Novembre 2019 Par Anne LE PENNEC Initiatives

StopBlues est un site internet doublé d’une application mobile conçus par des chercheurs en santé publique dans le but de prévenir le mal-être psychologique. Depuis mars 2018 et jusqu’à fin 2019, une quarantaine de villes françaises participent à un projet de recherche interventionnelle visant à évaluer la pertinence de cet outil et son potentiel à améliorer la santé mentale des habitants. Explications…

Stop Blues : prévenir le mal-être dès les premières notes

Au premier abord, le site internet www.stopblues.fr ainsi que l’application éponyme pour smartphonesNote bas de pageet tablettes, lancés courant 2018, ressemblent à des outils web tout ce qu’il y a de plus classiques, bavards en conseils santé dont on se demande pourquoi on les suivrait, eux et pas d’autres. De fait, on y trouve, classés par rubriques, quantité d’articles et de vidéos dressant le portrait de ce que les uns appellent le blues, et d’autres la déprime ou la baisse de morale. Définition, signes évocateurs, causes possibles, idées reçues… Des spécialistes, chercheurs ou soignants triés sur le volet, se relaient au fil des clics pour qualifier cet état de souffrance psychique dans lequel nous sommes toutes et tous susceptibles de tomber un jour.

A y regarder plus attentivement, on découvre que ces contenus ont la caution du principal organisme de recherche en santé français, l’Inserm. L’attention monte alors d’un cran. Et puis on tombe sur une palette de solutions et de propositions pour agir quand son moral flanche, s’apaiser, se faire aider par un médecin, un psychologue ou une association près de chez soi.

StopBlues propose également, moyennant la création (gratuite) d’un compte, des outils d’évaluation et de suivi de son état psychologique sous la forme de quizz, pouvant déboucher sur un plan de soutien élaboré à partir des résultats et en puisant parmi les solutions référencées. Alors, on se dit que ces pages méritent vraiment qu’on s’y arrêtent car elles forment bien plus qu’un simple site internet.

De fait, c’est à un outil d’e-santé que l’on a à faire. Il mise sur la puissance et l’anonymat du numérique pour faire de la prévention primaire en santé mentale, c’est-à-dire auprès de la population générale, très en amont de la dépression et du passage à l’acte suicidaire. Il faut dire qu’en France, et plus encore en Belgique, le taux de suicide est particulièrement élevé, au-dessus de la moyenne des pays européens. Selon une enquête de l’agence nationale Santé Publique France portant sur l’année 2017, environ 5% de la population adulte déclare avoir pensé au suicide au cours de l’année et plus de 7%, avoir fait une tentative de suicide au cours de sa vie. Dans ce contexte, la recherche de nouvelles actions de prévention, efficaces si possible, prend tout son sens.

Pourquoi avoir choisi le numérique ? Pour tenter de réussir là où d’autres approches et tentatives plus directes échouent trop souvent à cause du déni dont fait l’objet la souffrance psychique. « 80 à 90% des personnes qui se suicident sont allées consulter un médecin, mais pour tout autre chose… Elles n’ont pas osé se confier, observe Karine Chevreul, professeure en santé publique à l’origine de StopBlues. Ressentir un mal-être ou évoquer le suicide est encore associé à une faiblesse, alors les personnes en souffrance n’en parlent pas, jusqu’au jour décisif… »Note bas de page StopBlues s’adresse à toutes et tous. Primo, parce que n’importe lequel d’entre nous peut un jour ou l’autre connaître un épisode de mal-être. Secundo, parce que les proches -famille, amis, collègues- ont aussi un rôle à jouer (sous réserve de reconnaître les signes, de savoir quoi dire et comment accompagner). Les concepteurs de StopBlues n’ignorent pas que la culture du dénigrement concerne aussi les proches.

Des chercheurs en santé publique font le PRINTEMPS

Derrière cette singulière initiative, il y a l’ECEVE (Epidémiologie clinique et évaluation économique appliquées aux populations vulnérables), une équipe de recherche située à Paris, co-dirigée par le Pr. Chevreul et financée par des fonds publics pour mener des projets visant à améliorer la prévention et les soins des personnes vulnérables. « StopBlues (…) n’a aucun lien avec des industriels de la santé et du médicament », lit-on dès la page d’accueil du site internet. Les chercheurs ont imaginé l’outil et élaboré les contenus. Il leur a fallu constituer les bases de données destinées à alimenter la cartographie des ressources locales, (faire) développer et mettre en ligne les outils numériques, corriger les bugs… et monter tout un projet de recherche joliment baptisé PRINTEMPS (Programme de Recherche INTerventionnelle et Evaluative Mené pour la Prévention du Suicide). Celui-ci a démarré en février 2018 pour une durée annoncée de 18 mois. Son but : démontrer l’efficacité de StopBlues lorsque ce dernier est promu par les villes en impliquant ou non les médecins généralistes. Ce design d’étude ne doit rien au hasard mais s’appuie sur une analyse de la littérature scientifique relative à la prévention du suicide. L’efficacité des actions de prévention primaires médiées par des sites internet de référence et associées à une promotion bien menée a été démontrée. D’autre travaux ont mis en évidence que les villes représentent un bon niveau de granularité pour développer de telles actions de prévention et que l’implication des généralistes est essentielle.

De nombreux indicateurs

Une quarantaine de villes ou groupements de communes volontaires, en zone dense mais aussi en milieu rural, sont parties prenantes de PRINTEMPS en tant que terrains d’expérimentations. Les services municipaux et les professionnels de santé du territoire ont été mis à contribution pour élaborer une cartographie des solutions existantes au plan local.Pour les besoins de l’étude, les villes ont été réparties en trois groupes :

  • celles sans promotion particulière de StopBlues pendant les neuf premiers mois (groupe contrôle) ;
  • celles avec promotion par les villes elles-mêmes pendant 18 mois ;
  • celles avec promotion par elles-mêmes et par les médecins généralistes du territoire, là encore pendant 18 mois.

« Afin d’étudier l’efficacité de l’intervention, nous comparerons le nombre d’actes suicidaires, puis de suicides et tentatives séparément, entre les trois groupes et sur la période d’intervention, précisent les scientifiques. De plus, la validité externe de nos résultats sera évaluée en comparant cette évolution à celle de la moyenne française des villes non incluses dans l’étude. »

Seront également recensées les actions des municipalités qui s’impliquent dans l’animation du projet. L’intensité de la participation au site internet permettra quant à elle de mesurer les barrières éventuelles à son utilisation, notamment par croisement avec les données individuelles anonymes recueillies dans les espaces privés du site et de l’appli (niveau de douleur psychologique, risque suicidaire, qualité de vie liée à la santé, recours aux soins et à l’aide informelle). Enfin, des enquêtes seront effectuées auprès des médecins généralistes pour évaluer l’impact de l’action.

Sur le papier, StopBlues part avec beaucoup d’atouts pour remplir sa mission. Mais qu’en sera-t-il dans les faits ? Chaque année, ce sont près de 9000 décès par suicide qui sont enregistrés en France. Cet outil parviendra-t-il à faire baisser ce chiffre et si oui, dans quelles conditions ? Les villes avec un Conseil local de santé mentale, comme Nantes (voir interview ci-dessous)Note bas de page auront-elles un avantage sur les autres ? Les premières réponses devraient être livrées en 2020.

Interview de Patricia Saraux et Corinne Lambert

« Une opportunité de participer à la collecte de données probantes en santé mentale »

La Ville de Nantes s’est portée volontaire pour expérimenter le dispositif StopBlues sur son territoire de juin 2018 à fin 2019. Sa directrice de la santé publique, Dr Patricia Saraux, et la coordinatrice du Conseil local de santé mentale (CLSM) nantais, Corinne Lambert, nous expliquent pourquoi.

Education Santé : Pourquoi avez-vous souhaité prendre part à cette démarche ?

Patricia Saraux : En 2014, nous avons participé à l’enquête « Santé mentale en population générale : images et réalités » pilotée par le Centre collaborateur de l’OMS pour la Recherche et la Formation en Santé Mentale. Cette enquête avait pour buts de décrire les représentations des maladies mentales et d’évaluer les prévalences des différents troubles mentaux chez les Nantais/es de plus de 18 ans. Elle a mis en lumière un risque suicidaire important, notamment chez les personnes au chômage et les étudiants/es, et le fait qu’un Nantais sur deux connaîsse dans son entourage proche une personne concernée par le suicide. Par ailleurs, nous avions un intérêt pour la thématique de la e-santé. Il était donc logique que le dispositif StopBlues retienne notre attention quand il nous a été présenté, en 2017, lors d’une rencontre nationale réunissant les conseils locaux de santé mentale. Ce projet se donne le temps de l’évaluation. C’est un vrai plus car parmi toutes les applications santé qui voient le jour, on sait que beaucoup disparaissent après quelques mois. Le fait que StopBlues ait été conçu par une équipe de recherche académique et soit financé par des fonds publics plutôt que par un laboratoire pharmaceutique a joué également en conférant neutralité et légitimité au projet.

ES : En quoi consiste votre rôle ?

Corinne Lambert : Une fois sélectionnés, nous avons été mis à contribution pour élaborer une cartographie des ressources en santé mentale à l’échelle de la ville en listant les lieux de soins, les associations de soutien psychologique et celles qui proposent leur aide. Le maillage du territoire existant déjà, cela nous a permis de resserrer les liens avec les acteurs concernés et de travailler plus largement avec eux. Le design de l’étude PRINTEMPS prévoit trois modalités de promotion par les acteurs locaux. Nous faisons partie du troisième groupe, celui dans lequel le dispositif est promu à la fois par la Ville et par les médecins généralistes.

ES : Qu’avez-vous mis en place pour promouvoir StopBlues ?

CL : Nous communiquons sur StopBlues depuis juin 2018. Nous disposons de deux plaquettes, l’une à destination du grand public diffusée via les acteurs (lieux de soins publics et privés, associations, institutions…), l’autre destinée aux médecins généralistes que nous leur avons adressé par courrier en précisant que nous pouvions leur en fournir plus. Nous avons également sollicité les infirmières, les représentants des pharmaciens, la police, les bailleurs sociaux… Le message est passé dans le cycle de conférences santé que nous organisons chaque année. L’idée étant de ne pas faire plus que notre communication habituelle pour ne pas fausser l’évaluation.

ES : Y a-t-il déjà des effets visibles à l’échelle de la ville ?

CL : C’est difficile à dire à ce stade. Les médecins semblent avoir vu passer la plaquette mais ne nous en demandent pas. La presse locale a très peu parlé de StopBlues. Mais c’est l’évaluation menée par l’Inserm qui, à terme, c’est-à-dire au bout de 18 mois, dira ce qu’il en est réellement, c’est-à-dire quelle est l’efficacité du dispositif et des différentes modalités de promotion.

ES : Au-delà de son objectif premier, l’amélioration de la santé mentale, diriez-vous que vous tirez d’autres bénéfices de ce projet ?

PS : Certainement. D’abord, en étant terrain d’expérimentation, nous faisons venir la recherche jusqu’à nous qui n’avons pas les moyens d’en faire en interne, de mettre en avant nos compétences, d’écrire et de publier sur nos actions en santé publique. Là, nous sommes bel et bien impliqués dans la collecte de données probantes sur la prévention en santé mentale. Ensuite, comme nous l’avons déjà souligné, nous élargissons et consolidons notre réseau d’acteurs en santé mentale. Avec StopBlues enfin, nous entrons concrètement dans la e-santé, qui est en train de devenir incontournable dans le champ de la santé en général et de la santé publique en particulier. Nous avons ici une belle occasion d’explorer nos représentations à son égard et de travailler dessus.

Disponible pour Androïd et iPhone

Citation extraite d’une actualité de l’Inserm publiée le 19 avril 2018 sous le titre « StopBlues, un site et une appli pour prévenir le mal-être »

 

UMR 1123 Inserm/Université Paris-Diderot