D’où partons-nous?
Plusieurs constats alimentent la réflexion de l’Institut de médecine préventive (IMP) de la Société scientifique de médecine générale (SSMG) depuis quelques années et sont à la base d’un travail permanent de recherche et de formation de certains de ses membres.
Le premier constat tient sans nul doute aux réalisations insuffisantes auprès de la population en matière de santé publique et de promotion de la santé: les couvertures vaccinales ne sont pas satisfaisantes dans bien des cas, le dépistage des cancers est peu efficient, des thèmes spécifiques de prévention laissent à désirer (saturnisme chez les enfants, pollution, etc.) et les axes généraux de la promotion de la santé sont parfois peu appliqués (participation des citoyens, travail des professionnels en réseau, etc.).
La place privilégiée du médecin généraliste est le second constat posé par l’IMP. Les médecins généralistes sont en effet reconnus d’une part par la population comme scientifiques de proximité, librement choisis et nantis d’un capital confiance et d’autre part par les décideurs politiques et les responsables sanitaires, comme le maillon essentiel de la réussite des actions de santé dans la dernière ligne droite: la relation directe et personnalisée avec toute la population.
Il est vrai que la couverture de la population par le réseau des médecins généralistes belges est importante: 90% pour l’ensemble du pays et 80% à Bruxelles. De plus, 80% des Belges ont au moins un contact avec leur médecin de famille chaque année et le nombre moyen de contacts par habitant et par an est de 5,9.
La place privilégiée des médecins généralistes se heurte cependant à un troisième constat: les obstacles et difficultés que les omnipraticiens rencontrent lorsqu’ils s’impliquent en prévention et en promotion de la santé sont nombreux: formation de base inadéquate, consensus flous incitant à l’abstention, concurrence des services spécialisés, absence de demande explicite des patients (alors qu’elle existe bien implicitement), démarches intellectuelles différentes des contacts curatifs habituels, résultats non visibles, absence de logistique, lourdeur administrative, absence de financement, manque de soutien des autorités…
En 2001, ces constats ont mené l’IMP dans une nouvelle recherche: clarifier les bases d’une implantation concrète des priorités de promotion de la santé dans les pratiques quotidiennes des médecins généralistes de la Communauté française. Ce projet fut réalisé avec le soutien de la Communauté française et réunit plusieurs partenaires: la Fédération des maisons médicales, la Fédération Belge Contre le Cancer, le Centre de référence pour le dépistage du cancer du sein et le Service communautaire de promotion de la santé – asbl Question Santé.
Un peu de méthodologie…
La première étape de ce projet consista à réunir un maximum d’experts concernés par l’implantation des priorités préventives en médecine générale. Outre les représentants des partenaires cités ci-dessus, chaque responsable de commission ou de projet au sein de l’IMP fut donc convié à participer à la réflexion. Cela représente une quinzaine de médecins généralistes actifs sur le terrain.
C’est la technique du groupe nominal qui fut utilisée pour définir les priorités sur lesquelles travailler. Chaque expert devait réfléchir en silence aux 5 axes préventifs qu’il considérait comme prioritaires. Un tour de table permit ensuite de lister ces thèmes. On y retrouve:
– le cancer du sein;
– l’alcool;
– l’hypertension artérielle;
– le cholestérol;
– le diabète;
– le BMI;
– l’obésité abdominale;
– le tabac;
– le cancer du col;
– l’ostéoporose;
– la vaccination;
– l’activité physique;
– le cancer de la prostate;
– le cancer du côlon;
– la ménopause (traitement hormonal de substitution, lipidogramme, glycémie, etc.);
– l’examen préconceptuel (sérologie, thyroïde);
– les accidents domestiques;
– les troubles psychosociaux et mentaux;
– la souffrance et la douleur;
– la maltraitance;
– les maladies mentales;
– l’environnement.
La discussion permit un large échange sur les arguments pour et contre chaque thème. Il fut enfin décidé de s’atteler aux 5 thèmes cités le plus fréquemment, en gardant à l’esprit que d’autres sujets mériteraient que l’on s’y attarde même si cela ne se faisait pas dans l’immédiat.
Les 5 thèmes retenus furent donc: les dépistages du cancer du sein et du cancer du col, les vaccinations, l’identification des risques cardiovasculaires (qui regroupe l’HTA, le cholestérol, le diabète, le BMI et l’obésité abdominale), la lutte contre le tabagisme et la lutte contre la consommation excessive d’alcool.
La recherche sur l’implantation de ces priorités en médecine générale pouvait alors commencer. Une grille fut élaborée de manière à objectiver un maximum de critères pouvant intervenir dans la définition des stratégies à mettre en place pour favoriser la participation des médecins généralistes dans la prise en charge des thèmes sélectionnés.
Comme le cancer du sein était le plus souvent cité au cours de la discussion précédente, ce thème fut sélectionné pour tester la grille et affiner celle-ci. Les points considérés systématiquement concernent l’existence d’une stratégie de prévention scientifiquement reconnue, les bénéfices attendus de celle-ci (en tenant compte de son efficacité, de la gravité et de la fréquence de la maladie, etc.), l’acceptabilité de cette stratégie pour les médecins généralistes (en terme de réticences et de motivations), la faisabilité pour les médecins généralistes (et les besoins y afférents) ainsi que l’acceptabilité de la stratégie pour le public-cible.
Un travail de réflexion fut ensuite lancé dans 5 sous-groupes thématiques constitués chacun de 3 à 4 personnes.
Le cahier des charges de chaque sous-groupe était le suivant:
– échanger sur tous les aspects en lien avec la prévention dans le cadre du thème du sous-groupe;
– sur base des grilles élaborées, établir un relevé aussi large que possible des pratiques déjà existantes, des pratiques possibles, des éléments facilitateurs (existants ou à créer), des difficultés rencontrées ainsi que des solutions envisageables.
Pour mener cette tâche à bien, un responsable fut identifié dans chaque sous-groupe. Son rôle consistait à rassembler les contributions de chacun et à fournir à l’IMP un document de synthèse des propositions de son sous-groupe.
Les résultats
Les synthèses des 5 sous-groupes, basées en grande majorité sur les grilles, permirent de développer une analyse approfondie de chaque stratégie. Celles-ci furent présentées à tous lors d’une réunion plénière.
Il restait alors à l’IMP à tirer sa ligne de conduite: quels sont les besoins communs? Sur quoi agir en premier et comment?
Pas moins de 13 pistes furent évoquées au cours de cette réunion. Parmi celles-ci: agir sur les universités de manière à faire de la médecine préventive un objectif d’enseignement à part entière, faire de même en formation continue, informer continuellement et clairement les médecins de terrain sur les consensus existants, apprendre à travailler en réseau (tant à un niveau inter-organisationnel qu’au niveau plus individuel), favoriser l’accès aux informations via un lieu centralisateur de données, élaborer et diffuser des outils rappelant les consensus et recommandations actuels relatifs aux priorités choisies, avec accès aux références bibliographiques, mettre à disposition du matériel d’information pour les patients, permettre l’accès aux informations et outils pour le patient via internet, soutenir certains aspects administratifs tels que l’envoi de lettres de rappel, valoriser le Dossier médical global, faire en sorte que les logiciels médicaux et le dossier médical informatisé intègrent aisément les aspects préventifs dans la gestion des données des patients, valoriser le travail nécessaire pour prendre en charge la santé globale des individus en mettant par exemple en place une consultation périodique uniquement tournée vers la prévention.
Parmi ces pistes, l’une d’entre elles, en l’occurrence la dernière citée, a donné lieu d’emblée à un projet d’action: le bilan de santé. En effet, la mutuelle Partena désireuse d’offrir à ses affiliés de 25 à 69 ans une consultation préventive gratuite bisannuelle, contacta l’IMP pour définir le contenu de cette consultation. Ce projet se présente comme une opportunité, une manière parmi d’autres de lancer un enracinement de la prévention sur le terrain (et ce, au niveau du patient comme au niveau du médecin). Il s’agit donc d’un projet-pilote dont l’évaluation sera primordiale. A ce propos, un formulaire reprenant les différents items proposés par l’IMP est confié au patient. Il est prévu que ce formulaire soit complété (par le patient et par le médecin), une copie restant dans le dossier médical tandis qu’une autre copie, anonymisée, est renvoyée à la SSMG pour l’évaluation. Le contenu du formulaire porte en effet sur la démarche préventive et non sur l’état sanitaire du patient.
Ce projet permet donc à l’IMP de concrétiser sans tarder le fruit de sa réflexion et d’approfondir l’analyse des obstacles aux démarches préventives en médecine générale.
Pascale Jonckheer , Institut de médecine préventive de la SSMG *
Adresse de l’auteur: Société scientifique de médecine générale, rue de Suisse 8, 1060 Bruxelles. .
* Toutes les personnes ayant participé à la réflexion commune sont, en quelque sorte, elles aussi les auteurs de cet article.
Liste des participants à la réflexion
Coulon Juan
Danthine Edmond
Delvoye Pierre
De Muylder Régis
Dor Bernard
Dufour André
Gailly Jeannine
Gourdin Paul
Grivegnée André
Jonckheer Pascale
Laperche Jean
Legat Pierre
Litt Vincent
Mouawad Fadi
Trefois Patrick
Vandenbroucke Anne
Vander Steichel Didier
Vanhalewyn Michel
Le bilan de santé concrètement
La Mutualité libre Partena offre à ses affiliés âgés de 25 à 69 ans l’opportunité de bénéficier tous les deux ans d’une consultation basée sur la prévention, et non sur le traitement d’une maladie. C’est le bilan de santé .
La Mutualité prend en charge le ticket modérateur, ce qui en fait une consultation gratuite si le médecin généraliste applique les tarifs de l’accord médico-mutuelliste.
Les données individuelles collectées à cette occasion seront traitées de manière anonyme et dans le respect du secret médical. Elles alimenteront une enquête consacrée à l’étude des comportements de prévention de la population.