Mai 2025 Par Clotilde de GASTINES Initiatives

A l’automne dernier, la MC a organisé une série de ciné-débats publics en région verviétoise autour du documentaire « Après la Pluie » de Quentin Noirfalisse et Jérémy Parotte. Les discussions de bord de scène ont permis d’aborder les thèmes de la résilience, de la reconstruction et de l’importance du lien social et du bien-être mental.

apres la pluie

En juillet 2021, il se met à pleuvoir en région liégeoise. Le long de la Vesdre, à Verviers, Ensival, Dolhain, Theux, Pepinster, Trooz, les habitants du fond de la vallée ont d’abord « naïvement » mis quelques serpillères devant leur porte, pensant que quelques gouttes allaient simplement se glisser dans leur hall d’entrée. Quelques heures plus tard, 15 000 personnes se retrouvent sans logement et 41 perdent la vie. C’est le pitch du documentaire « Après la Pluie ».

Quand les réalisateurs Quentin Noirfalisse et Jérémy Parotte commencent à filmer – neuf mois après les inondations – les deux ponts de Verviers sont encore impraticables pour les voitures, les loyers ont fort augmenté, certaines maisons sont devenues inhabitables ou inassurables, des sinistrés se sont installés au camping loin de « toute cette boue ». Certains stigmates sont visibles, d’autres le sont moins.

L’impact sur la santé mentale est incontestable. «Toute catastrophe naturelle engendre un traumatisme. Dans le cas des inondations, celui-ci est renforcé par la perte de « son chez soi », de ses repères et par l’insécurité matérielle » explique Pauline Mignon, responsable action locale de la Mutualité Chrétienne à Liège qui a participé à l’organisation de cinq ciné-débats autour du documentaire « Après la Pluie ».

« Trois ans après les inondations, tout le monde n’a pas réussi à passer le cap », constate Marc Elsen. Ce psychologue de première ligne du Réseau de santé mentale de l’Est a arpenté Verviers au cours de maraudes juste après les inondations. A l’automne dernier, il intervenait dans les débats de bords de scène à la suite de la projection du documentaire. « Certaines personnes dans le public racontent que lorsqu’il pleut, elles paniquent. Beaucoup de personnes ont peur de quitter leur quartier, de s’éloigner de ce qui leur reste, car leurs balises de vie ont été balayées par l’inondation » ajoute le praticien. Il se remémore une dame de 80 ans, inconsolable d’avoir perdu toutes ses photos de famille.

Ces ciné-débats ont aussi été l’occasion de faire passer le message que les soins psychologiques sont bénéfiques pour les personnes qui ont vécu un traumatisme, et qu’ils ne sont pas réservés aux personnes qui ont des pathologies reconnues en santé mentale. Les personnes qui exprimaient de la souffrance pendant les débats, ont aussi pu être écoutées par la suite, et orientées en fonction de leurs besoins.

Dépasser le trauma collectif, collectivement

« Il y a le trauma individuel et aussi le trauma collectif qui dépasse les victimes directes » ajoute Marc Elsen. Au fil d’une année entière, les réalisateurs suivent Maria, Madeline, Audrey, LGH et rencontrent des militants du monde associatif qui s’activent auprès des sinistré.es. Christine Mahy du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté, constate rapidement que « les inondations ont aggravé la crise sociale ». Le décalage entre letemps des sinistrés (l’urgence), celui des communes (qui n’avaient pour la plupart pas pris en compte le risque inondation) et le temps du pays (qui semble passer rapidement à autre chose) crée des tensions et nourrit un sentiment d’abandon.

Dans ce contexte tendu, les réalisateurs emboîtent le pas de l’urbaniste Paola Vigano, spécialiste de la gestion de l’eau, qui arpente la vallée de la Vesdre. Elle constate que la population la plus fragile se trouve dans le fond de la vallée, et la plus favorisée sur les hauteurs où les surfaces ont été beaucoup trop imperméabilisées. Elle organise des ateliers participatifs avec les sinistré.es pour leur donner voix au chapitre et offrir une dimension politique à leur implication.

« On utilise le moment de la catastrophe comme un levier d’action », explique-t-elle dans le film. Au fur et à mesure, celles et ceux qui s’impliquent dans les réflexions, acquièrent des connaissances sur le ruissellement des eaux, les principes de l’aménagement du territoire et du paysage. Leur empowerment est la clé pour réduire les inégalités d’exposition au risque inondation. Entourée de chercheurs et de juristes, Paola Vigano rappelle que les citoyen.nes ont droit à un aménagement du territoire protecteur. Ensemble, ils et elles affinent un projet de masterplan qui doit « réduire les pics de crue et organiser la coexistence pacifique ».

« Paola Vigano a écouté, expliqué, analysé et pris au sérieux toutes les personnes qui ont pris la parole et proposé des solutions lors des ateliers. Sa posture, ses efforts didactiques ont ouvert des portes et ont eu une grande vertu thérapeutique. Le vrai deuil est difficile à faire quand on se sent toujours en proie à des inquiétudes profondes » observe Marc Elsen, qui conclut que le fait même de travailler au dépassement d’un trauma de manière collective permet de regagner en sécurité.

Un film de Jérémy Parotte & Quentin Noirfalisse
Produit par Dancing Dog Productions & Amerigo Park.
Coproduit avec la RTBF, Les Films de la Passerelle, Wallonie Image Production