Novembre 2016 Par Colette BARBIER Initiatives

Femmes victimes de violences sexuelles: comment les aider à vivre après ‘ça’?

Le 9 mars dernier, l’ONG Le Monde Selon les Femmes, Médecins du Monde, Femmes et Santé, ainsi que le GAMS Belgique organisaient un colloque international sur les pratiques mises en œuvre pour promouvoir l’empowerment des femmes fragilisées par les violences sexuelles. Six interlocutrices très engagées y ont présenté leurs associations respectives, ainsi que leurs modes spécifiques de prise en charge.

Le colloque nous a permis de découvrir, à côté de deux initiatives belges, des associations qui oeuvrent en France, en Tunisie, en République démocratique du Congo (RDC) et au Canada. Leurs pratiques positives d’empowerment se déclinent soit sur le plan collectif, soit dans la relation individuelle. Elles valent le détour.

L’empowerment collectif

Canada – Le CALACS de Sept-îles

Ce Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) est un organisme communautaire autonome qui vient en aide aux femmes et aux adolescentes agressées sexuellement. Il a également pour but de sensibiliser et conscientiser la population à la problématique des agressions à caractère sexuel, d’obtenir des changements sociaux, légaux et politiques. Il existe actuellement 27 CALACS qui couvrent 16 régions du Québec.

«Les CALACS s’appuient sur l’intervention féministe pour aider les femmes à prendre conscience de l’oppression sociale qu’elles subissent, briser leur dépendance face aux rôles sexuels et reprendre du pouvoir sur leur vie personnelle, sociale et économique», explique Martine Michel, coordinatrice au CALACS de Sept-îles.

L’empowerment collectif s’appuie sur la dynamique de groupes de cheminement au sein desquels les femmes victimes de violences sexuelles partagent le même vécu et, souvent, les mêmes conséquences. «Ces échanges leur permettent de valider leur expérience, mais aussi leur manière de s’en sortir», témoigne la coordinatrice.

L’analyse féministe des agressions à caractère sexuel apporte aux femmes un éclairage et un sens à leur vécu qui prennent, pour elles, la forme d’une véritable révélation. Soulagées dans un premier temps, elles souhaitent ensuite partager cette révélation avec d’autres femmes qui traversent la même expérience. Le besoin d’écouter émerge également. Ces femmes deviennent alors des militantes qui passent du rôle d’aidées passives à celui d’aidantes actives. Un sentiment fort d’appartenance avec les CALACS apparaît chez elles.

Si cet empowerment collectif a un impact collectif positif, il a aussi des effets personnels importants, comme l’augmentation de l’estime de soi, qui aident les survivantes dans leur processus de guérison.

En savoir plus: http://www.rqcalacs.qc.ca/

RDC – Si Jeunesse Savait

Créée en 2000 et basée à Kinshasa, l’association féministe Si Jeunesse Savait (SJS) encourage les moins de 30 ans à développer leur leadership sur leur corps, leur voix et l’argent. «Car ces trois éléments sont déterminants pour garder le contrôle de sa vie, en particulier pour les jeunes femmes», explique la coordinatrice de l’association, Françoise Mukuku«C’est en explorant la question du leadership sur le corps que nous avons commencé à parler de la violence faite aux femmes. Le Congo est très connu pour les violences sexuelles, surtout celles liées aux conflits.»

Un travail important est consacré aux violences nées de la technologie. «Alors qu’internet et le téléphone mobile sont de formidables outils de communication, nous avons constaté que de nombreuses femmes ne voulaient pas ou plus les utiliser. Certaines étaient harcelées via ces technologies. D’autres étaient empêchées d’y recourir par leur petit ami. D’autres encore ne voulaient pas de ce GSM que tentait d’imposer leur conjoint pour les contrôler.»

Des formes de violence, plus graves, sont apparues: «Des gars faisaient circuler sur le net et via le GSM des vidéos filmant leurs ébats avec leur amie, et on n’y voyait bien sûr qu’elle.»

Si Jeunesse Savait a donc entrepris de faire un travail sur ces formes de violence, leur impact psychologique sur les jeunes femmes, mais aussi sur leurs peurs. «Nous leur donnons, par exemple une formation sur la sécurité en ligne pour qu’elles se sentent plus à l’aise et qu’elles soient moins dépendantes des hommes quant à leur accès à la technologie.»

L’association sensibilise, par ailleurs, les intervenant(e)s auprès de survivantes sur ces nouvelles formes de violence.

Un site web communique les recours possibles face aux différents types de violence que subissent les jeunes femmes. Une plateforme mobile a également été créée pour encourager les victimes de violences sexuelles à contacter les centres de prise en charge congolais.

En savoir plus: http://mwasi.com/

Belgique – Les ateliers artistiques du Collectif des Femmes de Louvain-La-Neuve

Les ateliers artistiques ont vu le jour suite à la Marche mondiale des femmes en 2000. Leur coordinatrice, Roxana Alvarado, artiste chilienne, est arrivée en Belgique avec sa famille après avoir suivi un parcours migratoire. Depuis, elle tisse des liens entre la créativité, les femmes et les arts pluridisciplinaires. Elle réalise des activités centrées sur l’aspect esthétique et l’art comme moyen d’éducation au développement, comme vecteur de sensibilisation sociale et d’interaction entre les différentes cultures. Elle travaille également l’art-thérapie au niveau collectif et individuel.

Son travail d’art-thérapie s’insère dans le contexte du genre et de la santé mentale, et contribue à développer l’empowerment des femmes, en particulier celles victimes de violences sexuelles, morales et physiques. En ce sens, l’atelier est un espace de reconstruction destiné aux femmes ayant été cassées par la violence dans toutes ses expressions. Grâce aux interactions qu’il permet, le Collectif des Femmes, outre le fait d’aider les femmes à se reconstruire, les encourage à devenir actives dans le soutien à d’autres personnes.

Roxana Alvarado a organisé de nombreux ateliers d’art-thérapie en Afrique. «J’y ai réalisé mes premiers travaux avec des victimes de l’excision. J’ai créé des ateliers d’histoires de vie car les femmes avaient besoin d’exprimer leur terrible vécu.»

La militante a également fait des ateliers dans des prisons, comme dans ce centre de détention en Mauritanie où des femmes étaient emprisonnées et condamnées à la lapidation… pour avoir été violées!

Roxana Alvarado a notamment visité et soutenu des femmes incarcérées dans la prison de Conakry en Guinée où sont entassés pêle-mêle hommes, femmes, enfants, dangereux criminels, responsables du grand banditisme… Les prisonnières y sont violées par les gardiens, les détenus, les visiteurs. Et celles qui sont abandonnées par leur famille n’ont comme seul recours pour acheter leur pain que la prostitution.

En savoir plus: http://www.collectifdesfemmes.be et http://www.roxanartiste.be/

L’empowerment dans la relation individuelle

Belgique – La Free Clinic

À la Free Clinic, l’approche individuelle féministe met l’accent sur la promotion du pouvoir intérieur des femmes. À cette fin, elle s’appuie sur quatre éléments:

«Premièrement, nous essayons d’analyser avec la femme victime de violences sexuelles ce qui lui est arrivé en termes de domination afin qu’elle intègre la lecture de genre dans les violences sexuelles vécues», témoigne Katinka In’t Zandt, psychothérapeute à la Free Clinc et présidente du Monde selon les Femmes.

«Deuxièmement, nous aidons les femmes à élaborer des réponses stratégiques et d’empowerment à partir de leurs propres ressources que nous valorisons. Troisièmement, les intervenantes doivent poser des questions ayant trait aux violences sexuelles aux femmes qu’elles reçoivent.» Car dans une intervention individuelle féministe, la lutte contre l’impunité et le silence est très importante. «Enfin, nous veillons à promouvoir également l’empowerment professionnel qui consiste à s’occuper de soi-même, connaître ses limites, se former.»

L’accompagnement individuel se fait en deux temps. «Lors de la première étape, nous faisons un état des lieux des violences vécues afin d’aider les femmes à en prendre conscience car certaines n’ont pas fait le lien entre leur souffrance et ce qui s’est passé. Cela s’explique par la stratégie des agresseurs qui isolent, dévalorisent leur victime, inversent la culpabilité pour assurer leur impunité et imposer leur contrôle. Les victimes pensent, d’autre part, être seules à vivre une telle situation. Il faut donc commencer par déconstruire tout ce conditionnement et expliquer aux femmes que la violence conjugale est un fléau qui fait de nombreuses victimes, et qu’elles peuvent créer des liens entre elles.»

Vient ensuite la deuxième étape: «Au cours de celle-ci, nous aidons la femme à chercher des réponses à partir de ses propres ressources et du travail des réseaux.»

En savoir plus: http://www.freeclinic.be/

France – L’association Mémoire traumatique et victimologie

En mars 2015, l’association Mémoire traumatique et victimologie a réalisé, en France, l’enquête ‘Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte’ afin d’étudier les trajectoires des personnes victimes de violence et leur accès au système de santé. S’inscrivant dans le cadre de la campagne Stop au Déni de l’association, lancée en 2014, l’enquête vise à améliorer l’identification, la protection et la prise en charge des victimes de violences par une meilleure information du public et par la formation des professionnels impliqués. Elle a aussi comme objectif de promouvoir la connaissance et la compréhension des conséquences des violences.

L’enquête a été menée auprès de 1.214 victimes de violences sexuelles âgées de 15 à 72 ans, dont 1.153 femmes et 61 hommes.

Les résultats démontrent clairement une situation d’urgence sanitaire et sociale. Ils mettent une nouvelle fois en lumière le déni et la loi du silence qui règnent presque toujours en maître autour des violences sexuelles, les rendant du coup difficiles à chiffrer.

Autre élément saillant et fort préoccupant qui explique en partie pourquoi ce type de violence est frappé du sceau de l’omerta: les enfants sont les plus touchés par les violences sexuelles. Ainsi, «un récent rapport de l’OMS souligne que 20% des femmes et 5 à 10% des hommes dans le monde disent avoir subi des violences sexuelles pendant leur enfance», rapporte Laure Salmona, coordinatrice de l’enquête.

Quel que soit l’âge des victimes, l’enquête montre que les sphères familiales et amicales constituent le contexte le plus favorable aux violences et le plus grand réservoir d’agresseurs.

Les violences sexuelles font partie des pires traumas, et faute de dépistage systématique, de protection et de soins appropriés dispensés par des professionnels formés, elles auront de lourdes conséquences sur la vie et la santé des victimes. Or, la gravité de ces violences ne paraît pas être suffisamment prise en compte par les proches et les professionnels. Le droit des victimes à bénéficier de soins, d’informations, de protection et de justice leur est régulièrement dénié.

«Le suicide est la conséquence la plus dramatique des violences sexuelles, ceux et celles qui ont mis fin à leurs jours ne sont malheureusement plus là pour en parler», assène le rapport.

42% des répondants disent avoir déjà fait au moins une tentative de suicide, certains en ont fait plus de 10, quelques-uns plus de 20. Ces tentatives de suicide ont parfois eu lieu dans l’enfance. Le risque de tentative de suicide est 7 fois plus élevé chez les répondants que dans la population générale. 1 victime de viol par inceste sur 2 a tenté de se suicider.

Les professionnels de santé sont le premier recours des victimes de violences sexuelles. Ils sont les mieux placés pour mettre fin au cycle des violences et de leurs conséquences en informant, en accompagnant et en soignant les victimes. Les recommandations du rapport visent donc en priorité à mettre les personnes victimes de violences au cœur du système de soins, mais aussi à améliorer leur protection et à prévenir la survenue des violences sexuelles.

Pour en savoir plus sur l’enquête et les recommandations: https://dl.dropboxusercontent.com/u/3521673/Rapport-enquete-AMTV_mars-2015_BD.pdf

Pour en savoir plus sur ce sujet: http://stopaudeni.com/

http://www.memoiretraumatique.org/

Tunisie – Le Centre d’assistance psychologique (CAP)

Inauguré en 2012, le CAP est le seul centre tunisien à prendre en charge des femmes victimes de violences sexuelles dans le cadre de la violence conjugale, ainsi que des enfants victimes de violences diverses. Le CAP fait partie de l’Office national de la famille et de la population en Tunisie (ONFP), lui-même étant sous la tutelle du Ministère de la Santé.

«Si la plupart des femmes victimes de violences sont conscientes de subir des violences physiques et verbales, elles ne perçoivent bien souvent pas la violence sexuelle dont elles sont l’objet, cela malgré le fait de souffrir de troubles liés à cette forme de violence», atteste Insaf Charaf, psychologue clinicienne au CAP, se faisant l’écho de ses consoeurs venues prendre la parole lors du colloque.

Cette non-reconnaissance des violences sexuelles subies s’explique en partie par les normes et les croyances majoritairement répandues en Tunisie: «Le contexte social et culturel, lui-même, ne reconnait pas le viol conjugal et la sexualité forcée car, dans le cadre du mariage, l’homme a le droit de faire ce qu’il veut à sa femme», indique la psychologue. S’ajoute à cela le fait que la violence sexuelle reste un sujet tabou, en Tunisie également.

En outre, «le concept de viol doit être révisé dans la loi tunisienne», souligne Insaf Charaf. «La loi considère en effet que le viol est la pénétration vaginale par le pénis de l’homme. Rien d’autre. Toute autre agression sexuelle est qualifiée d’atteinte à la pudeur et est moins pénalisée que le ‘viol’. Et malgré le fait que le code pénal reconnait la violence conjugale comme un crime depuis 1993, elle reste perçue comme une affaire privée dans laquelle la police refuse d’intervenir.»

Autre difficulté: les femmes sont coincées par des stéréotypes sociaux selon lesquels une femme ne divorce pas, doit vivre avec un homme, et les enfants doivent grandir avec leurs deux parents réunis.

Face à cette réalité, la prise en charge des femmes victimes de violences conjugales et sexuelles réalisée par le CAP se fait tant sur le plan de la psychothérapie et que sur celui de l’empowerment. L’accompagnement doit être mené de manière à tenir compte de l’évolution psychique de la femme, de son niveau de lucidité par rapport aux violences subies et de la dynamique du couple. «Il est impératif d’évaluer les stratégies de domination du conjoint et également la sécurité de la femme et des enfants», souligne avec insistance Insaf Charaf.

Un accompagnement se fait également sur le plan judiciaire et en matière de réinsertion socio-professionnelle. Autant de démarches qui encouragent les femmes à développer leur prise de conscience, leur esprit critique, à gagner du pouvoir et de l’autonomie.

«Même si le législateur ne reconnait pas la violence sexuelle dans le cadre du mariage, toute femme qui porte plainte et agit pour défendre ses droits peut contribuer à faire revoir le code pénal et signer la loi intégrale de la lutte contre les violences faites aux femmes», affirme Insaf Charaf. «Jusqu’à présent, le législateur refuse de reconnaitre ces violences parce qu’il est soumis à la pression des partis islamistes.»

En savoir plus: http://www.onfp.tn/violence/assistance.htm

S’il apparaît à travers ces témoignages que le chemin est encore long pour que les violences sexuelles diminuent de manière significative, les initiatives présentées par les interlocutrices montrent qu’il est réellement possible de changer cette insoutenable réalité à laquelle sont vraisemblablement confrontées beaucoup plus de personnes qu’on ne le croit, parfois à des âges très jeunes. Comme cela a été souligné, une prise de conscience est nécessaire au niveau collectif et individuel. Elle doit être conjuguée à une volonté sincère, et notamment politique, de faire changer les choses. Deux caractéristiques fondamentales de l’engagement féministe. Merci beaucoup, Mesdames!