En début d’année, le Service public fédéral Santé publique, Sécurité de la Chaîne alimentaire et Environnement a invité au dialogue les différentes entités belges pour construire une politique ‘Santé dans toutes les politiques’ (‘Health in All Policies’, HiAP en abrégé) concernant les inégalités en matière de santé dans notre pays. L’objectif global de ce dialogue politique est d’aboutir rapidement à une proposition concrète en la matière. (1)
Le contexte international et belge
Le concept de ‘Santé dans toutes les politiques’ (HiAP) est devenu indissociable ces derniers temps des recommandations de l’OMS et de l’Union européenne pour la promotion de la santé et la réduction des inégalités existantes en matière de santé (2).
Une HiAP sous-entend littéralement la ‘santé dans tous les domaines politiques’, c’est-à-dire la conduite d’une collaboration intersectorielle en matière de santé impliquant la participation de tous les domaines d’action politique et de tous les niveaux de pouvoir.
Dans de nombreux pays européens, y compris dans l’Union elle-même, la HiAP est un élément crucial de la politique de santé, qui met à l’avant-plan l’importance de la santé pour les autres secteurs et vice versa.
Plusieurs pays d’Europe ont mis en place des mécanismes de fonctionnement destinés à assurer la collaboration entre les secteurs en matière de santé. Ces pays manifestent également un grand intérêt à poursuivre ce développement, notamment la Finlande, la Suède, le Royaume-Uni et l’Espagne.
En Belgique aussi, on a déjà l’expérience de mécanismes de fonctionnement visant à favoriser la collaboration entre les différents secteurs. Songeons par exemple aux politiques en matière de pauvreté, de développement durable, de violence intrafamiliale. Dans le domaine des soins de santé également, une politique intégrée est développée par le biais de la Conférence interministérielle Santé publique. Mais il n’existe encore aucun mécanisme de fonctionnement en matière de HiAP au niveau national.
Une évidence utile à (ré)affirmer
La conduite d’une HiAP ne va pas de soi, étant donné que les autres secteurs ne considèrent pas la santé comme leur priorité. Et pourtant, il est de plus en plus évident que la plupart des gains en matière de santé sont à enregistrer en dehors du secteur des soins de santé ou de la santé en général !
Les autres secteurs doivent être informés des avantages qu’ils peuvent retirer lorsque le citoyen est en bonne santé. Une bonne information est capitale pour les convaincre de ce que l’investissement dans la santé peut également comporter des avantages pour eux.
La santé de la population a d’ailleurs une incidence sur d’autres secteurs. Les écoles (augmentation des chances de bons résultats scolaires), le marché du travail (moins d’absentéisme, plus de productivité), la sécurité sociale (moins de dépenses de santé, moins d’absentéisme, capacité des personnes en bonne santé de travailler plus longtemps, ce qui a aussi des implications pour les pensions), par exemple, ont tout intérêt à ce que la population soit en bonne santé. Par ailleurs, il importe que le secteur de la santé tienne compte de la logique des autres secteurs et la soutienne.
Une HiAP est également essentielle pour la prise en charge des inégalités sociales de santé. Ces inégalités peuvent se définir comme des différences systématiques et évitables entre groupes sociaux dans la prévalence ou l’incidence de problèmes de santé (Commission de l’OMS sur les déterminants sociaux de la santé, 2008 (3)).
De même que dans les autres États membres de l’Union européenne, des inégalités existent en Belgique en matière de santé et elles se développent selon un gradient social. Les résultats des enquêtes de santé successives indiquent régulièrement que les inégalités en matière de santé dans notre pays ne diminuent pas (4)(5).
Ces inégalités en matière de santé sont inacceptables parce qu’elles peuvent être évitées. Ce problème, qui concerne une partie importante de la population, est provoqué par une inégalité dans la répartition des richesses, mais aussi des opportunités, des connaissances et du pouvoir dans notre société. Pour parvenir à réduire les inégalités sociales de santé, une politique/une approche HiAP transversale aux différents niveaux de pouvoir est nécessaire.
Il ne suffira pas d’une politique en matière de pauvreté ni d’augmenter l’accessibilité des soins de santé pour réduire les inégalités existantes dans le domaine de la santé.
La mobilisation est nécessaire
Dans chaque domaine de l’action publique, il faut être attentif à des mesures politiques fondées sur un universalisme proportionné . On entend par là des mesures et/ou initiatives destinées à tous, mais mises en œuvre en fonction du niveau de précarité. Il faut investir plus souvent et avec plus de moyens en tenant compte du gradient qui divise la société.
Une politique simplement universelle n’a pas le même impact auprès de tous dans la société. C’est pourquoi des mesures universelles doivent idéalement s’accompagner d’une mise en œuvre complémentaire ou sélective qui varie en fonction des besoins. Ces mesures sélectives doivent être proportionnées au niveau d’inégalité. Les mesures ne doivent donc pas seulement cibler les plus défavorisés car, alors, seule une partie de l’inégalité est combattue. Une politique de ce genre ne s’attaquera pas aux inégalités en matière de santé qui existent auprès d’autres groupes socio-économiques. Le problème se déplace vers un nouveau sous-groupe.
Des outils pour discuter
Une communication bien structurée, des mesures d’impact sur la santé, des enquêtes de santé, de même que des fiches d’information spécifiques par secteur, expliquant de quelle manière les autres secteurs peuvent contribuer à réduire les inégalités en matière de santé, sont des outils importants pour développer une compréhension commune de la problématique des inégalités en matière de santé afin que tout le monde s’accorde sur ce qu’implique précisément cette problématique dans la pratique. Il le faut pour entamer de façon structurée le dialogue du secteur de la santé avec les autres secteurs.
Le SPF Santé publique et les trois régions du pays participent à l’action conjointe ‘Equity Action’ . Il s’agit d’une initiative conjointe des États membres de l’Union européenne pour transposer dans la réalité la communication de la Commission européenne sur les inégalités en matière de santé ainsi que les conclusions du Conseil. Cette action conjointe a débuté en 2011 et se déroulera jusqu’en 2014.
L’objectif final de cette action conjointe est que les États membres mènent une HiAP relative à la problématique des inégalités sociales de santé, où la réalisation de mesures d’impact sur la santé et l’implication des parties prenantes sont des éléments essentiels. Au niveau européen, il a été choisi d’organiser l’implication de ces dernières autour du thème ‘Equity from the start’ (L’équité dès le départ) , soit, en d’autres termes, de s’attaquer à la problématique des inégalités en matière de santé en offrant à chaque citoyen, dès la naissance, des chances égales d’une vie en bonne santé. On mesurera sans peine le caractère particulièrement ambitieux de cet objectif…
Le SPF Santé publique a estimé que ce thème offre une excellente opportunité pour développer une approche nationale HiAP dans le domaine des inégalités en matière de santé. Pour amorcer un dialogue politique sur cette question, une Commission nationale d’accompagnement a été mise en place.
Un dialogue en deux temps
Le 11 janvier 2013, une première rencontre à laquelle une bonne soixantaine de personnes étaient présentes avait pour objectif de mettre en place des balises et un référentiel commun pour garantir un dialogue fructueux.
En introduisant les travaux, Dirk Cuypers, Président du Comité de direction du SPF Santé publique, Sécurité de la Chaîne alimentaire et Environnement eut cette formule spectaculaire, qu’on n’aurait sans doute pas entendue de la bouche d’un haut fonctionnaire ‘santé’ voici quelques années: «Les mesures ayant le plus fort impact sur la santé publique ne seront plus prises dans mon département à l’avenir.» ‘Enfin !’, serions-nous tenté d’écrire…
Il illustra ce nouveau paradigme avec la Norvège, qui a un plan d’action en développement impliquant neuf ministères en plus de celui de la santé.
Ensuite, Myriam De Spiegalaere (ULB) présenta avec sa clarté habituelle les principaux déterminants des inégalités sociales de santé (voir encadré), tout en stigmatisant le cercle vicieux de la précarité qui renforce les inégalités qui renforcent à leur tour la précarité. Elle souligna aussi la dualisation en oeuvre à Bruxelles, lisible de manière très spectaculaire sur des cartes liant le niveau socio-économique des quartiers et, par exemple, l’accessibilité des milieux d’accueil, la tranquillité de l’environnement, le nombre de pièces par logement. Démonstration accablante…
Qu’est-ce qui détermine la santé ?
Facteurs d’agression
agresseurs physiques (exemples: violence, températures excessives, humidité, accidents…);
agresseurs chimiques (exemples: polluants, composants alimentaires…);
agresseurs biologiques (exemples: bactéries, virus…);
agresseurs psychologiques (stress…).
Facteurs de protection : immunité, vaccinations, détente, estime de soi, alimentation équilibrée, logement adéquat, aménagement du territoire sécurisant, vêtements adaptés, code de la route, réglementations sur les produits chimiques, épuration des eaux…
Facteurs de production de santé : exercice physique, relations humaines de qualité, contact avec la nature, support social, sentiment d’utilité sociale, aménagement convivial de l’espace public…
Facteurs de réparation : soins informels, soins curatifs, soins préventifs.
D’après la présentation de Myriam De Spiegelare
Ne se limitant pas à répéter ses constats, elle estime que le moment d’agir enfin de manière concertée est venu, la crise à la fois économique et institutionnelle que connaît la Belgique offrant une chance de ‘reconstruction’ propice au travail commun entre secteurs et à l’intérieur des secteurs.
Les autres intervenants illustrèrent avec à propos les mérites de l’ intersectorialité , que ce soit en termes de développement durable avec Sophie Sokolowski , Présidente du Service Public fédéral de Programmation Développement durable ou d’actions diverses en faveur de la petite enfance avec Rudy De Cock de Kind & Gezin.
Pour terminer, Stefaan Demarest (Institut scientifique de santé publique) présenta un outil du dialogue, l’ évaluation d’impact sur la sant (Health Impact Assessment)(6).
À la fin de cette première partie, chaque département était invité à remplir un questionnaire permettant d’identifier la contribution des différents domaines politiques impliqués sur la problématique des inégalités sociales de santé et de préparer la suite du processus.
Le 26 février, les bases de la collaboration avec les divers niveaux de pouvoir et administrations concernées étaient à l’ordre du jour. Deux tiers des participants à la première journée avaient répondu au questionnaire, dont une majorité de personnes issues d’un autre secteur que la santé. Une indication positive de ce que la stratégie intersectorielle indispensable pour s’attaquer sérieusement aux inégalités sociales de santé est jouable…
Le dialogue, animé par Caroline Costongs, d’Eurohealthnet (7), a démarré sur base de 8 propositions sur lesquelles les participants à la deuxième rencontre devaient voter, une bonne façon de susciter échanges et commentaires sur une matière parfois abstraite ! Le caractère un peu symbolique de cet exercice démocratique ne nous a pas échappé, le taux d’adhésion massif aux propositions en témoigne (voir encadré). Cela dit, cela induit une dynamique assez positive dans un groupe au départ hétérogène, ce qui est de bon augure.
Les 8 affirmations
- Il est nécessaire de mettre en œuvre une stratégie ‘Health in All Politics’ concernant les inégalités sociales de santé (97,5% d’accord).
- Création d’un groupe de travail ‘inégalités en matière de santé’ dans le cadre de la CIDD (92,5% d’accord).
- Le mandat du groupe de travail comprendra notamment la rédaction d’un plan opérationnel ‘inégalités en matière de santé’, sa mise en œuvre, son suivi ainsi que son évaluation (85% d’accord).
- Le groupe de travail doit faire usage du rapport de l’OMS ‘Report on social determinants of health and the health divide in the WHO European Region’ (document de référence de 44 pages paru en 2012 téléchargeable en anglais à l’adresse http://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0004/171337/RC62BD05-Executive-summary-Report-on-social-determinants-of-health-and-the-health-divide-in-the-WHO-European-Region.pdf ) pour la rédaction du plan opérationnel afin d’en transposer les recommandations dans le contexte belge (97,4% d’accord).
- D’après l’OMS le secteur de la santé doit être un leader et l’engagement politique est essentiel. D’où l’importance que la conférence interministérielle (CIM) santé publique puisse confier des missions au groupe de travail et que des rapports soient régulièrement présentés à la CIM pour l’informer de l’avancement des activités (95 % d’accord).
- La création de synergies entre le futur groupe de travail et les autres groupes de travail intersectoriels (lutte contre la pauvreté, cohésion sociale, développement durable) est importante pour aboutir à une politique cohérente dans la lutte contre les inégalités sociales de santé (92,5% d’accord).
- Pour éviter les redondances, il convient que les différents niveaux de pouvoir réfléchissent à la manière dont le ‘health impact assessment’ (HIA) peut être intégré dans les évaluations d’impact existantes (92,5% d’accord).
- Pour améliorer la ‘capacity building’, la ‘sensibilisation’, le ‘stakeolder involvement’, la désignation de personnes de contact en matières d’inégalités sociales de santé est souhaitable dans les différentes administrations et aux différents niveaux de pouvoir. Leurs missions dans le cadre de la CIDD seront complémentaires à celles du groupe de travail (83,8% d’accord).
Le dialogue s’instaurera dans le cadre de la Commission interdépartementale de développement durable (CIDD). Il visera un objectif très ambitieux de réduction de 50% des inégalités sociales de santé, mais à (très) long terme, d’ici 2050… (8)
Christiaan Decoster, Directeur général au SPF Santé publique, a souligné aussi que la Commission interministérielle Santé publique pourra s’avérer un levier efficace pour que les acquis du dialogue ne restent pas lettre morte.
À suivre…
Ce dialogue politique pourrait être une première étape dans le développement d’instruments et d’un cadre commun d’action dans le domaine d’une politique HiAP transversale sur les différents niveaux de pouvoir et les différents départements concernant les inégalités en matière de santé en Belgique. C’est en tout cas ce qu’il faut espérer, en constatant avec intérêt que contrairement à ce qui s’est produit pour le Plan national nutrition santé (9), le SPF Santé publique a joué dès le début la carte de la modestie et de la co-construction du processus au sein d’une Commission nationale d’accompagnement ‘Equity Action’ où se retrouvent des représentants des différentes entités du pays.
Dialogue politique : vers l’équité en santé dans toutes les politiques en offrant dès le départ à chaque citoyen les mêmes chances d’une vie en bonne santé. Contact: michel.lambrechts@gezondheid.belgie.be
(1) Article basé en partie sur la documentation fournie aux participants aux deux demi-journées de préparation du dialogue politique.
(2) C’est ce qui ressort de la stratégie Health for All de l’OMS, de la future Health 2020 Strategy de la Région OMS Europe, de la Déclaration de Rio de l’OMS sur les inégalités en matière de santé, du Traité de Rome en ce qui concerne la HiAP, de la Charte de Tallinn sur les systèmes de santé et de la stratégie en matière de santé de la Communauté européenne.
(3) Commission de l’OMS sur les déterminants sociaux de la santé (2008). Combler le fossé en une génération: instaurer l’équité en santé en agissant sur les déterminants sociaux . Genève, Suisse, OMS.
(4) Enquête nationale de santé par interview, ISP, Belgique, 2008.
(5) H. Van Oyen, P. Deboosere, Lorant, V., Charafeddine, R. (Éds.) (2011). Sociale ongelijkheden in gezondheid in België (Inégalités sociales en matière de santé en Belgique) . Gand, Academia Press.
(6) Notons à ce propos l’initiative du sénateur André du Bus , qui a déposé au cours de la session 2011-2012 une proposition de résolution relative à la prise en compte de la dimension santé dans toutes les politiques publiques sectorielles (document 5-1287/1 sur le site du Sénat). Cette proposition a été prise en considération, mais n’a pas encore abouti à ce jour.
(7) EuroHealthNet est un organisme sans but lucratif pour promouvoir la santé et l’équité en s’attaquant aux facteurs qui déterminent la santé, directement ou indirectement. Il offre des conseils et des informations aux décideurs politiques, et œuvre à la promotion de bonnes pratiques et d’innovations au moyen de méthodes éthiques et durables. Le bureau de liaison d’Eurohealthnet est situé à Bruxelles, rue de la Loi 67. Internet: http://www.eurohealthnet.eu .
(8) Voir le document ‘Vision stratégique à long terme de développement durable’, https://5003.fedimbo.belgium.be/sites/5003.fedimbo.belgium.be/files/explorer/publications/CIDD_visionfederalealongtermeenmatierededeveloppementdurable.pdf
(9) Voir l’article de Gaëtan Absil et Chantal Vandoorne, Évaluation du premier Plan national nutrition santé belge: peut mieux faire, Éducation Santé 283, novembre 2012.