Le site http://www.chat-accueil.org est une plateforme de Chat ouverte chaque soir de la semaine de 19 à 23 heures. Elle est le fruit d’une étroite collaboration entre Télé-Accueil Bruxelles (1) et SOS Amitié France (2). Depuis octobre 2005, toute personne qui éprouve des difficultés, qui souhaite s’adresser à quelqu’un dans l’anonymat et la confidentialité, peut se connecter sur ce site sécurisé et entrer en communication avec un écoutant bénévole spécialement formé.
Le Chat vise un public jeune, il permet aussi à des gens en grande difficulté d’expression orale ou d’audition d’échanger avec quelqu’un instantanément par écrit.
Ces six années d’expérience nous posent en témoin des difficultés des jeunes dans la société actuelle. Elles nous ont donné aussi à réfléchir sur cette rencontre particulière sans le support de la voix, sans la présence perceptible de l’autre.
De (très) jeunes appelants
En 2011, le site http://www.chat-accueil.org a enregistré 32.504 visiteurs dont la plupart viennent de France et de Belgique mais aussi de 102 autres pays dont les principaux sont le Maroc, l’Algérie, le Canada, les États-Unis, la Tunisie et la Suisse.
Plus de la moitié des appelants ont moins de trente ans. Un appelant sur six est âgé de moins de vingt ans.
De quoi parlent-ils ?
Ce qu’ils disent au Chat-Accueil ressort essentiellement de quatre grands types de problématiques : la dépression, les difficultés relationnelles, la solitude et le suicide.
Souvent, c’est grandir qui pose problème, devenir adulte, faire sa place dans la société, dans le groupe, dans la famille. L’amitié et ses trahisons, l’amour et ses complications, les parents, les études, le premier boulot… Le jeune est au coeur d’une tourmente sans fin.
Ce mal-être, les adolescents et les jeunes adultes l’expriment de façon variable : repli sur soi, tentation suicidaire (seul ou à plusieurs), automutilation. Les causes de leur malaise ne sont pas toujours explicites mais les écoutants remarquent qu’elles sont souvent les séquelles d’abus ou de maltraitance.
Ces appelants sont en rupture de communication. Le Chat-Accueil et son univers familier leur permet de renouer un dialogue avec un adulte: un adulte qu’ils viennent sciemment chercher, en lieu et place de leur parent ? En tout cas un tiers, un témoin de leurs questionnements. Le Chat-accueil est un lieu où ils peuvent raconter leur vécu, faire part de leurs erreurs, de leurs doutes sans faire souffrir leurs proches, sans les confronter, mais peut-être en s’y exerçant. Le Chat-Accueil est en effet un lieu où ils peuvent s’essayer, développer leur point de vue sans entrer en conflit avec une autorité, se livrer sans risquer un retour de manivelle. Un lieu de construction de leur identité.
Il est interpellant que des ados en rupture parentale viennent s’adresser à un autre adulte, à un «père», plutôt qu’à des camarades, à des pairs. Ces jeunes seraient sans doute moins en rupture qu’on ne le pense et le regard de l’adulte – fût-il un «étranger», un lointain anonyme, reste, quoi qu’ils en pensent, important pour eux.
Cette ouverture, cet espace pour parler de soi, est rendue possible par l’outil lui-même. La familiarité des jeunes générations avec l’informatique est un adjuvant mais ce n’est pas le seul. L’écrit, par la secondarisation de la pensée, permet à l’appelant d’avancer, même sans être lu. Quelle que soit la réponse que l’écoutant apporte, un travail personnel est en route grâce à la mise en mots, grâce à la construction des représentations mentales. Nous pouvons établir un parallèle entre le Chat-Accueil et le journal intime, ce confident souvent cher à la jeunesse. À la différence près qu’ici, il lui répond…
Écrire plutôt que parler
Bien qu’écrire laisse des traces indélébiles, des traces fixées qui peuvent aussi bloquer le fait de se raconter, bien qu’écrire trahisse parfois les limites de la pensée ou de son expression, il semble qu’une communication passant par l’écrit aide au développement de ces sujets particulièrement durs « parce qu’il est plus facile de se lire que de s’entendre ». Au Chat, cette communication est aussi plus morcelée. À plusieurs reprises, les appelants s’expriment par bribes, cette avancée progressive de paragraphe en paragraphe permettant peut-être d’accoucher de problématiques si difficiles à exprimer d’emblée.
Le Chat est un outil anonyme et neutre. L’anonymat permet de se préserver du jugement et des émotions. Sans voix, on dit encore moins qui on est. Curieusement cette distance rapproche, en ce sens qu’elle protège. Paradoxalement elle offre aussi à l’appelant une grande maîtrise du déroulé de la conversation. C’est lui qui l’alimente essentiellement, qui peut s’en retirer à tout moment, qui choisit de dire, de ne pas dire, de ne pas tout dire. Par analogie à la problématique de l’automutilation par exemple, il permet de reproduire cette relation complexe entre exposer son problème tout en ne le montrant pas complètement.
Appeler le Chat-Accueil, un premier pas vers une thérapie ? Il semble qu’écrire convienne particulièrement à ces appelants, qu’ils disposent ou non de facilités littéraires.
Osons donc dire que si parler peut faire du bien, écrire également. Consulter un thérapeute peut par ailleurs effrayer. Au Chat , l’appelant expérimente une expression de soi qui le met moins à nu que par la parole et les émotions qu’elle véhicule. Peut-être en trouve-t-il des bénéfices immédiats, par le simple fait de réfléchir à la formulation de son message, par sa relecture possible tout au long de l’échange.
Le Chat-Accueil met en branle un premier travail personnel, même inconscient. Il pallie aussi l’échec d’une tentative thérapeutique: quand ça n’a pas marché avec un professionnel, l’appelant reste avec sa demande d’écoute qu’il peut exprimer en ligne, parfois même dans l’immédiat de la crise.
Télé-Accueil
(1) Télé-Accueil Bruxelles. Numéro de téléphone national gratuit: 107. Site: http://www.tele-accueil-bruxelles.be
(2) SOS Amitié France. La liste des numéros régionaux est disponible sur http://www.sos-amitie.org. Ce site fournit aussi un accès au service de messagerie.