Depuis trente ans, associations et institutions utilisent des espaces publicitaires gratuits à la télévision et à la radio pour mener des campagnes de promotion de la santé. Ce dispositif qui a fait ses preuves mérite aujourd’hui d’être pérennisé.
Cristine Deliens, Aline Gaschen, France Gerard, Denis Mannaerts (président), Thierry Martin et Philippe Mouyart sont membres de la Commission d’avis sur les campagnes radiodiffusées de promotion de la santé
Depuis 1995, les promoteurs de campagnes de communication en promotion de la santé peuvent solliciter l’octroi d’espaces gratuits de diffusion de spots TV et/ou radio sur les chaînes radio et TV de la Fédération Wallonie-Bruxelles. En effet, l’Arrêté du 18 janvier 1995 du Gouvernement de la Communauté française relatif à la diffusion de campagnes d’éducation pour la santé par les organismes de radiodiffusion (M.B. 19/04/1995) prévoit l’obligation pour les chaînes de télévision et de radio de mettre à disposition du Gouvernement du temps de diffusion gratuit équivalent aux temps publicitaires consacrés, au cours de l’année précédente, aux boissons alcoolisées, aux médicaments et aux traitements médicaux.
Qu’elles soient portées par des autorités publiques ou des organisations sans but lucratif, les campagnes de promotion de la santé qui peuvent bénéficier d’espaces de diffusion gratuits doivent être d’intérêt général et concerner l’ensemble de la population du territoire francophone ou un groupe-cible de celle-ci. Elles doivent aussi être en concordance avec les principes et priorités de promotion de la santé. La gratuité ne concerne que les temps d’antenne, elle ne s’étend pas à la conception et à la réalisation du message à diffuser, qui sont à charge des promoteurs. Notons que le dispositif est soutenu par un service, en l’occurrence l’association Question Santé, qui accompagne les candidats demandeurs dans le montage de leur projet (voir en fin d’article).
Quand on connaît le prix de la seconde payée par les annonceurs classiques sur les chaînes de télévision et de radio nationales, on peut imaginer l’importance de l’investissement financier réalisé grâce à ce dispositif pour faire passer des messages de santé.
Un mécanisme qui a fait ses preuves
En 30 années d’existence, ce mécanisme a fait ses preuves en permettant d’informer et de sensibiliser à large échelle le public francophone en Belgique sur de multiples thématiques : dépistage des cancers, prévention des IST, activité physique, lutte contre les violences, arrêt tabagique, parentalité, santé des personnes en situation de handicap, consommation d’alcool, vaccination… Elle a permis, aussi et surtout, de fournir un appui à des programmes de promotion de la santé mis en œuvre au sein des territoires wallon et bruxellois.
Ainsi, sur les huit dernières années, ce sont quelque trente campagnes différentes qui sont passées sur les antennes des principales chaînes de radio et télé1. Une quinzaine d’opérateurs les ont portées, dont la moitié environ provient du monde associatif. Ce dispositif est dès lors un outil de promotion de la santé assez singulier qui permet de rendre visible des enjeux de santé notamment relevés et traités par des acteurs et actrices de terrain.
Le rôle de la commission
Le rôle de la commission est d’analyser les dossiers de demande et de remettre des avis aux ministres compétents en leur offrant, à partir d’une série de critères, une analyse des réalisations. C’est notamment sur cette base que les ministres octroient ou non les espaces de diffusion.
Cette commission composée d’expert.es de la promotion de la santé et de la communication se réunit dix fois par an. Pour chaque dossier2, elle étudie les arguments du promoteur et, le cas échéant, les spots radio et/ou télé proposés, à partir d’une grille d’analyse3. Chaque dossier passe au minimum deux fois devant la Commission : avant le passage à la réalisation (l’analyse se fait sur base d’un script et/ou d’un story board) et ensuite une fois les spots réalisés.
Les critères inclus dans la grille sont :
- La pertinence : fondements scientifiques de la démarche, correspondance avec les stratégies de promotion de la santé, présence d’une analyse de problématique fondée…
- La cohérence : adéquation avec les priorités de promotion de la santé des pouvoirs publics et les autres messages véhiculés, présence de différentes composantes du projet (analyse de problématique, objectifs, scénarii, slogans, mise en scène, testing, plan média, évaluation, lien avec le programme dans lequel le spot s’intègre…) et cohérence entre celles-ci…
- L’éthique : respect des Droits humains, absence de conflit d’intérêts et de publicité déguisée, respect des valeurs de promotion de la santé (non- stigmatisation, non-culpabilisation, absence de prévention par la peur, effet positif sur l’équité en santé, renforcement des ressources psychosociales…), respect de l’égalité des genres…
- L’acceptabilité du message : appréciation positive du message (message interpellant, non-choquant, inclusif…).
- L’intelligibilité du message : rythme d’énonciation, langage clair, absence d’ambivalence ou d’injonction paradoxale…
- La qualité audiovisuelle des spots : attractivité (originalité, adaptation aux publics, éclairage, montage, habillage…), présence des signatures conformes…
Quelques points d’attention essentiels dans l’analyse des dossiers
Dans l’examen des dossiers, la Commission est particulièrement attentive à la réalisation de pré-tests et de post-tests des spots auprès des personnes visées par le message. Ces tests des scripts, bandes-son et/ou des vidéos permettent de donner des indications sur la réception du spot (identification, compréhension…) et sur les effets potentiels de la campagne.
Dans une perspective pleinement participative chère à la promotion de la santé, la Commission souligne positivement les démarches qui impliquent, lors de plusieurs étapes, citoyen.nes et/ou professionnel.les dans la construction du message et de la campagne.
La Commission est aussi particulièrement attentive au fait que la campagne audiovisuelle s’inscrive dans un réel programme de promotion de la santé. En effet, les questions de santé sont caractérisées par la complexité, sont marquées par de multiples facteurs déterminants en interaction. L’information ou la sensibilisation des publics constituent un levier nécessaire mais insuffisant. Une campagne médiatique encourageant, par exemple, l’activité physique, ne prendra tout son sens que si d’autres leviers sont activés : création d’environnements favorables, développement de démarches communautaires, politiques attentives à la réduction des inégalités… La Commission veille donc à ce que le dispositif ne soit pas seulement un outil de marketing social permettant, entre autres, de montrer qu’on s’intéresse à la santé des populations et veille à ce qu’il ne soit aucunement un alibi permettant aux autorités d’éviter de s’attaquer aux racines des problématiques rencontrées. La campagne médiatique doit donc être vue comme un outil venant au service d’actions de terrain et en appui de dispositions plus « environnementales ».
L’évaluation d’une campagne médiatique grand public en santé n’est pas une entreprise aisée. Elle est pourtant essentielle pour percevoir qui elle a pu toucher, ce qu’elle a pu contribuer à produire comme micro-changements, comment elle a pu compléter les actions sur le terrain, les stimuler, les renforcer… Les promoteurs des campagnes n’ont souvent pas les moyens de mener des enquêtes de notoriété du message diffusé ou de développer une recherche quant aux impacts de la communication sur les représentations sociales. Mais des projets évaluatifs peuvent être menés en sélectionnant et analysant des informations pertinentes à une plus petite échelle comme recenser les appels à un numéro vert, chiffrer les visites du site internet pendant la diffusion, sonder ou resonder la réception du spot auprès d’un échantillon, donner à voir la manière dont le spot a pu soutenir une action de terrain… La Commission voit donc d’un bon œil ces démarches nécessaires pour donner du sens au programme d’actions et, le cas échéant, pour lui donner de nouvelles orientations.
Recommandations
La Commission remet des avis (117 sur les 8 dernières années) et formule également des recommandations pour améliorer le dispositif, et notamment pour le faire passer dans une nouvelle ère. En voici les 4 principales :
- Le dispositif d’espace gratuit vit actuellement depuis 10 ans sous un régime provisoire. À la suite de la régionalisation des compétences de la promotion de la santé en 2014, la continuité du mécanisme a été garantie par les ministres compétents qui se sont succédé. Ils et elles ont pu assurer un fonctionnement commun aux différentes entités fédérées et maintenir une commission d’avis commune aux deux régions. Soulignons ici le travail indispensable de l’administration de la Commission communautaire française (Cocof) qui se charge du secrétariat et de l’asbl Question Santé qui fait le lien avec les régies publicitaires. Cependant, en une décennie, aucun cadre légal n’a émergé. Cet état de fait est assez paradoxal alors que le dispositif est bien utilisé et qu’il l’est en grande partie par les autorités publiques. Donner un cadre pour garantir la pérennité du dispositif et le faire évoluer est aujourd’hui urgent et indispensable.
- Le dispositif prévoit actuellement un quota d’espaces de diffusion déterminé sur base du temps de publicités diffusées l’année précédente en faveur des médicaments, traitements médicaux et boissons alcoolisées. La Commission s’interroge sur la pertinence de ce mécanisme actuel, étant donné qu’il est peu stable (les quotas évoluent chaque année) et éthiquement discutable. En effet, les espaces gratuits dédiés aux campagnes d’intérêt public sont, en quelque sorte, la contrepartie d’espaces de publicité de produits pouvant avoir des effets néfastes sur la santé. Dans une perspective de promotion de la santé, il y aurait tout avantage à mettre en œuvre une meilleure régulation des contenus publicitaires à l’aune de critères santé tout en gardant sur les ondes un quota de messages d’intérêt général soutenant des attitudes et ressources favorables à la santé.
- La consommation médiatique évolue. En effet, depuis quelques années, nous sommes entré.es dans une époque dans laquelle les médias de flux tels que la télévision et la radio perdent de leur influence, surtout auprès de la jeune génération. Réseaux sociaux, podcasts, vidéos en streaming, dispositifs de réalité virtuelle : la vague du numérique et des plateformes déferle. Les contenus sont désormais abordés autrement. De nombreux acteurs de promotion de la santé l’ont compris et investissent ces médias dont les principaux reposent sur des logiques marchandes. Faire passer des messages par ces canaux a donc un coût et beaucoup ne peuvent l’assumer. Il y aurait donc à penser un système spécifique pour que les campagnes puissent obtenir de la visibilité sur ces nouveaux médias. Si contraindre les grandes multinationales à consacrer des espaces à des messages d’intérêt général de manière structurelle semble à l’heure actuelle illusoire, obtenir de la visibilité sur les services non-linéaire de la RTBF (Auvio) est un premier pas indispensable.
- Nous terminerons ce propos en mettant en évidence l’importance de communiquer sur l’existence du dispositif afin d’encourager de nouveaux promoteurs exempts d’enjeux commerciaux à candidater et afin de diversifier les thématiques traitées encore actuellement trop fortement axées sur la prévention des maladies et des traumatismes. Il est bien de la responsabilité publique de multiplier les possibilités de promouvoir la santé en offrant de la visibilité à des messages positifs et inclusifs pour la santé mais aussi en soutenant (financièrement et philosophiquement) sur le terrain des actions et interventions visant à réduire les inégalités sociales de santé.
Pour en savoir plus :
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