalités sociales de terrain.
Ses finalités sont à la fois de soutenir le lien entre professionnels, d’adapter au mieux leur travail aux besoins et aux attentes des populations précarisées, et de faire prendre en compte ces réalités (et l’impact de toute nouvelle mesure les concernant) aux institutions et représentants politiques.
Plus précisément, il s’agit :
– d’élaborer une connaissance partagée des liens entre la santé des populations précarisées et les réalités sociales de l’arrondissement de Liège (sur base des observations et de l’expérience des acteurs de terrain, mais aussi sur de données chiffrées fournies par les membres du réseau);
– de relayer ces connaissances aux structures et institutions d’observation existantes;
– de créer du lien entre professionnels et représentants politiques et de relayer ces connaissances à ces derniers;
– de créer du lien entre professionnels (sur base de valeurs partagées);
– de créer du lien entre les réseaux.
Concrètement, ROSALIE est l’occasion pour les représentants de différents réseaux, les acteurs de seconde ligne et les responsables institutionnels de se rencontrer et d’échanger afin d’identifier les publics précarisés (sur base d’indicateurs de précarité partagés), les besoins exprimés et les données disponibles, les acteurs et leurs pratiques, les atouts et difficultés (dans les pratiques), les enjeux éthiques, les spécificités liégeoises et le type de lien à développer avec les décideurs politiques.
Le processus est basé sur l’échange de savoirs et de pratiques. L’ensemble des partenaires a exprimé son intérêt pour une approche systémique et intersectorielle des inégalités sociales de santé, qui tienne compte des spécificités locales. Chacun a souligné l’intérêt d’un décloisonnement afin de mettre en place des actions concertées et pertinentes.
Afin d’officialiser leur appartenance à ROSALIE et de s’accorder sur des valeurs communes, ses membres ont rédigé collectivement et signé une Charte d’engagement reprenant la philosophie du projet et ses objectifs, ainsi que les attentes vis-à-vis des membres. En 2011, il s’agissait d’abord d’élaborer une définition commune de la précarité à partir de la vision qu’en a chacun. Il s’agissait ensuite, sur base d’une grille construite collectivement, d’inviter chaque membre à présenter ses données quantitatives et qualitatives utiles au réseau (afin d’identifier ce qui se fait, ne se fait pas et ce qu’il faudrait faire). Il a également fallu définir des actions et recommandations opérationnelles (2). Enfin, le réseau a poursuivi la diffusion du cahier de recommandations auprès des représentants politiques.
Les premiers constats se dégageant des présentations et des échanges ont mis en évidence que :
– une part de plus en plus grande de la population de l’arrondissement de Liège se retrouve dans une situation de précarité;
– parmi ces personnes, on trouve une proportion croissante d’étrangers sans statut ni droits sur le territoire belge;
les professionnels qui accompagnent les populations précaires sont de plus en plus souvent confrontées à des situations inextricables;
– les personnes vivant dans la grande précarité sont souvent désocialisées, en rupture avec la norme sociale, au point de ne plus pouvoir exprimer leurs besoins. Ainsi, leurs besoins primaires ne sont même pas couverts;
l’accès aux soins pour tous n’est plus assuré, même au sein d’organismes pour lesquels c’est une priorité;
– les questions de santé mentale liées à la grande précarité et aux situations de migration interpellent les intervenants. La fragilité mentale qui s’ajoute aux autres difficultés maintient les personnes dans la précarité.
Dans un avenir proche, ROSALIE envisage de:
– préciser la définition de la précarité à l’aide d’un modèle théorique;
– poursuivre les présentations des organismes participant au réseau;
– définir des dimensions prioritaires sur lesquelles travailler à partir des indicateurs de précarité identifiés;
– identifier les représentations des personnes précarisées concernant leur santé;
– porter cette réflexion auprès des professionnels de première ligne et des réseaux, par le biais d’un événement;
– porter le résultat de la réflexion auprès des représentants politiques;
– développer des actions collectives et concrètes telles que, par exemple, le projet de formation «santé et diversité culturelle» (voir encadré);
– élargir le réseau;
– améliorer la communication et renforcer la visibilité de ROSALIE;
– renforcer le lien avec les Plans de cohésion sociale des autres communes de l’arrondissement.
Un projet de formation sur base des constats de ROSALIE
Le 2 mars 2012 a eu lieu une matinée de réflexion, d’échanges et d’analyse des besoins de formation des travailleurs psycho-médico-sociaux sur le thème des «enjeux de santé dans un contexte interculturel».
Cette matinée poursuivait un triple objectif : identifier les difficultés des professionnels à analyser les demandes; prendre en charge ou orienter leur public étranger; mettre en lumière certaines ressources existantes et envisager la création d’une formation permettant d’outiller les travailleurs psycho-médico-sociaux confrontés à un décalage culturel avec leur public étranger et souhaitant élargir leurs compétences en matière de prise en charge.
Les principales difficultés relevées par les participants, quel que soit leur contexte de travail, sont :
– le décalage culturel avec le public;
– la complexité de la législation liée aux procédures de demande d’asile;
– la complexité des liens entre santé mentale et problématique sociale;
– le manque de clarté quant à la manière et au moment de relayer certaines demandes du public.
Il est évident que chaque partenaire du réseau pourrait amener des éléments de réflexion utiles pour gérer ces difficultés mais les démarches de formation proposées par certains organismes rencontrent un intérêt limité, sans doute parce qu’elles sont trop spécifiques et que les acteurs qu’elles visent ne se sentent pas concernés. Il s’avère donc opportun de coordonner les offres/ démarches de formation, de les adapter aux besoins des intervenants, afin de proposer une formation plus globale, plus transversale, s’adressant à un public large (à savoir tous les professionnels confrontés à un décalage culturel avec leur public étranger).
Pour ce faire, il était nécessaire d’identifier les besoins en formation et les modalités convenant aux professionnels. Les thématiques et enjeux émergents sont :
– l’importance de la décentration face aux décalages culturels;
– la prise de recul par rapport aux représentations et référents culturels;
– la place de l’interprète (collaboration, secret partagé, professionnalisme, confiance);
– la question du genre (rapports hommes/ femmes);
– le travail sur la relation, la rencontre et la communication interculturelle;
– le parcours d’accueil et les procédures de demande d’asile;
– le système de représentations de la santé et du bien-être des personnes d’origine étrangère.
Prochaine étape pour ROSALIE : la co-construction de la formation à proprement parler (sur base de l’analyse des besoins) et l’élaboration du programme.
Éducation Santé suivra cela de près et vous tiendra volontiers informés de la suite des activités du réseau liégeois.
Le CLPS de Liège, genèse d’un processus de concertation
Le Centre liégeois de promotion de la santé est une asbl agréée et subsidiée par la Communauté française dans le cadre du Décret du 14 juillet 1997 portant organisation de la promotion de la santé. Pour assurer ses missions et adapter ses actions aux réalités locales, le CLPS a mis en place un processus de concertation dès 1998. Son premier défi a été de se positionner par rapport aux nombreux réseaux existant sur la province, d’être accepté et de gagner de la légitimité sur le territoire liégeois. Ce travail a impliqué, dans un premier temps, d’identifier les organismes et les actions développées sur le terrain.
La Première journée liégeoise de promotion de la santé (2002) a ensuite permis de récolter les attentes des professionnels, pour pouvoir instaurer une dynamique sur le long terme. En réponse à ces attentes, des rencontres ont été organisées, des formations, des plateformes et des groupes de travail ont été mis en place.
Cette dynamique a abouti à l’organisation de la Deuxième journée liégeoise de promotion de la santé (2008), qui avait pour objectif de faire le point sur le chemin parcouru et d’envisager de nouvelles perspectives. Ainsi, 16 recommandations (3) ont été rédigées par les professionnels, interpellés par les inégalités sociales de santé et soucieux de faire part de leurs préoccupations aux responsables politiques et institutionnels.
ROSALIE est la concrétisation d’une des recommandations nées des acteurs locaux lors de cette seconde journée liégeoise. Le rôle du CLPS est de co-construire ce projet afin de poursuivre la dynamique et de susciter davantage d’échanges entre secteurs et acteurs.
Pour en savoir plus sur ROSALIE ou pour en faire partie : Centre liégeois de promotion de la santé, Place de la République française 1 (4e étage) – 4000 Liège. Tél.: 04 349 51 44, fax 04 349 51 30, courriel: promotion.sante@clps.be. Internet: http://www.clps.be.
(1) Centre de référence sida, CLPS, Centre Régional pour l’Intégration des Personnes Étrangères, Département des sciences de la santé publique de l’ULg, Intergroupe liégeois des maisons médicales, Mutualité chrétienne, Mutualité socialiste – Solidaris, Département Santé et Qualité de vie de la Province de Liège, Département Égalité des chances de la Province de Liège, Plan de Cohésion sociale de Liège, Relais social du Pays de Liège, Relais Santé du CPAS, Service de Promotion de la Santé à l’École de la Ville de Liège, Observatoire de la pauvreté et de la santé, Réseau liégeois d’aide et de soins en assuétudes, Seraing Ville Santé et SIDASOL.
(2) Ces recommandations ont fait l’objet d’une publication disponible sur http://www.clps.be.
(3) Ces recommandations ont fait l’objet d’une publication «Promotion de la santé et inégalités sociales de santé. Constats et recommandations à l’intention des responsables politiques» , disponible sur http://www.clps.be.