Plus de 200 personnes étaient présentes à l’assemblée annuelle du Conseil Supérieur de la Santé (CSS), le 18 mai dernier. Un succès dû non seulement à la qualité de l’expertise accumulée par le Conseil depuis… 1849 mais aussi au sujet du jour, qui ne laisse personne indifférent.
Le Prof. Yves Van Laethem (CHU Saint-Pierre), président de séance, rappela d’entrée de jeu que l’hésitation vaccinale ne date pas d’hier, puisqu’elle apparut dès les premiers travaux d’Edward Jenner (1749-1823)!
L’intervention phare de l’après-midi revint à la Canadienne Noni MacDonald, du Centre canadien de vaccinologie, une remarquable avocate de la cause: «Je crois que les vaccins sont sûrs et efficaces et que de sérieuses maladies peuvent apparaître si on n’est pas immunisé».
Son plaidoyer convaincant et plein d’humour insista sur quelques évidences bonnes à rappeler en santé publique, comme par exemple le fait que c’est la vaccination qui sauve des vies et non les vaccins vus comme outils de protection individuelle.
Sur les stratégies de communication par rapport à la frange du public qui partage des doutes sur le bien-fondé de l’immunisation, il vaut mieux selon elle consacrer les efforts de conviction aux ‘hésitants’ plutôt qu’aux opposants radicaux. Elle reconnaît à ces derniers une meilleure maîtrise du principal moteur de recherche que par la communauté scientifique elle-même, ce qui leur donne une audience bien supérieure à leur poids réel.
Noni MacDonald nous offrit aussi une douzaine de pistes permettant d’améliorer l’acceptation de la vaccination par l’opinion publique, que ce soit au niveau de la gestion des programmes ou au niveau individuel.
Questions éthiques
Pour suivre, nous bénéficiâmes d’une primeur, la présentation la veille de sa publication de l’avis du Conseil consultatif de Bioéthique de Belgique relatif à l’obligation vaccinale (avis 64 du 14/12/2015).
Cet avis a été élaboré suite à quatre questions posées par le CSS: est-il justifié que les autorités rendent obligatoires certaines vaccinations? Est-il justifié que les autorités refusent l’accès aux crèches aux enfants qui ne sont pas vaccinés? Est-il justifié qu’une personne refuse de se faire vacciner? Est-il justifié qu’un parent refuse de faire vacciner son enfant?
Au cœur de ces questions, il y a l’équilibre délicat à trouver entre le droit individuel (de se protéger ou non) et le devoir collectif (de protéger la population ou des groupes vulnérables).
Voici le résultat des réflexions du Conseil, obtenu par consensus, ce qui n’est pas le cas de tous les avis qu’il rend.
Question 1 – Est-il éthiquement acceptable que les autorités imposent certaines vaccinations?
Maintenir à niveau le degré de vaccination d’une population en faveur de la santé publique, est une tâche essentielle des pouvoirs publics. Ils disposent de divers moyens pour remplir cette mission. Pour commencer, il leur incombe d’assurer la bonne organisation de la politique de vaccination (accessibilité, coût individuel, enregistrement…).
Les autorités peuvent aussi prendre ou soutenir les initiatives incitant la population à se faire vacciner. Les statistiques de vaccination dans notre pays montrent que cette stratégie donne de très bons résultats, du moins chez les enfants, et qu’il n’est dès lors pas nécessaire, ni opportun, d’élargir l’obligation légale. Le taux de vaccination relevé pour certains vaccins fortement recommandés n’est pas beaucoup plus bas que celui du vaccin obligatoire contre la polio.
Les membres du Comité consultatif estiment toutefois que les autorités pourraient imposer une obligation de se faire vacciner s’il y avait de sérieuses raisons pour différents motifs. Il pourrait s’agir d’un recul du taux de couverture par vaccination volontaire dans certains sous-groupes de la population ou d’indices réels d’une épidémie grave.
Si les pouvoirs publics prennent l’initiative de recommander fortement une vaccination, voire de la rendre obligatoire, ils doivent prévoir une juste indemnisation pour les cas rarissimes dans lesquels cette vaccination entraînerait de graves effets indésirables.
Question 2 – Est-il éthiquement acceptable que les autorités refusent l’accès aux crèches aux enfants qui ne sont pas vaccinés?
Les membres du Comité consultatif pensent que la motivation et l’encouragement à se faire vacciner doivent l’emporter sur la sanction du refus d’accès à la crèche.
Si toutefois un problème de santé publique risque de se poser – en raison, par exemple, d’un taux de couverture trop faible contre une maladie grave pour laquelle la vaccination offre une protection efficace –, les membres du Comité consultatif estiment acceptable, d’un point de vue éthique, que les autorités imposent cette vaccination comme condition d’accès à une crèche, parce que le bénéfice de la vaccination (accueil sécurisé des enfants) peut être lié au fait d’être disposé à participer activement à la préservation de ce système.
Question 3 – Est-il éthiquement acceptable qu’une personne refuse de se faire vacciner?
Tout dépend du vaccin, de la maladie et de la situation.
L’un des buts de la vaccination est de protéger la personne elle-même contre une maladie donnée. Dans notre société, chaque personne jouit de l’autonomie voulue pour déterminer pour elle-même si et dans quelle mesure elle recourra à des interventions médicales préventives. La liberté de ne pas se faire vacciner est défendable du point de vue éthique. De plus, cette liberté a reçu un ancrage légal au travers de la loi relative aux droits du patient. Chaque adulte est ainsi libre de se faire vacciner ou pas contre le tétanos, par exemple (en effet, seule la personne qui décide de ne pas se faire vacciner en supportera les conséquences).
La loi restreint toutefois cette liberté dans des circonstances spécifiques. La vaccination contre la fièvre jaune est obligatoire pour certains voyages et certains contrats de travail exigent une vaccination contre l’hépatite B. Le refus de se faire vacciner dans ces cas est certes défendable sur le plan éthique, mais aura des conséquences pratiques préjudiciables (impossibilité de voyager ou d’exercer un emploi donné).
Une autre finalité de la vaccination concerne la protection d’autrui, dont les concitoyens malades, les patients, l’ensemble de la collectivité. D’un point de vue éthique, il est très important de contribuer à cet objectif.
Après une réflexion approfondie, les autorités peuvent rendre obligatoire la vaccination contre des maladies graves très contagieuses contre lesquelles la vaccination offre une protection efficace, par exemple la poliomyélite. Les membres du Comité consultatif considèrent le respect de cette obligation comme un devoir juridiquement contraignant de chaque citoyen, mais aussi comme un devoir éthique visant à protéger ses concitoyens, qui existe même sans obligation légale.
Le même raisonnement peut s’appliquer aux vaccinations facultatives qui ont pour but de protéger autrui. Pour les membres du Comité consultatif, il est difficilement compréhensible et éthiquement interpellant que seule une fraction limitée des prestataires de soins actifs dans les hôpitaux et les établissements de soins se fasse vacciner contre la grippe tous les ans.
Question 4 – Est-il éthiquement acceptable qu’un parent refuse de faire vacciner son enfant?
Ici encore, tout dépend du vaccin, de la maladie et de la situation.
Il est éthiquement inacceptable qu’un parent prive son enfant d’un vaccin efficace contre une maladie grave et évitable, telle que la poliomyélite ou le tétanos. En revanche, il est éthiquement acceptable qu’un parent refuse la vaccination de son enfant lorsque le rapport des risques vaccination/maladie n’est pas scientifiquement déterminant.
Les parents doivent toujours prendre leurs décisions dans l’intérêt de l’enfant et il n’est pas acceptable, légalement et éthiquement, qu’ils prennent des décisions qui portent manifestement préjudice à leur enfant. À propos de la protection d’autres personnes, la réponse à la question 3 ci-dessus reste valable.
Succès de la vaccination
On notera aussi les présentations du Dr Béatrice Swennen (Provac) de la couverture vaccinale chez les nourrissons en Fédération Wallonie-Bruxelles en 2015 et du Dr Geert Top (Agentschap Zorg & Gezondheid Vlaanderen) faisant le bilan de 5 ans de vaccination contre le virus HPV en Flandre. Au départ des données enregistrées dans la base Vaccinet, le résultat est impressionnant avec près de 84% de couverture pour les filles nées en 2002.
On en eut une illustration dans le bref débat qui clôtura l’après-midi, une participante adversaire bien connue de la vaccination s’en prit nommément à l’oratrice, qu’elle qualifia de ‘manipulatrice’. C’était attendu et nous ne fûmes pas déçus… Noni MacDonald nous confia avoir l’habitude: après chaque conférence qu’elle donne aux États-Unis, elle reçoit des courriels haineux.
Qui concerne pour le moment la seule vaccination contre la poliomyélite, l’obligation de se faire vacciner ayant été instaurée en 1967 dans notre pays.