Lutter contre les grossesses non désirées chez les jeunes, tout en les sensibilisant à la prévention des MST
En Belgique, chaque année, près de 15.000 femmes recourent à une interruption volontaire de grossesse (IVG) (1). Parmi ces femmes, près de 3.000 sont des jeunes filles de 13 à 20 ans, et ces chiffres ne diminuent pas au fil des années.
Si on considère les avortements chez les femmes de 15-19 ans, près de la moitié d’entre elles n’avait utilisé aucun moyen de contraception, aucune protection. Pour les moins de 15 ans, cette proportion atteint presque les deux tiers.
Partant de ce constat, la Conférence interministérielle des ministres de la Santé du 11 décembre 2001 – qui s’est penchée sur la problématique de la contraception chez les jeunes de moins de 20 ans afin de diminuer le nombre d’IVG -, a identifié diverses pistes en matière de contraception.
Parmi ces pistes, on trouve notamment que « le prix de la pilule constitue un frein à son utilisation ». Le groupe de travail adhoc recommande en conséquence « d’établir un système de remboursement pour tous les moyens de contraception fiables ». Il formule également des recommandations en terme d’accessibilité pour la pilule du lendemain, et engage à « stimuler les médecins à prescrire des pilules meilleur marché conformes à des recommandations de bonne pratique ».
C’est donc un effort collectif, à tous les niveaux de responsabilité, qui doit être entrepris si l’on veut encore limiter les cas de recours à l’IVG.
C’est pourquoi, Rudy Demotte , le ministre fédéral des Affaires sociales, a décidé d’améliorer l’accessibilité des moyens contraceptifs, spécifiquement pour les jeunes. Concrètement, il propose une réduction d’une valeur de trois euros par mois sur la contraception pour les jeunes, ce qui représente la totalité du coût d’un mois de pilule de la deuxième génération.
Intervention spécifique sur la contraception
Depuis le 1er mai 2004, toute jeune fille de moins de 21 ans qui se rendra chez son pharmacien avec une prescription pour un contraceptif paiera approximativement 3 euros de moins par mois de contraception.
La mesure concerne tous les moyens de contraception prescrits : toutes les pilules, qu’elles soient remboursées ou non actuellement, les stérilets, les patchs, les anneaux vaginaux, les implants… Les préservatifs ne sont donc pas inclus.
L’intervention pour chaque moyen contraceptif a été calculée sur base d’un pourcentage du montant à charge de la patiente aujourd’hui. Elle vient donc s’ajouter au remboursement éventuellement déjà octroyé dans le régime général (20% pour certaines pilules).
Seuls les pourcentages existants dans le système de remboursement des médicaments ont pu être utilisés, ce qui explique la variation du montant remboursé entre les différents contraceptifs.
Pour les contraceptifs efficaces durant plusieurs années, le remboursement se limite à 12 mois maximum.
La liste des moyens bénéficiant de l’intervention sera adaptée tous les 6 mois pour tenir compte des éventuels nouveaux produits ou des variations de coût pour le patient. Ceci peut être le cas si certaines pilules qui sont remboursées actuellement décident de sortir du remboursement.
Concrètement, la jeune fille décide avec son médecin de la contraception qui lui convient le mieux.
Elle se rend ensuite chez un pharmacien avec sa prescription. Sur simple présentation de sa carte SIS, le pharmacien déduira automatiquement 3 euros par mois de ce que doit payer la patiente.
Grâce à la carte SIS, le pharmacien pourra vérifier que la jeune fille a bien maximum 20 ans et que c’est bien la personne pour qui le médicament a été prescrit.
Contraception d’urgence
Outre la contraception, un autre moyen de réduire le nombre de grossesses non désirées est de rendre la «pilule du lendemain» plus accessible.
Comme indiqué plus haut, la conférence interministérielle de 2001 a également formulé des recommandations dans ce sens.
Si cette pilule ne doit pas être confondue avec des moyens de contraception efficaces, c’est une solution d’urgence qui s’avère nécessaire dans certains cas.
La pilule du lendemain devient donc gratuite pour toutes les jeunes filles de moins de 21 ans.
Si c’est un médecin qui l’a prescrite, elle sera délivrée gratuitement sur simple présentation de la carte SIS. Par contre, ce qui arrive souvent avec cette pilule «d’urgence», si la jeune fille se rend à la pharmacie sans ordonnance, elle recevra bien la pilule mais devra se faire rembourser par sa mutualité.
Communication
Double protection
Comme le suggère la Commission d’évaluation sur l’avortement dans son dernier rapport:
« Les efforts fournis en vue d’améliorer l’information des jeunes , aussi bien au sein qu’en dehors des établissements d’enseignement doivent être intensifiés . Le public doit être mieux informé et d’une manière continue quant aux moyens contraceptifs qui sont performants mais qui , au vu de nos renseignements , paraissent souvent être mal utilisés .»
Bien que la mission d’information et de prévention relève des Communautés, la mesure fédérale d’amélioration de l’accès à la contraception s’est accompagnée d’une campagne de communication. Cela semble logique: pour convaincre les jeunes d’utiliser plus et mieux la contraception, un meilleur remboursement des moyens contraceptifs fiables ne suffit pas. Il faut informer les jeunes de la mesure, mais aussi rappeler la nécessité d’utiliser un contraceptif non seulement pour éviter une grossesse non désirée, mais aussi pour prévenir les maladies sexuellement transmissibles (MST).
Il a donc été jugé indispensable de rappeler la nécessité d’une double protection: l’utilisation d’un préservatif et d’un autre contraceptif fiable.
Revendications
Le mouvement du planning familial se veut actif dans les domaines qui visent à une vie sexuelle et affective épanouie, respectueuse de soi et des autres, facteur déterminant de l’équilibre individuel et collectif. Le combat du secteur dans différents domaines en lien avec la promotion de ces valeurs a contribué ces dernières décennies à des changements sociaux et politiques notables. Citons la loi sur la dépénalisation de l’avortement et, plus récemment, la prise en charge par l’INAMI de l’IVG et de son accompagnement.
Par contre, ces dernières années, l’accessibilité à la contraception, à l’exception de la nouvelle mesure concernant les jeunes filles de moins de 21 ans, a peu progressé. Même si l’offre de méthodes contraceptives s’est élargie, paradoxalement, l’accessibilité financière, elle, s’est dégradée. En effet, les contraceptifs les plus récents sont chers et ne sont pas remboursés. La contraception reste du domaine du médicament de confort alors que, pour une partie grandissante de la population, le prix est et restera un frein. De plus, l’accès à l’information et à l’éducation à la vie affective et sexuelle reste inégale au sein de la population.
Une accessibilité pour tous à des méthodes contraceptives efficaces est indispensable et doit être un choix de société. Ce choix implique un soutien des pouvoirs publics et des mesures politiques garantissant à chaque citoyen la liberté de choisir de devenir parent ou non dans une démarche responsable.
Dans ce contexte, la Fédération laïque de centres de planning familial et la Fédération de centres de planning familial – FPS ont deux revendications fondamentales.
Une contraception gratuite pour tous
Ou, à tout le moins
– la gratuité pour certaines catégories de la population;
– la distribution gratuite via les centres de planning familial au minimum pour les moins de 26 ans;
– des choix politiques de remboursement sur tous les contraceptifs, ainsi que le refus des demandes de déremboursement introduites par certaines firmes pharmaceutiques;
– la promotion des produits génériques;
– la distribution de préservatifs gratuits pour promouvoir la double protection.
Une éducation affective et sexuelle gratuite et obligatoire pour tous
Un réel accès à la contraception implique aussi d’en connaître l’existence, d’en comprendre le fonctionnement, de pouvoir l’utiliser de façon efficace et pertinente.
L’accessibilité financière doit donc s’accompagner impérativement de mesures visant à promouvoir l’éducation à la vie affective et sexuelle.
Cela implique au minimum
– une vraie politique globale et transversale en matière d’éducation sexuelle et affective avec une concertation entre les différents niveaux de pouvoir concernés, à savoir le fédéral, le communautaire et le régional; actuellement, chaque niveau privilégie les institutions qu’il subsidie sans tenir compte des compétences déjà existantes d’autres acteurs;
– la reconnaissance de la spécificité des centres de planning familial en matière d’éducation sexuelle et affective et que celle-ci soit inscrite dans le décret PSE (promotion de la santé à l’école). En effet, les centres ont des animateurs qualifiés et formés, avec une expertise certaine dans l’enseignement primaire et secondaire, tant ordinaire que spécial;
– l’intégration dans le cursus scolaire des futurs professionnels du secteur de la santé d’une information sur les centres de planning familial et leurs spécificités, de même qu’une formation systématique à la contraception et à l’IVG, tant dans leurs aspects médicaux que relationnels (accueil et écoute).
– un financement spécifique de la formation continuée des travailleurs des centres de planning.
Par ailleurs, dans la perspective d’améliorer les services offerts par les centres, les deux fédérations demandent:
-une évaluation, par le niveau de pouvoir concerné, des mesures mises en place concernant le secteur des centres de planning, telles que la gratuité de la pilule du lendemain dans les centres de la Région wallonne;
– la réalisation d’enquêtes par des organismes indépendants (universités) en vue d’orienter et d’adapter les missions des centres à l’évolution de la société;
– des aménagements directement liés au cadre des missions et du personnel des centres de planning.
d’après un communiqué des deux fédérations de centres de planning
Trop de jeunes ignorent encore que le préservatif est le seul moyen efficace de lutte contre les MST, et particulièrement contre le sida. Or, dans notre pays, comme dans les autres pays européens, on a observé ces dernières année une hausse des infections HIV. L’amélioration des traitements du sida a eu comme effet qu’un faux sentiment de sécurité s’est diffusé auprès de certaines personnes.
Même si, dans l’Enquête de santé de l’Institut scientifique de la santé publique de 2001, deux tiers des jeunes de 15 à 19 ans qui ont eu des relations sexuelles dans l’année déclarent utiliser un préservatif, il reste un tiers à sensibiliser.
Contenu de la campagne
Parallèlement au budget permettant le meilleur remboursement des contraceptifs pour les jeunes, Rudy Demotte a alloué des moyens aux mutuelles et aux pharmaciens pour qu’ils informent leurs affiliés et patients sur la contraception et la protection par les préservatifs.
En outre, un comité d’accompagnement a été mis en place pour encadrer la campagne d’information. A côté des mutuelles et des pharmaciens, les trois communautés et les acteurs de terrain sont représentés dans ce comité.
Une vaste campagne d’information a eu lieu à partir du 8 mai pour que tous les jeunes soient informés que maintenant la contraception est plus accessible.
La campagne s’est déroulée durant une dizaine de semaines, d’abord en TV (sur les chaînes musicales, et non sur les chaînes généralistes) ensuite dans tous les cinémas de Belgique, dont la cible de la campagne constitue la clientèle privilégiée.
Le spot, développé par l’agence de publicité Duval Guillaume, évoque l’univers d’un jeu vidéo, jugé particulièrement percutant pour la cible des moins de 20 ans. On y voit sur un rythme frénétique Laura, une jeune fille mère de famille (‘Teenage Mum’), essayer de concilier péniblement son rôle de mère et ses activités d’adolescentes. Le message est clair: ‘être une mère ado, c’est pas un jeu.’
Le spot a été diffusé en 2 parties durant le même écran publicitaire: la première partie sensibilise à la contraception et annonce la baisse du coût des contraceptifs, et la seconde rappelle qu’une vraie protection passe aussi par l’usage d’un préservatif.
Le spot renvoie vers le centre de l’information de la campagne: le site internet http://www.laura.be , du nom de la mère-ado du spot. Ce site, qui affecte la forme d’un journal intime, rassemble une série d’informations sur la mesure et répond aux questions que les jeunes se posent sur la protection.
Il renvoie également aux sites de divers acteurs dans le domaine de la santé et de la vie sexuelle et affective (les centres de planning familial en Communauté française, Sensoa en Flandre, les mutuelles…).
Une information distincte de celle sur des moyens de contraception concerne la pilule du lendemain. L’intérêt mais aussi les limites de ce type de contraception sont mis en évidence.
Distribution de préservatifs
En tant que rappel de la double protection, un stock de 500.000 préservatifs a été également mis à disposition. La pochette du préservatif sert de vecteur de communication et renseigne le site http://www.laura.be .
Il ne s’agit pas ici de permettre l’accès gratuit aux préservatifs de la même manière qu’aux contraceptifs, mais bien de sensibiliser à la double protection.
Un préservatif est donné en pharmacie, à partir de juin 2004, aux jeunes filles qui viennent acheter un contraceptif, le solde étant utilisé par les acteurs de terrain (centres de planning familial, mutuelles, etc.) pour des actions de sensibilisation à l’attention des jeunes.
Budget
Un budget de 5,259 millions d’euros est prévu pour les années 2004 à 2006, dont 10% seront consacrés annuellement à la campagne d’information.
Quelques commentaires
Les données disponibles sur les femmes devant recourir à l’IVG dans notre pays ont permis de définir une mesure de diminution du seuil d’accessibilité financière à des moyens contraceptifs fiables. C’est bien, mais on peut faire aussi l’hypothèse que le problème se pose également en termes éducatifs et culturels, et qu’un effort parallèle devra être fait en matière d’éducation sexuelle et affective, une matière parfois délaissée dans nos programmes de cours.
Rôle des mutualités
Associées à ce projet, les mutualités en assurent la promotion de manière significative. Par exemple, les Mutualités chrétiennes ont adressé à plusieurs dizaines de milliers de jeunes un courrier expliquant la mesure. Elles en ont profité pour mettre à jour leur brochure d’information sur le sujet, sous le titre ‘Sex appeal pilule &Cie;’.
D’autres informations sont accessibles sur leur site http://www.mc.be .
Spécimen de labrochure disponible sur simple demande à infor.sante@mc.be
Le Ministre nous assure que cette initiative ambitieuse fait l’objet d’une concertation avec les Communautés, compétentes en matière de promotion de la santé. C’est tant mieux, mais cette concertation semble quand même un peu légère. On a parfois l’impression que le découpage des compétences en matière de santé sert d’argument pour ne rien faire quand cela arrange, ou au contraire pour empiéter sur les compétences du voisin quand cela s’inscrit bien dans une stratégie fédérale (cette remarque n’est d’ailleurs pas propre à cette campagne-ci).
On soulignera la brillante qualité technique du spot, tout en s’interrogeant sur l’image forcément négative qu’il véhicule de la maternité, ‘pour la bonne cause’. Laissons les jeunes filles (et aussi les garçons, peu présents et qui doivent être pourtant aussi sensibilisés) juger sur pièce.
Pour faire plus ressemblant par rapport aux classiques du jeu vidéo, les concepteurs ont opté pour la langue anglaise dans la version ‘flamande’ du spot. Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, malgré le discours rassurant du représentant de l’agence de publicité quant à la connaissance beaucoup plus répandue de l’anglais au nord qu’au sud…
Christian De Bock
(1) Source: Rapport de la Commission nationale d‘évaluation de la loi du 3 avril 1990 relative à l’interruption de grossesse.