C’est au cœur des Marolles que quatre institutions psycho-médico-sociales se sont réunies en «réseau» pour travailler ensemble autour de la santé mentale. Très vite, la question du «secret professionnel partagé» s’est posée.
Les Marolles, un village dans la ville, enchevêtrement de ruelles étroites dans lesquelles tout le monde se côtoie et se connaît. Situé au sud de la ville de Bruxelles, ce vieux quartier populaire a toujours été peuplé de personnes pauvres et d’artisans. La première enceinte de la ville, construite entre 1150 et 1267, excluait déjà ce quartier pour maintenir à l’écart les Marolliens qui réclamaient des droits et se révoltaient.
Le quartier des Marolles connaît un réseau d’entraide très étendu. Dès le XVIIe siècle, face à la grande précarité du quartier, de nombreuses congrégations religieuses viennent s’y installer. Par la suite, des associations vinrent se greffer à ce réseau. Celles-ci, destinées à aider les habitants, cachaient souvent aussi un objectif de contrôle social. Prenons comme exemple la cité Hellemans – parmi les premiers logements sociaux – construite au début du XXe siècle à la place de nombreuses impasses insalubres, et dont l’architecture est délibérément ouverte sur le quartier pour faciliter ce contrôle. De son côté, le café actuellement nommé «Le mouton bleu», dans lequel est née la «Ligue belge pour le suffrage universel», illustre la perpétuelle ébullition sociale de ce quartier.
Etant une terre d’accueil depuis des siècles, sa population fut formée par vagues successives. Depuis l’arrivée des Espagnols au XVe siècle, suivie de celle des Wallons à partir de 1845, elle fut ensuite le lieu de l’exode rural de la Flandre vers Bruxelles. D’autres y ont abouti, Juifs, Polonais, Italiens. Plus récemment, ce quartier a accueilli l’immigration maghrébine, celle d’Afrique noire, d’Europe de l’Est, et d’Amérique latine. Malgré leurs différences, les Marolliens ont longtemps préservé une forte cohésion entre eux, restant notamment unis face aux grandes opérations urbanistiques qui menaçaient leur quartier.
Aujourd’hui, les Marolles se caractérisent par un métissage linguistique, culturel et social, et de nombreux Marolliens restent marqués par leur histoire et souffrent encore d’une grande précarité sociale, médicale et psychologique…
Le professionnel se voit confronté à des situations complexes. Dans celles-ci sont souvent imbriqués de multiples facteurs (financiers, sociaux, judiciaires, psychologiques, médicaux…). Différents professionnels de santé du quartier confrontés à ces situations complexes se sont réunis pour les partager, en parler, y réfléchir, collaborer ou se coordonner entre intervenants. Ils réunissent leurs compétences propres et leurs réflexions dans le but d’optimaliser la prise en charge du patient. Ce partage soulage le professionnel, trop souvent seul à porter une confidence parfois écrasante. Alors des questions se sont soulevées: «Le secret professionnel, c’est quoi?», «Peut-on tout se dire si nous sommes tous soumis au secret professionnel?», «Où est la limite à ne pas dépasser?…»
La loi et le secret professionnel
Le secret professionnel daterait du Ve siècle A.C.N. Dans le serment d’Hippocrate, une règle concernant le respect des secrets du patient est déjà envisagée: « Tout ce que je verrai ou entendrai dans la société , pendant l’exercice ou même hors de l’exercice de ma profession , et qui ne devra pas être divulgué , je le tiendrai secret , le gardant comme une chose sacrée .»
Au niveau législatif, l’article 458 du Code pénal « punit la violation du secret professionnel qui s’applique à toute personne dépositaire par état ou par profession des secrets qu’on lui confie ». Le secret professionnel est donc une obligation.
La loi ne fait par contre pas mention du secret professionnel partagé. Nous trouvons cependant un éclairage sur cette question à travers la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient, ainsi qu’à travers les codes de déontologie.
La loi relative aux droits du patient fait à plusieurs reprises allusion à la concertation pluridisciplinaire et à la consultation d’un autre praticien professionnel . Cette loi prévoit ainsi que cette concertation ait lieu dans certaines circonstances. Comme par exemple, lorsqu’un patient n’est pas en mesure d’exercer ses droits lui-même et qu’aucun représentant ne peut être désigné. Ainsi selon la loi «… Si une telle personne ne souhaite pas intervenir ou si elle fait défaut , c’est le praticien professionnel concerné , le cas échéant dans le cadre d’une concertation pluridisciplinaire , qui veille aux intérêts du patient » (art.14, §2).
Les Codes de déontologie abordent également la question du partage du secret.
Dans le Code de déontologie médicale , le partage du secret est admis moyennant des limites strictes: dans le cadre d’un travail en équipe, seules les personnes elles-mêmes liées par le secret professionnel et appelées à soigner la personne concernée ont accès à l’information.
Le Code de déontologie de l’Union des associations francophones des assistants sociaux pose des conditions supplémentaires: « la communication qui ne peut se faire que dans l’intérêt du client et avec son accord – ou en cas de partage du secret au sein d’une même équipe , moyennant son information préalable -, ne peut s’opérer qu’à l’égard d’une personne tenue au secret professionnel et dont la fonction poursuit le même objectif ».
Le Code de déontologie de la Fédération belge des psychologues dit en outre que « le psychologue ne peut partager le secret professionnel avec un tiers que lorsque cela est indispensable à la bonne exécution de sa mission . Il doit le faire en respectant les règles de la profession , notamment le principe de la liberté de participation du patient et , en cas de compte – rendu à une tierce personne , il doit se limiter à l’information qui se rapporte directement à la question posée .»
Il existe une exception qui autorise (et non oblige) le praticien à choisir de révéler un secret. Il s’agit de l’état de nécessité. On parle d’état de nécessité lorsqu’un danger ne peut être évité que par la révélation du secret. Bien entendu, il ne s’applique que pour un danger futur, quoi qu’ait pu commettre l’usager dans le passé.
Il faut donc des éléments nouveaux et graves étayant le risque. Prenons par exemple le cas d’un intervenant à qui son patient révèle qu’il ne peut s’empêcher de battre violemment son bébé. Si le danger est imminent et se profile pour le futur, et si l’intervenant ne peut éviter celui-ci par ses propres moyens, il est en droit de choisir de rompre le secret professionnel. Pour illustrer la complexité de cette question nous citons un extrait du livre de A. Marchal et J.-P. Jaspar: « Ce n’est que dans des cas extrêmes , c’est – à – dire en cas d’abstention consciente , volontaire et injustifiée de procurer une aide , que le fait de ne pas parler , si c’est le seul moyen d’écarter le péril , serait constitutif du délit de non – assistance à personne en danger sanctionné par l’article 422bis du Code pénal .»
La notion de secret professionnel en fonction de la formation de base
Tous les professionnels de santé sont-ils égaux face au secret professionnel? Qu’est-il enseigné sur le secret professionnel dans nos formations de base respectives? Les psychologues, les kinésithérapeutes, les infirmiers, les médecins, les assistants sociaux, les accueillants mettent-ils les mêmes concepts derrière la notion du secret professionnel?
Le rapport au secret professionnel peut notamment varier suivant la tâche que le professionnel doit réaliser avec l’usager. Par exemple, l’assistant social aura besoin d’éléments plus concrets pour aider la personne que le psychologue qui pourra travailler au niveau de sa réalité subjective ou psychique.
Par ailleurs, les informations qu’un professionnel est en droit de divulguer à propos d’un usager varient plus en fonction de sa mission auprès de ce dernier (aide, travail sous mandat, expertise…) qu’en fonction de sa profession de base.
Rappelons, malgré tout, le cas des enseignants, qui ne sont pas tenus au secret par leur profession.
Quelques éléments à propos du sens du secret professionnel
Le secret professionnel est tout d’abord une condition nécessaire pour que tout citoyen puisse avoir confiance envers certaines professions. Il facilite la rencontre, puis l’établissement d’une relation de confiance entre le professionnel et l’usager.
Le secret professionnel a ainsi un rôle de protection , tant pour la personne qui se confie que pour le professionnel. Ce dernier n’a pas l’obligation de lever le secret, et ne se rend pas complice de l’usager. Il a le devoir de garder le secret à l’exception notable de l’état de nécessité.
De manière générale, le secret professionnel évite l’ instrumentalisation par la société (les autorités) des interventions de type psychosociales et médicales , au service d’objectifs sécuritaires ou autres.
D’un point de vue plus clinique, le secret professionnel, en maintenant l’usager ultime détenteur de son histoire passée et à venir, préserve – et aide à restaurer – sa place d’acteur de cette histoire, place souvent mise à mal dans des parcours de vie difficiles. Replaçant l’usager au centre du travail effectué, le secret professionnel nous repositionne dans notre rôle d’aidant, d’accompagnant, et non de décideur de son sort, de celui qui contrôle la situation, même si c’est censé être «pour son bien». Il nous oblige à viser une mobilisation des ressources propres de l’usager, au lieu d’agir à sa place.
Structurant, imposant des limites, le secret professionnel est un véritable outil de travail avec des familles en mal de repères, en mal d’intimité, souvent devenues «objets», tant de leurs difficultés que des services mis en place pour y remédier.
Le professionnel doit rester d’autant plus vigilant quand il travaille avec une personne précarisée prête à mettre son histoire «en pâture» dans l’espoir d’améliorer une situation parfois désespérée. Prenons pour exemple la situation où la personne doit révéler son histoire pour obtenir un droit de vivre sur notre territoire.
Le secret professionnel cache par ailleurs certains enjeux fantasmatiques de pouvoir. Le professionnel serait tenté de se sentir central par rapport à l’usager. Un médecin exprimait la difficulté de faire le deuil de notre toute-puissance quand nous nous sentons seuls détenteurs d’informations sur un patient. Certaines équipes peuvent utiliser le partage du secret professionnel dans le but de redistribuer cette impression de pouvoir (c’est entre autre la philosophie des maisons médicales). Dans la réalité, le secret professionnel, limitant l’usage pouvant être fait des informations, atténue ce pouvoir potentiel.
La situation suivante illustre la complexité du partage du secret professionnel.
Une jeune femme enceinte se confie auprès de son assistant social sur les circonstances dramatiques dans lesquelles l’enfant à naître fut conçu. Peu avant l’accouchement, la patiente est hospitalisée pour un suivi médical plus rapproché. L’assistant social est conscient du traumatisme vécu par sa cliente et voudrait optimaliser la prise en charge de celle-ci. Il choisit de partager le secret avec l’infirmière-chef du service hospitalier dans le but d’un meilleur encadrement. Lorsque l’assistant social revoit sa cliente après l’accouchement, celle-ci est furieuse. En effet, durant son hospitalisation elle s’est aperçue que de nombreuses personnes de l’équipe soignante connaissaient son histoire.
Les difficultés du secret professionnel
Certaines situations nécessitent néanmoins un important travail de mise en lien de la part des professionnels: mise en lien des différents éléments de l’histoire du sujet ou d’une famille, travail du lien avec l’entourage… y compris l’instauration d’une meilleure coordination entre intervenants multiples.
Pensons par exemple à la psychose, où se côtoient fusion et morcellement, tous deux dangereux antagonistes l’un de l’autre. Pour éviter une relation angoissante de trop grande proximité avec l’autre, y compris avec les professionnels, la personne fait souvent entrer en jeu des mécanismes de morcellement qui peuvent compartimenter et éclater le réseau de soin. Pour garder sens et efficacité, ce réseau de professionnels devra jongler entre «faire du lien», y compris en son sein, et respecter les angoisses de l’usager qui le poussent à morceler.
La psychose n’est qu’un exemple. Nous pouvons également citer certaines affections invalidant, pour la personne, la possibilité de faire des choix entièrement seule, ou encore la perversion, qui se joue des limites que nous essayons de préserver, etc.
Ne risque-t-on pas de se sentir bridé par cette loi, coincé entre la nécessité d’être productif pour le patient ou son entourage, et le risque d’être poursuivi?
Pour illustrer cette difficulté, voici une petite vignette clinique.
Une assistante sociale est en visite chez une cliente à la demande du médecin généraliste de celle-ci. Elle la trouve particulièrement déprimée, lui confiant avoir des idées suicidaires. Elle apprend par celle-ci qu’elle a arrêté son traitement antidépresseur et elle lui demande de ne pas en parler à son médecin. Quelques jours plus tard, les deux intervenants se rencontrent fortuitement et le médecin demande à l’assistante sociale des nouvelles de sa patiente.
Il est évident que nous ne pouvons pas toujours nous en tenir au strict secret professionnel «non partagé». Mais dans quelles circonstances, à quelles conditions, comment le partager? Voici quelques pistes de travail pour nous aider à concilier deux exigences pouvant parfois paraître contradictoires.
Les pistes de travail
Il existe des pistes de travail concernant le partage du secret en équipe (ou entre professionnels d’institutions différentes) pour ne pas se sentir coincé par le secret tout en respectant les droits du patient.
Au niveau législatif, il n’y a pas de repère précis. Cependant, nous pouvons nous baser sur le travail de réflexion de certains auteurs qui considèrent que le secret professionnel peut être partagé si cinq obligations sont remplies (selon Moreau T.):
«1. Informer le maître du secret (patient, client).
2. Obtenir l’accord du maître du secret.
3. Ne partager qu’avec des personnes soumises au secret.
4. Ne partager qu’avec des personnes soumises à la même mission.
5. Limiter le partage à ce qui est strictement nécessaire pour la réalisation d’une mission commune (par mission commune, on entend par exemple l’appartenance au même service et au même groupe de professionnels, ou lorsqu’une collaboration d’un intervenant extérieur est nécessaire pour réaliser la mission du professionnel dépositaire du secret. C’est l’existence d’un mandat confié par une même autorité, on ne parle pas de mission commune si les mandats sont issus d’autorités différentes ou entre des professionnels divers auxquels la personne s’adresse directement).»
Ces balises rejoignent certains codes de déontologie cités précédemment.
Au niveau de la relation professionnelle, il est important de placer l’usager au centre de la relation de travail. Ceci peut se concrétiser en l’associant à la réflexion quant à l’opportunité d’un partage d’informations avec d’autres professionnels; cette réflexion débouche souvent sur le consentement de l’usager. En cas de refus mais d’extrême nécessité (état de nécessité) nous avons le droit de nous défaire du secret professionnel.
Par ailleurs, quand une institution propose un travail d’équipe, avec discussions de situations en réunion, il pourrait être opportun d’en informer l’usager dès sa première rencontre avec un professionnel de l’équipe.
On pourrait également désigner un membre de l’équipe garant du respect du secret ou encore préciser entre intervenants le cadre du partage d’informations.
Enfin, quand nous échangeons à propos d’usagers en intervisions inter-institutionnelles, l’anonymat ou l’invention de cas fictifs ne paraissent pas superflus.
A chacun de trouver les balises adéquates à sa pratique. Que partager? Avec qui? Pour en faire quoi? Dans quelles conditions?
Une réflexion en équipe pourrait permettre de fixer des balises pour le partage du secret car la question est complexe, aucune règle ni loi ne donnera la réponse qui conviendrait le mieux à une équipe déterminée.
Comment créer un «espace du secret»? Un lieu clos où le secret serait déposé par le professionnel qui ne serait plus seul à le porter et où chacun, fort de sa formation particulière, pourrait collaborer au dénouement d’une situation difficile.
En guise de conclusion
Et si le patient redevenait le centre de la relation de soins?
Chaque équipe ou professionnel qui collabore se pose un jour la question. Travailler ensemble, mieux comprendre le travail de l’autre, optimaliser notre prise en charge mais dans quel cadre? Quelle est la place de la personne qui se confie? Quelle est celle du professionnel? Le professionnel n’occupe-t-il pas parfois la place centrale qui est celle du patient?
Le secret professionnel est ressenti avec ambiguïté par le praticien, entre la rigidité de la loi et la difficulté de la pratique. Partager une situation difficile ne signifie pas le non-respect de son patient, mais comment garder celui-ci au centre de nos préoccupations? A l’heure où l’espace potentiel du partage du secret tend à s’élargir, notamment via la création de réseaux formalisés de santé, ces questions ont d’autant plus de poids. Le secret professionnel nous renvoie à nous-même, au respect de l’autre, à la société que nous voulons.
Céline Ego , médecin généraliste
d’après le travail de réflexion sur le secret professionnel partagé de l’équipe Réseau Santé Mentale Marolles.
Références bibliographiques
-Procès-verbal de la réunion plénière du RSMM du 30/05/06 sur le secret professionnel partagé
-Travail de synthèse de la réflexion en équipe réseau sur le secret professionnel partagé (avril 2006) par Yaëlle Seligmann
-Nouvelle encyclopédie de bioéthique, Gilbert Hottois et Jean-Noël Missa, 2002, pp 725-729
-Balises pour des contours juridiques incertains, T. Moreau, JDJ n°189, nov.1999, p12
-Secret professionnel, acte du colloque de Bruxelles du 5/12/2003 sous la direction de I. Brandon et Y. Cartuyvels: «Judiciaire et thérapeutique: quelles articulations?» Lucien Nouwynck
-Droit criminel, A. Marchal et J.-P Jaspar, Bruxelles, Larcier, 1965, p.458
-Confidentialité et secret professionnel: enjeux pour une société démocratique. Recueil d’articles «Temps d’arrêt: lectures». Coordination de l’aide aux victimes de maltraitance.
* La confidentialité, ciment de la relation d’aide: la personne au centre de la rencontre, Claire Meersseman
* Quelques balises juridiques, Jean-François Servais
-Code de déontologie médicale
-Code de déontologie de l’Union des associations francophones des assistants sociaux
-Code de déontologie de la Fédération belge des psychologues
-Loi relative aux droits du patient, Moniteur belge, 22 août 2002
-Une histoire de Bruxelles, Roel Jacobs, éd. Racines, 2004
-Site internet http://www.lesmarolles.be