L’éducation sexuelle à l’école : diversité des pratiques
En Suisse, l’éducation sexuelle s’est développée de manière diverse et à des rythmes différents en fonction des régions. Comme ailleurs en Europe, l’éducation sexuelle à l’école s’est vraiment institutionnalisée après la révolution sexuelle, lorsqu’il s’est avéré nécessaire d’informer les jeunes sur la contraception et le couple. Mais c’est véritablement l’arrivée de l’épidémie du VIH qui a déclenché la généralisation des cours d’éducation sexuelle dans tous les cantons en Suisse. Aujourd’hui, la situation reste très hétérogène dans sa mise en œuvre.
SANTÉ SEXUELLE Suisse, l’organisation qui fédère les centres de conseil en santé sexuelle et services d’éducation sexuelle ainsi que les associations professionnelles concernées, promeut en Suisse une éducation sexuelle holistique selon les standards OMS Europe[1]. Elle attache beaucoup d’importance à la qualité des cours donnés dans le cadre scolaire, et participe dans ce sens à la formation des professionnel(le)s. Toutefois, sur le terrain, les cours proposés aux enfants et aux jeunes sont différents d’une région à l’autre, voire d’une école à l’autre. Ainsi, en Suisse romande, ce sont des spécialistes externes en santé sexuelle qui interviennent dans les écoles pour assurer une éducation sexuelle continue. Ce modèle a fait ses preuves depuis plus de 30 ans. Il est très bien accueilli et apprécié par les parents.
En Suisse alémanique, ce sont le plus souvent les enseignant(e)s qui sont responsables de la mise en œuvre de l’éducation sexuelle et de nombreux modèles existent, en fonction des écoles ou des enseignant(e)s : ceux proposant des prestations très complètes, mais aussi ceux transmettant seulement le strict minimum, la plupart du temps sous forme de cours de biologie et reproduction, en laissant de côté les aspects relationnels et sociaux. Un modèle de coopération entre le personnel enseignant et le personnel spécialisé en santé sexuelle serait incontestablement souhaitable et garantirait la qualité des cours dispensés. Au Tessin, la partie italophone de la Suisse, les enseignant(e)s sont responsables de l’éducation sexuelle. Ils sont soutenus dans leur tâche éducative par des coachs spécifiquement formés. Au secondaire et post-obligatoire, les spécialistes externes en santé sexuelle interviennent pour compléter l’éducation à la santé sexuelle.[2]
Le cours d’éducation sexuelle par un(e) spécialiste en santé sexuelle: une approche interactive et participative
Comme mentionné, il existe différentes approches pour les cours d’éducation sexuelle à l’école. Nous choisissons ici de décrire un cours type donné par un ou une spécialiste en santé sexuelle, ayant à la fois une formation professionnelle en éducation sexuelle ainsi qu’une expérience en la matière.Concrètement, ce cours d’éducation sexuelle s’intègre dans la vie de l’école : les parents sont informés par une lettre et conviés à une séance de présentation de l’intervention. Les enseignant(e)s sont associé(e)s à la démarche avant et après le cours car leur rôle est fondamental pour que l’intervention se déroule dans de bonnes conditions. Pour soutenir cette approche de coopération, SANTÉ SEXUELLE Suisse développe des outils d’information pour les parents et les professionnel(le)s (voir la liste sur le site www.sante-sexuelle.ch).
Selon l’âge des élèves, différentes méthodes pédagogiques sont utilisées, avec ou sans support préétabli, et une place importante est donnée à la discussion de groupe. La récolte de questions anonymes, avant ou en début de cours, est souvent privilégiée pour les élèves de l’école secondaire car elles leur permettent de poser leurs réelles demandes sans risque de s’exposer trop personnellement. C’est aussi une manière pour l’intervenant(e) de savoir où en sont les élèves, ce qui les intéresse et les préoccupe.
L’entrée en matière du début de cours est fondamentale car l’éducateur/trice ne connaît généralement pas la classe. Des petits jeux « brise-glace » sont habituellement utilisés pour permettre de parler très spontanément d’amour, d’amitié, de sexualité. Ces exercices offrent aux élèves un espace d’expression assez libre qui permet de poser les émotions ou tensions éventuelles et de s’ancrer dans le moment. Il permet également d’instaurer un rapport de confiance entre l’intervenant(e) et la classe. Ensuite, en fonction des priorités et de la classe, différents supports pédagogiques sont utilisés : dessins, images, séquences vidéos, planches anatomiques, objets symboliques, moyens de contraception, brochures, etc.
SANTÉ SEXUELLE Suisse développe, avec son réseau partenaire des supports d’information et d’éducation, par exemple des brochures pour les adolescent(e)s (Hé les filles Hé les gars, Crac crac boum boum), ou des films de témoignage (Body Talk) permettant de lancer une discussion sur une grande diversité de thématiques.
Un accent important est mis sur l’interaction et l’échange, dans une perspective positive de la sexualité et selon une approche basée sur les droits humains. Chaque élève est libre de décider dans quelle mesure il/elle veut participer.
L’éducation sexuelle est aussi proposée aux élèves en situation de handicap, quel que soit leur lieu d’étude ou de vie. Cette éducation s’appuie sur les mêmes bases que l’éducation sexuelle holistique tout en mettant l’accent sur les besoins spécifiques et l’écoute de chaque enfant ou jeune.
L’éducation sexuelle pour les jeunes enfants
SANTÉ SEXUELLE Suisse promeut une éducation sexuelle dès le plus jeune âge. Chez les enfants en âge pré-scolaire (0-4 ans), l’approche proposée associe d’abord les parents et les éducateurs/trices de la petite enfance. A l’exemple du projet proposé par l’Association pour l’Education Familiale du canton de Fribourg, l’éducation sexuelle est avant tout une éducation familiale où adultes et enfants apprennent ensemble à échanger autour de thèmes de l’éducation quotidienne dont la sexualité fait partie. L’un des principaux défis est d’apprendre aux adultes à se mettre à la place des enfants car la sexualité exprimée dans la petite enfance n’est souvent sexuée que dans le regard des adultes. Pour les enfants, la découverte du corps est globale. Elle se fait par les sensations, le toucher et les mots, et n’est pas spécifique aux parties intimes.
L’éducation sexuelle est généralement intégrée sous forme de programme dès l’entrée à l’école. Dans les petits degrés il s’agit de poser un cadre permettant la socialisation de l’enfant, notamment par l’apprentissage des règles de vie en société et des droits de l’enfant. Dans le contexte de la sexualité, cela se concrétise par l’apprentissage des différences entre les activités qui relèvent du domaine privé de celles qui ont leur place en public. Ceci nécessite une connaissance et un respect de son propre corps ainsi que de ses émotions.
L’enseignement des émotions est une partie importante de la prévention des abus sexuels. Les enfants apprennent à les reconnaître, à les exprimer. Dès les premières années d’école, l’éducation sexuelle aborde aussi la question des différents modèles familiaux et relationnels et travaille avec les enfants sur leurs représentations. Les grands thèmes de l’éducation sexuelle comme la reproduction humaine, l’identité sexuée et de genre, ou encore les normes sociales sur la sexualité sont aussi abordés sous forme d’histoires, de jeux ou encore de dessins.
Les défis de demain pour l’éducation sexuelle en Suisse
Les enfants et les jeunes grandissent dans une société où l’exercice de leurs droits ne va pas de soi (ex. droit à l’intégrité sexuelle, droit à la vie privée, droit à l’égalité pour les personnes en situation de handicap). L’éducation est la meilleure porte d’entrée pour apprendre les droits et commencer à les exercer. Or, selon une étude en voie de publication[3], ni les parents, ni l’école dans son ensemble ne dispensent une éducation tout à fait holistique au sens des standards européens de l’OMS.
Sur la base de ce constat, SANTÉ SEXUELLE Suisse a identifié au moins trois défis. L’école devrait développer un programme d’éducation sexuelle holistique basé sur les droits humains en se basant sur l’expertise des spécialistes en santé sexuelle. Ce programme devrait être mis en œuvre par les spécialistes en santé sexuelle tout en impliquant de manière complémentaire d’autres intervenant(e)s comme, par exemple, l’infirmièr(e) scolaire, l’enseignant(e) de biologie ou l’intervenant(e) en travail social scolaire.
L’ensemble de ces professionnel(le)s devrait aussi se donner l’occasion d’expliquer et de rappeler les droits fondamentaux lorsqu’ils/elles abordent des questions de contraception ou d’interruption de grossesse, règlent l’utilisation du smartphone à l’école ou réagissent à des injures homophobes. L’éducation sexuelle participe en effet à l’éducation citoyenne et tous les intervenant(e)s scolaires devraient bénéficier d’une formation pour assurer la qualité de leur cours. L’éducation sexuelle devrait faire partie de l’éducation de l’élève au même titre que les autres contenus, y compris pour l’élève en situation(s) de handicap.
Qu’ils le souhaitent ou non, les parents sont en première ligne dans l’éducation sexuelle. Même de bonne volonté, ils ne parviennent que difficilement à faire l’éducation sexuelle de leur enfant. Tout comme la sexualité, l’éducation sexuelle nécessite un apprentissage. Les parents devraient pouvoir bénéficier d’offres à bas seuil où l’on échange sur la sexualité comme l’on parle d’alimentation ou de gestion des devoirs à domicile. Les pères en particulier devraient prendre une place dans cette éducation, de laquelle ils sont quasiment absents, selon les études scientifiques. Les enfants et les adolescent(e)s sont les bénéficiaires de l’éducation sexuelle mais les parents et les professionnel(le)s ne leur accordent pas souvent la parole pour exprimer leurs besoins sur l’éducation sexuelle. Si en général les approches pédagogiques des intervenant(e)s externes à l’école sont interactives et favorisent la participation des jeunes au cours, l’étude sur l’éducation sexuelle et les droits montre que le droit à la participation est surtout compris comme la participation des parents mais pas celle des adolescent(e)s.
L’approche des droits de l’enfant n’est donc clairement pas appliquée. Le droit d’être entendu(e)s devrait s’appliquer aux enfants et aux jeunes lors de la conception et de la mise en œuvre des programmes. Ils devraient pouvoir donner leur avis sur les sujets à développer et les approches pédagogiques. Le principe de participation inscrit dans la Convention des Droits de l’Enfant devrait être appliqué à l’éducation sexuelle. Ceci permettrait de mieux équilibrer les contenus entre mandat de prévention et discussion sur des sujets qui préoccupent les élèves au quotidien (ex. identité et orientation sexuelle, stéréotypes et sexisme, plaisir et sexualité, consentement et zone grise, etc.). Ceci permettrait aussi de compléter les cours d’éducation sexuelle par des approches différentes telles que l’approche par les pairs.
[1] OMS Bureau régional pour l’Europe et BZgA (2010/2013 version française), Standards pour l’éducation sexuelle en Europe, https://www.alliance-educationsexuelle.ch/jt_files/jt_files_filename_0005_1202974180.pdf, consulté le 18.02.2019
[2] Questions réponses sur l’éducation sexuelle à l’école auprès des enfants et des jeunes, www.alliance-educationsexuelle.ch, consulté le 18.02.2019
[3] Charmillot, M. (UNIGE), Földhazi, A. (HETS Genève), Jacot-Descombes, C. (SSCH), Kunz, D. (HSLU), Roth, N. (HSLU) (en voie de publication). Parler des droits sexuels à l’école ? Une évidence, un idéal ou un luxe ? Perceptions et pratiques des parents, des jeunes, des enseignant.e.s et des spécialistes de l’éducation sexuelle.
[4] Voir par exemple : Barrense-Dias Y., Akre C., Berchtold A., Leeners B., Morselli D., Suris J-C. (2018). Sexual health and behavior of young people in Switzerland. Lausanne: Institut universitaire de médecine sociale et préventive. Zugriff 19.03.2019 : http://dx.doi.org/10.16908/issn.1660-7104/291