Janvier 2025 Par Clotilde de GASTINES Initiatives

Donner une voix, un visage et une histoire aux Belges porteurs du VIH. L’exposition conçue par la Plateforme Prévention Sida fait la part belle aux témoignages et retrace 40 ans de la lutte contre le VIH/sida en Belgique.

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Dominique est une des premières Belges à avoir été contaminée à l’âge de 34 ans en 1986. Elle raconte ses dix ans d’errance thérapeutique, son expérience de patiente-test pour les premières tri-thérapies qui génère alors énormément d’effets secondaires, l’amélioration des traitements dont les prises sont simplifiées. « Aujourd’hui, je vis, je suis même grand-mère, mais j’espère un jour être délivré de ce processeur interne qui me maintient en vie » dit-elle. 

L’exposition exposition intitulée « Vi(H)VRE !, histoire d’une lutte » se veut un « hommage vibrant » à toute personne touchée de près ou de loin par le VIH. D’abord installée sous le dôme de la Bourse de Bruxelles du 28 novembre au 8 décembre, puis itinérante en Wallonie, c’est un récit à plusieurs voix sur l’épidémie de sida. Celles des survivant.es, des soignant.es et des militant.es.  

Ecrire cette histoire, une nécessité 

« La lutte contre le sida, c’est une mémoire en morceaux, expliquait Charlotte Pezeril, anthropologue et directrice de l’Observatoire du sida et des sexualités, le soir de l’inauguration. L’histoire n’a jamais été écrite, et avec la disparition de l’Agence Prévention Sida (active entre 1991 et supprimée en 1996 – NDLR), beaucoup d’archives ont disparu. Pourtant, l’épidémie n’est pas finie, donc c’est important de comprendre l’échec et les erreurs que nous avons pu faire en termes de prévention et de tirer des leçons politiques de cette épidémie ». 

Pour concevoir l’exposition, la Plateforme Prévention Sida s’est inspirée d’une exposition française qui avait eu lieu au Mucem à Marseille en 2021 sous le titre « VIH/Sida, l’épidémie n’est pas finie », et fait ainsi d’une pierre deux coups : écrire l’histoire belge de l’épidémie et alerter pour remobiliser, car les contaminations sont en hausse pour la troisième année consécutive.  

En 2023, 665 personnes ont été diagnostiquées. Cela représente une augmentation de 13 % par rapport à 2022, précisait Sciensano dans son rapport épidémiologique publié le 7 novembre dernier (cf référence). « Il nous faut des stratégies concertées, car cette hausse va de pair avec l’augmentation des contaminations pour plusieurs IST (gonorrhée, chlamydia, syphilis) », précise Yves Coppieters, ministre wallon de la Santé, de l’Environnement, des Solidarités et de l’Économie sociale, venu participer à l’inauguration pour saluer « l’apport du militantisme » dans la lutte contre le sida.  

L’activisme des personnes malades, moteur de la lutte 

Le parcours chronologique suit la forme du célèbre ruban rouge, symbole de la solidarité. Il met en avant les témoignages des premier.es patient.es et de survivant.es, des personnes parfois issues des communautés LGBTQIA+, ou issues de l’immigration. « Les malades du sida défendaient leurs droits à sauver leur vie. Leur implication a été un moteur dans la lutte, la recherche de traitements, la mise en place d’une politique de prévention adaptée, et l’acquisition de nouveaux droits pour les patients » explique Thierry Martin, le directeur de la Plateforme Prévention Sida le soir de l’inauguration.  

Leur parole permet de retracer les avancées sociales et juridiques qui ont pu voir le jour grâce à leur mobilisation dans la lignée des « principes de Denver ». En 1983, une association sur la santé sexuelle des personnes homosexuelles, gay et lesbiennes publie une déclaration à Denver (Colorado-USA). Ils et elles déclarent avoir le droit d’être impliqués dans les décisions politiques sur le sida, d’être traités dignement, de ne pas être désignés comme des victimes, mais comme des personnes « ayant » le sida. 

L’équipe de la Plateforme Prévention Sida a aussi fait un immense travail de valorisation des archives de télévision. Parmi les incontournables, figurent les images du journal télévisé de Jacques Bredael du 11 mars 1991, qui est interrompu par des militants d’Act Up, réclamant que l’on parle du SIDA à la RTBF ou encore le premier spot de prévention très anxiogène diffusé à partir de 1987 « Ouvrez les yeux pour que le Sida ne vous les ferme pas ». 

La boîte de Pandore des discriminations 

La ligne du temps donne aussi la parole aux militant.es et au personnel soignant qui ont participé à la lutte. Parmi eux figure le Pr Nathan Clumeck, virologue au CHU Saint-Pierre qui est le premier médecin belge à s’être intéressé au virus. Il raconte le doute qui entoure ses recherches à l’époque. « Certains médecins pensaient que l’épidémie s’éteindrait d’elle-même au bout de trois mois. Ils mettaient le doute sur l’existence réelle de cette maladie et la résumait à un problème typiquement « africain », lié à un parasite ou à la malnutrition, d’autres parlaient d’une maladie homosexuelle ».  

En 1987, l’estimation du nombre de personnes séropositives en Belgique oscille entre 5000 et 10000 personnes, selon un reportage de la RTBF de l’époque qui précise que « le nombre élevé des sujets hétérosexuels et qui n’appartiennent à aucun groupe à risque distingue la Belgique des autres pays européens » 

vitrine bd joe

Une salle de l’exposition est dédiée à une collection d’objets emblématiques de la lutte. Des préservatifs, des photos « historiques », comme celle de la reine Fabiola enlaçant une patiente fin 1992 (5 ans après Lady Di), des revues médicales, la bande dessinée « Jo » signée par Derib en 1991. « Cette BD s’inspire de l’histoire d’une de mes jeunes patientes, se souvient le Pr Nathan Clumeck en s’arrêtant devant la vitrine. Elle avait été contaminée au cours d’un rapport sexuel unique et elle était décédée. Je faisais partie d’un groupe qui se demandait comment sensibiliser les jeunes, et c’est là que le dessinateur Derib a proposé d’en faire une BD qui a très bien fonctionné ».  

Au cours de ses années sombres, de nombreuses associations militantes se mobilisent. « En 1987-1988, on rapatriait des cercueils, se rappelle Maureen Louhenapessy qui travaillait alors dans la structure qui deviendra plus tard SidAids Migrants. « Avec le sida, j’ai découvert l’étendue des discriminations, c’était comme une boîte de Pandore, il fallait allier la lutte contre l’homophobie et la lutte contre le racisme, pour le droit à l’information, la littératie et la décolonisation des pratiques de santé ». Elle souligne qu’alors, la Belgique a été un des premiers pays européens à créer une aide médicale d’urgence pour les personnes malades du sida.  

A l’époque, Espace Prostitution (devenu Espace P) réalise un diagnostic de la situation auprès de 460 professionnels du travail du sexe. « On travaillait en réduction des risques en proposant un dépistage et en distribuant des préservatifs. A l’époque beaucoup de jeunes garçons se prostituaient au centre-ville de Bruxelles. Une fois diagnostiqués, il leur restait quelques années à vivre. C’était tragique », se souvient Cécile Cheront, sa directrice.  

Vivre aujourd’hui avec le VIH 

Fabien est né avec le VIH. Il prend la parole pour faire part de ses incertitudes. « Tu te confines tout seul parce que tu as peur de ce que les autres vont penser, de ce que ce qu’ils vont dire. Si tu rencontres une fille, tu sais pas comment elle réagira, et comment sa famille réagira. Tu ne sais pas. Est-ce que tu auras des enfants un jour et si tu as des enfants, seront-ils porteurs ? ». 

Pour Mike Mayné, porte-parole de l’asbl Ex-Aequo, les avancées médicales permettent d’avoir une vie. « Avec le I=i, indétectable = intransmissible, on sait qu’on est pas un danger pour les autres, et qu’on ne propage pas le virus ». Mais cette vie porte en elle « une part d’auto-censure, dit-il. On s’impose pas mal de limites à nous-même pour commencer dans nos relations interpersonnelles, familiales et amoureuses ». Les personnes séropositives ont la possibilité de discuter entre pairs au sein de groupes de paroles (chez Ex-Aequo, à la Plateforme Prévention Sida…), sur la ligne d’écoute : Aide Info Sida, et ou lors de la journée Santé positive qui a lieu en septembre.  

Ensuite, au niveau institutionnel, certains professionnel.les ne savent pas toujours comment réagir. « Quand le personnel soignant n’est pas issu d’un centre de référence, il ne sait pas forcément s’y prendre. J’ai déjà vu une infirmière enfiler trois paires de gants, et écrire VIH en gros et en rouge sur la couverture de mon dossier, ce qui est très gênant quand on doit passer d’un service à l’autre ». Pour améliorer la prise en charge des patients séropositifs, la Fédération Laïque de Centres de Planning Familial (FLCPF) en collaboration avec la Société Scientifique de Médecine Générale (SSMG) et Ex Aequo ASBL ont développé un webinaire sur la prophylaxie pré-exposition (PrEP) dans une approche de promotion de la santé. Conçu pour les médecins généralistes, il est susceptible d’intéresser les professionnel·les qui jouent un rôle d’information et d’accompagnement des patient·es. 

Le suivi médical permet de « sauver les meubles » constate Mike Mayné sans que les co-morbidités soient pour autant bien connues, alors que les personnes séropositives ont une plus forte prévalence en termes de tabagisme, de dépression et d’anxiété, et certaines maladies sont plus virulentes : le Covid, le papillomavirus humains (HPV). 

Selon la Plateforme Prévention Sida, la discrimination envers les personnes séropositives et migrantes, notamment les femmes, reste omniprésente et ralentit la fin de l’épidémie. Par ailleurs, les survivant.es, devenu.es des personnes âgées ont besoin d’un suivi psychologique renforcé en raison du taux d’anxiété ou de dépression.  

Le ministre a rappelé que la Wallonie avait renforcé les 19 opérateurs agréés sur le VIH dans le cadre de la programmation en promotion de la santé en ce compris la prévention.  

Leurs missions sont notamment de développer l’adhésion à la prévention combinée favorisant le respect des mesures d’hygiène de base, la réduction des risques, la vaccination, le dépistage et le traitement tout au long de la vie auprès des professionnels (éducatifs, sociaux et de la santé) et des publics clés de manière adaptée et diversifiée ; et d’améliorer la qualité de vie et éliminer les discriminations par la création d’un environnement favorable envers les populations vulnérables. 
 
Il a en outre précisé qu’un plan d’action pluriannuel afin de stimuler la prévention primaire, secondaire et tertiaire du VIH et des IST, était en cours d’élaboration au niveau de l’AViQ. Les opérateurs agréés seront impliqués dans sa rédaction. Ce plan sera présenté au comité de direction de l’Agence à la fin du deuxième trimestre 2025, au plus tard.  

Saluant l’engagement des personnes vivant avec le VIH, des associations et des militants, le ministre a reconnu que « la lutte est par essence intersectionnelle. Ensemble, on est capable de construire un avenir sans sida ». 

Une histoire belge en quatre grands moments 

  1. Un démarrage très lent des pouvoirs publics – En octobre 1983 paraît le premier article d’un média belge dans Le Soir sous le titre : « SIDA : des raisons de ne pas paniquer ». Il mentionne des « morts mystérieuses » aux Etats-Unis et explique que l’épidémie se limite aux 4H (homosexuel, haïtien, hémophile héroïnomane), un mythe à la peau dure. Les premiers cas sont alors identifiés en Belgique au CHU Saint Pierre, dans le service du docteur Nathan Clumeck. De jeunes homosexuels et personnes d’origine africaine atteints de maladie graves, d’infection et de cancers de la peau d’origine inconnue meurent en quelques semaines. En 1985 se crée en Belgique la première association Appel Homo Sida et Espace Prostitution. 
  1. A partir de 1990 : la lutte s’institutionnalise avec la création en Belgique d’une agence spécifique en 1991. En parallèle émerge Act Up Bruxelles qui demande la non-discrimination au travail et va révolutionner les méthodes d’intervention. « C’est le début des solidarités et de la lutte contre les discriminations, le début de la démocratie sanitaire. Des personnes malades deviennent parties prenantes des politiques publiques » relate Charlotte Pezeril. La Belgique est alors à l’avant-garde pour la réduction des risques – en témoigne la création de l’asbl Modus Vivendi en 1993 et d’Ex-Aequo en 1994. « A partir de 1996, l’accès à la trithérapie se massifie. La mortalité et les morbidités baissent, on réapprend à vivre » décrit-elle. 
  1. Entre 1998 et 2014, le sida se normalise : le sida est intégré dans les plans de promotion de la santé. Pour remédier à une forme de vide médiatique se créent en 2001 la plate-forme prévention sida et l’Observatoire du Sida et des sexualités. En 2002, la première loi Droit des patients permet d’assurer la confidentialité sur le statut virologique. 
  1. Continuer à aller vers. L’ONU sida annonce la fin du sida d’ici 2030, et Et pourtant il faut toujours aller vers : les associations obtiennent que le dépistage puisse se faire hors les murs pour le VIH puis l’hépatite C. A partir de 2017 la prophylaxie pré-exposition (PrEP) est remboursée, ce qui permet d’atteindre 95% de réduction de la charge virale.  

Références :  

  • Retrouvez le webinaire « La prescription de PrEP en médecine générale » créé par la Fédération Laïque de Centres de Planning Familial (FLCPF) en collaboration avec la Société Scientifique de Médecine Générale (SSMG) et Ex Aequo ASBL dans une approche de promotion de la santé. Conçu pour les médecins généralistes, il est susceptible d’intéresser les professionnel.les qui jouent un rôle d’information et d’accompagnement des patient.es.