«Je photographie mon quartier en noir et blanc» est un des quinze projets d’initiative communale retenus dans le cadre de l’appel lancé par Madame Nicole Maréchal , Ministre de l’Aide à la jeunesse et de la Santé en vue de promouvoir des «Politiques communales de santé». Le projet a été accepté par le conseil communal d’Ixelles (une des dix-neuf communes constituant la Région de Bruxelles-Capitale) en juin 2002, sur base d’une proposition de Madame Françoise Picqué , échevine de l’Instruction publique, de l’Action sociale, de la Santé et de la Qualité de la vie.
L’action, programmée pour une durée de deux ans, se déroule dans le quartier Blyckaerts/Matongé, territoire dont la frontière correspond aux grands axes de circulation que sont la chaussée d’Ixelles entre la porte de Namur et la place Flagey, la chaussée de Wavre (entre l’avenue du Maelbeek et la même porte de Namur), l’avenue de la Couronne et la rue du Trône (de la place Blyckaerts au Champ de Mars) et enfin, l’axe rue Malibran et rue du Sceptre. Tout cela à la limite de ce qu’on appelle le quartier Léopold où se situent les institutions européennes. Ce quartier populaire typiquement urbain, à l’habitat ancien, voire vétuste et insalubre à certains endroits, se caractérise par la présence d’une grande diversité de nationalités entre deux pôles communautaires importants, Matonge (communauté africaine côté porte de Namur) et Malibran (communautés maghrébine et portugaise côté places Blyckaerts et Flagey). Il fait actuellement l’objet de ce qu’on appelle un «contrat de quartier», un dispositif de réhabilitation de quartier mis en place par la Région de Bruxelles-Capitale.
Notre travail consiste, dans un premier temps, en une enquête participative sur le thème de la qualité de la vie. Notre «outil» est l’appareil photo et le reportage photographique en noir et blanc, d’où le titre du projet. Si la photographie installe d’emblée une certaine familiarité – qui n’a pas un petit appareil automatique pour fixer des souvenirs de famille ou de vacances? – le noir et blanc par contre permet de créer une rupture avec ce côté «évident» et instaure une distance par rapport au réel et aux images ambiantes. Il engendre un effet de décalage et d’interrogation du réel. Ce choix trouve aussi tout son sens par rapport au quartier, fait de contrastes quand on considère le bâti environnant et la population qui l’habite. Il permet également d’explorer les nuances et l’entre-deux : tout n’est pas noir, tout n’est pas blanc à Blyckaerts/Matonge; il y a quelque chose à construire ou à «révéler» qui peut faire lien.
Au moment de la construction du partenariat (1) en vue d’associer le plus grand nombre possible d’acteurs à la conception du projet avant de déposer notre candidature, nous avons pu observer la présence d’un grand nombre de services communaux, d’associations professionnelles (secteur formel) et de comités d’habitants (secteur informel) qui œuvrent utilement depuis un certain nombre d’années dans le quartier.
La difficulté reste qu’un grand nombre d’habitants y vivent dans une précarité socio-économique certaine et ne participent pas à la vie du quartier, qu’il n’existe pratiquement pas de concertation entre les différents services communaux (ni au niveau échevinal) et que ceux-ci n’ont jamais travaillé avec le secteur associatif. Par ailleurs, si une coordination sociale se met progressivement en place, il n’existe par contre pas de véritable travail intersectoriel et actions concertées entre les associations professionnelles et les comités d’habitants (bénévoles) sont difficiles à mettre en œuvre.
Dans ce contexte, avec beaucoup de modestie, le projet vise à entendre et à donner plus de visibilité au point de vue des habitants en ce qui concerne la qualité de la vie dans leur quartier (cadre de vie, environnement, logement, espaces publics, relations sociales, convivialité, vie culturelle, éducation, loisirs, travail, repos, services, bien-être…), et cela en construisant une action collective avec la participation et la créativité de chacun. Il s’agit pour nous de favoriser le développement de l’expression et de la créativité dans l’approche de la santé (retrouver une marge de manœuvre individuelle et collective par l’expression de ce qui conditionne notre santé et notre vie), le développement du lien social et de la citoyenneté (devenir acteur sur le plan collectif), et de réaliser une radiographie du quartier faite par ses habitants.
Comment?
Durant la première année du projet, des habitants et des intervenants s’initient au reportage photographique pour exprimer en images et en paroles (expression verbale à partir des photographies mais aussi recueil de témoignages des personnes rencontrées) l’état des lieux de leur quartier. Les premières interventions photographiques ont été préparées par des séances d’animation où trois dimensions ont été explorées: la notion de quartier, les déterminants de la santé, le travail de reportage et la photographie. L’ensemble de la démarche photographique (reportages et ateliers de discussion) est accompagnée par un artiste/photographe. Les sorties de reportage dans le quartier sont préparées et organisées tour à tour par une des associations partenaires afin de partager avec les participants leur point de vue et questionnement sur le quartier, cela en fonction de l’objet social et du public habituel de l’association.
Parallèlement à l’enquête participative (reportages) et à l’atelier, qui s’articulent autour du regard (apprendre à voir, observer, s’approcher, rencontrer le regard de l’autre), de l’expression visuelle (par la photographie) et d’une réflexion en profondeur sur ce que signifie «vivre ensemble», une enquête plus classique, par questionnaire, se met en place afin d’associer le plus grand nombre possible d’habitants à notre démarche et d’assurer une valeur, toujours relative, de représentativité à notre «radiographie» (diagnostic).
En fin de processus (octobre 2003), l’ensemble de la démarche se conclura par une intervention dans l’espace public en vue d’interpeller plus largement encore la population et de partager nos vues: une sorte de petit festival sera organisé, il y aura une occupation du territoire par les photographies réalisées (accrochage en plein air mais aussi à l’intérieur des maisons, des associations, des théâtres) et un parcours sera tracé avec des animations et des rencontres.
Enfin, l’évaluation et les conclusions de cette première année d’activité seront diffusées auprès des instances communales, du contrat de quartier ainsi que de la Communauté française. L’objectif est de donner une suite concrète aux propositions issues du diagnostic la seconde année, soit en consolidant soit en créant une structure, un service, une action définis comme importants et manquant d’un point de vue communautaire.
Pourquoi la photographie dans une action de promotion de la santé communautaire?
La photographie est un outil d’expression artistique et/ou journalistique qui contribue de façon très concrète et pragmatique à la mise en œuvre d’objectifs visés par la promotion de la santé et l’éducation permanente. Elle permet une activité tout à la fois personnelle et relationnelle en offrant à chacun l’opportunité de travailler à la construction de sa vision, de son point de vue sur les choses : je regarde, je sens, je découvre, j’observe, je partage mon point de vue avec d’autres et donc je pense, je me positionne comme sujet et non plus comme objet. Faire de la photographie induit aussi une série d’attitudes, de compétences qui vont au-delà des aspects techniques de la photo, cela dans la mesure où la photo est aussi un «médium», à savoir un matériau qui permet d’entrer en contact et un vecteur de sens. Plus particulièrement, la photographie:
– crée des liens et donc des compétences sociales et relationnelles: la prise d’une photo est une occasion pour entrer en relation;
– permet de projeter ses représentations et donc, par le biais de l’image produite, d’entrer en dialogue avec celles-ci; ce qui permet de fonder un dialogue hors d’un cadre pré-imposé, de faire émerger les différents points de vue sur une même problématique et de se forger une vue d’ensemble assumée collectivement;
– met l’utilisateur en position d’acteur : il faut entrer en mouvement, apprécier les différentes valeurs du temps, poser des actes pour faire de la photographie;
– induit une analyse critique de soi et de son environnement;
– permet à la fois de s’ancrer dans le réel, de le documenter et de s’ancrer dans son imaginaire propre;
– permet la symbolisation d’expériences vécues;
– enfin, pour toutes ces raisons, un moyen d’expression, qui permet de rencontrer des objectifs généraux de participation et de développement culturel.
Bénédicte Meiers , Question Santé
Pour plus d’informations:
Françoise Picqué, Echevine de la Santé. Tél.: 02-515 70 36. Fax: 02-515 60 40. Courriel: action.social@ixelles.be
Bénédicte Meiers, Question Santé. Tél.: 02-512 41 74. Fax: 02-512 54 36. Courriel : question.sante@skynet.be
(1) Actuellement, le partenariat se compose des acteurs suivants réunis au sein d’un comité de pilotage du projet: Amis de Wetchi, Centre social Bruxelles Sud-Est, Centre de santé communal, Centre de santé libre, Centre local de promotion de la santé de Bruxelles, Comité Cité, Comité de citoyens sans emplois, Dynamo, Equipes populaires, Free Clinic, Groupe de recherche action des cyclistes au quotidien (GRACQ), Habitat & Rénovation? La Mosaïque (Service de la jeunesse), Service culturel de la commune d’Ixelles, Parcours citoyens, Projet Matonge asbl, Quartier libre/Sos Jeunes, Question Santé.