Le recours à un outil audiovisuel comme un spot télévisé , est relativement coûteux . La production d’un spot revient en effet à plusieurs centaines de milliers de francs , pour des montants allant de 600 . 000 F ( 14 . 874 €) à 1 . 500 . 000 F ( 37 . 184 €) selon les formules choisies . Il est dès lors légitime d’interroger la rentabilité d’un tel investissement , surtout dans le cadre des budgets limités qui sont souvent le lot des programmes de promotion de la santé .
Deux questions plus spécifiques se posent aux promoteurs de programmes de communication:
– les bilans d’audience (comme ceux utilisés classiquement dans le monde de la publicité) ont-ils une signification quelconque dans le domaine de la communication en promotion de la santé?
– peut-on établir une corrélation entre la visibilité d’un programme de communication et l’adoption d’un comportement précis proposé par le message véhiculé?(1)
Dans cet article, nous vous proposons des éléments permettant d’éclairer ces questions.
Contexte
Depuis de nombreuses années maintenant, nous coordonnons durant l’automne un programme de promotion de la vaccination pour les personnes âgées de 60 ans et plus.
Ce programme comporte une conférence et un communiqué de presse, une campagne de communication audiovisuelle (spots télévisés et radiophoniques), la diffusion d’affiches et de brochures via des professionnels de santé (médecins, pharmaciens, etc.), des services de soins à domicile, des communes et CPAS, etc.
Chaque année également, un programme d’intensité identique, à l’exception du volet de communication audiovisuelle, est mené en Communauté flamande par la vzw Omtrent Gezondheid. Pour rappel, la Communauté flamande ne bénéficie pas du dispositif mis en place en Communauté française (2), qui permet de diffuser gratuitement des messages de promotion de la santé sur les ondes des chaînes télévisées et radiophoniques (principalement RTBF et RTLTVI).
Nous évaluons a posteriori le programme par une double approche:
– bilan de la campagne de communication audiovisuelle, par les techniques habituelles de la publicité (audience, OTS/OTH, GRP) (3);
– enquête de type CATI auprès d’un échantillon représentatif de la population nationale des personnes âgées de plus de 65 ans. Dans le cadre de cette enquête, les questions posées visent à estimer la visibilité de la campagne, les connaissances du public vis-à-vis des vaccinations recommandées (grippe, pneumocoque, tétanos) et le passage à l’acte (vaccinations réalisées).
Evalulation de la visibilité du programme de l’automne 2000
L’enquête menée en décembre 2000 montre qu’en Communauté française, la visibilité de la thématique ‘vaccination’
est nettement inférieure à celle qui avait été relevée au cours des années précédentes (voir tableau 1).
Bien que plusieurs éléments puissent influencer cette perception, nous sommes frappés par la corrélation avec l’évolution des bilans d’audience des campagnes. En effet, ces études d’audience montrent une attribution en 2000 d’espaces exceptionnellement médiocres par les régies gérant les espaces publicitaires des chaînes de radio- et télédiffusion, ceci principalement sur RTLTVI (régie IP) (voir tableau 2).
En additionnant les GRP obtenus sur chacune des chaînes, on obtient un GRP’historiquement’ bas en 2000, puisqu’il atteint environ 300, contre plus de 500 les années précédentes (voir tableau 3).
Par contre, en Communauté flamande, on constate qu’en 2000, la visibilité est meilleure que celle des années précédentes (tableau 1). Par ailleurs, la visibilité de la campagne de communication est comparable au nord et au sud du pays (Bruxelles +Wallonie).
Il est difficile d’expliquer ces chiffres avec certitude. On pourrait y voir l’influence d’un événement survenu au mois de novembre 2000 (annonce non fondée d’une rupture de stock de vaccins contre la grippe). En effet, près de 6 personnes interrogées sur 10 ont entendu parler de ‘pénurie’ de vaccin contre la grippe (61 % au Nord, 54% au Sud du pays). Cette rumeur, très largement répercutée dans l’ensemble du pays par la presse écrite et audiovisuelle, a probablement contribué à homogénéiser la visibilité pour l’ensemble du pays. Par ailleurs, en Communauté flamande, on constate également un accroissement en 2000 du pourcentage de personnes de 60 ans et plus signalant adopter le comportement de vaccination contre la grippe (tableau 4). Les causes de cet accroissement sont certainement multiples; cependant, on constate une évolution parallèle aux chiffres de visibilité de la campagne.
Autres réflexions
L’examen des résultats des enquêtes menées de 1996 à 2000 suscite encore quelques réflexions.
En Communauté française, on constate une hausse très significative (plus de 30%) du recrutement de personnes de 60 ans et plus signalant adopter le comportement de vaccination contre la grippe (de +/- 44% en 1996 à :+/- 58 % en 2000); après une baisse en 1998,ce recrutement semble stabilisé (voir tableau 4). Une des questions qui se posent est de savoir si nous arrivons à un nouveau seuil de couverture vaccinale , qu’il sera plus difficile de faire évoluer.
Cette constatation sur base des enquêtes est confortée par des chiffres croissants des ventes de vaccins; bien sûr, une part de cette augmentation de vente s’explique aussi par le recrutement de personnes plus jeunes (démarche de vaccination en entreprises, accroissement de la notoriété générale du vaccin,…).
Le vaccin contre le pneumocoque ne nécessite pas de rappel avant un délai d’au moins 5 ans. l’année 1996 a vu les premières vaccinations. Le pourcentage cumulatif (de 1997 à 2000) de personnes de 65 ans et plus déclarant avoir été vaccinées contre le pneumocoque est de 62% au sud du pays (Bruxelles + Wallonie) et de 26% seulement au nord du pays (voir tableau 5). Ces chiffres sont peut-être surestimés (surdéclaration dans l’enquête). Quoi qu’il en soit, la différence est impressionnante.
Parmi les facteurs pouvant expliquer cette différence, deux apparaissent a priori plus évidents:
– la WWH (Wetenschappelijk Vereniging van de Vlaamse Huisartsen) ne soutient pas activement la recommandation officielle du Conseil supérieur d’hygiène (Ministère fédéral de la Santé publique),au contraire de son homologue francophone la SSMG (Société scientifique de médecine générale);
– il n’y a pas eu de campagnes audiovisuelles de promotion de la vaccination au nord du pays.
Conclusions
L’amélioration progressive des couvertures vaccinales pour la grippe et le pneumocoque en Communauté française est certainement la résultante de plusieurs facteurs, parmi lesquels une intervention plus active des professionnels de santé.
La contribution de la communication sur le passage à l’acte de vaccination semble incontestable. Elle est favorisée, dans le cas particulier de l’immunisation des personnes de plus de 60-65 ans, par le caractère saisonnier de l’acte préventif: Cette particularité permet de Concentrer les efforts sur une période courte (quelques semaines) chaque année.
Dans le domaine spécifique de la vaccination des personnes de plus de 60-65 ans, on constate une corrélation entre la visibilité d’un programme de communication et l’adoption d’un comportement de vaccination.
Philippe Mouchet . Patrick Trefois , Question Santé
Adresse des auteurs : Question Santé, rue du viaduc 72, 1050 Bruxelles .
(1) La campagne de promotion du don d’organe avait déjà permis de répondre affirmativement à cette question (voir Education Santé n°156, février 200I, pp.15 à 17).
(2) Arrêté du Gouvernement de la Communauté française relatif à la diffusion de campagnes d’éducation pour la santé par les organismes de radiodiffusion paru au Moniteur du 19/4/95.
(3) L’audience est le pourcentage estimé de la population cible qui a vu (télévision) ou entendu (radio) le message.
OTS, opportunity to see, et OTH,opportunity to hear: nombre moyen d’exposition au message (vue ou ouie) de chaque personne touchée par la campagne. On considère généralement qu’une personne doit avoir vu ou entendu le message au moins 3 fois pour le mémoriser.
GRP, gross rating point: indice obtenu en multipliant l’audience par l’OTS ou l’OTH. Il reflète la force d’impact, l’intensité de la campagne audiovisuelle. Si on prend un échantillon de 100 personnes du public visé, le GRP représente le nombre de fois que ces 100 personnes ont été touchées par le message. On considère généralement qu’un GRP de 300 est bon.
Fondamentalement, le message ne change guère d’une année à l’autre, et la campagne radiodiffusée et d’affichage reprend d’ailleurs les éléments de la campagne précédente.
Parmi les innovations, signalons un effort particulier des pharmacies affiliées à l’Association pharmaceutique belge pour attirer l’attention de leurs clients visés par la campagne (autocollant sur le ticket de caisse!).
De son côté, le Dr Snacken , Chef de travaux à l’Institut scientifique de santé publique, un spécialiste de l’influenza, estime que les recommandations en matière de vaccination contre la grippe devraient être sérieusement étendues. Selon lui, les personnes âgées de 50 ans et plus, même si elles ne présentent pas d’affection à risque, devraient se faire vacciner, ainsi que les femmes enceintes qui seront au-delà du premier trimestre de grossesse durant la saison hivernale. Voilà une proposition qui n’est pas faite pour déplaire aux producteurs du vaccin, qui ont déjà prévu de fabriquer plus de doses que l’an dernier!
En ce qui concerne le pneumocoque, le Dr Van Laethem , du Service des maladies infectieuses du CHU St-Pierre à Bruxelles, insiste sur trois points: d’abord, la mortalité précoce (dans les 2 ou 3 jours) de l’infection est peu modifiée par le traitement antibiotique; ensuite, nous assistons à une résistance croissante des pneumocoques vis-à-vis des antibiotiques habituels (pénicilline et macrolides); enfin, des études récentes tendent à confirmer l’efficacité du vaccin utilisé en Belgique, qui contient 23 séro-types de pneumocoques représentant 95% des pneumocoques circulant dans notre pays.
Tableau 1 – Réponses à la question :’Depuis le mois de septembre, avez-vous entendu parler de conseils pour la vaccination des personnes de 60 ans et plus?’
Région/Année
1996 | 1997 | 1998 | 1999 | 2000 | |
Nord | 47% | 38% | 20% | 38% | 51% |
Bxl+Wal. | 84% | 76% | 64% | 71% | 54% |
Tableau 2 -Récapitulatif du bilan d’audience des campagnes de promotion de la vaccination contre la grippe de 1997 à 2000
RTBF
1997 | 1998 | 1999 | 2000 | |
Nombre de passages | 42 | 60 | 64 | 58 |
Equivalent budget(*) | 1.918.200 | 3.746.125 | 4.812.500 | 1.700.000 |
Coût moyen d’1 passage TV | 45.671 | 62.435 | 75.195 | 29.310 |
Cible retenue | > 55 ans | > 55 ans | > 60 ans | > 65 ans |
GRP | 212 | 270 | 418.8 | 250.8 |
OTS | 2.9 | 3.7 | 5.2 | 4.1 |
Couverture | 73,30% | 73,40% | 80,80% | 61,20% |
RTL-TVI | 1997 | 1998 | 1999 | 2000 |
Nombre de passages | 45 | 42 | 60 | 39 |
Equivalent budget (*) | 3.023.523 | 2.549.550 | 3.389.500 | n.c. |
Coût moyen d’ 1 passage TV | 67.189 | 60.703 | 56.492 | n.c. |
Cible retenue | > 65 ans | > 65 ans | > 55 ans | > 55 ans |
GRP | 323 | 277 | 254.4 | 53.1 |
OTS | 4.7 | 3.9 | 3.7 | 2.4 |
Couverture | 68,70% | 70,80% | 66,40% | 22,20% |
(*) : coût des espaces pour un acheteur commercial
Tableau 3 -GRP cumulé
Années
GRP CUMULE | |
1997 | 535 |
1998 | 547 |
1999 | 673,2 |
2000 | 303,9 |
Tableau 4 – Cet automne, vous êtes-vous fait vacciner contre la grippe?
96 | 97 | 98 | 99 | 2000 | |
Nord | 44% | 56% | 46% | 44% | 55 % |
Bruxelles et Wallonie | 44 % | 59 % | 49 % | 57 % | 58 % |
Tableau 5 – Cet automne, vous êtes-vous fait vacciner contre le pneumocoque?
96 | 97 | 98 | 99 | 2000 | Cumulatif | |
Flandre | – | 10% | 6% | 6% | 4% | 26% |
Bruxelles et Wallonie | – | 18% | 14% | 17% | 13% | 62% |