Le burn-out maternel peut toucher toutes les classes sociales. Mais qu’en est-il pour ces mères qui cumulent les difficultés, qui vivent dans des situations précaires, les mères seules, sans papier, réfugiées, primo-arrivantes ? Dans le quartier Helmet, à Schaerbeek, un projet de prévention fait ses preuves depuis deux ans.
Le burn-out maternel renvoie à ces mamans épuisées moralement et physiquement, un épuisement qui les fait sombrer dans un état dépressif pouvant avoir des conséquences graves sur elles-mêmes ou sur leurs enfants. La complexité des situations qu’elles vivent, liées, entre autres, à leur situation financière, administrative et sociale, rendent la problématique encore plus dangereuse. Certaines n’ont pas toujours accès à un suivi et ont même du mal à en parler à leurs proches ou à leur médecin. D’autres sont fort isolées, ont souvent laissé leur réseau de soutien social au pays, rencontrent des barrières linguistiques et sont en perte de repères. Face à un discours parfois jugeant de la part de l’école, d’autres intervenants ou de la société en général, l’image qu’elles se font de leur rôle maternel est entachée.
Notre équipe est pluridisciplinaire : médecins, accueillantes, infirmier, assistante sociale, chargée de projet en promotion de la santé, coordinatrice… Nous collaborons étroitement avec des psychologues, diététicienne et logopède. Nous avons fait le constat ces dernières années de ce « mal » récurrent auprès de notre patientèle féminine. Ces femmes sont en proie à des inégalités sociales de santé accentuées par leur genre. Dépassées par leur situation de vie, elles ont du mal à faire appel à leurs ressources personnelles mais aussi à celles de leur environnement. Elles ont souvent perdu confiance en elles et en leur capacité à dépasser les évènements du quotidien.
En 2015, nous avons a lancé un projet de prévention du burn-out maternel, soutenu par Céline Frémault, ministre bruxelloise de l’Aide aux personnes, dans le cadre d’un appel à projet pour le soutien à la parentalité, et par la commune pour la mise à disposition de salle ainsi que du subside « Sport au féminin » (Cocof) pour les cours de Yoga.
Inégalités sociales de santé, genre et parentalité
Notre maison médicale est située dans le quartier Helmet, densément peuplé. Elle accueille aussi des patients du bas de Schaerbeek (une zone faisant partie du croissant pauvre de Bruxelles) ainsi que des habitants d’Evere et de Saint-Josse. Schaerbeek est l’une des trois communes bruxelloises qui comptent plus de 100 000 habitants. La proportion de jeunes de moins de dix-huit ans y est importante (un peu plus d’un habitant sur quatre). L’âge moyen, en 2015, était de 34,5 ans.
Selon l’Observatoire de la santé et du social de Bruxelles, « la part des familles avec enfants, parmi lesquelles on retrouve une proportion importante de ménages de grande taille, est supérieure à la moyenne régionale. Ces ménages sont plus présents dans les quartiers situés à l’ouest et au nord de la commune. Les personnes de nationalité étrangère représentent 35% de la population. Plus d’un quart des enfants naissent dans des ménages sans revenu du travail. Malgré une certaine augmentation sur les dix dernières années, le taux de couverture en milieux d’accueil de la petite enfance reste bas, avec à peine une place pour quatre enfants (de moins de trois ans) »[1].
Les inégalités sociales de santé touchent principalement les femmes, surexposées aux risques de précarité et aux autres mécanismes producteurs d’inégalités. Un autre rapport de l’Observatoire de la santé et du social confirme nos constats : « les parcours de vie avec épisode migratoire sont souvent très complexes, marqués de ruptures, de bouleversements familiaux, culturels et socioéconomiques, de complexités administratives, d’accès aux droits, etc. Ces parcours mènent parfois à une précarisation. Ils sont, en outre, souvent invisibles : pas de données chiffrées et non accès aux structures classiques de l’aide formelle. Tous ces éléments peuvent potentiellement jouer un rôle fragilisant ou aggravant la situation précaire »[2].
33% des femmes inscrites dans notre maison médicale sont âgées de plus de dix-huit ans. 55% de celles-ci bénéficient de l’intervention majorée de la mutuelle et 3% bénéficient de l’aide médicale urgente. Les enfants constituent 42% de notre patientèle générale.
Les femmes se retrouvent sur divers fronts : la gestion du quotidien, l’éducation des enfants… Parfois le care (prendre soin) dépasse le cadre des enfants et de l’époux et s’élargit aux parents et aux beaux-parents. Elles sont souvent seules à tout porter et n’ont pas toujours la possibilité ou le courage de confier leurs jeunes enfants à un milieu de garde. Elles expriment leur mal-être en consultation et souvent aussi leur besoin d’être soutenues. La barrière de la langue, l’immigration et parfois la double immigration (Maroc-Espagne/Espagne-Belgique, par exemple) amène son lot de difficultés supplémentaires qui touchent, entre autres, au sentiment de compétence parentale, à la confiance en soi. Plusieurs femmes nous font part d’un sentiment d’épuisement, de culpabilité de dévalorisation : certaines d’entre elles sont universitaires dans leur pays d’origine et « descendent dans l’échelle sociale » suite à leur migration. D’autres ont vécu l’exil suite à des situations de guerre.
Les enfants avant tout
Les enfants sont souvent la préoccupation principale des femmes. Chez eux, nos professionnels observent des troubles du comportement à l’école, des troubles de l’alimentation, des difficultés scolaires, des difficultés de sommeil et de la somnolence en classe, un non suivi médical de la part des parents, une addiction aux jeux vidéo et aux écrans de télévision, seules occupations possibles dans le foyer… Certains cas sont inquiétants : nous avons constaté des situations de négligence.
Chez les mamans, nos professionnels observent un épuisement généralisé, un surmenage, un malaise psychologique et somatique avec, entre autres, des conséquences sur l’exercice de leur fonction parentale. Ce mal-être et cet épuisement sont des déterminants communs à toutes nos participantes. Pour l’Observatoire de la santé et du social, « les femmes en situation de précarité sont plus souvent en mauvaise santé que les femmes plus aisées. (…) Moins les revenus sont élevés, plus la probabilité de se sentir en mauvaise santé augmente. (…) Si la santé est un problème pour bon nombre de femmes en situations de précarité, elle ne représente cependant pas leur première préoccupation. La santé passe souvent après d’autres besoins comme le logement, l’alimentation, les soins aux enfants, etc. (…) 28% des femmes bruxelloises aux revenus les plus bas présentent des troubles dépressifs, soit trois fois plus que les femmes avec les revenus les plus élevés. Plusieurs femmes rapportent à quel point leur situation sociale influence leur santé mentale.
Elles ont des soucis, des pensées incessantes, des maux de têtes, des troubles du sommeil. À un certain niveau, les problèmes de santé mentale deviennent un frein pour reprendre pied. La précarité et la (mauvaise) santé s’entremêlent. »[3]
Notre analyse de la demande des femmes inscrites à la maison médicale a mis en évidence plusieurs besoins : sortir de l’isolement, prendre soin de soi, prendre du recul. Un désir également d’autonomie et d’indépendance. Elles demandent un espace où être soutenues tout en pouvant échanger avec d’autres afin d’améliorer leur vie, leur santé, leur gestion du quotidien et la prise en charge de leurs enfants. Un espace où elles peuvent échanger en groupe avec des personnes ressources. La gestion du stress revient souvent ainsi que les difficultés familiales (couple, répartition des tâches, logement, difficultés à trouver un emploi…).
Une approche globale
Le projet vise à renforcer la capacité d’agir des femmes. Toute l’équipe y est sensibilisée et intervient d’une manière ou d’une autre : lors des consultations, les médecins détectent les personnes à risque puis les orientent vers notre psychologue et vers les activités proposées ; les accueillantes ont souvent des discussions privilégiées avec des patientes ; d’autres membres de l’équipe participent aux activités.Nous aimerions amener nos patientes à devenir actrices de leur santé (globale). Mais pour cela, un travail en amont est nécessaire : conscientisation, mise en réflexion et sensibilisation. Il s’agit aussi de leur donner une place active. Nous sommes convaincus que notre public possède des ressources, notre travail consiste à l’aider à les mobiliser et à les enrichir au quotidien. Nous leur proposons différentes activités.
- Réunions mensuelles « Pause Mamans ». Sortir de leur quotidien, rencontrer d’autres personnes, découvrir d’autres manières de penser et de faire (notamment en termes de fonction parentale), s’octroyer un moment à soi… permet aux mères de prendre du recul face à leur situation. Une attention particulière est octroyée à la valorisation personnelle. Elles peuvent acquérir une meilleure confiance en leurs compétences, en leurs ressources personnelles et autres (le groupe, le réseau extérieur, les acteurs associatifs, etc.). Deux membres de l’équipe encadrent et animent le groupe. Ils sont garants du cadre : confidentialité, respect mutuel, distribution du temps de parole, et n’hésitent pas à recourir à la traduction par les pairs si nécessaire. Les professionnels n’occupent pas une position de « détenteur de savoir » mais plutôt de personne ressource, ils ne déposent pas des savoirs ou informations mais suscitent la réflexion et le partage en assurant un cadre sécurisant.
- Sophrologie. L’objectif est de permettre aux patientes de bénéficier d’un moment pour mieux gérer leur stress et leur mal-être. Au début, ces ateliers étaient mensuels. Vu la demande, ils sont aujourd’hui hebdomadaires.
- Yoga. Cette activité physique douce aide également à gérer le stress et à libérer l’esprit. Les participantes expriment un « avant » et un « après ». Certaines, qui avaient réellement du mal à confier leur enfant en bas âge, ont trouvé des solutions pour pouvoir y participer sereinement.
- Activités parents-enfants. Nous accompagnons les mamans et leurs enfants dans des activités communes visant à renforcer les liens : jeux, sorties récréatives, yoga des enfants, massages, etc. Ces activités sont en cours de réalisation, en collaboration avec des partenaires locaux comme le REZO santé 1030 pour l’Espace jeux parents-enfants.
- Permanence sociale. Notre assistante sociale, présente aux activités, informe, oriente et accompagne si nécessaire nos patientes vers les ressources extérieures (haltes accueil, etc.).
Un processus dans le temps
Un tel projet n’est pas sans rencontrer des difficultés. La mise en route a nécessité du temps pour recruter les mamans, pour établir un lien de confiance. Mais peu à peu, un noyau s’est constitué. L’une des participantes a réussi à convaincre son époux de garder leur fils durant les activités ; aujourd’hui, il la soutient et se rend compte que cela fait du bien à son épouse. Les femmes se livrent de plus en plus et confient leurs difficultés : sentiment d’isolement (manque d’entourage familial dans des moments importants comme l’accouchement), manque de confiance et d’estime de soi, perte de contrôle pouvant conduire à de la violence envers les enfants… autant de sujets lourds qu’elles parviennent à déposer dans un cadre sécurisant. Cependant, l’une des grandes difficultés rencontrées dans ce projet est la régularité. Notre public montre son intérêt et l’exprime, mais les contextes de vie font que participer aux activités ne constitue pas toujours une priorité. La garde des enfants est un frein non négligeable. Les haltes accueil sont peu nombreuses et saturées. Les crèches ne sont pas accessibles à ces mamans qui ne travaillent pas. Nous avons fait le choix d’accepter qu’elles viennent avec leur enfant tout en les accompagnants pour trouver des solutions. Ce n’est confortable pour personne mais cela les motive à trouver une alternative.
Aussi, les personnes les plus touchées par leur mal-être ne participent pas à nos activités…Notre projet n’a pas l’ambition d’agir sur le burn-out maternel mais de le prévenir, d’informer, d’orienter les mamans et de leur permettre de mobiliser leurs ressources pour être capables de rebondir dans ces situations de mal-être. Elles ont souvent du mal à demander de l’aide et à faire appel à des personnes spécialisées. La maison médicale est une structure de première ligne qui peut identifier et orienter les personnes à risque.
[1] Observatoire de la santé et du social de Bruxelles, Zoom sur les communes 2016, www.observatbru.be.