L’évaluation d’impact sur la santé (EIS) applique une ‘lunette santé’ à un projet ou à une proposition de politique élaborés pour d’autres motifs que la santé. S’inspirant directement des études d’impact environnemental, en intégrant les concepts de promotion de la santé et le courant des déterminants sociaux de la santé, elle produit non seulement de l’information sur les risques du projet envisagé pour la santé des populations, mais aussi sur les solutions possibles. Introduction à ce concept en plein développement au Québec, en Europe et ailleurs dans le monde.Invitant ses quelque 600 participants quotidiens à ‘emprunter des voies convergentes’, l’édition 2013 des Journées annuelles de santé publique s’est tenue du 25 au 27 novembre de l’an passé à Montréal. La programmation aussi diversifiée que passionnante valorisait la complémentarité des stratégies, des actions et des disciplines pour viser la santé et le bien-être des populations.Dans ce cadre, un atelier méthodologique portant sur l’évaluation d’impact sur la santé des politiques publiques avait parfaitement sa place. En effet, cette pratique est née de la convergence de plusieurs disciplines, appliquant à la santé une technique issue du monde de l’environnement, et requiert une collaboration intersectorielle et multidisciplinaire.La journée était préparée et présentée par Louise St-Pierre, par ailleurs vice-présidente de la section des Amériques du Réseau francophone international pour la promotion de la santé (RÉFIPS), et sa collaboratrice Julie Castonguay, toutes deux travaillant pour le Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques et la santé.L’atelier a attiré plusieurs dizaines d’acteurs de santé publique, originaires de divers pays francophones, tous souhaitant influencer le développement des politiques publiques locales et régionales dans un sens favorable à la santé.
Définition et principes de base
Selon la définition du Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, l’évaluation d’impact sur la santé «vise à dresser un tableau des effets anticipés de politiques, de programmes et de projets sur la santé d’une population et sur les différents groupes qui la composent. La mise en lumière des effets potentiels sur la santé permet ainsi d’éclairer la prise de décision». Puisque l’atelier se voulait une introduction à la pratique, les formatrices ont pris le temps de revenir sur quelques principes de base.Tout d’abord, le modèle d’application de l’évaluation d’impact sur la santé promu par le Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques et la santé a pour objectif de soutenir les décisions politiques, sans les contraindre. Il s’agit de formuler à la demande et à l’attention des décideurs des recommandations visant à modérer les effets négatifs sur la santé d’une politique, d’un projet ou d’un programme et à en promouvoir les effets positifs.Il existe d’autres modèles d’application de l’évaluation d’impact sur la santé, qui visent par exemple à produire des avis de santé publique ou à jouer un rôle de plaidoyer pour influencer les politiques.Alors que certaines évaluations d’impact sur la santé sont issues des autorités et misent essentiellement sur les données scientifiques, d’autres sont entièrement portées par les communautés et reposent sur les savoirs populaires. Les évaluations d’impact sur la santé réalisées en soutien à la décision veulent atteindre un juste milieu entre ces pôles, en faisant appel aux expertises scientifiques et citoyennes de façon équilibrée.Ensuite, l’évaluation d’impact sur la santé porte mal son nom – ou traduit mal son appellation anglaise d’ ‘Health Impact Assessment’ (HIA) – puisqu’il s’agit en fait d’une estimation prospective et non rétrospective, c’est-à-dire réalisée avant la mise en place d’un projet et qui ne vise pas à porter un jugement sur celui-ci. S’inspirant de l’évaluation d’impact environnementale, elle adopte une approche holistique en s’intéressant aux effets potentiels d’une politique sur l’ensemble des déterminants de la santé ainsi que sur les inégalités sociales de santé.Par ailleurs, l’évaluation d’impact sur la santé vise à identifier les impacts potentiels sur la santé de toutes sortes de projets et programmes, excepté précisément ceux qui visent la santé. Elle s’inscrit ainsi dans le champ de la santé dans toutes les politiques (‘Health in All Policies’) promu par l’Organisation mondiale de la santé et l’Union européenne, qui connaît un essor intéressant.Enfin, ce modèle d’application de l’évaluation d’impact sur la santé s’intéresse aux politiques publiques et non aux projets de promoteurs privés. Bien que des évaluations d’impact sur la santé puissent être réalisées à différents paliers gouvernementaux, l’atelier portait spécifiquement sur les projets mis en œuvre au niveau municipal (ou communal), où les évaluations d’impact sur la santé sont les plus fréquentes. Les multiples exemples présentés au cours de la journée provenaient donc de ce niveau de pouvoir.
Une structure en cinq étapes
Après cette introduction, les participants ont pu apprendre et, en sous-groupes, appliquer à un cas fictif les étapes de l’évaluation d’impact sur la santé. L’atelier visait en effet à les outiller pour entamer une démarche collaborative d’évaluation d’impact sur la santé des politiques publiques dans leur région ou leur localité.L’évaluation d’impact sur la santé suit une démarche structurée qui comprend les cinq étapes suivantes:1. Le dépistage: il s’agit d’abord d’identifier les déterminants de la santé qui peuvent être touchés par la proposition, et ce pour les différents groupes de population;2. Le cadrage: il faut ensuite sélectionner, parmi les effets supposés, ceux pour lesquels une recherche de données et une analyse seront effectuées et concevoir un cadre logique représentant graphiquement les hypothèses de liens;3. L’analyse: par après, il est essentiel de chercher des données sur le profil de la communauté touchée et de vérifier chaque effet supposé aux étapes précédentes, à partir de la littérature et des données fournies par la population elle-même;4. Les recommandations et le rapport: les résultats pertinents de l’analyse sont rédigés et les recommandations qui en émergent sont formulées à l’attention des décideurs, dans un langage accessible à tous les partenaires;5. L’évaluation: le travail s’achève sur une évaluation du processus de l’EIS menée (ressources utilisées, satisfaction des partenaires…) et de ses effets directs et indirects sur la prise de décision. Lorsque c’est possible, cette dernière étape comprend aussi la supervision de l’implantation des mesures suggérées et le suivi des impacts réels du projet sur la santé de la population.
Efficacité prouvée
Ce modèle d’application de l’évaluation d’impact sur la santé peut être considéré comme une avenue intéressante pour favoriser l’adoption de politiques publiques favorables à la santé et développer des collaborations avec le milieu municipal.Cependant, puisque ses recommandations n’ont aucun caractère contraignant, la question de son efficacité à influencer la prise de décision se pose légitimement. Une analyse de 54 évaluations d’impact sur la santé menées en Australie a démontré que 66% d’entre elles avaient eu une efficacité directe, c’est-à-dire avaient entraîné un ou des changements dans le projet étudié, que 23% avaient surtout mené à une prise de conscience des décideurs, que 6% avaient été utilisées de manière opportuniste, souvent pour faire valoir un projet, et que 6% n’avaient pas eu d’efficacité. Les résultats de cette étude récente corroborent ce qui a été trouvé antérieurement en Europe et aux États-Unis. Dans la grande majorité des cas, l’évaluation d’impact sur la santé permet donc de changer les façons de travailler et suscite de multiples prises de conscience, partages et apprentissages.
Expériences québécoises
Pour démontrer les retombées positives que peuvent entraîner les évaluations d’impact sur la santé, l’atelier s’est achevé sur une présentation animée de plusieurs projets réalisés au cours des dernières années en Montérégie, une région située au Sud-est de Montréal. À ce jour, près d’une dizaine d’évaluations d’impact sur la santé y ont été menées par la Direction de santé publique de cette région pionnière en collaboration avec le milieu municipal et une trentaine d’autres sont prévues d’ici à la fin de l’année 2015.Les conditions favorables à la mise en œuvre d’une évaluation d’impact sur la santé et les modèles collaboratifs ont été présentés et discutés à travers plusieurs projets visant le développement domiciliaire, le développement du territoire, la revitalisation ou encore le développement social d’une municipalité.L’expérience montre que l’engagement de partenaires qui n’ont, de prime abord, pas de préoccupation de santé publique est non seulement possible, mais se révèle en outre bien souvent bénéfique pour leurs propres intérêts. Par exemple, un promoteur immobilier qui collabore à une évaluation d’impact sur la santé et qui intègre ses recommandations en montrant une préoccupation réelle pour la santé de la population verra généralement augmenter l’acceptabilité de son projet.Par ailleurs, étant donné que les municipalités n’ont aucune obligation de travailler en collaboration avec les acteurs de santé publique, lorsqu’un maire décide de se lancer dans une évaluation d’impact sur la santé, c’est volontairement qu’il accepte de soumettre son projet à leur regard. Pour augmenter les chances de succès de cette collaboration, il revient donc à ces derniers de privilégier une approche intersectorielle, de favoriser le dialogue, de tenir compte des particularités du contexte, d’adapter leur langage en vue d’atteindre une compréhension commune, de prendre en compte les besoins et capacités des décideurs et de se garder de toute attitude prescriptive. Le sentiment de confiance mutuelle, indispensable au succès de l’opération, repose en effet sur le respect de la légitimité de chacun.
Une stratégie de promotion de la santé
La santé est la résultante de ses multiples déterminants. Pour la promouvoir, il faut donc agir sur une multiplicité de fronts, qui se situent en-dehors du secteur de la santé lui-même. En 1986, la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé identifiait cinq stratégies d’action, parmi lesquelles figurait, en première position, l’élaboration de politiques publiques favorables à la santé : «La promotion de la santé va bien au-delà des soins. Elle inscrit la santé à l’ordre du jour des responsables politiques des divers secteurs en les éclairant sur les conséquences que leurs décisions peuvent avoir sur la santé, et en leur faisant admettre leur responsabilité à cet égard.» L’évaluation d’impact sur la santé propose une technique concrète, structurée et efficace pour atteindre cet objectif aux niveaux locaux et régionaux. Une pratique prometteuse, dont on ne peut que souhaiter un vaste déploiement dans les prochaines années, au Québec comme ailleurs.
Le Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques et la santé est l’un des six Centres de collaboration nationale en santé publique du Canada, dont la mission est la synthèse et la diffusion des connaissances afin d’améliorer les politiques et les pratiques en santé publique. Son mandat spécifique est d’accroître l’expertise des acteurs de santé publique en matière de politiques favorables à la santé à travers le développement, le partage et l’utilisation de connaissances. Il s’intéresse particulièrement aux politiques publiques susceptibles d’avoir une influence favorable sur les déterminants sociaux, économiques et environnementaux de la santé.
HAMEL G. et al., Guide pratique : Évaluation d’impact sur la santé lors de l’élaboration de projet de loi et de règlement au Québec, Ministère de la Santé et des Services sociaux, Québec, 2006. La définition de l’Organisation mondiale de la santé (disponible sur www.who.int/hia/en) est aussi une excellente référence.
Relire à ce sujet l’article de Christian De Bock : Un dialogue politique sur les inégalités sociales de santé, Éducation Santé, n° 290, juin 2013 (https://educationsante.be/es/article.php?id=1591)
Ces cinq étapes sont notamment détaillées dans la brochure L’Évaluation d’Impact sur la Santé (EIS): une aide à la décision publique pour des choix sains, durables et équitables publiée par l’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé (UIPES), téléchargeable sur : www.iuhpe.org/images/GWG/HIA/PrincipesDirecteursEIS.pdf
Dans chacune des 17 régions du Québec, la Direction de santé publique a le mandat de s’assurer que les différents acteurs de la communauté mettent en œuvre les meilleures pratiques en matière de promotion de la santé, de prévention de la maladie, des problèmes psychosociaux et des traumatismes ainsi que de protection de la santé publique. Elle assume également des fonctions de surveillance de l’état de santé et de bien-être de la population ainsi que d’évaluation des programmes.
Plusieurs rapports et documents de référence peuvent être consultés à l’adresse suivante: http://extranet.santemonteregie.qc.ca/sante-publique/promotion-prevention/eis.fr.html