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people with placards and posters on global strike for climate change.

Social, santé, environnement : les synergies nécessaires  

Le 5 Mai 25

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Stress thermique, pollutions, inondations, maladies infectieuses. La Belgique est particulièrement vulnérable au changement climatique. Quel rôle peuvent jouer les acteurs de la promotion de la santé ?  

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime que 20% de la mortalité et 10% des cancers évitables sont liés à des facteurs environnementaux (pollution de l’air, pollution sonore, usage des pesticides, perturbateurs endocriniens…).  

La Belgique est particulièrement exposée aux aléas climatiques en raison de la densité de sa population, de son urbanisation, de sa géographie et de ses problèmes de santé publique préexistants :  

  • un pourcentage élevé de problèmes respiratoires,  
  • une population âgée et vieillissante,  
  • une charge de morbidité élevée liée aux maladies non transmissibles (obésité, maladies cardio-vasculaires, etc). 

Au sein de la population, les enfants sont exposés à des pollutions importantes selon le rapport Innocenti de l’Unicef. Sept enfants sur cent vivent avec une concentration excessive de plomb dans le sang, et huit enfants sur cent vivent dans des endroits comportant un risque élevé de pollution aux pesticides.  

L’agriculture intensive, l’utilisation de la voiture individuelle et les activités industrielles, notamment au port d’Anvers, font partie des facteurs qui expliquent ces mauvais résultats.  

A ces pollutions chimiques, s’ajoutent les pollutions intérieures liées en partie aux moisissures et l’humidité. Presque 19 enfants sur cent et leurs parents vivent dans une maison avec moisissures et humidité. 

Ces difficultés vont être exacerbées dans les années qui viennent par cinq risques climatiques principaux selon l’outil européen EUCRA (European Union Climate Risk Assessment) : 

  • l’intensification des vagues de chaleur dues à la hausse des températures ; 
  • la pollution de l’air ; 
  • la multiplication des maladies infectieuses ; 
  • la dégradation des conditions de travail ; 
  • la dégradation de la santé mentale et psychosociale. 

Alors quel rôle peuvent jouer les acteurs de la promotion de la santé ?  

Dans un ouvrage collectif enthousiasmant intitulé Santé et Environnement, vers une nouvelle approche globale, les chercheur-euses suisse Andrea Lutz, Julia Gonzalez Holguera, Karin Zürcher, Oriana Villa, Christine Mueller et Myriam Pasche donnent quelques clés dans un chapitre dédié à la promotion de la santé. 

« La promotion de la santé et prévention (PSP) et la durabilité constituent deux champs des politiques publiques qui ont jusqu’à aujourd’hui évolué de manière relativement distincte, mais dont les enjeux sont reliés et les démarches similaires, écrivent les auteur-rices. Puisque les dégradations environnementales ont des répercussions majeures sur le plan de la santé et constituent des enjeux de santé publique à part entière, il est indispensable de mener une réflexion conjointe et d’opérer des synergies entre ces deux champs ».  

Iels recommandent de mettre en pratique les stratégies de promotion de la santé : améliorer les approches intersectorielles ; agir global et local ; impliquer les publics grâce à des démarches participatives ; promouvoir l’équité et la justice sociale ; déployer des activités d’information, d’intervention et de plaidoyer conjointes. 

Les articles de ce numéro thématique apportent un éclairage sur la manière dont certains acteurs mettent en œuvre des stratégies de promotion de la santé autour des questions environnementales : démarches communautaires, information et sensibilisation, travail sur les représentations et les émotions, renforcement de la capacité d’agir, réorientation de certains services ou structures. Nous vous souhaitons une bonne lecture !

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La grande marche pour la santé mentale
Coup de projecteur sur un secteur en difficulté

Le 24 Août 21

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Du 20 juin au 10 juillet 2021, plus de 1000 km ont été parcourus à travers la Wallonie et Bruxelles pour la santé mentale. Cette marche citoyenne, initiée et organisée par Pierre Maurage et Nicolas Pinon (professeurs à la Faculté de psychologie de l’UCLouvain), avait pour objectifs de remettre la santé mentale au centre des préoccupations et de renouer les liens entre acteurs et bénéficiaires de la santé mentale.

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Crédits photo : Mutualité chrétienne

La naissance du projet

L’initiative est née d’échanges entre deux collègues, Pierre Maurage et Nicolas Pinon partageant le sentiment que la santé mentale a été le parent pauvre de la gestion de la crise sanitaire. Bien que l’accent ait été mis sur la santé physique, la santé mentale a également été largement mise en péril durant cette crise. « Plusieurs recherches ont montré que les liens interpersonnels ont été distendus, favorisant le sentiment d’isolement social et de solitude chez les individus » rappelle Nicolas Pinon. Il illustre : « on a vu apparaitre ce que l’on nomme le « syndrome de la cabane » qui illustre la difficulté de retrouver la vie d’avant et de retourner vers les autres ».

C’est cette « anomie sociale1 », entrainant une perte de ce qui nous guide et ce qui nous rassemble, qui a suscité chez les professeurs de l’UCLouvain l’envie de travailler à rebâtir les liens entre les individus. Ils ont alors eu l’idée de réaliser une grande marche visant à retisser les liens et visibiliser les acteurs du secteur, permettant d’un même pas de remettre la question de la santé mentale et du bien-être des citoyens au centre des préoccupations.

Une mobilisation sociale

L’idée a suscité un grand engouement et ce sont 5 universités (UCLouvain, UMons, U-Liège, ULB, Université de Namur), 1 haute école (Haute Ecole Léonard de Vinci) et plus de 90 associations et institutions qui se sont jointes au projet et lui ont permis de se réaliser.

Grâce à cette mobilisation, pendant 21 jours, 21 étapes se sont déroulées, reliant 21 villes de la Fédération Wallonie-Bruxelles en proposant des parcours de marche quotidiens de 50, 20, 5 ou 1 km. A chaque étape, en soirée, des activités étaient proposées rassemblant marcheurs, curieux, bénéficiaires et associations locales actives dans le domaine de la santé mentale. Les activités étaient variées : spectacles de rue, débats, concerts, parcours d’artistes, conférences… et centrées sur une thématique de santé mentale ou de bien-être général. Nicolas Pinon mentionne quelques exemples : « la Pr Isabelle Roskam a donné une conférence sur la thématique du burnout parental ; l’association Drug’s Care, un service d’accompagnement de personnes souffrant d’assuétudes, a présenté ses actions menées dans une logique de réduction des risques ; la Mutualité chrétienne et son mouvement social des ainés, Enéo, ont réalisé une activité intergénérationnelle au sein du home Herman ». Chacune des activités était gratuite mais nécessitait une inscription préalable afin de garantir le respect des mesures sanitaires.

L’organisation s’est répartie entre le groupe porteur (composé de Nicolas Pinon, Pierre Maurage et d’autres collègues et doctorants de la Faculté de l’UCLouvain) et les associations et institutions locales. « La volonté était que chaque institution et association puisse participer à cet élan collectif » insiste Nicolas Pinon.

Afin de susciter la mobilisation citoyenne, une page Facebook a été créée et a été suivie par plus de 80.000 personnes. Alimentée quotidiennement par des photos et des récits de l’étape du jour, elle a permis à chacun de suivre l’ensemble de la marche.

Un premier pas vers une réponse aux besoins du secteur 

Pierre Maurage se réjouit du bilan de l’évènement : « ce projet a pleinement rempli son objectif en répondant à deux besoins criants exprimés par nos concitoyens au sortir de la crise sanitaire.

D’une part, remettre la santé mentale, ses acteurs et ses bénéficiaires, au centre des préoccupations. Via les activités variées et positives organisées en fin de journée dans chacune des villes-étapes, nous avons vu combien les soignants en santé mentale, ainsi que les usagers, ont été éprouvés par la crise ; mais également combien ils ont réussi à faire preuve de résilience, pour faire renaître des projets et actions promouvant le bien-être psychologique.

D’autre part, permettre de renouer du lien social. La marche a constitué une activité idéale dans cette perspective, puisqu’elle a permis une rencontre entre citoyens venus d’horizons très différents, qui ont pu, tout en cheminant, échanger leurs perspectives sur la santé mentale, et plus globalement interagir à nouveau et retisser des échanges conviviaux, si essentiels à notre bien-être.

Si cette grande marche a été un succès, c’est donc bien grâce aux plus de 300 bénévoles-organisateurs et 2000 participants, qui ont par leur présence, leur énergie et leur enthousiasme, permis à notre événement de constituer un pas, modeste mais significatif, sur le chemin du retour à une vie psychologique et relationnelle épanouissante. »

Un chemin qui se poursuit

Nicolas Pinon précise qu’il n’y a pas eu de revendication politique derrière l’événement mais la volonté qu’il puisse être le moteur d’une prise de conscience collective de l’importance du secteur de la santé mentale. Il insiste : « la santé mentale est l’affaire de tous ». Il prépare l’édition d’un livre visant à donner la parole aux participants à la marche : tant aux acteurs des associations et institutions qu’aux bénéficiaires. « Le livre s’adressera au grand public et dressera un panorama de la santé mentale et du bien-être en général en Wallonie et à Bruxelles en 2021. L’objectif est que les personnes intéressées par ces questions puissent s’y retrouver, voir ce qu’on y fait et quelles sont les adresses. Dans un même temps, il sera illustré par des photos du paysage belge parcouru lors du sentier réalisé pendant la marche » explique Nicolas Pinon. Il termine en confiant son espoir que les décideurs politiques, le livre entre les mains, puissent, sur base des témoignages présentés, prendre conscience de la nécessité du financement du secteur.

Ressources

[1]« Désorganisation sociale résultant de l’absence de normes communes dans une société. (Notion élaborée par Durkheim.)” (www.larousse.fr)

woman hugging her reflection, self acceptance

Réflexions sur la situation de la santé mentale en Belgique et les besoins du secteur

Le 24 Août 21

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L’initiative de la grande marche pour la santé mentale invite à remettre sur le devant de la scène la situation et les différents enjeux du secteur de la santé mentale. Ils sont abordés ici par Mr Yahyâ Hachem Samii, Directeur de la Ligue Bruxelloise pour la Santé Mentale (LBSM). 

woman hugging her reflection, self acceptance

Une détérioration préexistante

« La situation en matière de santé mentale pour la population belge était déjà mauvaise avant la crise du Covid-19 » relève Yahyâ Hachem Samii. Il relie la situation à la fragilisation de toute une partie de la population et pointe le rôle de la crise financière de 2008 qui a plongé de nombreuses personnes dans des difficultés extrêmement lourdes les entrainant dans la précarité – précarité les précipitant dans l’insécurité permanente, dans le stress, dans la dépression et autres phénomènes en matière de troubles ou de maladies mentales.

« Pour bon nombre de personnes, la situation de vie est devenue plus compliquée, plus difficile et cela est à imputer à des éléments de contexte qui dépassent largement le seul individu » analyse Yahyâ Hachem Samii. Il poursuit : « Nous ne sommes pas devenus plus fragiles qu’avant humainement, mais nous vivons dans un contexte où la pression sur les individus ne cesse d’augmenter ». Les chiffres de Sciensano le montrent, la situation en matière de santé mentale s’est dégradée ; il y a un nombre de plus en plus important de personnes qui se disent en difficulté sur le plan psychologique. Plus d’1/3 des Belges présentent un mal-être psychologique (Enquête de santé, 2018).

La crise du Covid-19 : un accentuateur et un révélateur

La crise du Covid-19 a joué un rôle « de révélateur » et « d’accentuateur » sur cette situation, explique Yahyâ Hachem Samii.

  • Un rôle de « révélateur » car comme pour toute une série de phénomènes, la crise sanitaire a mis en lumière les inégalités, les difficultés et les souffrances. Ça a été le cas par exemple pour la question des violences conjugales où chacun a pris conscience de ce qui était en jeu avec les mesures sanitaires, le huis-clos renforçant la violence interne. 
  • Un rôle « d’accentuateur » : là où il y avait déjà des lignes de faille, des fragilités, elles se sont souvent agrandies. Les personnes qui tenaient l’équilibre ont pu basculer avec la crise et les acteurs du secteur ont vu apparaitre dans leurs services des personnes qui n’en étaient pas coutumières.

Cela a ouvert la question de l’accès aux soins. Que ce soit dans les services de l’ambulatoire, de l’hospitalier ou chez les thérapeutes privés, les demandes d’aide et de soutien sont partout en augmentation. En matière de maladies mentales, à tout moment, il y a des individus qui peuvent basculer et qui ont besoin de services avec des portes ouvertes – au risque de se retrouver dans des états dégradés. Or, durant les confinements, des personnes n’ont pas pu bénéficier des soins adéquats. Parce que les services n’étaient pas disponibles, parce que les personnes avaient peur de s’y rendre ou encore parce qu’elles estimaient que leur situation n’était pas prioritaire. De ce fait, les services se retrouvent aujourd’hui avec des individus dans des états dégradés mais aussi avec des personnes qui avaient des difficultés mais les géraient grâce à d’autres ressources. Aujourd’hui, elles aussi ont besoin d’un soutien psychologique ou psychiatrique.

« Se pose la question de savoir comment y répondre » pointe Yahyâ Hachem Samii. « Via une réponse individuelle en proposant des thérapies pour chacun ? Faciliter ce type de soutien pour l’ensemble de la population, c’est une chose mais il faut se dire que toute une série de personnes ne vont pas voir l’information ou ne vont pas vouloir de ce type d’intervention car elles ne s’y reconnaissent pas. Il faut donc pouvoir faire en sorte que l’offre de soins en santé mentale soit la plus diversifiée, la plus large possible. » Tout en prenant en compte le fait que la crise a également révélé la saturation préexistante des services et la nécessité de mettre en place des moyens supplémentaires, au risque que les individus ne reçoivent pas le soutien dont ils ont besoin.

Les enjeux actuels du secteur

Face à cette situation, le directeur de la LBSM identifie trois axes d’enjeux pour l’amélioration du secteur de la santé mentale. 

1. Développer une approche co-construite au niveau décisionnel

Au niveau décisionnel, Yahyâ Hachem Samii souligne l’importance d’une plus grande concertation entre les pouvoirs publics et plus spécifiquement, l’intérêt d’un plan co-construit.

Il illustre cette nécessité en pointant ce qui se joue aujourd’hui entre le fédéral, le régional et le communautaire au niveau des budgets. Le gouvernement fédéral a dégagé d’importants financements pour la santé mentale et est prêt à les investir dans les communautés et régions mais – et c’est là que le problème se pose – dans une logique de financement qui ne rencontre pas la logique de travail des autres niveaux. Au niveau fédéral, les subsides sont appliqués à la prestation. Or, au niveau des communautés et régions, le travail se réalise de façon tout à fait ouverte avec des travailleurs qui sont payés comme des employés, quel que soit le nombre de prestations réalisées. « C’est d’ailleurs ce qui permet aux personnes qui sortent des radars, qui ne sont pas en ordre au niveau de la mutuelle, de pouvoir malgré tout bénéficier de certains soins » précise-t-il. Cette divergence de logiques pose de réelles complications car elle ne permet pas aux communautés et régions de se saisir des moyens proposés pour pouvoir répondre aux besoins de la population. Le directeur de la LBSM réclame donc que le renforcement de l’aide en matière de santé mentale sur base de budgets existants ouverts par les politiques soit pensé différemment, dans une approche de co-construction et favorisant la diversité pour permettre à tous de pouvoir en bénéficier.

2. Agir sur les conditions sociales

On le sait, les conditions sociales agissent comme des déterminants en matière de santé mentale. Mais Yahyâ Hachem Samii développe la réflexion : « Il y a souvent un effet de renversement : on parle du fait que la bonne santé des personnes dépend de toute une série d’éléments dont notamment des aspects sociaux. Dans ce discours, les aspects sociaux sont vécus comme une condition à la bonne santé alors qu’ils doivent pouvoir rester des objectifs en soi. » On doit pouvoir améliorer les conditions sociales des personnes simplement parce que pour tout être humain qui veut vivre dans la dignité, cela fait partie de ses droits. Il est donc nécessaire de voir une amélioration des allocations sociales et une levée de certaines conditionnalités. Le directeur de la LBSM insiste : « Il y a plein de circonstances où une amélioration de l’intervention sociale et de la solidarité peut faire la différence. Les gens peuvent avoir des problèmes de santé mentale malgré tout mais au moins cela sera un peu plus cerné autour de cette question et non plus « explosé » car diverses couches d’autres difficultés viennent se rajouter à la situation. »

3. Renforcer l’offre de soins en santé mentale

Le directeur de la LBSM plaide pour un renforcement complet de l’offre de soins en santé mentale : « On ne peut pas penser un renforcement de l’offre hospitalière en matière psychiatrique si dans un même temps on ne prévoit pas l’après, l’ambulatoire et le résidentiel (...). Les deux sont intriqués : ce qui se passe dans les institutions hospitalières qui dépendent du fédéral a des conséquences sur l’offre et le travail des structures des autres niveaux et vice-versa. » Il invite à un renforcement réfléchi sur 4 axes :

  1. Il s’agit de financer pour être en mesure de répondre à l’ensemble des besoins, exprimés et non exprimés, en matière de santé mentale dans la population. Cela implique dans un premier temps de renforcer l’existant.
  2. Dans un même temps, il faut donner aux services les moyens pour réaliser du travail communautaire et collectif. Yahyâ Hachem Samii en souligne l’intérêt : « C’est une excellente porte d’entrée pour toute une série de personnes : c’est moins stigmatisant et cela permet de recréer des liens après une crise qui a malmené les liens sociaux. Ce sont ces liens qui peuvent générer une solidarité, un appui, un réseau. Une sorte de filet de sécurité pour un certain nombre de gens. »
  3. La prévention en matière de santé mentale doit également pouvoir se mener. « Il faut pouvoir mettre en œuvre des campagnes d‘informations et produire des outils qui permettent aux individus de mieux comprendre ce qu’ils vivent, de mieux anticiper, de pouvoir réagir plus vite et d’éviter que les difficultés apparaissent voire s’aggravent » développe Yahyâ Hachem Samii.
  4. Il faut pouvoir apporter un soutien aux professionnels de la santé et du social dont le corps de métier n’est pas celui de la santé mentale. Ces professionnels sont parfois dans l’incapacité de savoir comment réagir face à des personnes en difficulté et cela peut mener soit à un renvoi inadéquat vers les services spécialisés soit parfois à un arrêt de l’offre de services et un risque d’exclusion. Il y a donc un enjeu de former, d’informer et de permettre à ces professionnels de pouvoir identifier les situations qu’ils peuvent continuer à prendre en charge avec des solutions nouvelles et d’identifier les situations pour lesquelles il est nécessaire de faire appel à un service plus spécialisé. Service spécialisé – qui ayant été renforcé – peut dès lors prendre en charge ces individus. « C’est l’enjeu » précise Yahyâ Hachem Samii, « si on ne joue pas sur les 4 aspects en même temps, on risque de se retrouver coincé lorsque l’on doit basculer de l’un vers l’autre. »

La visibilité comme levier d’action

Pour soutenir des changements sur ces différents enjeux, la visibilité est un levier d’action. Elle permet un travail de déstigmatisation mais également un travail sur les représentations du fonctionnement du secteur. On reste trop souvent dans un schéma binaire entre d’un côté l’hôpital et de l’autre le thérapeute en cabinet ; que ce soit tant de la part des personnes qui pourraient bénéficier des services que des politiques qui les financent. « Or, toutes les réponses en santé mentale ne se retrouvent pas dans ces deux axes, il y a tout un champ qui existe en dehors et qu’il faut visibiliser. » souligne Yahyâ Hachem Samii.

C’est l’objectif des évènements en matière de sensibilisation telle que la grande marche pour la santé mentale. Le directeur de la LBSM en souligne l’intérêt et insiste sur l’importance de les faire suivre d’autres étapes, actions et rencontres afin que le débat amorcé entre dans le vif du sujet et que l’on puisse aborder des pistes de solutions concrètes.

La prochaine étape sera la semaine du 10 octobre 2021 à venir. A l’occasion de la journée mondiale de la santé mentale, la LBSM, la PFCSM (Plate-forme de Concertation pour la Santé Mentale en Région de Bruxelles-Capitale) et le CRéSaM (Centre de Référence en Santé Mentale) co-organisent une semaine remplie d’activités sur la thématique tant à Bruxelles qu’en Wallonie. L’évènement permettra de continuer à montrer au grand public les différents services d’aide et de soins en santé mentale disponibles ainsi que les multiples actions et projets développés. Une manière pour les acteurs du terrain d’agir en espérant que la mise en lumière des besoins et difficultés du secteur soient prise en compte par les politiques.

Des dispositifs accessibles à tous

Yahyâ Hachem Samii attire l’attention sur la problématique de la conception des dispositifs d’aide et de soutien pour la population. Il pointe le fait que ceux-ci sont majoritairement pensés dans un schéma de type classe moyenne, famille hétéronormée, 2 enfants, etc. Or, il importe de pouvoir tenir compte de l’ensemble de la population, au risque de générer de l’exclusion là où on prétend vouloir apporter de l’aide. « C’est une difficulté » admet-il : « Penser une mesure générale en la déclinant pour tenir compte des diversités des uns et des autres. » Mais il insiste : « C’est essentiel, sinon on crée ce qui s’est produit : un effet pervers. On se retrouve avec une dimension d’aide mais qui exclut certaines personnes et cela en devient doublement pénalisant. Les gens souffrent d’une situation qui n’est pas de leur chef – une pandémie – mais en plus, ils n’ont pas droit à l’aide car ils ne rentrent pas dans les bonnes conditions. Une réflexion doit avoir lieu à ce niveau pour que les mesures prises soient ouvertes à tout le monde ».

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Déballe ta pub !
Le marketing alimentaire chez les jeunes

Le 25 Juin 21

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Le service de Promotion de la santé de la Mutualité Chrétienne (MC) et Ocarina, mouvement de jeunesse partenaire de la MC se sont réunis pour concocter “Déballe ta pub ! L’influenceur de ton assiette, c’est toi”, un programme pédagogique à destination des pré-ados (10-12 ans). Qu’on soit enseignant, animateur, parent… cet outil numérique est décliné pour vous aider à aborder le marketing alimentaire avec les jeunes.

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L’outil, 100% digital comprend

  • 4 capsules vidéo ludiques et humoristiques qui abordent des sujets et des angles variés du marketing alimentaire pour les jeunes ;
  • un dossier pédagogique, sous forme de PDF dynamique, avec un apport théorique sur les thématiques de l’alimentation, de l’éducation aux médias et des stratégies marketing ;
  • des fiches de synthèse reprenant les éléments théoriques essentiels ;
  • des pistes d’animations pédagogiques, en lien avec les capsules vidéo, pour animer des activités avec les jeunes.

Manon Gobeaux, chargée de projet au sein du service de Promotion de la santé, nous en parle.

ES : Revenons sur l’origine de l’outil. Pourquoi vous êtes-vous attelés au sujet du marketing alimentaire auprès des jeunes ?

MG : Sensibiliser et favoriser une alimentation saine et équilibrée sont des objectifs que notre service et Ocarina poursuivent depuis longtemps déjà, que ce soit auprès des jeunes et des plus grands. Ensemble, nous avons déjà produit de multiples outils sur la thématique de l’alimentation.

Nous avions jusqu’à présent plutôt axé nos outils sous un angle « pratico-pratique », c’est-à-dire la constitution d’un repas équilibré, l’utilisation de la pyramide alimentaire, la composition d’une boîte à lunch, etc. En restant attentifs aux besoins formulés par les enseignants, les animateurs, les parents… force est de constater que même si on s’applique à fournir des repas et des aliments équilibrés aux jeunes, ils restent toutefois attirés par des produits transformés, issus du commerce et de marques connues. Plusieurs mécanismes sont en cause tels que l’influence des pairs, la présence des goodies (les gadgets offerts par les marques de produits alimentaires), etc. Petit à petit, notre attention s’est alors centrée sur ce qui se passe déjà en amont et qui influence nos choix de consommation : le marketing alimentaire.

En grattant le sujet, les premières données qui nous sont apparues sont les suivantes : d’une part, le marketing alimentaire est en très grande majorité destiné aux produits transformés, trop gras, trop sucrés ou salés ; d’autre part, qu’une des cibles principales sont les enfants. On sait d’ailleurs que ce marketing a une réelle influence sur des problèmes de santé publique tels que le surpoids et l’obésité chez les enfants.

De plus, nous sommes sensibles à la MC aux questions environnementales. Ocarina a, par exemple, initié une réflexion et un travail sur le thème du « zéro déchet » au sein de son mouvement et de ses plaines de vacances. Or celui-ci amène à favoriser les aliments non/peu transformés, les repas « faits maisons »… et implique nécessairement de questionner le marketing alimentaire.

ES : Quelles ont été les étapes préalables à la construction de l’outil ?

MG : Dès le départ, nous avons donc constitué un groupe de travail qui réunissait des chargés de projets et des animateurs promotion santé de la MC et d’Ocarina, forts de leurs expériences de terrain avec les acteurs de la santé à l’école, les enseignants, les éducateurs en centre d’accueil, et de leur connaissance du public jeune.

Nous avons entamé ensemble un long travail de documentation et la rencontre d’experts analystes des questions de l’éducation aux médias, du marketing, de la psychologie sociale appliquée, etc. pour développer cet outil.

Lors de cette recherche exploratoire, un questionnaire sur les habitudes de consommation des jeunes de 10-12 ans a été envoyé et complété par plus de 200 jeunes dans les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Celui-ci a permis de mettre en exergue l’impact non négligeable de la publicité et du marketing alimentaire sur leur consommation : par exemple, 82% des répondants sont capables de citer une publicité alimentaire qu’ils apprécient ; ou encore 77% des répondants considèrent que la publicité leur donne envie d’acheter le produit.

Parallèlement, afin de sonder la plus-value de cette thématique et d’affiner les objectifs, une vingtaine d’enseignants et d’animateurs Ocarina ont été interrogés.  

ES : Et quel est l’objectif de « Déballe ta pub » ?

MG : Nous souhaitons donner aux enfants de 10 à 12 ans les moyens d’exercer leur esprit critique dans le cadre des stratégies publicitaires liées à l’alimentation.  Nous avons voulu prendre du recul et avoir une vision plus large. Travailler le développement d’une vision plus critique auprès des jeunes est un axe santé peut-être moins évident dans une première lecture mais qui a quand même tout son sens. Nous souhaitions placer le jeune au cœur du projet : il est in fine un consommateur et un décideur de son alimentation. L’objectif est donc qu’il puisse poser des choix de consommation éclairés.

Le programme pédagogique plus spécifiquement (développé dans le dossier et les fiches d’animation) vise à outiller « toute personne encadrant des jeunes de 10 à 12 ans (enseignants, animateurs, éducateurs, infirmiers scolaires…) pour les aider à se forger un esprit critique et à leur faire prendre conscience des messages véhiculés par la publicité en matière d’alimentation. »

ES: Pourquoi le choix de votre public s’est-il arrêté sur les pré-ados ?

MG : Les pré-adolescents (vers 10-12 ans) sont à mi-chemin entre l’enfance et tout l’univers qui s’y rattache, et l’adolescence, avec les prémices de la recherche d’autonomie vis-à-vis des parents, l’importance d’être rattaché à un groupe de pairs et une attirance envers l’univers des plus grands. C’est aussi la période durant laquelle ils vont commencer à avoir de l’argent de poche et donc choisir ce qu’ils achètent. De plus, ils sont issus d’une génération hyperconnectée et cela concorde avec leur arrivée sur les réseaux sociaux. Tous ces facteurs réunis en font une cible privilégiée du marketing. Par exemple, le marketing d’influence, via les jeunes de leur âge, les copains de classe, les influenceurs sur les réseaux sociaux… est une stratégie couramment utilisée envers ce public afin d’ancrer des habitudes de consommation et les fidéliser à certaines marques.

Mais à cet âge, ils sont aptes à développer un esprit critique : ils sont capables de reconnaître, identifier et comprendre un message publicitaire. Et s’ils peuvent le comprendre, ils vont alors être capables de le critiquer aussi. C’est ici qu’entre en jeu notre outil, entre promotion de la santé et éducation aux médias.

De plus, les autres outils que nous avons développés concernent davantage les enfants plus jeunes (« Le Club des Vitaminés », « Du punch dans ta boîte à lunch »…). Nous souhaitions produire un outil à destination de chaque âge sur un cycle primaire. Ainsi, les enseignants et animateurs peuvent réaliser un parcours au travers des âges sur la thématique de l’alimentation.

ES: Comment se constitue l’ensemble de l’outil ? Qui peut s’en servir pour s’adresser aux jeunes ?

MG : La particularité de l’outil est qu’il a été pensé pour être utilisable par différents types d’adultes encadrant les jeunes, dans différents contextes : tant en milieu d’accueil qu’en milieu scolaire, ou tout simplement à la maison.

Au centre de celui-ci se trouvent les 4 capsules vidéo. Chacune peut être regardée de manière autonome : le contenu aborde un angle différent et compile plusieurs sujets complémentaires. Il n’y a pas de sens de lecture et pas de liens entre chaque capsule, si ce n’est les deux personnages (un père et sa fille) qui opèrent comme un fil rouge. Réalisées avec humour et dérision, elles abordent toutes plusieurs aspects comme l’omniprésence de la publicité, sa déclinaison sur différents supports, leur impact sur les jeunes…

  1. Le p’tit dej de champion” aborde l’envers du décor de la publicité et les codes auxquels elle fait appel pour susciter une émotion (la musique, les décors, la luminosité…). Le message principal est qu’une publicité est un montage et non pas la “vraie vie”.
  2. Papa” se centre sur les goodies, les jeux concours, les codes de réduction (ou tout ce qu’un enfant peut obtenir en répondant à la sollicitation d’une marque) et l’idée que la publicité peut créer un besoin qui n’existait pas auparavant.
  3. Esprit qui pétille” cherche à sensibiliser sur les placements de produits et de marques dans tous les types de contenus et supports (dans les films, les séries, les chaînes Youtube…) de manière plus évidente ou insidieuse.
  4. Cheffe Lucie” aborde quant à elle le rôle d’un enfant “influenceur”, la composition des aliments ultra-transformés, l’influence du packaging, l’importance du “fait maison”…

Dans chaque capsule, on retrouve à la fois des repères théoriques, des éléments de discussion, des éléments de réponse et des éléments d’interprétation.

Elles sont ainsi facilement utilisables par les parents par exemple car elles permettent d’emblée de lancer une discussion avec son enfant, sans nécessairement construire toute une animation. Le parent peut ainsi lui demander “qu’as-tu compris ?”, cela peut également devenir un temps de partage et de jeux (comme s’amuser à reconnaître les placements de produit quand on regarde la télé ensemble). Elles vont titiller l’attention chez l’enfant et permettre de sensibiliser à la thématique.

Mais les capsules s’accompagnent également d’un dossier pédagogique fourni (près de 60 pages), avec des repères théoriques, à destination notamment des enseignants, des partenaires de la santé à l’école (PSE, PMS), etc. qui souhaitent construire une ou plusieurs animations avec des élèves de 5e et 6e année primaire. Des fiches synthétiques reprennent les points essentiels à ne pas oublier.

Enfin, un canevas d’animations complète la théorie.

Construit et pensé avec Ocarina, l’outil “Déballe ta pub !” est aussi facilement accessible pour les animateurs de plaines ou de centres d’accueil pour les jeunes. Leurs animations sont en général plus courtes dans le temps qu’une thématique approfondie en classe par un enseignant. Ils disposent ainsi de fiches synthétiques pour s’outiller, et le canevas d’animation a été réfléchi pour s’adapter à leurs réalités.

C’est vraiment un outil très polyvalent. Comme les capsules vidéo sont facilement compréhensibles et que le dossier pédagogique est riche, il est d’ailleurs tout à fait possible de construire des animations à destination d’adolescents et d’adapter le niveau de l’animation à divers publics.

Dans le dossier pédagogique

Vous retrouverez :

  • Une mise en contexte et des balises théoriques à propos du public des jeunes, leurs utilisations des écrans, l’apparition et le développement de leur esprit critique…
  • Comprendre l’univers de la publicité : ses moyens de diffusion, ses cibles, le cadre législatif qui l’entoure…
  • La publicité alimentaire : quels impacts sur les enfants ? On y aborde les impacts sur la santé, les comportements, les relations aux autres et les consommations futures.
  • Stratégies publicitaires : entre science et créativité nous informe sur les ingrédients du marketing alimentaire, le neuromarketing, les stratégies de placement de produits ou du marketing d’influence, etc.
  • Le packaging, un atout publicitaire. Cette section aborde entre autre la composition des produits transformés, les étiquettes alimentaires et l’outil Nutri-Score.
  • Publicité et écologie avec les questions de consommation durable, la problématique des déchets et le greenwashing.

ES : Dans le contexte de pandémie et de confinement ou de restriction des rassemblements, comment vous êtes-vous adaptés pour faire aboutir « Déballe ta Pub » ?

MG : Lors de la construction, nous avons bénéficié de la riche expérience de Média Animation, qui a réalisé les capsules vidéo. Ils sont spécialisés en éducation aux médias et connaissent bien le public auquel nous nous adressons.

Et avant de lancer officiellement « Déballe ta Pub » en ligne, nous avons testé évidemment l’outil sur un échantillon de jeunes. Bien sûr, nous avons été restreints et nous avons dû faire preuve parfois d’inventivité, en faisant appel à notre réseau, aux parents de notre entourage, aux animateurs Ocarina, aux enseignants volontaires… nous avons pu avoir des retours depuis toutes les régions (francophone et germanophone, car l’outil est également disponible en langue allemande) et auprès d’un public de jeunes très hétéroclites. 

Le dossier pédagogique et les fiches récapitulatives ont également été relues et retravaillées avec le public des animateurs et des enseignants afin de s’assurer de leur apporter la matière dont ils auront besoin, des pistes pédagogiques imaginées utilisables tant dans les lieux d’accueil, les camps de jeunes, que dans un contexte scolaire.

Produire un outil qui puisse être tout aussi facilement utilisé à la maison, en camp de jeunes, ou en milieu scolaire fut un challenge et une riche expérience !

Où se procurer l’outil ?

En ligne sur le site mc.be et sur la chaîne Youtube de la MC (si vous souhaitez uniquement visionner les capsules vidéo).

Le service de promotion de la santé de la MC

Le service de promotion de la santé de la Mutualité chrétienne réalise des programmes de prévention et de sensibilisation (outils pédagogiques) sur différents thèmes pour un public d’adultes, de jeunes, d’enfants ou de professionnels.

Il met à disposition du grand public et des professionnels des dépliants et des brochures. Beaucoup de sujets sont traités : alimentation, tabac, sommeil, cholestérol, diabète, allergies…

Il propose une aide méthodologique à la mise en place de projets de promotion de la santé, par exemple, mettre sur pied un projet santé dans votre école ou votre association… Cela peut concerner l’activité physique, l’alimentation, la santé dentaire, le bien-être, les écrans…

Envie d’en savoir plus ? Vous pouvez consulter et commander gratuitement ces outils sur www.mc.be/inforsante ou contacter le service : promotion.sante@mc.be

Ocarina

Ocarina est une organisation de jeunesse reconnue et subsidiée par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle propose des plaines et des séjours à destination des enfants et des adolescents ainsi que des formations pour les jeunes désireux d’apprendre les techniques d’animation.

Ocarina, c’est 14 régionales qui font vivre le mouvement et qui sont coordonnées par un secrétariat général. Chaque année, Ocarina accueille plus de 12 000 jeunes de 3 à 21 ans.

Nos valeurs s’articulent autour du bien-être et de l’épanouissement de chaque participant à nos activités à travers la rencontre, l’expérience, l’amusement, la solidarité, l’engagement, le partage… Notre mouvement enthousiaste et structuré est soutenu par la Mutualité chrétienne.

Pour tout savoir sur nos séjours, formations et outils ou trouver un point de contact près de chez vous : https://ocarina.be

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Publicité : l’assiette des jeunes sous influence

Le 24 Juin 21

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En Belgique, un enfant sur cinq est en surpoids, un sur dix en obésité parfois sévère. La sédentarité et de mauvaises habitudes alimentaires sont les premières responsables de ce constat inquiétant. Mais la publicité et le rôle trouble de certains « influenceurs » sur les réseaux sociaux ne sont pas à sous-estimer.

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« L’influence est une nourriture », écrivait le romancier français Claude Baillargeon dans Les médisances de Claude Perrin. Il ne croyait pas si bien dire ! Sur les réseaux sociaux Instagram, YouTube ou plus récemment Tik Tok, les influenceurs, par leur statut et leur position médiatique, semblent dicter les habitudes de consommation des plus jeunes. Y compris ce qu’on retrouve dans leur assiette. Du pain bénit pour l’industrie agro-alimentaire, qui se sert de ces superstars numériques comme de véritables « hommes-sandwichs » pour promouvoir leurs marques et produits. La plateforme vidéo YouTube, par exemple, regorge de chaînes « familiales » qui n’hésitent pas à mettre les enfants en scène lors de séances de dégustation de bonbons ou de déballage de paquets de chips XXL… La tactique a ceci d’insidieux qu’elle brouille les codes traditionnels de la publicité et joue sur le puissant rapport affectif qui se crée entre l’influenceur et sa communauté, qui compte parfois des millions de membres à travers le monde.

Un ami qui ne vous veut pas que du bien

Pour Karine Charry, professeure de marketing à l’UCLouvain, « un enfant, dès l’âge de 5-6 ans, est capable de distinguer une publicité à la télévision d’un autre type de programmes. Parce qu’elle répond à des codes précis (de la musique, un slogan, une durée limitée dans le temps, etc.), la publicité « traditionnelle » est aisément identifiable. Par la suite, le placement de produits, au cinéma ou à la télévision, a tenté de brouiller les pistes du marketing conventionnel. Avec les influenceurs, les contours sont encore plus flous », s’inquiète-t-elle. C’est bien là le danger : l’enfant (entre 2 et 17 ans), consommateur fragile par excellence, peut avoir du mal à exercer un quelconque esprit critique face à ce nouveau genre de « maquillage publicitaire », a fortiori si l’ambassadeur d’une marque de chips, de soda ou de bonbons se présente comme un ami sur les réseaux sociaux.

« La force d’un influenceur, c’est d’instaurer une relation para-sociale forte avec sa communauté, c’est-à-dire une relation vécue au travers de rencontres médiatisées. En s’invitant dans l’univers numérique de l’enfant ou de l’adolescent, il devient rapidement un ami, un confident. Or, il s’agit bien souvent d’une relation à sens unique », souligne Karine Charry. Ce rapport de proximité n’est pas passé inaperçu auprès de certaines grandes marques de l’industrie agro-alimentaire : quand un ami – ou une personne que l’on admire – nous vante les vertus d’un produit, on est souvent plus enclin à l’adopter également…

En 2013, une étude anglo-saxonne(1) a démontré que l’approbation affichée de célébrités pour la nourriture grasse, trop salée ou trop sucrée jouait sur les préférences alimentaires des plus jeunes. Le concept était plus impactant encore avec des « Instagrammeurs », qui créent une proximité plus importante avec leur communauté que les stars de cinéma ou de la télé, par exemple. Cet « effet miroir » fonctionne particulièrement chez les adolescents, principaux consommateurs de réseaux sociaux. « Au moment de l’adolescence, ce qui prime, c’est l’acceptation sociale. Tout ce qui va créer un sentiment d’appartenance à un groupe (les séries, les marques de vêtements mais aussi d’aliments que l’on consomme) acquiert une grande importance », explique Karine Charry. C’est la théorie de l' »apprentissage social » : de nouveaux comportements sont intégrés via l’observation du comportement des autres.

Cheval de Troie

Autre « cheval de Troie » publicitaire en vogue : l’advergame digital, contraction anglophone de « advertisement » (publicité)et de « game » (jeu).Il s’agit en général d’un jeu vidéo sur smartphone ou tablette, dont l’unique but est de… promouvoir une marque. Le support permet aux entreprises d’atteindre plus facilement les consommateurs via le divertissement, un style de communication différent de celui utilisé par les publicités traditionnelles. En 2015, la marque Oasis proposait déjà aux consommateurs de jouer avec ses personnages-fruits emblématiques. Le jeu a été téléchargé… plus de deux millions de fois. Milka s’est également adonné à ce type de jeu avec succès pour faire la promotion d’une nouvelle gamme de biscuits : l’application a été téléchargée plus d’un million de fois et le produit a vu ses ventes augmenter de 17% en six mois !(2)

Avec les smartphones, les marques sont littéralement dans la poche des jeunes consommateurs. L’expérience peut être renouvelée à tout moment, partagée sur les réseaux sociaux, vécue à plusieurs, etc. Cerise sur le gâteau : les marques peuvent récolter un nombre considérable de données transmises gracieusement par les consommateurs en échange de l’expérience de jeu…, « Le problème, souligne la professeure de marketing Karine Charry, c’est que l’industrie agro-alimentaire ne promotionne pas des produits particulièrement sains mais plutôt ceux qui se trouvent à la pointe de la pyramide alimentaire, des produits gras et sucrés, associés au plaisir. Le défaut du secteur de l’alimentation équilibrée, c’est qu’il souffre d’un déficit d’image. » Et qu’il peine à toucher une cible démographique qui pèse de plus en plus – malheureusement, au propre comme au figuré – sur ce qui se retrouvera au menu familial.

Le pouvoir du harcèlement

PRA :ce sont les initiales de « Principal responsable des achats », autrement dit le membre du ménage qui influence principalement le choix des marques pour les produits d’alimentation, boissons courantes et produits d’entretien pour ledit ménage. Au sein d’une famille, c’est le plus souvent l’un des parents qui joue ce rôle, mais les enfants ont de plus en plus une influence déterminante sur certains produits, notamment alimentaires. C’est le fameux « pester power » (pouvoir de harcèlement), cette capacité à harceler les parents pour leur faire acheter ce qui est désiré. Les « enfants-rois » et autres dictateurs de bacs à sable auraient-ils étendu leur empire au frigidaire familial ? « C’est plus complexe que cela, tempère la professeure de marketing. À partir des années 70, la structure familiale a profondément évolué. Les parents se sont mis à travailler tous les deux, les moments passés à table en famille se sont raréfiés. En parallèle, l’avènement de la télé a multiplié l’impact de la publicité. L’industrie de la « malbouffe » a également connu un essor, avec les plats préparés, les fast-foods… »

Depuis 2012, le secteur agroalimentaire belge a pris des initiatives pour cadrer la publicité à la télévision, dans les écoles et sur les sites web des entreprises. En juin 2017, ce Belgian Pledge s’est élargi à neuf canaux supplémentaires tels que Facebook et YouTube, les jeux interactifs et le marketing sms et mobile. 52 entreprises se sont engagées à suivre cet engagement et ont récemment implémenté une nouvelle série de mesures, notamment en ciblant désormais aussi Tik Tok : critères nutritionnels plus stricts pour pouvoir faire de la publicité auprès des enfants, élargissement de la charte aux influenceurs, mise en test d’un système de plaintes… Si la Belgique semble prendre le problème à bras le corps, il ne faut toutefois pas sous-estimer l’importance de l’univers créé autour des marques, du design des emballages et de la taille des portions, de la visibilité des aliments dans les rayons des magasins (placés à hauteur d’enfant) …  Karine Charry le rappelle : l’éducation des enfants comme des parents, à ces nouvelles dérives publicitaires est essentielle (voir encadré Déballe ta pub). « Si on reste dans la régulation, dans l’interdiction, ça ne va pas marcher. Les marketeurs ne vont pas arrêter de faire du marketing et ils auront toujours un coup d’avance sur le législateur… Le développement d’une éducation adaptée à la problématique, dans les écoles comme à la maison, est déjà un bon point de départ. »

« La force d’un influenceur, c’est d’instaurer avec sa communauté une relation vécue au travers de rencontres médiatisées »

Karine Charry

Cet article est paru initialement dans En Marche, le journal de la MC (20/05/2021). Nous les remercions pour leur aimable autorisation de reproduction. Retrouvez l’article sur www.enmarche.be

(1) »Food choice and overconsumption : effect of a premium sports celebrity endorser« , E. Boyland et al., National Library of Medecine, 2013.

(2) »Advergames : zoom sur ces jeux marketing », A. Desert, Toute La Franchise, 2019.

Les aliments ultra-transformés bénéficient de plus de promotion que les aliments sains

Le 28 Juin 21

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Communiqué de presse (25/05/2021) – L’institut de santé Sciensano a analysé le contenu des brochures promotionnelles des différentes chaînes de supermarchés  belges pendant un an. Il en ressort que les aliments ultra-transformés, qui sont moins sains, bénéficient de la plus grande couverture promotionnelle. Les produits sains en promotion se trouvent néanmoins plus régulièrement en première page de ces brochures.

Promotions dans les brochures de supermarchés

Plus de 15 000 promotions provenant des 5 plus grandes chaînes de supermarchés belges ont été analysées pendant un an. On y retrouve principalement des aliments ultra-transformés (52,2 %). Les aliments les plus souvent promus dans les brochures sont :

  • la viande, la volaille et le poisson transformés (11,8 %);
  • les fruits, légumes frais et surgelés et les légumineuses (9,5 %);
  • les boissons gazeuses et sucrées (9,0 %);
  • la viande, volaille, poissons frais et surgelés ainsi que les œufs (8,6 %);
  • les gâteaux, biscuits sucrés et pâtisseries (8,1 %);
  • les plats préparés (8,0 %);
  • les confiseries, barres énergétiques et garnitures sucrées (7,7 %) ;
  • les fromages (5,7 %).

« Certains supermarchés mettent plus en avant les produits frais que d’autres, qui priorisent les promotions sur les produits ultra-transformés, qui contiennent beaucoup de sucre et/ou de sel. » explique Stefanie Vandevijvere, chercheuse chez Sciensano, « Alors que les mauvais régimes alimentaires, le surpoids et l’obésité représentent un facteur de risque pour le développement de maladies cardiovasculaires, le diabète et de nombreux cancers. »

Des différences importantes entre les supermarchés

Des variations importantes ont été observées dans la promotion des aliments par les différents supermarchés. La proportion de promotions pour les produits ultra-transformés varient de 43 % à 62 % tandis que la proportion de promotions pour les fruits et légumes frais varient de 4 % à 18 %.

On constate toutefois avec satisfaction que la proportion de promotions pour les produits frais est beaucoup plus important en page de couverture que dans la suite des brochures promotionnelles. On observe entre 12,5 % et 41 % de promotions pour des produits frais en couverture de brochures.

En Belgique, les régimes alimentaires néfastes représentent la 3e charge de morbidité (burden of disease) la plus importante après le tabac et l’hypertension artérielle [1]. Promouvoir des aliments ultra-transformés incite les citoyens à en consommer davantage. Les Belges absorbent environ un tiers de leur énergie quotidienne sous forme de produits alimentaires ultra-transformés. « Certains supermarchés en Belgique ont récemment pris des engagements liés à la nutrition de la population, tels que l’affichage du Nutri-Score sur l’emballage (en ligne et en magasin), ou des promotions pour certains produits alimentaires possédant un Nutri-Score A ou B. Cependant, un engagement plus important de la part des commerces et des autorités afin de diminuer la promotion des aliments peu sains impacterait positivement la santé de la population. », poursuit Vandevijvere.

[1] Institute for Health Metrics and Evaluation (2018), https://www.healthdata.org/belgium

Retrouvez le communiqué sur le site de Sciensano

Aménagements temporaires : participer, favoriser les initiatives pour faciliter l’été dans les quartiers

Le 30 Déc 20

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Article publié sur le site de ResO Villes (28/05/2020) :

[Exposée dans l’introduction de ce dossier] L’accumulation de différentes difficultés à venir cet été entre des départs en vacances encore plus contraints, des équipements sportifs, culturels et des transports publics négativement affectés par la nécessité de distanciation physique et les règles sanitaires, semble être un enjeu important à prendre en compte.

Dans cette optique, l’urbanisme tactique, les aménagements temporaires peuvent apporter, accompagner ou favoriser de nouvelles qualités dans les espaces publics dans la perspective de maintenir des conditions de bien-être pour chacun. Ces interventions – qui peuvent se matérialiser par des marquages ou peintures au sol, par la création de petits mobiliers et aménagements temporaires, pourquoi pas réalisés en collaboration avec les habitants – permettent de garantir et renforcer l’utilisation des espaces publics. Ces derniers soumis à la double contrainte d’une population probablement plus nombreuse cherchant des espaces extérieurs l’été et soumis à la nécessité de la distanciation physique peuvent être repensés pour compenser le contexte exceptionnel de cet été.

Dans cet article, nous explorons comment ces méthodes de l’urbanisme tactique peuvent participer d’une réponse à certains enjeux rencontrés en fonction des différents territoires.

Répondre rapidement aux attentes et besoins des populations

Il y a fort à parier que les départs en vacances dans les quartiers se raréfient entrainant mécaniquement une demande d’occupation des espaces publics plus importante qu’à l’habitude, le tout contraint par l’injonction de distanciation physique. Ainsi, les techniques de l’urbanisme tactique permettent de développer les qualités des espaces publiques (ajout de mobilier urbain, plantations, etc.), d’occuper des interstices urbains ou des friches le temps de l’été par des aménagements compensant, par exemple, la diminution des espaces de sociabilité, de rencontres liées à la fermeture des équipements ou proposant de nouveau usages.

La relative souplesse et vitesse d’exécution de ces procédés d’aménagement permettent de répondre plus rapidement aux besoins émanant des conditions inédites qui s’imposent et qui peuvent trouver une réponse dans l’aménagement temporaire des espaces publics. Par exemple, il est probable que les espaces publics soient une ressource essentielle pour les publics jeunes ou adolescents durant la période estivale. Alors pourquoi ne pas réfléchir avec les publics concernés et les acteurs associatifs et/ou jeunesse à des investissements plus ou moins durables à l’échelle de l’été et plus ou moins conséquents en termes d’espaces (une rue peu passante, un parking sous-utilisé, un espace vert en perte d’attractivité) pouvant aller du « asphalt art » à la création de mobiliers temporaires. Ainsi, au-delà de la participation, ces créations participent d’une dynamique positive dans le quartier en apportant de la nouveauté, de l’art.

Créer, susciter ou permettre de nouveaux usages

Sur un mode plus anticipatoire, nous pouvons solliciter les méthodes de l’urbanisme tactique afin d’entrainer la création de nouveaux usages. Cette création peut être liée au lieu qui, doté de nouveaux aménagements, de nouvelles aménités, est occupé différemment (ex : peindre une marelle, créer un banc, etc.), ou, elle peut être liée à l’incitation d’usages nouveaux dans le quartier comme l’autorisation et la favorisation du jardinage urbain dans les interstices (trou dans les revêtements, pied d’arbre, pelouse ou plate-bande, etc.) telle qu’elle a pu être mise en place à Rennes, Nantes, Angers, Le Mans ou Paris.

Faire participer les habitants et les jeunes au réinvestissement temporaire

La question de la participation est centrale dans la méthodologie de l’urbanisme tactique mais peut ralentir la mise en place de ces aménagements temporaires jugés nécessaires. Nous pouvons distinguer trois niveaux de participation plus ou moins compliqués et longs à mettre en œuvre.

Dans le premier cas de figure, les aménagements temporaires sont réalisés selon le ressenti, l’expérience ou des observations concrètes des acteurs de terrain. Cette proposition de nouveaux aménagements sert de déclencheur. En effet, ces changements, ces structures en perturbant (à priori de façon positive) les habitants dans leurs habitudes, vont entraîner des réactions. C’est sur cette participation indirecte que l’on évalue via les fréquentations et les discours, les aménagements temporaires existants ou futurs pouvant par la suite être réorientés, enrichis ou démultipliés.

La participation peut également s’exprimer en amont du projet en essayant de recueillir les besoins, les attentes des habitants par des techniques d’enquêtes, des observations. De façon supplémentaire, il est possible de mettre en place des ateliers, des réflexions collectives avec les habitants et les différents acteurs du quartier afin de légitimer et de renforcer la cohérence du projet autour de certains besoins ou usages dans les espaces publics du quartier.

Enfin, le troisième niveau de participation identifié ici est associé à la réalisation des aménagements temporaires par les habitants. Ces réalisations peuvent être plus ou moins encadrées en allant des permis de végétaliser, laissant une certaine autonomie aux habitants, à des ateliers de construction, de peinture où des professionnels accompagnent des habitants.

Il y a de fortes chances que les aménagements temporaires réalisés suite à des processus participatifs ou à des ateliers de co-construction accélèrent et favorisent une appropriation de ces éléments urbains. Par la suite si les aménagements se révèlent particulièrement pertinents au regard des besoins de la population ou d’une partie de la population, ces derniers devraient également susciter une appropriation plus large. Il nous semble également important de rappeler que les procédés de participation évoqués précédemment se déroulent dans le cadre d’une démarche d’urbanisme tactique/temporaire et doivent ainsi rester simples et rapides à mettre en œuvre. Ils sont, en quelque sorte, proportionnels à l’enjeu qui se trouve derrière un aménagement temporaire mais permettraient de mettre au jour d’éventuels conflits d’usages ou incompréhensions en amont. Pour exemple, la co-construction avec les habitants peut s’inspirer d’actions simples à mettre en œuvre comme celle menée par l’association nantaise Belle de bitume.

En évoquant la notion de participation, il convient également de mentionner l’enjeu de la gestion de la temporalité de ces aménagements en insistant, en précisant leur aspect éphémère afin d’éviter une frustration  de la part des habitants. En revanche, il est possible de canaliser cette frustration en capitalisant les succès et les défauts des aménagements temporaires afin, pourquoi pas de pérenniser certains essais.

Animer les espaces du quartier

Les interventions temporaires permettent d’offrir de nouveaux équipements/aménagements afin de soutenir/promouvoir certaines pratiques ou afin de créer de nouveaux usages, et peuvent très largement suffire en elles-mêmes. Cependant, l’association d’une animation de ces nouveaux lieux peut renforcer leur qualité au regard des enjeux soulevés en cet été 2020. Cette animation dans les espaces publics peut être pensée pour les publics jeunes qui auront moins de place dans les centres d’animation. Ces animations peuvent aussi être pensées pour tous les habitants si l’on prend l’exemple des barbecues installés dans le parc des chantiers à Nantes qui sont quotidiennement ouverts, gérés puis fermés par un responsable permettant de garantir la sécurité de ces équipements sur la période de l’été. Cet exemple où l’aménagement et l’animation sont pensés ensemble peut nous amener à concevoir, à repenser des espaces publics capables d’accueillir des petits événements tout au long de l’été permettant de rythmer ce dernier. La nature de ces événements peut être extrêmement variée ainsi que le rappelle Giovanni Sechi énumérait pour exemple « les ″magasins éphémères″, des ateliers création de mobilier urbain pour aménager un espace public, des food trucks, des interventions artistiques et créatives comme les spectacles théâtrales, concerts, ateliers d’art et d’urbanisme, guerrilla gardening, agriculture urbaine, et bien d’autres ».

Inciter au respect de la distanciation physique

L’idée d’animation des espaces publics ou des structures temporaires peut nous alerter sur la possibilité que de tels événements risquent de connaître une affluence trop importante au regard de la possibilité d’accueil et des contraintes de distanciation physique.

Des méthodes incitatives voire plus restrictives ont été tentées par diverses villes pour « contenir » ou éviter des regroupements trop denses dans divers contextes. Que ce soit à Paris dans la rue d’école piétonnisée où des peintures au sols ont été réalisées, afin d’éviter les attroupements, ou à San-Francisco où certaines pelouses sont marquées pour faciliter, encourager la répartition des publics.

Ces exemples de disposition peuvent aider à maintenir cette distanciation dans les espaces publics densément fréquentés ou lors de petits événements de quartier pouvant attirer des habitants.

Dans les cas les plus « extrêmes » par la contrainte qu’elle introduit, une organisation très structurée de certains événements publics peut être un moyen de faire respecter cette distance.

Quand le masque tombe… La crise de la pandémie du COVID-19 dans l’aggravation des ISS – analyse du 13 mai 2020

Le 30 Déc 20

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Cette synthèse de la littérature cherche à décrire la façon dont la crise sanitaire révèle et accentue les inégalités sociales de santé. L’analyse de la gestion de cette crise illustre quant à elle, les limites d’un système centré sur une approche comportementaliste des inégalités sociales de santé. La notion de responsabilité y est centrale et pourtant problématique. Comment envisager des pistes d’actions qui puissent agir sur la réduction du gradient social de santé afin de protéger aussi les plus vulnérables ?

Il convient de préciser que cette analyse de la littérature se limite à la date du 13 mai 2020. En effet, le caractère spécifique de cette crise sanitaire nous confronte à une actualisation permanente des publications scientifiques. De nouvelles communications paraissent quotidiennement. Pour reprendre une citation bien connue : ce qui était vrai hier ne l’est plus (ou peut-être de manière incomplète) aujourd’hui et ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera peut-être plus (en tout cas en totalité) demain. La crise sanitaire nous impose donc une certaine prudence dans notre rapport au savoir qu’elle nous offre au jour le jour.

Faits saillants

  1. L’idée commune selon laquelle le coronavirus nous affecte toutes et tous sans faire de différences est profondément fausse, et c’est même une illusion dangereuse, car elle mène à l’inertie là où l’action devrait prévaloir.
  2. Les personnes vulnérables deviennent encore plus vulnérables en période de pandémie. Il est particulièrement important de prendre note de la vulnérabilité liée à la pauvreté, à la discrimination, au genre, à la maladie, à la perte d’autonomie, à l’âge avancé et aux situations de handicap.
  3. L’analyse des hospitalisations pour le COVID-19 met en évidence une surreprésentation des personnes âgées. L’analyse des taux de mortalité souligne une surmortalité parmi les hommes en comparaison à la population féminine. L’analyse des profils de patients hospitalisés révèle une prédominance de comorbidité tels que le surpoids et l’obésité, l’hypertension artérielle, les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2 et plus rarement la BPCO.
  4. Les conditions de vie comme l’habitat, le revenu, les relations sociales influencent la façon dont les personnes peuvent adopter les mesures barrières pour limiter les risques de contamination.
  5. Une compréhension philosophique de la valeur et de la nature de la responsabilité éclaire utilement le rôle limité de la responsabilité individuelle dans le contexte de la promotion de la santé. Entre culpabilisation, attribution de la responsabilité et endossement des conséquences, quelle place pour la co-responsabilité dans le champ de la promotion de la santé ?
  6. Alors que la surveillance et le suivi (traçage) des personnes contaminées se justifient pour assurer un contrôle sur la pandémie, ces stratégies interrogent sur les limites imposées au respect de la vie privée notamment sur l’utilisation de ces données, et sur la limite temporelle de ces mesures et de l’enregistrement de ces données.
  7. Face à ce dilemme et pour limiter les conséquences de la crise sanitaire et socio-économique, la santé publique se doit d’innover de nouvelles stratégies pour s’attaquer aux déterminants sociaux qui sont susceptibles d’agir sur la réduction des inégalités sociales de santé. Pour que la crise devienne une opportunité et non une altération supplémentaire de la capacité d’agir des personnes et des groupes les plus vulnérables.

Introduction

En quelques semaines, la pandémie de Covid‐19 a bouleversé la vie de tout un chacun. Si la contamination semble toucher toutes les classes sociales, le vécu de la crise sanitaire diffère selon les conditions de vie. Ses répercussions ont un impact différent selon le statut socioéconomique, aggravant les inégalités sociales et en conséquence les inégalités sociales de santé. La crise sanitaire met au défi notre système de santé de reconsidérer ses priorités et d’analyser ses limites dans la réduction des inégalités sociales de santé.

Pour rappel, ces inégalités se réfèrent à la manière dont certains groupes de population sont empêchés d’atteindre une santé optimale en raison de leur lieu de résidence, de la discrimination qu’ils subissent, de leur situation sociale et / ou économique, de leur âge ou de leur état de santé ou de leur lieu de travail.

L’OMSNote bas de page précise que les conditions environnementales sont un déterminant majeur de la santé et du bien-être, mais elles ne sont pas partagées également entre les populations. Des niveaux plus élevés de risque environnemental se retrouvent souvent dans les sous-groupes de population défavorisés.

Benfer et WileyNote bas de page affirment que « plus le statut socioéconomique d’une personne est faible, plus ses ressources et sa capacité d’accéder à des biens et services essentiels sont limitées et plus ils sont susceptibles de souffrir de maladies chroniques, y compris des maladies comme les maladies cardiaques, les maladies pulmonaires et le diabète, qui peuvent augmenter le risque de mortalité COVID-19. Les individus et les familles pauvres ont moins de contrôle sur leur environnement et peu ou pas d’alternatives au logement insalubre. Ces effets sont exacerbés pour les personnes et les familles défavorisées qui sont soumises aux conséquences de la discrimination et de la ségrégation dans le logement, en plus des problèmes d’accessibilité financière ».

Dans un récent article, Ahmed et al.Note bas de page précisent que, selon les estimations, « le COVID19 pourrait coûter au monde plus de 10 000 milliards de dollars, bien qu’il existe une incertitude considérable quant à la portée du virus et à l’efficacité de la réponse politique ». Selon l’International Food Policy Research InstituteNote bas de page « chaque pourcentage de réduction de l’économie mondiale pourrait plonger plus de 10 millions de nouvelles personnes dans la pauvreté dans le monde ». Tous les experts s’accordent sur le fait que la pandémie va engendrer une crise économique sur le plan mondial, que les taux de chômage augmenteront considérablement dans la plupart des pays et que l’affaiblissement des filets de sécurité sociale menacera l’insécurité sanitaire et sociale ».

Comme le précisent Joskin et HenryNote bas de page pour le Bureau Fédéral du Plan, « pour l’année 2020, il faut s’attendre à un impact majeur de la crise du covid-19 sur le bien-être en Belgique. La baisse du bien-être découle principalement d’une détérioration de l’état de santé et des relations sociales, ainsi que d’une hausse du nombre des personnes qui, pour des raisons financières, ne peuvent accéder à un niveau de vie considéré comme « standard » (privation matérielle sévère) ».

Face à ces prévisions, des stratégies proactives sont nécessaires pour limiter l’accroissement des inégalités sociales dans la phase qui suivra la crise sanitaire.

Selon Sciensano6 , à dater du 13 mai 2020, la Belgique compte près de 54 000 cas confirmés de COVID-19 et 8 843 décès. Parmi les cas confirmés, 56 % se situent en Flandre, 32 % en Wallonie et 10 % à Bruxelles.

La répartition par sexe des cas confirmés montre une surreprésentation féminine et ce, tant au niveau national que régional.

Image

Source : SciensanoLa province du Hainaut n’a pas été épargnée par l’épidémie. C’est notre province qui a connu le plus grand nombre de lits d’hôpital occupés en Wallonie.

Cette synthèse de la littérature s’articule autour de trois axes d’analyse :

  • Le premier vise à éclairer comment la pandémie affecte différemment les personnes et les groupes sociaux en amplifiant les inégalités sociales de santé face au virus ;
  • Le deuxième axe repose sur une réflexion éthique pour questionner la notion de responsabilité en lien avec la promotion de la santé ;
  • Le dernier axe tente de mettre en perspective les stratégies opérationnelles et innovantes en réponse au contexte de crise sanitaire.

Pandémie du COVID-19 et facteurs de risques spécifiques

Didier FassinNote bas de page , médecin, anthropologue et sociologue français, pose le décor.

Pour ce spécialiste, « l’idée commune selon laquelle le coronavirus nous affecte toutes et tous sans faire de différences, hommes et femmes, jeunes et vieux, urbains et ruraux, cadres et ouvriers, riches et pauvres, est certainement utile pour susciter l’adhésion de l’ensemble de la société aux nécessaires mesures de prévention, et l’on peut comprendre, jusqu’à un certain point, que les responsables politiques l’expriment. Mais elle est profondément fausse, et c’est même une illusion dangereuse, car elle mène à la cécité et à l’inertie là où la lucidité et l’action devraient prévaloir ».

Loin d’égaliser les risques devant la maladie, l’épidémie du COVID-19 révèle les inégalités de santé.

Comme le soulignent Chowkwanyun, M et al.Note bas de page , « l’expérience des épidémies passées et des récentes catastrophes naturelles suggère que les populations les plus socialement marginalisées souffrent de manière disproportionnée. »

L’analyse épidémiologique des risques liés à la contamination met en évidence l’action différenciée des déterminants de santé selon la place qu’occupent les individus et les groupes sociaux au sein de la société.

Certains agissent en amont comme facteurs prédisposants dans l’augmentation de l’exposition au risque. D’autres contribuent comme facteurs de précipitation du risque. D’autres œuvrent comme facteurs d’aggravation après l’exposition au risque, notamment dans la gestion de la maladie du Covid-19.

Ces risques se caractérisent par des interactions complexes entre plusieurs facteurs individuels, sociaux et environnementaux.

A. Les facteurs de risques individuels

L’analyse des caractéristiques des patients hospitalisés suite à la contamination du coronavirus fait apparaître des différences individuelles liées à l’âge, au genre et aux comorbidités.

1. L’âge

L’analyse de la mortalité suite au COVID-19 met en évidence une surmortalité des personnes âgées. L’âge est donc un premier facteur de risque associé à la mortalité. Comme le soulignent Jin et al.Note bas de page, « les patients plus âgés (≥ 65 ans) étaient plus susceptibles d’avoir un type sévère de COVID-19. (…) Nous avons également constaté que le pourcentage de personnes âgées (≥ 65 ans) était beaucoup plus élevé chez les patients décédés que chez les patients qui avaient survécu (83,8% auprès des patients décédés contre 13,2% de patients qui ont survécu) ». Didier Fassin (op.cit.) précise à ce sujet : « On a, jusqu’à présent, beaucoup insisté sur les disparités de survie des personnes infectées en fonction de leur âge, avec une létalité de la maladie très supérieure au-delà de soixante-quinze ans, et en fonction de leur état de santé, en particulier de l’existence de pathologies préexistantes. On peut parler dans ce cas de vulnérabilité, car il n’est guère possible d’agir sur ces facteurs à ce stade, même si l’on sait que le vieillissement et plusieurs de ces pathologies préexistantes ont une forte détermination sociale ».

2. Le genre

Les études de mortalité menées par Sciensano en Belgique précisent que le nombre d’hommes est largement supérieur à celui des femmes chez les patients décédés et ce particulièrement dans les classes d’âge des plus jeunes. Le genre apparaît donc un facteur déterminant dans la mortalité par COVID-19. Distribution du nombre de décès COVID-19 par âge et sexe.

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Source : Sciensano (op.cit)

Alors que les hommes et les femmes présentent la même vulnérabilité à la contamination, les hommes sont plus susceptibles de mourir.

Des facteurs hormonaux pourraient, selon Montopoli et al.Note bas de page, expliquer cette disparité dans la mortalité. Les soupçons se tournent naturellement vers les hormones sexuelles, et il a été suggéré que les œstrogènes puissent protéger les femmes contre le COVID19 et/ou que les androgènes aggravent ses résultats chez les hommes.Une autre hypothèse est avancée par Moran et al.Note bas de page dans leur étude visant à examiner les facteurs influençant l’adoption de comportements de protection dans le contexte des pandémies. Leurs résultats soulignent que les femmes sont environ 50% plus susceptibles de pratiquer des comportements préventifs, tels que le lavage des mains, l’utilisation de masques faciaux et l’évitement des foules par rapport aux hommes. Ces résultats ont été confirmés dans de nombreux contextes culturels, à l’instar de l’étude de AbdelrahamNote bas de page au Qatar ou celle menée par Yang et al.Note bas de page aux Etats-Unis. Une autre explication récente a été avancée suite à une large étudeNote bas de page menée aux Pays-Bas. Les résultats stipulent que les hommes ont des concentrations plus élevées d’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (ACE2) dans le sang que les femmes.

Or, l’ACE2 est, pour le coronavirus SARS-CoV-2, la « porte » d’infection des cellules saines. Cette étude explique pourquoi les hommes sont plus vulnérables au COVID-19 que les femmes.

Liu et al. proposent une hypothèse complémentaire. Pour ces auteurs, les analyses effectuées suggèrent que le Covid-19 est plus susceptible d’infecter les hommes adultes avec des comorbidités chroniques en raison de leur fonction immunitaire plus faible.

Si la réponse à l’apparition de maladies telles que COVID-19 doit prendre en considération et veiller à ne pas reproduire ou perpétuer les inégalités entre les sexes et la santé, il est important que les normes, les rôles et les relations entre les genres qui influencent la vulnérabilité différente des femmes et des hommes à l’infection, l’exposition aux agents pathogènes, et le traitement reçu soient pris en compte et traités.

L’expérience des épidémies passées montre l’importance d’intégrer une analyse de genre dans les efforts de préparation et de réponse pour améliorer l’efficacité des interventions de santé et promouvoir les objectifs de genre et d’équité en santé.

3. Les comorbidités

Dès le début de l’épidémie, les soignants accueillant les patients hospitalisés en unités de soins intensifs pour des complications associées à la contamination, ont été confrontés à une surreprésentation de comorbidités associées. Les plus courantes sont le surpoids et l’obésité, l’hypertension artérielle, les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2 et plus rarement la BPCO.

Les résultats des études épidémiologiques illustrent le fait que les populations plus défavorisées sont plus susceptibles de souffrir de maladies chroniques, ce qui les expose à un risque plus élevé de mortalité associée au COVID-19. A titre d’exemple, Kass et al.Note bas de page ont examiné, sur base d’une modélisation mathématique, la corrélation entre l’indice de masse corporelle (IMC) et l’âge chez les patients COVID-19 admis en Unité de soins intensifs dans plusieurs hôpitaux américains auprès de 265 patients dont 58% de patients hommes.Cette analyse conclut à :

  • une corrélation inverse significative entre l’âge et l’IMC ;
  • en particulier, les patients plus jeunes admis à l’hôpital s’avèrent plus susceptibles d’être obèses ;
  • cette relation inverse entre âge et IMC lors de l’hospitalisation est similaire selon le sexe.

Le surpoids et l’obésité sont confirmés comme des facteurs sensibles de sévérité : l’IMC médian des patients hospitalisés est ici estimé à 29,3 kg / m2, seuls 25% des patients présentent un IMC <26 kg / m² et 25% dépassent un IMC de 34,7 kg / m². Certes, l’incidence de l’obésité est plus importante aux Etats-Unis mais la surreprésentation a également été observée en Europe dans l’analyse du BMI des plus jeunes patients hospitalisés suite au Covid-19. La répartition de l’obésité dans la population générale touche davantage les personnes défavorisées.Deux hypothèses existent pour expliquer cette association.

  • D’une part, les personnes atteintes d’obésité présentent un système prébiotique et probiotique perturbé, ce qui joue sur leur capacité immunitaire pour faire face aux virus.
  • D’autre part, l’obésité joue un rôle dans les difficultés respiratoires en amplifiant le risque inflammatoire lié à la difficulté de mobilisation des muscles, dont le diaphragme.

Comme le précisent Prompetchara et alNote bas de page., une analyse des caractéristiques du SRASCoV-2, dans son interaction avec les réponses immunitaires de l’hôte, peut aider à fournir une image plus claire de la façon dont le virus provoque des maladies chez certaines personnes alors que la plupart des individus infectés ne présentent que des symptômes légers ou nuls.

B. Les facteurs psychosociaux

L’analyse effectuée par Amdaoud M. et al.Note bas de page met en évidence qu’, « au-delà de l’importance des caractéristiques individuelles comme facteurs explicatifs de la probabilité de contracter le Covid-19 et de ses conséquences, les éléments liés au contexte économique, démographique et social interviennent également ».

Ainsi, la densité de population, les quartiers plus inégalitaires ainsi que ceux dans lesquels la population ouvrière est plus présente, se révèlent des environnements plus vulnérables à la transmission du virus.

Le fait d’être confiné en grande partie au domicile peut présenter ses propres risques pour la santé de nombreux individus et groupes à faible revenu. Les personnes et les familles les plus défavorisées sont plus susceptibles de vivre dans des habitats où la qualité de l’air est mauvaise, où les moisissures sont présentes et au sein desquels l’espace est insuffisant pour isoler un de ses membres malade. Dans ces conditions de vie, elles subissent de manière disproportionnée les effets négatifs sur la santé – notamment l’asthme, la détresse respiratoire, l’intoxication au monoxyde de carbone, l’hypertension artérielle, les maladies cardiaques, les troubles de santé mentale et le cancer, entre autres – qui résultent de risques environnementaux liés à l’habitat.

Le maintien à domicile se décline aussi différemment selon la place occupée dans la société. Comme le précise le sociologue Antonio CasilliNote bas de page, « pour ceux qui bénéficient d’un capital financier qui leur permet d’avoir des biens immobiliers, un jardin, le confinement peut se transformer en une expérience de retraite, de loisir, de déconnexion. (…) mais il y a des laissés-pour-compte : les personnes qui font partie des classes populaires et qui sont souvent ceux qui réalisent le dernier bout de la chaîne de production et d’approvisionnement. Ils réalisent des activités qui les mettent dans des situations de proximité avec les autres – et qui donc présentent des risques de contamination plus importants. Ces métiers ne s’arrêtent pas avec la quarantaine (…) Par ailleurs et en réponse à la crise, le télétravail a été présenté comme la panacée. Mais cette rhétorique a ses limites. Pour pouvoir télétravailler correctement, il faut avoir un chez soi convenable, ce qui impose d’avoir un capital économique suffisant. Pour ceux qui vivent dans quelques mètres carrés ou qui ont des situations familiales difficiles, surtout pour les femmes, le télétravail peut se transformer en double peine ; en plus de la pénibilité et des rythmes de leur propre travail dans des logements qui ne sont pas toujours adaptés, il y a le travail du suivi des enfants ou des personnes âgées à assurer en même temps ». Ce contexte plus spécifique amplifie le stress profond associé à l’isolement, à l’impuissance à faire face à la complexité de la situation ». Par ailleurs, une sensibilité accrue au risque de contamination peut s’expliquer par des facteurs psychosociaux qui altèrent la réponse immunitaire. Parmi les facteurs plus spécifiques aux populations défavorisées, se retrouvent des niveaux accrus de stress chronique, de tabagisme, d’obésité et de carences nutritionnelles, des facteurs de stress liés au milieu de vie ou de travail. Tous ces facteurs contribuent à un niveau permanent de stress profond qui diminue la capacité du corps à déclencher une réponse immunitaire efficace, comme le soulignent Segerstrom et al.Note bas de page.

Enfin, de nombreuses personnes et familles à faible revenu restent particulièrement confrontées à des défis importants qui les empêchent de se protéger efficacement et de protéger les autres du COVID-19. Beaucoup ne bénéficient pas d’un revenu suffisant pour acquérir le matériel de protection (gel hydroalcoolique et masques) ni la capacité de recourir au télétravail pour ceux qui ont la chance d’avoir un emploi. D’autres restent à domicile, mais la sécurité du maintien de leur logement peut être menacée par le fait qu’ils ont perdu leur emploi ou que leur temps de travail a été réduit en raison de la pandémie. Être contraints de choisir entre payer la nourriture, les soins de santé ou d’autres biens de première nécessité et régler le loyer entraînera presque toujours une expulsion et le risque de se retrouver dans la rue. L’étude du sansabrisme révèle que la projection dans cette situation est très souvent consécutive à un évènement de la vie comme une perte d’emploi, une perte de revenus ou une maladie.

Outre ces risques spécifiques, l’accessibilité aux services de santé s’avère un élément déterminant également. La prévalence des maladies chroniques non transmissibles est plus importante parmi les populations les plus défavorisées et la baisse de fréquentation des services de santé et plus particulièrement le suivi en milieu hospitalier fait craindre une aggravation de l’état de santé des patients concernés.

Didier Fassin (op.cit.) confirme cette analyse. Pour cet auteur, « la première disparité concerne les milieux socialement défavorisés dont les types de logement et les conditions de travail rendent malaisé le respect des consignes de prévention, dont l’accès au dépistage s’avère souvent plus difficile et qui doivent plus fréquemment renoncer à des soins. Cette disparité touche surtout les quartiers populaires, les grands ensembles d’habitat social et les campements plus ou moins licites des gens du voyage. Il s’agit d’inégalités auxquelles s’ajoute une double injustice : en se contentant d’incriminer leur comportement, on leur impute le risque plus élevé auquel ils sont exposés, phénomène bien connu consistant à blâmer les victimes ; et dans le cadre de l’état d’urgence, on les soumet à des mesures de contrôle plus répressives que ce n’est le cas pour le reste de la population. »

C. Les facteurs environnementaux

Les différences d’exposition aux risques environnementaux contribuent non seulement à l’injustice environnementale mais aussi aux inégalités en matière de santé. Les chercheurs ont constaté que la pollution atmosphérique a intensifié la pandémie. Ainsi, Yongjian et al.Note bas de page ont montré qu’il existe une relation statistiquement significative entre la pollution de l’air et l’infection du Covid-19. Une exposition même à court terme à de fortes concentrations de particules fines est associée à un risque accru d’infection au virus. S’il n’existe pas un consensus sur le fait que les particules fines agissent comme mode de transport du virus pour infecter un individu, l’exposition à celles-ci rend ce dernier plus vulnérable comme hôte, en raison du processus infectieux et inflammatoire qu’elles engendrent. Cette exposition est plus fréquente pour les populations les plus défavorisées par la proximité de leur habitat aux sources de l’émission de cette nuisance.Une étude de la communauté autonome du Pays basque, en Espagne, révèle que les quartiers les plus défavorisés économiquement étaient six fois plus susceptibles d’être proches des industries polluantes que les moins défavorisés. Le risque de mortalité associé à la proximité d’industries polluantes a tendance à augmenter dans les zones les plus défavorisées, ce qui suggère que l’effet combiné de l’exposition environnementale et de la privation économique pourrait être plus qu’additif (Cambra et alNote bas de page., 2012, cité par l’OMS, op. cit.).

Certes, l’ampleur des impacts sur la santé causés par les inégalités environnementales reste difficile à quantifier. Elle nécessite en effet des informations détaillées sur des groupes de population spécifiques, leurs différents niveaux d’exposition aux risques et les résultats pour la santé. De plus, des informations sont nécessaires pour ajuster les facteurs de confusion qui peuvent influencer les relations entre les caractéristiques personnelles, l’exposition et les résultats pour la santé.Fattorini et RegoliNote bas de page reconnaissent que « la pollution atmosphérique et environnementale doit être considérée comme faisant partie d’une approche intégrée du développement durable, de la protection de la santé humaine et de la prévention des épidémies. Cette prise en considération doit s’inscrire dans une perspective à long terme et de manière chronique, car l’adoption d’actions limitées lors d’une épidémie virale, pourrait être d’une utilité limitée ».

Comme le souligne l’OMS (op.cit.), « les différences de conditions de vie expliquent 29% des inégalités de santé auto-déclarées dans les pays de l’Union européenne (UE) (en tenant compte de l’âge et du sexe). De cet écart, plus de 70% s’expliquent par des différences dans la qualité du logement et la précarité énergétique, mettant en évidence l’impact de la privation matérielle sur la santé auto-déclarée. 20% de l’écart est lié au manque d’espaces verts, à des conditions de voisinage peu sûres et à la pollution de l’air, ce qui montre l’influence des privations environnementales ».(Bureau régional de l’OMS pour l’Europe, à paraître).

Une étude réalisée au Royaume-Uni a montré que l’inégalité liée à la privation de revenu dans la mortalité par maladie cardiovasculaire était plus faible parmi les populations qui vivent dans les zones les plus vertes en comparaison à celles qui sont moins exposées aux espaces verts. Dans les zones les moins vertes, le taux d’incidence était 2,2 fois plus élevé dans la population la plus défavorisée socialement que dans les zones les moins vertes. Par contre, dans les zones les plus vertes, la population la plus démunie n’avait que 1,5 fois des taux d’incidence plus élevés – ce qui suggère un effet protecteur des espaces verts. (Mitchell et PophamNote bas de page, 2008, cité par l’OMS).

Le schéma suivant synthétise l’ensemble des déterminants individuels, sociaux et environnementaux de l’exposition au risque de contamination dans le cadre de l’épidémie au Covid-19.

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Le modèle des « déterminants sociaux de la santé » est un cadre de référence bien établi dans le domaine de la santé publique. L’idée principale consiste à mieux comprendre les relations de causalité entre les facteurs individuels et socioenvironnementaux qui influencent les conditions d’existence d’un individu, d’un groupe social, d’une population et les états de santé.

Ce modèle génère cependant des limites dans son exploitation pour l’action. Le zoom porté sur les facteurs individuels a conduit à une dérive dans les actions en centrant les stratégies principalement sur la modification du changement de comportement individuel.

Or, les inégalités sociales ne reposent pas uniquement sur une disponibilité de revenus ou sur la responsabilité des individus et des familles. Elles sont aussi et surtout la résultante de choix politiques qui produisent de l’exclusion, de la discrimination et de la marginalisation de certains groupes sociaux.

Agir sur les inégalités sociales de santé nécessite de questionner les valeurs qui sous-tendent les actions à développer, et principalement les valeurs éthiques qui façonnent notre mode de pensée.

De nouvelles perspectives s’imposent…

Olivier De SchutterNote bas de page, professeur de droit à l’UCL et rapporteur aux Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, précise : « La crise du COVID-19 est un appel urgent à l’action. Si nous faisons les bons choix maintenant, ce sera l’occasion de transformer notre société en une société plus inclusive et plus équitable».

Il ajoute : « conformément aux objectifs de développement durable, nous devons nous éloigner d’un paradigme de développement qui accorde la priorité à la croissance économique, tout en espérant éliminer les dommages environnementaux et compenser les impacts sociaux de l’augmentation des inégalités par la suite. Le modèle de croissance lui-même devrait intégrer la durabilité environnementale et la justice sociale dès le départ ».

Pour éviter « de se laver les mains » face aux inégalités sociales de santé ….

Boris Cyrulnik neuropsychiatre, ouvre sur une perspective optimiste. « Le chaos est un moment de réorganisation qui permet de prendre une autre direction » dit-il, et il ajoute : « Quand l’épidémie sera terminée, on constatera que l’on aura dépoussiéré d’anciennes valeurs qui nous serviront à mettre au point une nouvelle manière de vivre ensemble ».

Or, le risque est grand qu’aux lendemains de la crise, les autorités cessent de voir, d’entendre et de parler des conditions de vie inacceptables des plus pauvres, des exclus et des marginalisés. L’impact économique de la lutte à la COVID-19 sera brandi haut et fort pour justifier les compressions budgétaires et la ‘désolidarisation’ ordinaire. Ces mêmes conditions de vie sont les déterminants les plus puissants qui produisent, caractérisent et entretiennent les inégalités sociales de santé.

Face à cet enjeu et pour aider les arbitrages auxquels les décideurs seront confrontés à l’issue de cette crise, il importe de définir les principales valeurs phares qui doivent servir de cadre de référence pour appuyer les choix politiques et les priorités en santé publique et soutenir la réflexion citoyenne sur les conséquences de la pandémie.

Le Comité d’éthique de santé publique et la Commission de l’éthique en science et en technologie du Québec se sont interrogés sur les valeurs fondamentales pour élaborer un cadre de réflexion sur les enjeux éthiques liés à la pandémie de COVID19Note bas de page.

Parmi les valeurs retenues par ces organisations, se retrouvent la justice, la responsabilité, la non-malfaisance, la solidarité, la confiance, la transparence, le respect de la confidentialité, la proportionnalité et la liberté.

« La justice est généralement comprise comme l’égalité de toutes les personnes, chacune ayant un droit d’accès équivalent aux services sociaux et de santé, par exemple. La justice réfère également à l’équité selon laquelle les biens fondamentaux doivent être distribués de manière différenciée parmi la population : les personnes ayant de plus grands besoins devraient recevoir une offre de ressources et de services adaptée à leur situation particulière. Dans le contexte actuel de la pandémie, les enjeux d’équité sont notamment incarnés dans le traitement des situations de vulnérabilité à la COVID-19 et des personnes qu’elles concernent, notamment les personnes âgées ou encore en situation d’itinérance, pour ne nommer que celles-ci. Certaines iniquités socioéconomiques peuvent également être exacerbées en temps de crise, notamment en ce qui a trait aux conséquences des mesures de distanciation imposées et à l’exposition de certaines catégories de personnes qui œuvrent dans des services jugés essentiels.

La non-malfaisance fait référence à l’idée que nous devrions, autant que possible, ne pas causer indûment de torts à autrui. En santé publique, cette valeur se rapporte souvent à la réduction des conséquences négatives des actions déployées pour améliorer la santé de la population. Appliquée à la pandémie de la COVID-19, la valeur de non-malfaisance exige de prendre en compte les conséquences négatives évidentes des mesures de distanciation ou d’isolement, lesquelles peuvent causer de l’anxiété ou être propices à l’augmentation de la violence familiale, par exemple.

La solidarité s’appuie sur le fait que le bien-être de chacun est intimement lié à celui des autres et que nous avons tous un rôle à jouer pour favoriser la cohésion sociale et le bien commun. Ainsi, les actions altruistes sont justifiées même si elles ne comportent pas de bénéfice immédiat évident pour la personne qui les pose. En contexte de pandémie, la solidarité peut servir d’assise à des actions visant à protéger les personnes susceptibles d’être plus vulnérables face à la COVID-19 (ex. : aux prises avec une maladie chronique), comme le respect des consignes à l’effet d’éviter d’entrer inutilement en contact avec ces dernières afin de ne pas les exposer au risque. De même, la solidarité peut s’exprimer à travers des actions civiques pour soutenir les personnes socio-économiquement affectées par les mesures sanitaires mises en place, comme le bénévolat auprès des banques alimentaires.

La confiance représente le socle sur lequel reposent les relations entre les personnes, mais également entre les individus et les organisations, comme entre les citoyens et les instances gouvernementales. La confiance en la science et, plus spécifiquement, dans l’expertise des autorités de santé publique est aussi importante pendant la crise sanitaire, la population devant être disposée à prendre au sérieux le discours des autorités et à modifier ses habitudes en conséquence. L’évolution rapide de la crise de la COVID-19 et des mesures mises en place pose un défi pour les décideurs soucieux de maintenir la confiance de toutes les parties prenantes, dont la population. En ces temps troubles, la confiance envers les institutions peut être renforcée ou mise à mal. Dès lors, l’explicitation des mesures prises au jour le jour, mais surtout leur justification, auront une incidence sur la confiance et l’adhésion aux mesures préventives. À ce compte, la transparence permet de renforcer la confiance.

La valeur de transparence porte plus spécifiquement sur l’information et sa communication. Elle exige que l’information transmise au public concerné soit disponible en temps opportun, facilement compréhensible et utile. La transparence n’exige donc pas que toute l’information possédée par les décideurs soit transmise : la diffusion doit être calibrée en vue de permettre aux destinataires d’en faire un usage averti.

Le respect de la confidentialité est également en jeu. Elle concerne la protection des renseignements personnels ou identificatoires. Dans le cas des personnes atteintes de la COVID-19, la possible divulgation d’informations identificatoires pourrait avoir des conséquences très importantes pour elles-mêmes et leurs proches, dont la possibilité d’être stigmatisées, par exemple, sur la base de leur origine ethnoculturelle ou géographique. Dans le contexte actuel, l’utilisation des données de géolocalisation pourrait également avoir des effets pervers.

La proportionnalité des moyens par rapport aux fins poursuivies est essentielle dans l’évaluation des mesures de santé publique. Les différents risques ou inconvénients possibles d’une mesure de santé publique ne devraient pas être hors de proportion par rapport à l’ampleur du problème qu’elle participe à résoudre ou par rapport aux bénéfices attendus. Plus particulièrement, il s’agit d’éviter que des préjudices importants soient occasionnés pour résoudre un problème bénin (ce qui n’est manifestement pas le cas dans le contexte de la COVID-19), mais, d’autre part, de permettre que des moyens extraordinaires soient pris pour résoudre un problème d’envergure lorsque de grands bénéfices pour la santé et le bien-être sont attendus.

La liberté figure évidemment parmi les éléments en jeu. Elle consiste en l’expression de la capacité des personnes à prendre des décisions et à agir pour elles-mêmes à l’abri d’influences indues, d’où les différentes libertés reconnues par les chartes. Des mesures sanitaires contraignantes, telles que l’isolement, représentent des accrocs considérables à la liberté de mouvement des personnes. Ainsi, la valeur de la liberté se trouvera nécessairement au centre des arbitrages concernant l’adoption de mesures requérant des sacrifices de la part des personnes visées.

La responsabilité réfère à l’idée selon laquelle les personnes qui bénéficient d’une capacité d’autonomie doivent agir en accord avec les valeurs considérées comme les plus importantes selon le contexte et les rôles occupés par celles-ci, en tenant compte des conséquences de leurs actions (ou de leur inaction). Dans le cas de la pandémie, l’exercice de la responsabilité invite les membres de la population à respecter les règles et à adopter les comportements promus par les autorités en place, lesquelles assument le difficile rôle de pondérer leurs actions en fonction de l’intérêt général. La lutte contre la pandémie place aussi des responsabilités particulières sur les épaules des employés du domaine de la santé et des autres services jugés essentiels ».

Ces différentes valeurs prennent une portée toute particulière dans le contexte de la gestion de cette épidémie et plus particulièrement dans la lutte contre les inégalités sociales qui y sont associées. Elles méritent et exigent une compréhension commune de la part de tous les acteurs et décideurs politiques.

La notion de responsabilité, souvent évoquée par les décideurs politiques dans l’application des mesures, retient particulièrement l’attention. Présentée sur le plan de l’imputabilité individuelle, elle risque d’être interprétée comme culpabilité dans son manquement ou son non-respect. Brown et alNote bas de page. précisent qu’« une politique fondée sur la responsabilité (sous-entendu individuelle) est non seulement incohérente sur le plan philosophique, mais elle interprète la responsabilité des gens de manière injuste et potentiellement nuisible. Par exemple, le marketing social peut encourager l’opinion selon laquelle les gens doivent adopter des modes de vie favorables à la santé : ceux qui adoptent des habitudes saines se comportent «bien» et ceux qui adoptent des habitudes malsaines se comportent «mal».Une telle vision favorise la moralisation et la stigmatisation d’individus ou de groupes particuliers, les associant à une auto-culpabilité, engendrant à son tour des effets contre-productifs sur la santé.

Toute restriction de l’accès aux soins de santé pour les personnes jugées responsables de leur maladie en raison de leur comportement, aggrave les inégalités de santé. Ce sont en effet généralement les plus pauvres qui souffrent le plus des maladies non transmissibles liées au mode de vie.

L’objectif n’est pas de nier l’influence des facteurs de risque comportementaux dans l’apparition des maladies non transmissibles. Par contre, le langage de la responsabilité individuelle ne peut justifier les politiques prescriptives et moralisatrices pour lutter contre les comportements considérés comme « malsains ».

La recherche multidisciplinaire montre que le contrôle individuel sur le comportement est souvent limité, les facteurs sociaux et environnementaux étant plus influents.

Bourdieu a illustré cette dérive comme étant l’exercice du pouvoir à travers les silences sociaux.Une compréhension philosophique de la valeur et de la nature de la responsabilité éclaire utilement le rôle limité de l’imputabilité individuelle dans le contexte de la promotion de la santé.

Pour une éthique de la co-responsabilité…

1. Entre responsabilité individuelle et responsabilité collective

Dans le cadre de la gestion de la pandémie et de la réduction de la transmission du virus de personne à personne, les priorités se sont axées sur les stratégies de prévention et de promotion de la santé comportementale. Celles-ci visaient à protéger les individus de la contamination en persuadant (voire contraignant) les individus de modifier et d’adopter des comportements barrières et à juste titre.

Ces mesures barrières se sont traduites par la recommandation du lavage fréquent des mains, du port du masque, du respect de la distanciation physique et du confinement.

Ces recommandations se sont largement inspirées de la logique implacable inhérente aux stratégies de changement de comportement dans le contexte de la réduction des maladies non transmissibles. Ainsi, si le tabagisme est considéré comme un choix pour les personnes qui adoptent ce comportement, leur faire savoir de ne pas adopter ce comportement semble logique. De même si l’obésité est considérée comme le fait de trop manger, il paraît évident de proposer un régime alimentaire…

Il s’agit d’une logique simple et puissante pour orienter les actions et les politiques basées sur l’idéologie de l’individualisme.

Si elles s’avèrent efficaces dans le contrôle de l’épidémie, ces mesures ne doivent pas être confortées comme modèle dominant de la promotion de la santé et faire oublier l’importance d’un autre volet de la responsabilité qu’est la responsabilité collective.

De plus, les études ont bien démontré que les interventions centrées sur le changement de comportement des personnes les plus à risques ont très peu d’impact sur la santé des populations dans le contexte des maladies non transmissibles.

A contrario, d’autres stratégies se sont avérées bien plus efficaces. Ainsi, la réduction d’une faible proportion de la teneur en sel des aliments manufacturés a permis une diminution de la tension artérielle de toute une population. Une telle mesure peut, à terme, réduire la mortalité cardiovasculaire au sein de celle-ci. Certes, la cible est différente et il est certainement plus difficile de modifier l’offre alimentaire que de prôner un changement de comportement alimentaire.

Les industries l’ont bien compris. Les multinationales de l’alimentation tirent d’importants bénéfices des produits manufacturés riches en matière grasse, en sel et en sucre. L’augmentation rapide du commerce international de ces dernières décennies a ainsi contribué à uniformiser l’alimentation dans bon nombre de coins du monde, passant de régimes locaux plus sains à une consommation plus riche en graisses, en sel et en sucre. L’industrie du tabac adopte la même stratégie en soutenant que le tabagisme reste un choix individuel de comportement, réduisant l’impact de leur publicité sur la consommation tabagique pour soutenir les décideurs politiques qui privilégient des stratégies de changement de comportement, en plaçant le fardeau sur les individus plutôt que sur l’industrie. La responsabilité collective engage quant à elle, un partage de responsabilité de plusieurs acteurs face à la production d’une conséquence. Elle se réfère à des actions adoptées par de nombreuses personnes agissant en coopération afin d’obtenir un effet particulier (par exemple, réduire les émissions de carbone pour éviter le changement climatique).

Pour reprendre l’exemple de l’industrie du tabac dans la lutte contre le tabagisme, la responsabilité collective va au-delà de la responsabilité cumulative des individus fumeurs. La publicité des cigarettiers, la frilosité des états à perdre les taxes liées à la vente du tabac, ainsi que les stratégies de marketing qui visent l’initiation tabagique, entretiennent le comportement tabagique dans une société donnée.

Dans le cadre de la gestion de la crise du coronavirus, un exemple illustre bien cette dualité entre les niveaux de responsabilité : l’obligation du port du masque dans les transports en commun est imposée pour tous les utilisateurs alors que l’Etat est dans l’impossibilité d’offrir à chacun le masque promis. La sanction du non-respect du port du masque incombe à l’individu alors que la responsabilité de l’absence du masque incombe à l’Etat.

2. Entre responsabilité morale et responsabilité causale

FriesenNote bas de page apporte un éclairage intéressant en dissociant deux formes de responsabilité. Pour cet auteur, les philosophes font la distinction entre la responsabilité « causale » et la responsabilité «morale», se rapportant respectivement aux rôles causal et moral d’un acteur dans la production des conséquences. Étant donné que la moralité est un concept qui est spécifique aux humains, les agents non humains (animaux, conditions climatiques, météo,…) peuvent être considérés responsables sur le plan de la causalité mais pas moralement responsables.

Deux conditions sont d’ailleurs nécessaires pour engager la responsabilité morale d’un individu. La première nécessite que l’agent ait pu prévoir les conséquences probables de ses actes. La seconde requiert que l’agent ait pu exercer totalement le contrôle de ses actions.La personne intoxiquée aux particules fines n’a pas pu prévoir le moment de son intoxication, ni la contrôler. Elle ne remplit donc aucune condition de responsabilité morale. Une personne qui adopte un comportement sous la contrainte remplit probablement la condition d’anticipation des conséquences, bien que son contrôle sur son comportement ait été compromis. Une distinction est donc à effectuer entre le caractère attribuable et le caractère responsable d’un comportement.

3. Entre responsabilité diachronique et responsabilité dyadique

La responsabilité est une caractéristique courante des sociétés humaines. Les pratiques de responsabilité régissent les relations personnelles, maintiennent la justice pénale, encouragent le travail productif et découragent les comportements antisociaux.

Dans le secteur de la santé, faire en sorte que les gens supportent, même implicitement, les coûts directs associés à leur comportement en les considérant responsables, encourage collectivement l’adoption de comportements préventifs et favorables au maintien de la santé.

Pour Brown et SavulescuNote bas de page , « le discours politique sur la santé s’est même approprié cette notion de responsabilité dans un souci d’autonomisation des patients et de nécessité de respecter les choix individuels ».

Une telle vision suppose que les individus soient moralement responsables de leurs actes et en conséquence, des préjudices qu’ils engendrent pour leur santé. Cette vision occulte le fait que la santé d’un individu s’inscrit dans une dynamique de comportements acquis et reproduits au fil du temps et qu’elle est fortement influencée par les comportements et les décisions d’autres personnes.

Il est particulièrement important de considérer les aspects diachroniques et dyadiques de la responsabilité (termes utilisés pour reconnaître la dynamique temporelle et l’influence d’autres personnes).

Attribuer la responsabilité individuelle sur les habitudes de santé et sur leurs conséquences présuppose que les personnes possèdent un réel contrôle sur leurs comportements et sur les résultats attendus. Or, ce contrôle, s’il est nécessaire, ne peut être considéré comme suffisant pour garantir ces résultats. Ainsi, l’influence des conditions environnementales dans les conséquences sur la santé échappe (au moins en partie) au contrôle des individus.

Malgré ces précisions, l’intégration de la responsabilisation individuelle reste présente dans le champ de la santé en raison de son efficacité attendue et ce pour deux raisons principales.

  • Premièrement, par le fait que les pratiques de responsabilité opèrent dans de nombreux domaines de la vie, il peut sembler évident qu’elles fonctionnent également dans le contexte des soins de santé.
  • Deuxièmement, identifier les individus comme responsables de leurs choix est une pratique très intuitive. La désignation de la responsabilité est souvent implicite dans le raisonnement social.
  • Enfin, engager la responsabilité individuelle est justifié par l’ambition d’atteindre une certaine efficacité en prescrivant le comportement des individus de manière à ce que la société en profite. Si l’adhésion des personnes s’avère efficace, cela permet alors aux systèmes de santé d’économiser de l’argent tout en améliorant la santé de la population. Nonobstant le fait que certaines personnes ont besoin d’un cadre contraignant pour modifier leur comportement, d’autres ne sont tout simplement pas en possession des conditions nécessaires pour l’adopter et le maintenir.

Une telle vision s’avère à l’origine d’une nouvelle dérive : pénaliser l’individu qui n’adhère pas au comportement prescrit, sans même chercher à comprendre si ses conditions de vie lui permettent d’assumer cette observance.

Toujours est-il que la notion de responsabilité reste tacitement incorporée dans les politiques de promotion de la santé et joue un rôle explicite. Ce serait tout socialement absurde d’affirmer que les individus ne sont pas « responsables » des comportements habituels et réguliers qu’ils adoptent de manière répétitive sur de longues périodes.

L’attribution de la responsabilité va au-delà de la nécessité d’éviter des politiques qui punissent ou blâment les auteurs. Elle exige que les effets des politiques ne comportent pas de désavantage injuste à l’égard de certains individus ou de certains groupes.

S’il est possible de comprendre comment les personnes peuvent être considérées responsables de leur comportement en matière de santé via l’attribution, il est plus difficile de prétendre qu’elles sont également responsables de leurs conséquences.

La notion de précaution, proposée par Brown et al.Note bas de page ,s’avère à ce titre plus pertinente que la notion de responsabilité. La précaution pourrait se concevoir par la façon dont les individus ou les groupes développent des efforts pour adopter les comportements susceptibles de s’harmoniser avec leur propre intérêt pour leur bien-être. Certes, cet intérêt est déterminé pour chacun par des aspirations différentes mais la préoccupation du maintien de la santé reste importante pour tout un chacun. Si les possibilités de modifier le comportement sont limitées pour certains, il peut être prudent pour eux d’essayer de le faire, sans les rendre responsables d’un échec.

Le rôle de la promotion de la santé s’avère primordial pour soutenir l’adoption d’un comportement dit de précaution, tout en reconnaissant le contrôle limité que les individus peuvent exercer sur leur santé. La promotion de la santé s’oriente alors vers la construction d’environnements favorables plutôt que de se concentrer sur l’évitement de comportements considérés comme à risques.

… afin de maintenir une distanciation …

Comme le soulignent Mélanie Villeval et Lucie PelosseNote bas de page , « au-delà de la réponse à l’urgence, cette situation exceptionnelle que nous offre cette crise politique donne l’occasion aux acteurs de la promotion de la santé de réaffirmer l’ancrage politique de celle-ci. En effet, la promotion de la santé n’est pas qu’un simple empilement de méthodes et de démarches. Elle porte des valeurs et un projet de société fondés sur la justice sociale ».

Un certain nombre de risques sont cependant à éviter ou à maintenir à distance.

Sur le plan politique, la Belgique, en réponse à la menace du virus constituant un danger pour l’ensemble de la population, a octroyé des pouvoirs spéciaux au gouvernement. Un état de nécessité justifie un état d’urgence. Les mesures prises ont porté sur la limitation de la liberté individuelle comme la liberté de circulation, la liberté de réunion, la liberté de travailler pour certains.

Hors contexte de crise sanitaire, ces limitations seraient perçues comme une atteinte aux droits fondamentaux. A situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle.

En situation d’urgence, la sécurité sanitaire devient une question de sécurité publique sur le plan national. La surveillance en devient un outil de première nécessité en cas de risque de contamination de personne à personne. Comme le souligne Olivier NayNote bas de page, « face à une menace imminente, les gouvernements n’hésitent pas à utiliser les dernières technologies de surveillance de masse. La Chine utilise des drones, des caméras de reconnaissance faciale et la technologie du code Quick Response pour surveiller où se trouvent ses citoyens. La nécessité de surveillance peut justifier une logique d’intrusion où tout le monde peut être regardé, suivi et accompagné dans chacun de ses déplacements ».

Si ces mesures sont justifiées et même socialement admises, elles comportent plusieurs risques :

  • Le premier risque est que certaines mesures exceptionnelles adoptées dans le contexte d’une urgence s’intègrent définitivement dans le champ d’application de la législation ordinaire sous prétexte qu’une menace sanitaire généralisée pourrait refaire surface à tout moment ;
  • Le deuxième risque est que les gouvernements profitent de l’effet majeur de la crise pour administrer une stratégie dite de choc, visant à renforcer la politique de surveillance par l’adoption de réformes qui seraient jugées inacceptables dans un contexte hors crise. De nombreux gouvernements pourraient tirer parti des technologies de suivi, de l’intelligence artificielle et de la robotique pour étendre la surveillance invasive. A titre d’exemple, la localisation des chômeurs par la géolocalisation pour lutter contre le travail en noir ou la géolocalisation de certaines personnes pour des domiciliations fictives ;
  • Le troisième risque est d’exploiter la peur qui est reconnue pour changer la valeur que les citoyens accordent à la liberté. L’aspiration à la sécurité peut rapidement éroder le désir de liberté. Cette aspiration peut conduire des individus à préférer l’autorité à l’éthique de la construction démocratique. En matière de santé, l’adoption des technologies de suivi (traçage) sont reconnues comme efficaces pour améliorer la recherche en santé (épidémiologie), anticiper les menaces pour la santé (contamination), diminuer les comportements individuels à risque et le suivi thérapeutique des patients ;
  • Enfin, personne ne peut ignorer le risque que la collecte en masse de données transforme la surveillance des problèmes de santé en surveillance des individus, avec toute une gamme d’informations possibles sur les modes de vie, les choix personnels et territoriaux, les relations sociales. Dans les pays autoritaires, une telle situation peut conduire à la stigmatisation des minorités sociales. Il n’y a aucune raison de considérer que les démocraties sont à l’abri de ce risque.

Face à ces risques, les politiques nationales doivent adopter des règles adéquates pour garantir que les politiques de surveillance et de suivi de la santé seront strictement prescrites par la loi, proportionnées aux besoins de santé publique, effectuées de manière transparente, contrôlées par des autorités de régulation indépendantes, soumises à une réflexion éthique constante, non discriminatoires et respectueuses des droits fondamentaux. Les actions spécifiques centrées sur les facteurs de risque doivent être étayées par des mesures qui s’attaquent aux causes profondes des inégalités sociales. Parmi celles-ci, des stratégies à large spectre pour réduire le désavantage socioéconomique et introduire des mécanismes de redistribution dans l’éducation, le logement, l’emploi et le revenu et la richesse. Ces stratégies peuvent être complétées par des interventions ciblées pour lutter contre les facteurs structurels proximaux qui affectent de manière disproportionnée les groupes défavorisés comme la vente abusive d’alcool à très bas prix dans certaines chaines de distribution. Enfin, des stratégies de développement communautaire doivent être privilégiées et soutenues dans les zones défavorisées pour atténuer les effets de l’exposition aux déterminants sociaux de la santé et renforcer les capacités locales de bien-être.

Déjà en 2001, Navaro et al. avaient montré que les politiques de redistribution sociale et économique ainsi que les politiques de plein emploi avaient conduit à des gains de santé majeurs au sein de toute la population. Une telle perspective implique un changement d’orientation politique.Comme le rappelle le service de lutte contre la pauvretéNote bas de page, « chaque acteur politique et sociétal se doit de se poser la question et de s’interroger explicitement sur l’impact des mesures COVID-19 pour les personnes en situation de pauvreté et de précarité. Et ce à tous les niveaux de compétence et au sein de tous les domaines sociétaux ».

Ce service poursuit en précisant que chacun de ces acteurs « doit également se demander comment faire en sorte que ces personnes ne soient pas laissées à leur sort et comment elles pourraient être soutenues de manière supplémentaire ».

De nombreuses initiatives émanant d’associations de terrain ou de personnes privées se sont multipliées en cette période de crise. Leur engagement ne peut être que souligné et encouragé mais il ne doit pas se substituer au devoir politique de protéger les plus faibles. Ceci est d’autant plus vrai que ces initiatives ne pourront se perpétuer dans le temps et devenir pérenne que si elles bénéficient d’un soutien financier ou d’un relai par les pouvoirs publics.

Le service de lutte souligne notamment la nécessité de soutenir :

  • L’aide d’urgence, comme l’accueil des personnes sans-abri ou sans-chez-soi, l’aide alimentaire ;
  • La fourniture d’eau et d’énergie ;
  • L’octroi et le maintien de droits (du revenu d’intégration, par exemple) ;
  • Le maintien du contact avec les personnes vivant dans une situation difficile ;
  • Les stratégies de communication à destination de tous les citoyens ;
  • La prise d’initiatives dans le cadre de l’enseignement pour apporter un soutien supplémentaire aux enfants et aux jeunes des familles vulnérables dans leur accès à l’utilisation des canaux d’éducation numériques.

A ces priorités s’ajoutent le besoin d’initiatives de promotion de santé mentale à destination des plus vulnérables dans la gestion de l’après-crise. Plusieurs mesures barrières comme le confinement ou la distanciation physique entraîneront des conséquences sur la santé mentale et le bien-être à court et à long terme. Ces conséquences sont suffisamment importantes pour que des efforts immédiats axés sur la prévention et l’intervention directe soient nécessaires pour faire face à l’impact de l’épidémie sur la santé mentale des individus et de la population. Mobiliser et développer les capacités de résilience ne s’improvise pas…

Par ailleurs, l’angoisse et l’anxiété peuvent exacerber des sentiments d’incertitude face à l’avenir. La perspective d’une crise économique consécutive à la crise sanitaire fait craindre la perte d’emploi, surtout pour les emplois les plus incertains comme les intérimaires, les travailleurs à temps partiel ainsi que les emplois à statut précaire. Or, ces emplois sont souvent occupés par des personnes en situation de vulnérabilité.

Il y aura un « après » à la pandémie, un temps du retour critique, notamment en termes de bénéfices et d’inconvénients pour la population, pour certains de ses sousgroupes, ainsi que pour l’organisation des services.

Certes, un contexte de crise est propice à un tel changement.Marmot (2012) nous rappelle cependant que l’argument économique en temps de crise économique conduit toujours à un recentrage de la croissance économique sans prendre en considération le bien-être de la population comme critère d’évaluation.

Les preuves et les arguments liés à la limite de la croissance économique, au développement durable et au changement climatique (dont l’ignorance est impliquée dans l’apparition des crises sanitaires et particulièrement celle que nous connaissons) doivent être intégrés dans la façon dont notre société définira les perspectives de son développement à long terme.

C’est précisément parce qu’une revisite rétrospective des arbitrages de valeurs effectués dans l’urgence de la pandémie, que les acteurs de la promotion de la santé doivent être associés de près au nécessaire processus d’évaluation qui sera mis en place. Un processus auquel les citoyennes et les citoyens devraient également être conviés, à titre de principale « partie prenante » aux difficiles expériences d’action collective que constituent les pandémies.

La Fédération Nationale d’Education et de Promotion de la SantéNote bas de page en France, dans sa tribune du 5 mai 2020 précise : « il est désormais incontestable que la crise sanitaire et les mesures prises pour y remédier (en particulier le confinement) étaient essentielles, mais révèlent et accroissent les inégalités sociales de santé. Les moyens de réduire le gradient social de santé sont connus : le développement de la capacité d’agir (connaissances, attitudes, aptitudes, motivation) des personnes et des groupes, le renforcement de la cohésion sociale et de la solidarité en amenant les acteurs communautaires (élus, professionnels, décideurs institutionnels et habitants) à porter des initiatives collectives, l’amélioration des conditions de vie et de travail et l’optimisation de l’accès aux biens et services essentiels (éducation, alimentation, logement, aide sociale, soins,…).

Pour ne pas rester confiné(e) sous l’emprise de la crise…

Cette synthèse de littérature a permis de mettre en évidence que le comportement de santé est fortement influencé par les paramètres environnementaux, socioéconomiques et culturels des personnes. Ainsi, les facteurs de risques associés à une épidémie sont plus répandus parmi les personnes les plus socialement et économiquement défavorisées. Par ailleurs, ce sont ces mêmes personnes qui bénéficient de moins de ressources pour y faire face.

Face à ce dilemme et pour limiter les conséquences de la crise sanitaire et socioéconomique, la santé publique se doit d’innover sur de nouvelles stratégies pour s’attaquer aux déterminants sociaux qui sont susceptibles d’agir sur la réduction des inégalités sociales de santé.

Dans un document rédigé en 2020, Farbermarn et al.Note bas de page recommandent que les états investissent dans des politiques qui ont une réelle capacité d’agir sur les déterminants sociaux de la santé. Pour ces auteurs, il est temps de « donner aux communautés les moyens d’améliorer l’équité et la résilience avant, pendant et après un événement. Les pouvoirs politiques doivent veiller à ce que les subventions atteignent le niveau local et les communautés qui en ont le plus besoin. Ce financement ainsi que l’assistance logistique et méthodologique doivent se concentrer sur le renforcement des capacités des organisations communautaires, en offrant aux dirigeants communautaires la possibilité de participer pleinement aux activités de planification, en permettant aux organisations d’associer et d’engager des membres de la communauté afin que les plans d’urgence reflètent mieux les besoins de la communauté et en veillant à ce que la collecte de données reflète les déterminants sociaux et les facteurs démographiques et que les données soient disponibles pour toutes les communautés ».

Alors que la pandémie présente une évolution qui semble favorable à l’heure ou se termine la rédaction de cette synthèse, il est probable que des inégalités de santé vont s’amplifier par la crise économique qu’elle a induite. Les décideurs politiques et les responsables de la santé doivent commencer à planifier dès maintenant leurs priorités et leurs actions pour atténuer l’impact disproportionné du Covid-19 sur les populations les plus vulnérables.

Pour que les systèmes de santé planifient des stratégies de rétablissement de la crise du Covid-19, il est essentiel qu’une évaluation de l’impact de cette crise sur l’égalité soit un principe central de chaque politique pour garantir la réduction des inégalités en matière de santé. Autrement dit, si nous voulons vraiment lutter contre les inégalités en matière de santé, nous ne devons pas perdre l’opportunité de tirer les enseignements que cette crise nous a révélés.Un changement s’impose dans notre façon de vivre et dans la manière de nous représenter le monde qui nous entoure et son avenir. Leonore Manderson and Susan LevineNote bas de page précisent que « le désir néolibéral de continuer à vivre comme avant, quel que soit le risque, est étroitement lié au privilège des personnes les plus favorisées ». Il est impératif de construire un autre modèle. L’anthropologue Nikiwe Solomon a précisé que ce virus nous oblige à agir de manière contre-intuitive (15 mars 2020). Il est important de noter que la nécessité d’une action contre-intuitive ne concerne pas seulement l’autoprotection mais surtout la protection de ceux dont le système immunitaire et les systèmes de soutien social sont compromis par les inégalités.

Comme le rappelle le FNES (op.cit.), « d’une manière générale, les politiques visant à atténuer les effets de la stratification sociale sur la santé (justice fiscale, lutte contre les inégalités scolaires…), les politiques visant à réduire l’exposition des populations vulnérables à des conditions de vie délétères (amélioration de l’habitat et du cadre de vie, urbanisme favorable à la santé…), les politiques visant à réduire la vulnérabilité des groupes défavorisés (accompagnement psychologique et social, soutien à la parentalité…) et les politiques réduisant les conséquences sociales et économiques de la maladie (accès aux soins primaires, complémentaires santé…) créent un contexte général soutenant et renforcent la capacité de la population à amortir le choc de la pandémie ».Une lueur d’espoir : le Service Public fédéralNote bas de page dans sa note COVID-19 et transition durable précise : « la réaction généralement positive et le sens des responsabilités des citoyens et des acteurs politiques face à ces mesures sans précédent, la multiplication des diverses initiatives citoyennes et la solidarité ainsi manifestée montrent qu’il peut y avoir un large soutien du public à des mesures de grande envergure dès lors qu’il existe un consensus sur leur nécessité. Il est important que ce soutien perdure pour soutenir la politique de relance et relever nos défis environnementaux, sociaux et de santé. Il est donc essentiel d’établir un dialogue sociétal large et approfondi afin d’impliquer les citoyens et tous les acteurs de la société civile dans toutes les phases des politiques de redressement et de transition et de continuer à communiquer de manière transparente sur ces politiques ».

Observatoire de la Santé du Hainaut

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7021 Havré – Belgique
Tél. : +32 (0) 65/87.96.00
Fax : +32 (0) 65/87.96.79
Courriel :

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Coronavirus : 1 personne sur 2 renonce durablement aux soins de santé

Le 30 Déc 20

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Etude Uclouvain – Communiqué de presse (juin 2020)En parallèle des efforts pour soigner et sauver des malades du Covid-19, les soignant·es se sont alarmé·es de la diminution significative de la fréquentation des services de santé, et des annulations de rendez-vous médicaux durant le confinement. L’UCLouvain (Sandy Tubeuf et Dominique Vanpee), en collaboration avec la KU Leuven (Jeroen Luyten), a donc lancé une étude pour connaître les raisons de ce renoncement aux soinsNote bas de page. 1 963 personnes ont répondu à l’enquête (âge moyen 48 ans), majoritairement des femmes (74,2%), détentrices d’un diplôme de l’enseignement supérieur (80,3%). 1 répondant·e sur 4 déclare une baisse de revenu depuis le début du confinement.2 personnes sur 3 se déclarent en bonne (ou très bonne) santé (62,4%) avant le confinement et consultaient des médecins généralistes et spécialistes régulièrement au cours des 12 derniers mois (1 à 3 X/an). 1 personne sur 2 déclare avoir au moins un problème de santé chronique et 35,5% des personnes déclarent être limitées dans les activités du quotidien depuis au moins six mois.

Les résultats de l’enquête UCLouvain ?

  • 1 personne sur 2 affirme avoir renoncé à des soins de spécialistes, pour des rendezvous prévus avant le confinement, suite à la pandémie. 1 personne sur 5 a renoncé à plusieurs rendez-vous
  • 38,7% ont renoncé à des soins dentaires, 33,6% à des soins paramédicaux (kinésithérapie, logopédie, pédicure, etc.) et 19 % à des visites chez le généraliste
  • 9 personnes sur 10 (87,5%) n’ont pas pu faire un examen médical (prise de sang, test de dépistage, imagerie médicale) qui avait été prévu avant le confinement

Les raisons invoquées ? Rendez-vous annulés ou cabinets fermés. Mais aussi, la peur d’attraper le coronavirus en allant se faire soigner (10,2%).Autre constat : 38,6% rapportent avoir eu au moins un nouveau problème de santé pour lequel ils et elles n’ont pas consulté alors que cela aurait été leur réflexe en temps normal. La raison ? Les répondants ont préféré attendre de voir s’ils et elles allaient mieux. Ou, le médecin leur a demandé de ne pas venir.

L’impact pour le futur ?

  • 15,8% des répondants pensent que le renoncement aux soins durant le confinement a détérioré leur état de santé « assez fortement » ou « très fortement » et parmi les personnes avec une maladie chronique cette proportion passe à 22.8% soit plus d’une personne sur cinq
  • Un problème de santé dans les semaines à venir ? 34,8% consulteraient un·e médecin, mais 48,9% ne consulteraient que s’ils jugent le problème de santé sévère et 10,1% ne consulteraient que par téléphone. Les 6.2% restant ne consulteraient pas du tout.

Concrètement, l’étude UCLouvain indique qu’il y a une crainte de la population à être contaminé en allant se faire soigner et que le renoncement à des consultations médicales et paramédicales dans le futur risque de perdurer. De plus, les professionnel·les de la santé vont voir venir en consultation des personnes avec un état de santé dégradé du fait de la crise sanitaire.Alors que les répondants à l’enquête sont majoritairement des femmes actives, très éduquées, plutôt en bonne santé avant le confinement, les scientifiques UCLouvain observent un fort renoncement à différents types de soins médicaux durant le confinement et près d’1 personne sur 5 indique que son état de santé s’est détérioré du fait du renoncement ou du report de soins durant le confinement. Donc, si les répondants étaient plus représentatifs de la population générale en Belgique, le non-recours et ses conséquences seraient susceptibles d’être encore plus importants.

L’enquête se poursuit jusqu’à la fin du mois de juin: https://uclouvainph.qualtrics.com/jfe/form/SV_8D3WX8lH34Lf6LP

Le concept de renoncement aux soins vise à identifier des besoins de soins non satisfaits, c’est-à-dire non reçus alors que le patient en ressentait la nécessité. Des travaux antérieurs sur le renoncement aux soins pour raisons financières montrent que le renoncement a un effet délétère sur l’état de santé futur.

Perturbateurs endocriniens et principe de précaution : où en sommes-nous ?

Le 30 Déc 20

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Nous avons tendance à considérer notre environnement comme une petite bulle dans laquelle nous sommes en sécurité… Pourtant, des intrus, nocifs pour notre santé, s’y cachent trop souvent. Il s’agit des Perturbateurs Endocriniens (PE). Dans les peintures, les jeux des enfants, sur les meubles, dans les vêtements ou dans les ordinateurs, ils sont présents tout autour de nous, et de plus en plus pointés du doigts par le monde scientifique et les organismes de santé publique.

Perturbateurs endocriniens et principe de précaution : où en sommes-nous ?

L’OMS les définit comme “une substance exogène ou un mélange qui altère la ou les fonction(s) du système endocrinien et, par voie de conséquence, cause un effet délétère sur la santé d’un individu, sa descendance ou des sous-populations’. Une définition qui se veut large. Cependant, les noms de certains PE nous sont plus familiers que d’autres. C’est le cas pour les pesticides, et notamment le fameux glyphosate qui fut au cœur de polémiques dernièrement, mais aussi des insecticides, de certains parabènes (dans les shampoings, notamment), les « phtalates » contenus entre autres dans les parfums, le « téflon » des poêles, ou encore les « retardateurs de flammes » Une grande partie d’entre eux est issue de l’industrie de la chimie et a été volontairement ajoutée aux produits quotidiens pour les améliorer ou augmenter notre confort (conservation, propriétés moussantes, solidité ou malléabilité du matériau, …) .

« Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), plus de 800 produits sont suspectés d’être des perturbateurs endocriniens. Ils miment, bloquent ou modifient les hormones dont ils détraquent complètement le fonctionnement. Ils engendreraient allergies, troubles de la fertilité, cancers, problèmes neurologiques, anomalies génétiques, diabète, obésité Pourtant, aucune preuve n’atteste incontestablement que la hausse de l’infertilité, le nombre de cancers ou d’anomalies génétiques chez l’homme sont dus à ces perturbateurs endocriniens. ».Source : “Perturbateurs endocrinien Ces produits chimiques capables de bouleverser notre équilibre hormonal”, brochure éditée par La Province de Liège en 2016.

Mode de fonctionnement d’un perturbateur endocrinien et effets potentiels

Dès qu’elles ont pu pénétrer dans le sang, les substances perturbatrices se font passer pour les hormones sécrétées naturellement par l’organisme, elle les imitent. Dès lors, en plus de perturber la livraison des messages hormonaux, elles seraient suspectées de bloquer les hormones naturellement produites par nos glandes endocrines. Or, le système endocrinien fonctionne avec une extrême précision et les quantités hormonales nécessaires au contrôle de l’organisme, pour le protéger ou assurer son développement par exemple, sont très faibles. Le moindre bouleversement pourrait avoir de graves conséquences et mener à de l’infertilité, des cancers, des anomalies génétiques…

Quelques hormones sécrétées par les glandes endocrines :

  • oestrogène,
  • testostérone,
  • adrénaline et noradrénaline,
  • progestérone,
  • ocytocine,
  • cortisol,
  • insuline,
  • mélatonine,
  • prolactine,

Publics à risque

Ce mode de fonctionnement implique que certains moments de la vie sont plus sensibles que d’autres à l’action des PE. Un dérèglement hormonal qui surviendrait aux périodes pendant lesquelles les tissus et organes sont en cours de développement, soit pendant les premiers mois de grossesse, pourrait avoir des conséquences très néfastes et provoquer, entre autres, des malformations du système génital, voire de l’infertilité de l’enfant.

Le Sénat belge, dans son Rapport d’information sur la question des perturbateurs endocriniens[1] du 28 mars 2018 s’adresse particulièrement aux femmes enceintes : “Pour les femmes qui désirent avoir un enfant ou qui sont enceintes, il est préférable de limiter au maximum l’exposition aux perturbateurs endocriniens. En effet, ces substances peuvent influencer la croissance et le développement du fœtus, même à de très faibles doses.”. Il est donc recommandé d’être particulièrement vigilant.e en période gestationnelle.

Cependant, il ne s’agit pas de la seule période de vulnérabilité. Lors la petite enfance, durant le développement (surtout la première année de vie), l’enfant est également plus sensible au PE. Il en est de même, lorsqu’il/elle arrive à la puberté (développement des organes sexuels).

Femmes enceintes, ados et jeunes enfants sont donc ceux pour qui la vigilance doit être accrue.

Le nœud du problème

Etablir des études scientifiques qui attestent rigoureusement du lien entre l’exposition à un PE et le développement d’un cancer est à ce jour très compliqué. La cause étant que le cancer (mais aussi la majeure partie des autres pathologies provoquées) reste multifactoriel. Or, si l’on ne peut isoler l’effet du perturbateur endocrinien, on ne peut l’incriminer officiellement (pour plus de détails à ce sujet, retrouvez l’interview de Martine Röhl, du SPF Santé, en deuxième partie de cet article). Néanmoins, nombre d’experts s’accordent à dire qu’il y a déjà suffisamment de preuves de la nocivité des PE pour se permettre d’appliquer le “principe de précaution”. [2]

Le principe de précaution

En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement.”

(Source : Déclaration de Rio, Sommet de la Terre, 1992)

Il existe de nombreuses substances qui perturbent le système endocrinien. En voici quelques-unes :

  • 4-Nonylphenol : utilisé dans la production de résines époxy et stabilisants de plastiques, peintures…
  • 4-Nonylphenol ethoxylates : utilisé dans la production de polymères, papiers, textiles, peintures…
  • 4-Tert-octylphenol : intermédiaire dans la production de résines, de peintures…
  • 4-Tert-octylphenol ethoxylates : détergent utilisé en biologie cellulaire et moléculaire qui permet de détruire les membranes cellulaires (Triton X-100), surfactant dans les savons…
  • Bis(2-ethylhexyl) phthalate (DEHP) : utilisé pour assouplir les plastiques PVC et dans d’autres composés plastiques, présence dans certaines peintures, encres d’imprimante…
  • Bisphenol A : utilisé dans la fabrication de plastiques polycarbonates…

Pour une liste plus longue des substances les plus souvent rencontrées : https://www.echa.europa.eu/fr/candidate-list-table

(Source : SPF Santé)

Du côté des autorités, les prises de décision avancent

Education Santé a rencontré Martine Röhl, en charge de la thématique PE au SPF Santé Publique.

Martine Röhl : Je travaille à la Direction Générale Environnement depuis maintenant presque 16 ans, dans unservice qui s’occupe de la gestion des risques des produits chimiques. Je coordonne les positions belges sur la thématique des perturbateurs endocriniens (PE).

Jusqu’à présent, mon travail se situait principalement au niveau européen mais, depuis peu, le niveau belge prend de l’importance. Le sénat, en mars 2018, a sorti un rapport d’information contenant 72 recommandations, dont celle d’élaborer un plan d’action national sur la thématique des perturbateurs endocriniens. Cela commence à se mettre en route. Les ministres de l’environnement et de la santé ont donné le coup d’envoi en décembre dernier pour élaborer ce plan d’action national. Ma collègue, Sandrine Jouan, et moi-même, coordonnons ce travail. En juin, un premier projet de plan d’action national, va être présenté aux ministres.

Education Santé : Et maintenant, quelle est la situation au niveau européen ?

MR : Les choses bougent à nouveau. Pendant tout un temps, il y a eu un blocage. En 2013, la Commission européenne devait proposer des critères qui permettent d’identifier les perturbateurs endocriniens pour les biocides/pesticides. Ils ne l’ont pas fait … La Suède a donc intenté une action au niveau de la Cour Européenne de Justice, disant que la Commission n’avait pas rempli ses obligations. Après de longues discussions, des critères ont finalement été adoptés au niveau européen en 2018, pour les biocides et les produits phytopharmaceutiques.

Pour qu’une substance soit reconnue comme perturbateur endocrinien, il faut qu’elle remplisse 3 conditions essentielles :

  • un mode d’action endocrinien déterminé, par exemple, par des études in vitro (tests sur des cellules)
  • un/des effet(s) néfaste(s) démontré(s) chez un organisme intact (tests sur animaux)
  • une relation de cause à effet plausible entre les deux

(Source : SPF Santé Publique, Sécurité de la chaine alimentaire et Environnement)

Les mêmes critères ont donc été adoptés pour deux règlements existants celui sur les biocides (pour tout ce qu’on utilise notamment à l’intérieur des maisons pour tuer la vie), et celui sur les produits phytosanitaires (les pesticides pour l’agriculture).

Il y a aussi le règlement REACH qui concerne toutes les substances qui ne sont pas réglementées par d’autres législations. Dans le cadre de REACH, on peut identifier des substances comme perturbateurs endocriniens sur base de la définition de l’OMS et au cas par cas. Et actuellement, la Commission est en train d’analyser les différentes législations qui sont concernées par la thématique (ex : matériaux en contact avec la nourriture, cosmétiques,…) afin de décider de la meilleure manière d’avancer. L’idéal serait de pouvoir identifier tous les perturbateurs endocriniens au moyen d’un seul et même outil et que cette identification ait une conséquence directe sur la manière dont la substance est règlementée dans tel ou tel secteur.

ES : Dans les critères de reconnaissance d’un PE, on lit qu’il faut montrer l’existence d’une relation de cause à effet PLAUSIBLE. Qu’est-ce que ça signifie exactement ?

MR : Plausible parce que c’est le plus difficile à montrer : le lien causal. Les tests sur animaux permettent de voir des effets comme des pertes d’embryons post-implantatoires, lorsque la rate est exposée à certaines substance chimiques. On peut donc dire que ces substances sont toxiques pour le développement des petits parce qu’ils ne restent pas dans l’utérus mais pour dire que c’est un perturbateur endocrinien, il faut d’autres preuves, qui feraient le lien entre cet effet est un mode d’action PE de la substance.

De plus les décisions se prennent au niveau européen, donc des pays peuvent dire qu’un certain niveau de preuve est suffisant tandis que d’autres ne seront pas d’accord. Il y a des modes d’actions pour lesquels on dispose de plus d’études scientifiques. Par exemple les substances qui agissent comme plastifiants (PVC souple). Pour leur donner de la souplesse, on y ajoute des phtalates, dont plusieurs substances de cette famille sont identifiées comme perturbateurs endocriniens. Pour ceux-là, on avait un mode d’action bien connu qui a donc pu être utilisé.

ES : Est-il vrai qu’aucune étude ne démontre clairement l’implication des PE dans les cancers ou sur l’infertilité ?

MR : En fait si, il y en a. On sait que des substances chimiques peuvent induire le cancer ou l’infertilité. Le bisphénol S peut par exemple agir au niveau du cycle de la femelle chez le rat. On a des données au niveau des rats/animaux et notre volonté est de considérer qu’elles sont suffisantes et qu’on ne veut pas la preuve chez l’humain (pour des raisons éthiques évidemment). On a d’une part les données de substances chimiques, et d’autre part, on voit des problèmes tels que des recrudescences de cancers ou autres. On sait que c’est possible mais on ne sait pas dire, comme pour la cigarette et le cancer des poumons, que tels pourcentages de cancers sont dus aux PE. Pour les substances chimiques, il y a tellement de substances différentes qu’on ne sait pas faire ce lien chez l’homme. Ou alors dans des cas bien précis. Je pense notamment à l’amiante pour laquelle on a su faire un lien parce que des travailleurs y étaient exposés dans un cadre bien précis.

Il faut aussi faire le lien entre une exposition 10, 20 ans avant et l’apparition du cancer. De plus, un cancer, c’est multifactoriel… Donc, quelle est la part de responsabilité des substances chimiques ? Celle de l’alimentation ? Du stress ? C’est très compliqué à déterminer. Maintenant, à force de rassembler les données, on va savoir faire des liens entre certaines substances et l’apparition de certains cancers, dans des cas bien précis, comme lorsqu’on s’est rendu compte que des femmes qui prenaient un médicament particulier en étant enceinte voyaient leur fille développer, vers la vingtaine, une forme de cancer très rare. Dans ce cas-là, il n’a suffi que de 7 cas pour faire le lien. Maintenant, c’est essentiellement sur base de données animales qu’on prend des décisions. Avec parfois la difficulté que l’animal et l’homme ne réagissent pas de la même manière. Et les divergences de vues calent quelques fois là-dessus.

Certaines études épidémiologiques essaient quand même de faire des liens… Au niveau belge, et surtout au niveau flamand, ils sont assez bien impliqués dans des programmes de biomonitoring[3] , depuis quelques années. La Région wallonne vient également de lancer un programme de biomonitoring. Au niveau européen, un programme de biomonitoring rassemble différents pays. C’est important parce qu’on n’aura pas les mêmes infos si on a un petit ou un grand échantillon.

ES : Les effets démontrés des PE étant multifactoriels, difficile d’avoir des critères rigoureusement scientifiques ?

MR : Oui, souvent on analyse un aspect ou un effet d’une substance isolée… Il faudrait tout mettre ensemble mais c’est un gros travail. C’est une combinaison d’un ensemble de facteurs. Quand on fait des tests avec les animaux, on est dans des conditions standardisées. On leur donne tous la même nourriture, ils sont dans des cages, ont un environnement contrôlé. Tandis que pour nous c’est différent. Vous allez manger quelque chose, moi, peut-être plus de fruits et de légumes, et je vais être exposée différemment, avoir moins de stress… Et donc les effets peuvent être différents simplement parce qu’on a des conditions environnementales différentes.

ES : A côté des substances isolées, est-il possible que 2 substances non-toxiques indépendamment le deviennent une fois mises ensembles ?

MR : Oui, c’est ce qu’on appelle les effets cocktails. C’est un élément clé aussi. On a montré chez l’animal que deux substances qui n’avaient pas d’effet de manière isolée, pouvaient ensemble induire des effets. Or, on est toujours exposés à une multitude de substances et donc, là on joue un peu aux apprentis sorciers parce qu’on ne sait pas quels sont les effets possibles… Au niveau des législations, cet aspect n’est quasiment pas pris en compte . On examine la plupart du temps les substances de manière isolée. C’est clairement quelque chose sur laquelle il faut agir, mais pour l’instant, on ne sait pas encore comment.

ES: En plus des effets cocktails, la toxicité n’est pas liée à la dose…

MR : Une faible exposition peut déjà avoir un effet. Surtout que dans notre corps, les hormones circulent à des concentrations très faibles (entre 10-9 et 10-12 mol/l). J’ai fait le calcul, cela équivaut à un petit morceau de sucre dans une piscine olympique.

Chez l’adulte, le système endocrinien a la capacité de revenir rapidement à l’équilibre et de s’auto-réguler, avec des boucles de contrôles qui permettent de conserver l’homéostasie (soit un état d’équilibre du système), mais certaines périodes de la vie sont beaucoup plus sensibles, comme les périodes de développement par exemple. Durant la grossesse, énormément de choses se construisent sous le contrôle des hormones et donc des expositions à ce moment-là peuvent vraiment avoir des effets à long terme. Et parfois ce n’est même pas à la naissance qu’on voit l’effet. Ça peut être le cas au niveau du système reproducteur, par exemple. Peut-être que quelque chose va se passer au moment de la puberté… Dès lors, le Conseil Supérieur de la Santé (avis de 2013) a mis l’accent sur la période prénatale qui est vraiment une période très sensible, ainsi que pour les jeunes enfants.

ES: Y a-t-il une concentration en-dessous de laquelle on peut affirmer qu’il n’y a pas de soucis ?

MR : Il y a un débat d’experts, forcément, mais c’est surtout aussi une question liée aux législations puisque beaucoup fonctionnent sur base du risque. Certaines décident que le risque est écarté en-dessous d’une telle concentration, mais d’autres législations ont fait un pas plus loin et disent ‘On ne sait plus calculer le risque. A partir du moment où on sait qu’il y a un danger et que la substance agit comme un PE, il n’y a pas de concentration sûre. L’exposition doit être supprimée’. Les règlements Biocides et Pesticides ont cette approche. Pour REACH, ce n’est pas aussi clair, même si les autorités belges soutiennent ici aussi l’absence de concentration sûre pour les PE

ES : Un PE, ça disparait ou se dégrade facilement ?

MR : Cela dépend des substances, certaines se dégradent bien tandis que d’autres pas, mais aussi de l’exposition. Certaines substances s’accumulent dans les tissus, d’autres seront éliminées rapidement par le corps, mais pour ces dernières, si on est continuellement exposés, c’est problématique également. Et puis, il y a les substances qui vont s’accumuler dans l’environnement…

Là aussi on a plein de cas de figure. Ici on parle énormément de la santé humaine mais après il y a aussi tout le volet environnemental. Certains médicaments, les pilules contraceptives ne sont pas dégradés dans les stations d’épuration d’eau et finissent dans les rivières. C’est une problématique qui est aussi discutée au niveau européen.

ES : Précaution, donc ?

MR : Notre approche est de suivre l’avis du Conseil Supérieur de la Santé, qui est de préconiser une hygiène chimique. Ce sera donc : arrêter de fumer, de boire de l’alcool, ventiler les chambres, faire souvent les poussières qui sont pleines de matériaux chimiques désagrégés, éviter les parfums, désodorisants, les peintures… On a souvent l’image de la future maman enceinte qui repeint la chambre de bébé… Non ! Ce sont des choses très ancrées et il y a vraiment une grosse communication à faire.

Evidemment, Évitez le plus possible d’utiliser des insecticides, herbicides, … Ce sont quand même des substances qui sont faites pour tuer, elles ne sont pas anodines !

Il y a des recommandations pour certains produits mais qui les suit strictement? Qui met systématiquement un masque et aère après avoir pulvériser un insecticide?

ES: Concernant ce qui a déjà été fait, quels résultats ?

MR : Certaines substances ont été interdites parce qu’on s’est rendu compte qu’elles étaient persistantes, donc qu’elles restaient dans l’environnement, qu’elles se bio-accumulaient dans la graisse des animaux, et qu’on en avait de plus en plus dans la chaine alimentaire. Ces substances ont été interdites au niveau international, et maintenant on voit que ça diminue… Une série d’études, notamment sur le lait maternel, ont été menées dans le cadre de l’OMS et montrent une diminution. Du côté de chez nous, lors du dernier biomonitoring flamand, on a testé des adolescents et on constate que ces substances diminuent également. C’est encourageant parce qu’on voit que ce qu’on fait en tant qu’autorité a un impact.

ES : Bonne nouvelle ! Et ensuite ? Qu’est-ce qui est mis en place pour sensibiliser la population ?

MR : Le Plan d’action national devrait aborder ce point. Il y a encore beaucoup de travail à faire pour sensibiliser et informer le grand public. Il nous faudra aussi essayer de cibler tout particulièrement les populations précarisées qui ont encore plus de mal à avoir accès à l’information. Nous imaginerons donc un canal d’information spécifique à cette population. Mais d’autres publics concernés sont, par exemple, les médecins généralistes. Lors d’un atelier sur les PE réalisé en 2017, beaucoup ont découvert la problématique, simplement parce que ce n’est pas dans leur formation initiale. L’idéal à l’avenir serait d’ailleurs d’intégrer cette thématique aux cursus universitaires. C’est aussi un travail en cours.

Le processus pour faire retirer un produit du marché prend du temps, des années, parce qu’il faut suivre des procédures établies, avec des discussions parfois longues pour se mettre d’accord… Il faut donc appliquer le principe de précaution. La connaissance est suffisante pour dire : évitons les produits à risque. Il ne faut pas attendre un niveau de preuve maximal, et se dire « tant que tout n’est pas prouvé à 100%, tant que le lien causal entre telle substance et tel cancer n’est pas établi, alors on ne fera rien ». En tant qu’autorité, on traite certaines substances, on avance, mais on est aussi conscient que ça prend beaucoup (trop) de temps et qu’il faut agir sur les deux fronts. A la fois faire de la prévention auprès de la population, et agir en tant qu’autorité pour interdire certaines substances. Ça avance, même si ça prend du temps et que c’est parfois décourageant. Mais on y croit parce que ça a du sens !

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Quelques ressources pour aller plus loin :

Nous vous conseillons de consulter le site https://www.perturbateurendocrinien.fr

  • Mazzoni, M. (2018) Perturbateurs endocriniens : état des lieux et perspectives en promotion de la santé. Santé en action, n°446, pp. 46-48 : disponible sur www.santepubliquefrance.fr
  • Province de Liège. (2016) Les perturbateurs endocriniens : Ces produits chimiques capables de bouleverser notre équilibre hormonal. Liège : Province de Liège. 49p.
  • Observatoire régional de santé (ORS) Île-de-France. (2019) Perturbateurs endocriniens. Effets sur la santé et leviers d’action en région Île-de-France. Paris : Observatoire régional de santé (ORS) Île-de-France, 20p.

Comment s’en protéger au mieux ?

De plus en plus de voix se font entendre, et des associations se mettent en place pour lutter contre les PE. Si certaines entreprises commencent à tenter de les bannir. La seule solution actuellement viable reste d’être soi-même vigilant quant à ses achats. Qu’il s’agisse de denrées alimentaires, de produits d’entretien de la maison, de matériaux de bricolage, … il faut, dans la mesure du possible, contrôler ses achats et s’informer sur les contenus et origines du produit. Une tâche qui peut être fastidieuse mais qui, c’est à espérer, deviendra une habitude avec le temps.

Pour vous aider à y voir plus clair, voici quelques applications pour smartphone

Yuka scanne vos produits et analyse leur impact sur la santé. En un clin d’œil, il déchiffre pour vous les étiquettes : vous visualisez les produits qui sont bons et ceux qu’il vaut mieux éviter.

  1. Scanner un produit

Et consulter la liste des ingrédients qui le compose

  1. Rechercher un produit

Afin de vérifier sa composition sans avoir le produit sous la main

  1. Trouver un meilleur produit

Les propositions de produits alternatifs sont là pour vous aider

  1. S’informer sur un composant

Grâce à sa description, son appartenance aux différentes familles, etc.

[2] NB : Nous sommes conscients du fait qu’il est difficile d’aborder cette thématique sans mentionner le poids du lobbying. Cependant, afin de la faire de manière rigoureuse et détaillée, nous avons pris la décision de traiter cette problématique dans un prochain article, dédié exclusivement au sujet.

[3] Le biomonitoring, ou biosurveillance, est la détection de polluants dans un milieu et de leurs effets sur les organismes et sur les écosystèmes.

COVID-19: un mélange des déterminants sociaux de la santé et une intensification des inégalités de santé existantes

Le 30 Déc 20

Publié dans la catégorie :

Déclaration du Groupe de travail de l’UIPES sur les Déterminants sociaux de la santé. Avril 2020.

Auteurs : Ankur Singh, Erma Manoncourt, Sylvie Stachenko, Marilyn Rice et Edmund Agbeve. Traduction française: Sarah Chaput (Réseau francophone international pour la promotion de la santé)

Les conditions sociales et économiques sont des déterminants de la santé et du bien-être des individus et des populations. Les données probantes montrent que le fait d’être sans emploi, de vivre dans un logement inadéquat ou inabordable, de souffrir d’un handicap, de traverser une crise humanitaire, d’avoir un faible revenu et un faible niveau d’éducation, ainsi que plusieurs autres déterminants sociaux de la santé, ont un impact négatif sur la santé mentale et physique de la population. La COVID-19 a causé des perturbations sans précédent à l’échelle internationale et ses déterminants tout comme ses conséquences sont influencés par des facteurs sociaux, politiques et économiques.Nous soutenons que la crise actuelle aura pour effet d’aggraver les inégalités sociales de santé tant dans l’immédiat qu’à long terme, entre les pays et au sein des pays, à moins que des réponses à tous les niveaux décisionnels prennent en considération ses origines et ses conséquences économiques et sociales. Il serait naïf d’imaginer que la COVID-19 a une incidence égale sur tous les niveaux de désavantage social, que ce soit au niveau individuel ou populationnel.

Depuis sa première éclosion, la pandémie de COVID-19 a mené à la fermeture des frontières, conduit au confinement de pays entiers, mis à l’épreuve les systèmes de santé partout dans le monde et mis sur pause de nombreuses économies. Le nombre de cas positifs a dépassé le million et les décès continuent d’augmenter, avec peu de nations épargnées. Après avoir paralysé plusieurs pays d’Europe, d’Amérique du Nord, d’Océanie et d’Asie, la pandémie ne s’est pas encore déployée dans toute son ampleur dans de nombreux autres pays, en particulier les pays à revenu faible ou intermédiaire.

Le lien entre les inégalités sociales et les maladies non transmissibles (MNT) comme le diabète, les maladies cardiovasculaires, les cancers et leurs facteurs de risque, tout comme le lien avec leur degré de sévérité, est bien établi. Par exemple, les expériences passées ont montré que les individus socialement et économiquement défavorisés sont plus susceptibles de souffrir de MNT. Par ailleurs, les données probantes épidémiologiques émergentes sur la COVID-19 montrent que les personnes souffrant déjà de problèmes de santé et celles en situation de handicap présentent un risque accru de conséquences graves si elles sont infectées. Les populations autochtones et aborigènes ainsi que les minorités ethniques et raciales sont aussi plus à risque de subir les effets négatifs de la COVID-19 en raison de leurs antécédents d’accès limité à des ressources favorables à la santé et de leur exposition accrue aux risques pour la santé.

Plusieurs études montrent que le chômage et le sous-emploi, les mauvaises conditions de vie et de logement, le manque de soutien social et la faible cohésion sociale ont des effets néfastes sur la santé physique et mentale des individus à la fois à court et à long terme. Sans support social adéquat et sans filet de sécurité sociale, les mesures de santé publique générales comme le confinement et les restrictions imposées au marché du travail risquent de se heurter à une résistance et/ou à un faible respect des mesures de la part de la population. Ceci peut mener les personnes socioéconomiquement défavorisées à choisir un emploi et à prendre des décisions plus risquées pour assurer leur subsistance.

Bien qu’elle soit une excellente mesure de santé publique pour prévenir la propagation du virus dans la population, la fermeture des frontières a entraîné des perturbations et aliéné une population habituée aux déplacements. L’exode massif de migrants en Inde est un exemple de ce phénomène. Un autre exemple est celui des individus titulaires d’un visa étudiant ou temporaire (de visiteur ou de travail) qui font souvent face à une double impasse, n’étant ni éligibles aux services sociaux et aux soins de santé de leur pays d’origine, ni à ceux de leur pays d’accueil. C’est l’un des nombreux visages de cette pandémie qui engendre une nouvelle forme d’inégalité en matière de santé, sauf dans le cas où les gouvernements assument l’entière responsabilité des migrants temporaires. Sur une note positive, le Portugal a été proactif dans l’identification de ce problème et a donc révoqué ses critères d’éligibilité pour l’accès aux services sociaux et de santé. Les travailleurs sans papiers, les demandeurs d’asile et les personnes victimes de crises humanitaires sont des groupes de population négligés qui sont dépourvus de services sociaux et de santé et qui sont moins susceptibles de demander ou d’accéder à ces services par crainte d’être expulsés ou déplacés.

On sait que les professionnels de santé présentent un risque élevé d’infection, ce qui pourrait entraîner une pénurie de ce personnel disponible pour aider à répondre à la pandémie. Les personnes âgées et les personnes handicapées comptent sur les aidants qui sont aussi fortement affectés par les règles de distanciation physique. Comme chaque pays se concentre sur la crise de la COVID-19 au niveau national cela peut aussi vouloir dire que les pays à revenu élevé ne vont peut-être plus apporter de ressources ni leur soutien aux pays à revenu faible ou intermédiaire (PRFI) où la pandémie ne s’est pas encore déployée.

Il est donc essentiel que les organisations mondiales et les partenariats mis en place canalisent les ressources vers ces pays pour leur permettre de réduire ou d’atténuer les conséquences de la COVID-19. Le confinement peut paralyser des économies qui étaient déjà en situation difficile, les PRFI ne disposant pas de ressources suffisantes pour se permettre un processus de fermeture-redémarrage de l’économie. De nombreux PRFI font toujours face au double fardeau des maladies infectieuses et des maladies non transmissibles en raison de mauvaises conditions de logement et d’assainissement, la recette idéale pour la propagation incontrôlée du coronavirus due à une mauvaise hygiène.

Des millions de personnes ont déjà été poussées au chômage ou sont sur le point de l’être. Les systèmes de santé sont mis à rude épreuve, lorsqu’ils ne se sont pas déjà effondrés. À ce jour, une bonne hygiène et la distanciation physique sont les seuls remèdes préventifs connus. Le développement d’un vaccin et son accessibilité à grande échelle ne sont pas envisageables de sitôt. La dépendance accrue des personnes à l’égard des gouvernements et des systèmes publics de protection sociale et de santé est sans précédent. Dans ce contexte, un soutien social adéquat et généreux ainsi qu’un accès universel aux services de santé devraient être envisagés tout autant qu’une intervention forte de contrôle de l’infection, ou que la recherche d’un médicament. C’est particulièrement vrai pour les populations qui sont désavantagées socialement et économiquement et qui souffrent de discrimination.

Il y a cependant un côté positif à cette crise. La COVID-19 est en train de redéfinir nos sociétés. Les personnes qui travaillent dans les supermarchés, les livreurs qui entretiennent les chaînes d’approvisionnement de la ferme et des usines jusqu’aux consommateurs et ceux qui sont impliqués dans le nettoyage sont parmi les rares dont le travail est jugé essentiel dans tous les pays. Leur contribution est inégalée. Souvent, ces travailleurs ont un faible revenu et occupent des emplois précaires, ce qui les expose à un risque élevé de mauvaise santé mentale et physique. C’est une autre facette de la COVID-19 qui a émergé soulignant que de tels arrangements sociaux injustes doivent être contestés. Malgré ses défis, la crise de la COVID-19 présente une opportunité unique de restructurer nos sociétés de manière à réduire les inégalités sociales au sein des pays. Alors que les personnes n’ont pas d’autre choix que de dépendre de la technologie, de nouvelles façons d’améliorer l’engagement social et d’unifier les possibilités pour les zones reculées et dans les villes à l’aide de plateformes en ligne sont en cours de création, ce qui pourrait réduire les inégalités sociales et économiques. Enfin, le coronavirus a placé les considérations éthiques et humaines au coeur des délibérations économiques nationales et mondiales.

Le coronavirus ne fait pas de distinction entre les riches et les pauvres. Toutefois, la capacité des individus, des communautés et des pays à faire face à la pandémie et à ses effets diffère selon leur position sociale et économique. Pour éviter d’aggraver les inégalités, nous suggérons ce qui suit :

  • Premièrement, à court terme, des soins de santé de haute qualité doivent être garantis pour tous, quelle que soit leur condition sociale et économique.
  • Deuxièmement, des dispositions généreuses de soutien social doivent garantir un niveau minimal de revenu, de logement et de sécurité alimentaire à ceux qui subissent les effets immédiats de l’épidémie, avec un plan pour le rétablissement d’une sécurité à long terme.
  • Troisièmement, bien que tous les pays soient à risque, les pertes subies par les PRFI seront plus importantes en raison des pressions existantes sur leur système de santé et leur système économique. Les pays à revenu élevé doivent les soutenir et déployer des ressources pour minimiser les pertes catastrophiques au sein des PRFI.
  • Quatrièmement, la collaboration et la coordination entre les experts de la lutte contre les maladies sont essentielles pour définir les meilleures orientations possibles, qui devront être continuellement révisées à mesure que de nouvelles leçons sont apprises sur ce virus unique. Un leadership mondial sera essentiel pour y parvenir, avec un accent particulier sur les populations défavorisées et celles difficiles à atteindre.
  • Cinquièmement, il va falloir développer des messages communs de promotion de la santé et de prévention des maladies en se fondant sur les connaissances les plus récentes sur la transmission, la prévention et les conditions de rétablissement des maladies, et les diffuser via les canaux de communication les plus appropriés qui ont une large portée.
  • Enfin, l’impact des inégalités sociales, économiques et de santé existantes doit être pris en compte dans toute réponse mondiale, nationale ou locale à la COVID-19.

Pour en apprendre davantage sur l’Union internationale de Promotion de la Santé et d’Éducation pour la Santé (UIPES) et le Groupe de travail mondial sur les déterminants sociaux de la santé :

Site web : www.iuhpe.org
Twitter : @IUHPE
Facebook : @IUHPE
Adresse courriel : iuhpe@iuhpe.org

Pour connaître plus sur le Réseau francophone international pour la promotion de la santé : www.refips.org.

Confinement et ISS : les publics fragilisés ont moins souvent contacté leur médecin généraliste

Le 30 Déc 20

Publié dans la catégorie :

Covid-19 : Les publics plus fragilisés socio-économiquement ont davantage réduit leurs contacts avec le médecin généraliste durant le confinement.

Solidaris a analysé de manière approfondie l’évolution du recours à médecine générale durant la période de confinement sur base de 2,4 millions données de contacts. « C’est la première fois que l’ampleur des reports et renoncements aux soins de santé pendant la période de confinement est mesurée sur base de données quantitatives » relève Jean-Pascal Labille Secrétaire général de Solidaris. Si le remboursement par l’assurance maladie des consultations à distance (téléconsultations via téléphone ou vidéo) dès le début du confinement a permis d’amortir l’impact sur le recours à la médecine générale, les contacts ont néanmoins diminué de 26%. L’analyse montre par ailleurs que les patients souffrant d’une maladie chronique, d’un handicap, ou d’un problème de santé mentale ont proportionnellement moins réduit leurs contacts avec la médecine générale. Inversement, les plus jeunes mais aussi les patients fragilisés socio-économiquement ont davantage réduit leurs contacts avec le médecin généraliste pendant le confinement. « A la lumière de ces résultats, on peut craindre que les inégalités sociales de santé, déjà importantes dans notre pays, ne soient exacerbées par la crise sanitaire » conclut Jean-Pascal Labille.

Face à la pandémie Covid-19, un confinement strict a été imposé à la population belge entre le 18 mars et le 5 mai 2020 pour lutter contre la propagation du Covid-19. En matière de soins de santé, la directive a été d’annuler ou de postposer les actes médicaux non-urgents, tout en permettant aux prestataires de soins – en particulier les médecins généralistes (MG) – d’assurer la continuité des soins essentiels aux patients. Pour ce faire, l’INAMI a autorisé à partir du 14 mars, le remboursement temporaire des téléconsultations (consultations à distance via téléphone ou vidéo).

Solidaris a analysé de manière approfondie l’évolution des contacts avec la médecine générale suite au confinement. Sur base de 2,4 millions de données de contact, l’étude compare les recours à la médecine générale de différents sous-groupes de population six semaines avant et six semaines après le 14 mars.

Les résultats montrent que le nombre de contacts physiques (consultations et visites) avec le MG a brutalement chuté pendant les deux premières semaines de confinement puis a progressivement diminué pour passer sous la barre des 70.000 contacts la dernière semaine de confinement alors qu’il oscillait aux alentours des 235.000 contacts par semaine lors des semaines précédentes. Mais cette diminution a pu être compensée en partie par les téléconsultations (consultations via téléphone ou vidéo) avec 80.000 contacts à distance par semaine en moyenne depuis le 14 mars. Le remboursement par l’assurance maladie des téléconsultations autorisées dès le début du confinement a ainsi permis d’amortir l’impact sur les contacts avec la médecine générale : alors que les contacts physiques ont diminué de 62%, la diminution nette des contacts avec la médecine générale a été de 26%

L’analyse par sous-groupe de population montre que les patients souffrant d’une maladie chronique, d’un handicap, ou d’un problème de santé mentale ont proportionnellement moins réduit leurs contacts avec la médecine générale pendant le confinement. En revanche, nos chiffres témoignent d’une baisse plus significative des contacts avec le médecin généraliste pour les moins de 20 ans et pour les populations plus fragilisées socio-économiquement (affiliés bénéficiant de l’intervention majorée et/ou habitant dans un quartier défavorisé). Il semble donc que ces populations aient davantage annulé ou reporté leurs contacts avec la première ligne de soins durant la période de confinement.

Face à ces constats, Solidaris réaffirme la nécessité de porter une attention particulière à certains publics doublement fragilisés, de par leur situation socio-économique et les conséquences de la crise sur leur santé et les autres domaines vitaux. « Leur situation apparaît d’autant plus préoccupante à la lumière de nos chiffres qui laissent craindre un report de soins et un accroissement des inégalités sociales de santé suite à la crise sanitaire », relève Jean-Pascal Labille, Secrétaire général de Solidaris.

Retrouvez l’ensemble des résultats ici

Pour une autre gestion de la crise de la Covid-19 et de l’après-confinement : anticiper pour construire autrement

Le 30 Déc 20

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Après la seconde guerre mondiale, sous l’égide de l’OMS, la santé cesse d’être le domaine d’expertise des seules sciences médicales. Elle doit être prise en compte dans toutes les politiques et bénéficier des apports de toutes les disciplines.

Pour une autre gestion de la crise de la Covid-19 et de l’après-confinement : anticiper pour construire autrement

Pourtant, force est de constater que trois quarts de siècle plus tard, dans le cadre de la gestion de la crise de la Covid-19, tel n’a pas été le cas.Le personnel soignant a réalisé un travail formidable en faisant face à la crise malgré un système d’organisation des soins où les ressources humaines et matérielles (masques, réactifs, respirateurs, etc.), déjà mises à mal avant la crise, ont été extrêmement dépourvues pour contrer la pandémie actuelle. Il aurait pu en être autrement.Centrés sur la gestion de la maladie, les dégâts collatéraux du confinement sur une partie de la population, n’ont pas été pris en compte. Les professionnel.le.s de la première ligne (personnel des grandes surfaces, infirmièr.es à domicile, intervenant.e.s de l’action sociale, etc.) et les populations les plus vulnérables (les personnes âgées, les sans-abris, les chômeurs, etc.) ont été abandonné.e.s à leur sort. Les choix posés ont abouti à assister, au jour le jour, à l’embrasement des problèmes rencontrés par ces populations. Et les mesures de dé-confinement ont pris la même direction. Elles font fi des problèmes de fracture sociale qui se sont amplifiés et nécessitent que le dé-confinement ne se pense pas uniquement au travers du prisme de l’épidémiologie et de l’économie.Pourtant, dès le début de la crise, les différents secteurs concernés ont réclamé des mesures leur permettant d’exercer décemment leur profession, sans risquer de devenir les vecteurs de contagion de leur public. De multiples initiatives professionnelles et citoyennes ont vu le jour pour assurer une consultation en ligne, pour désamorcer l’impact mental du confinement et son poids sur les cellules familiales, pour dé-confiner virtuellement les personnes, pour confectionner du matériel de suppléance, pour aller à la rencontre des populations vulnérables, etc.

En tant qu’acteurs et actrices de promotion de la santé, nous affirmons qu’il est primordial que, tout autant que l’épidémiologie et les soins, ce foisonnement d’initiatives et d’interrogations puisse être entendu et soutenu par nos autorités politiques dont les maîtres mots restent, jusqu’à aujourd’hui, fortement imprégnés d’interdits, de conseils d’hygiène et de relance économique. Comme si le seul devoir des personnes était d’obéir et non d’être considérées comme des partenaires de la lutte pour la santé et de l’amélioration de nos sociétés. Or, le dé-confinement passe aussi par le rétablissement de l’expression des citoyen.ne.s et du débat démocratique. Il nécessite la reconnaissance des aspects sociaux et psychiques de l’épidémie et la reconstruction d’un lien de confiance entre la population et les pouvoirs publics.La santé n’est pas une absence de maladie. Elle est liée de façon intrinsèque au social et à l’économique. Ce sont nos rapports aux autres qui nous permettent de comprendre, de choisir, de donner de la valeur, de prendre soin. Nos conditions économiques d’existence façonnent aussi notre santé et notre bien-être. Dissocier le social de la santé et de l’économique, voire les opposer, est source de danger pour la santé.

Nous refusons que les citoyen.ne.s portent seul.e.s la responsabilité du transfert de la propagation du virus et que l’on stigmatise les comportements « irresponsables » alors que l’État ne semble pas en capacité de mettre en place des réelles mesures de prévention et de protection et que le futur reste incertain.Ce que nous réclamons, c’est l’anticipation. Anticipation de la crise sanitaire et sociale, anticipation de ses conséquences. Anticiper exige la mobilisation des différents secteurs de la vie mentale et sociale ainsi que des différentes expertises disciplinaires pour pouvoir agir de manière plus large sur la santé. Anticiper réclame, dès à présent, de soutenir et pérenniser les modalités de travail qui permettent aux professionnel.le.s du socio-sanitaire de gérer la crise actuelle (consultations à distance, équipes mobiles d’intervention, collaboration entre le secteur des sans-abris et celui de la toxicomanie, etc.). Anticiper permet d’assurer la complémentarité des différents niveaux de pouvoir et des professionnel.le.s de différents secteurs, de considérer les citoyen.ne.s, non pas comme des réceptacles d’anxiété ou des délinquants à rendre dociles, mais comme des forces vives capables de créativité et d’entraide.

Anticiper nécessite la mise en place de stratégies adaptées à chaque situation avec l’aide des professionnel.le.s et publics concernés. Une telle adaptation aurait pu contribuer à éviter des catastrophes telles que celles rencontrées dans les maisons de repos car on se serait rappelé leur existence et le fait qu’elles étaient le refuge des personnes les plus à risques. Une adaptation de ce type peut amoindrir le choc de la crise socioéconomique qui s’annonce.L’anticipation ne supprimera jamais tous les risques mais elle permettra de les atténuer.Beaucoup s’accordent pour dire que cette crise n’est pas seulement sanitaire. Elle s’ancre dans les crises environnementales et socioéconomiques en cours et les aggrave en renforçant les inégalités sociales. Elle éclaire les liens entre les dégradations environnementales et la santé, entre les pollutions atmosphériques, la propagation du virus d’aujourd’hui et les affections bronchopulmonaires de longue date. Les liens entre les conditions de logement et la souffrance psychique, les interactions entre la santé et l’activité économique, entre la santé et l’activité scolaire, entre la santé et la convivialité, etc.Il est incontestable que les mesures prises pour remédier à la crise sanitaire, si elles étaient essentielles, ont révélé et accru les inégalités sociales de santé. Or les moyens de les réduire sont connus : renforcer la cohésion sociale et la solidarité (et non la charité) en amenant les acteurs communautaires à développer des initiatives dans les quartiers, améliorer les conditions de vie et de travail et l’accès aux biens et services essentiels à la santé (alimentation, éducation, aide sociale, soins, culture), développer le pouvoir d’agir des personnes et des communautés.La promotion de la santé pose comme principe la confiance en la personne humaine et la reconnaissance de ses potentialités, de ses savoirs et de ses compétences. Elle affirme que la priorité absolue doit être accordée à la lutte contre les inégalités sociales de santé et à la prise en compte des déterminants de santé. Elle rappelle l’importance de donner aux personnes et aux groupes les moyens de participer aux décisions prises pour assurer leur santé et leur qualité de vie.

Pour en savoir plus sur les Fédérations de promotion de la santé :

Le guide « Osez le plaidoyer pour la santé ! », un soutien à la réflexion et à l’action

Le 30 Déc 20

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Le guide « Osez le plaidoyer pour la santé ! », un soutien à la réflexion et à l’action

Cultures&Santé, Timothée Delescluse et leurs partenaires ont récemment édité un guide centré sur les démarches communautaires de plaidoyer pour la santé. On peut y découvrir le processus qui amène des citoyen(ne)s (et notamment celles et ceux qui sont les plus éloigné(e)s des lieux d’influence) à contribuer à la définition de politiques publiques favorables à leur santé. Ce guide permet, d’une part, d’explorer les éléments-clés d’une démarche communautaire dans ce domaine et, d’autre part, de découvrir de nombreuses expériences menées par des groupes de citoyennes et de citoyens.

Pourquoi ce guide ?

La publication de ce guide s’inscrit dans un contexte de marchandisation et de (sur)médicalisation de la santé, un contexte marqué par l’influence de puissants lobbies industriels (industries pharmaceutiques, agroalimentaires, assurances privées…). Face à un modèle de santé dominant centré sur le soin et la responsabilité individuelle, il appartient, dès lors, à la collectivité de contester et de combattre les inégalités que ce système (re)produit pour améliorer la distribution des ressources sociales, culturelles, économiques, environnementales contributives au développement et au maintien de la santé, et auxquelles chacun(e) a légitimement droit. Parallèlement à ces constats, de nombreux groupes de citoyen(ne)s se mobilisent pour proposer des solutions structurelles alternatives ayant des effets positifs sur la santé. Le plaidoyer devient ainsi un levier de transformation essentiel pour lutter contre les inégalités sociales de santé, fruit de choix politiques réversibles.

Un concept à l’épreuve de la réalité

Selon l’Organisation mondiale de la Santé, le plaidoyer pour la santé est une « combinaison d’actions individuelles et collectives afin d’obtenir des engagements et soutiens politiques, une acceptation sociale et des soutiens institutionnels pour atteindre un objectif de santé ou réaliser un programme de santé.»Note bas de page Que recouvre ce terme de « plaidoyer » ? S’il n’existe pas de définition univoque, il renvoie, tout au long du guide, à trois éléments constitutifs immuables : l’intérêt général, la création de changement et l’obtention d’engagements. La vision du plaidoyer pour la santé proposée dans ce guide s’inscrit dans un processus communautaire qui cherche à accroître le pouvoir des gens et des groupes à s’approprier une vision multifactorielle de la santé et à mettre en avant les responsabilités multiples dans l’amélioration de la qualité de vie de toutes et tous.L’envie de mettre en lumière ce processus nous a amenés à le baliser et à en sélectionner ses composantes clés. Les écrits internationaux en la matière ont pu guider la réflexionNote bas de page sans en constituer un élément prédominant. Portés par des démarches de promotion de la santé, nous avons estimé indispensable d’aller à la rencontre d’associations et de collectifsNote bas de page actifs sur des terrains variés et touchant un ou plusieurs déterminants de la santé, comme le logement, la pauvreté ou l’accès aux soins. De cette manière, la réflexion théorique a été enrichie des réalités vécues et de témoignages de pratiques. Une dimension en était cependant manquante : les liens entre citoyen(ne)s et représentant(e)s politiques du point de vue de ces derniers. Le guide est donc parsemé d’encadrés de paroles des personnalités politiques que nous avons rencontrées. À la manière d’une conversation fictive, ces paroles répondent aux expériences collectives, sans offrir de solution, et mettent parfois en évidence la distance entre réalité politique et dynamique citoyenne.

Vers l’élaboration d’un modèle

Dans une volonté de refléter au mieux la complexité de la réalité, il nous a semblé pertinent d’élaborer un modèle propre aux démarches présentes dans le guide. Nous avons voulu éviter un canevas à appliquer à partir d’une succession chronologique d’étapes à suivre. Le parti pris a été de mettre en lumière un ensemble d’éléments à avoir en tête dans le cadre de démarches de plaidoyer ou lorsqu’on souhaite les initier.

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Ces éléments, balises pour l’action, font tour à tour l’objet d’une réflexion dans le guide :

  • Faire groupe
  • Identifier des besoins, problématiques et enjeux de santé
  • Préparer le plaidoyer
  • Construire l’argumentaire, le message et l’agenda
  • Passer à l’action
  • Évaluer

Nous nous concentrerons dans la suite de cet article sur trois dimensions de ce modèle qu’il nous semble important de mettre en évidence, à savoir le « faire groupe », la création de coalitions et l’analyse de l’agenda politique.

La pierre angulaire d’une démarche communautaire : « faire groupe »

Par définition, la démarche communautaire part d’un groupe, d’un collectif, qui partage potentiellement un intérêt commun et des valeurs mobilisatrices. Tout au long de la partie qui lui est dédiée, le guide pose la question de ce groupe : qui est-il? D’où vient-il ? Quelles conditions et dynamiques sont nécessaires à son existence, à son maintien ?

Pour la LUSS, « faire groupe » est bien plus que le partage d’un intérêt commun. « Faire groupe » renvoie à une mobilisation autour d’une situation problématique, une indignation, des souffrances communes, une injustice ressentie… La Ligue considère que le plaidoyer commence au moment où un groupe de citoyens, une association, des patients… se disent ‘il faut faire quelque chose’ ».

Dans un climat actuel d’individualisation des rapports sociaux, le « faire groupe » devient de plus en plus difficile. Les témoignages recueillis mettent en avant, lors d’une mobilisation sur le long terme, la difficulté de maintenir dans le groupe les personnes les plus fragiles qui doivent faire face à des priorités non choisies. Standardiser une méthode univoque pour constituer un groupe et y maintenir une dynamique porteuse est impossible et non pertinent tant il y a de façons de « faire groupe ». Sans tenter de proposer des solutions ou des réponses toutes faites, cette partie illustre, par les expériences récoltées, la transversalité du « faire groupe », sa construction et ses multiples conditions de maintien tout au long de la démarche. Cette dimension communautaire est d’autant plus importante à investir dans le plaidoyer qu’elle va donner de l’épaisseur et du sens à celui-ci.

Créer des coalitions : le pouvoir du nombre

S’associer à d’autres offre de multiples avantages en termes de poids et de visibilité sur la scène publique, médiatique et politique mais aussi en termes de légitimité et de représentativité par la diversité de personnes ou de structures engagées. La stratégie de coalition permet de mutualiser les efforts, de partager les connaissances, les ressources voire les responsabilités.

Le premier combat du groupe Action de DoucheFLUX a été mené contre les loyers abusifs. « Nous avons réuni autour de la table diverses associations. De ces discussions est née la ‘Manif de Droite’ » qui dénonçait l’absence de volonté du gouvernement pour mettre en place un cadre contraignant en ce qui concerne la fixation des loyers. Cette manifestation s’est concrétisée avec la collaboration d’une série d’organismes engagés sur le thème du logement et des droits humains.

S’associer n’est pourtant pas chose aisée : cela nécessite pour un groupe de passer, au préalable, par une phase d’identification des acteur(trice)s susceptibles d’avoir un intérêt pour la question pouvant devenir de potentiel(le)s allié(e)s.S’associer c’est parfois également renoncer. Il peut toujours exister le risque que la coalition dénature le discours originel du groupe, voire qu’il soit instrumentalisé. S’unir va donc souvent de pair avec la négociation. La recherche de compromis permet de fixer les revendications communes et prioritaires et de positionner chacun(e) sur un pied d’égalité.

Régulièrement, le RWLPNote bas de page est amené à initier des coalitions (plateformes, réseaux permanents ou momentanés) ou à rejoindre une coalition, dans le but de mutualiser les compétences, d’élargir la sphère d’influence, de créer un rapport de force plus grand. Pour le RWLP, un accord sur l’objectif, la stratégie, le processus poursuivi par la coalition est indispensable pour que celle-ci se justifie, et pour qu’elle soit pertinente et efficace : « C’est comme un contrat. L’accord est essentiel. Il garantit ce qui est prioritaire ». Une « tension » à gérer pour le RWLP est le fait de ne pas « perdre » les personnes concernées et à tout le moins leurs paroles au profit d’une spécialisation d’un propos.

Analyser l’agenda politique : repérer les « fenêtres d’opportunité »

« La période pré et post-électorale constitue une opportunité à saisir. Il faut jouer sur l’agenda des politiques surtout dans cette période où ils se doivent d’être à l’écoute des citoyens. » (Parole de représentant(e) politique)

Le temps du politique (avec dans la pratique des objectifs à court terme) n’est pas le même que le temps des citoyen(ne)s ou de l’action associative. Le défi pour les porteur(se)s du plaidoyer est de minimiser les décalages entre ces temporalités. L’analyse de l’agenda politique permet alors d’identifier les « fenêtres d’opportunité » : les élections, un débat ou une question au parlement, un événement de l’actualité, la préparation d’un texte réglementaire, une journée internationale…Pour les acteurs et actrices impliqué(e)s dans des actions de plaidoyer, il s’agit d’être à l’écoute de l’actualité en général et de l’actualité politique en particulier pour estimer le meilleur moment de diffusion du message. Toutefois, si le groupe n’est pas prêt ou ne dispose pas d’assez de temps pour initier l’action de plaidoyer de manière claire et organisée, il faut parfois accepter de ne pas se lancer « dans l’arène ». De plus, la planification des actions de plaidoyer en fonction de la disponibilité des membres du groupe, voire de la coalition est pointée comme essentielle.

Une matinée pour poursuivre la réflexion

Ce guide représente une invitation à réfléchir sur le processus de plaidoyer, à s’emparer du sujet pour discuter, partager et agir ensemble. Publié en mars, il a fait l’objet d’une présentation et d’une discussion lors d’une matinée organisée à Namur, le 5 avril dernier. Elle a réuni plusieurs associations et acteur(trice)s curieux(se)s et engagé(e)s. Cet événement a suscité de nombreux échanges qui ne doivent pas, selon nous, rester sans suite. En guise de conclusion, voici quelques lignes de force ayant émergé du débat. Celles-ci peuvent constituer des points d’attention lorsqu’une démarche communautaire de plaidoyer est menée.

  • La dynamique de participation des membres d’un groupe est variable et non-constante, elle se forme et se déforme en fonction des aléas de la vie des personnes (leur disponibilité, leur motivation, leurs contraintes…). Il est nécessaire de la prendre en compte.
  • La participation demande des moyens, des compétences, du temps, de l’argent pour être assurée et maintenue. Et même si elle est souvent encouragée par le politique (parfois financièrement), elle ne doit pas servir à le déresponsabiliser : participer, c’est avant tout repolitiser le quotidien.
  • La démarche communautaire de plaidoyer ne doit pas être un facteur de fragilisation des personnes qui y sont engagées. Le groupe, le ou la facilitateur(trice) ou l’institution se doivent donc de créer un filet de sécurité pour éviter qu’une exposition, un investissement, un désenchantement ne portent atteinte à la vie de tous les jours des personnes.Enfin, le guide souligne l’impérieuse nécessité de promouvoir des changements structurels contribuant à l’élaboration de politiques sociales justes et positives pour la santé. Christine Mahy, du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté, a très bien relayé cet aspect lors de la matinée, en invitant chacun(e) à garder en tête que ce ne sont pas les personnes (surtout celles qui vivent « de trop peu de tout ») qui doivent s’adapter aux systèmes (de santé) mais bien l’inverse.

Retrouvez le guide en téléchargement sur le site de Cultures&SantéNote bas de page. Une version papier est également disponible gratuitement sur demande auprès du centre de documentation et dans les différents Centres Locaux de Promotion de la Santé en Wallonie et à Bruxelles.

OMS, 1995.

Le plaidoyer et l’équité en santé… Parlons-en, in: Centre de Collaboration national des déterminants de la santé, Antigonish (N.É.), Université St. Francis Xavier, 2015, pp.1-5 ; Loue Sana, Community health advocacy, in: J Epidemiol Community Health, 2006, pp.458-463; Shilton Trevor, Advocacy for physical activity-from evidence to influence, in: IUHPE-Promotion & Éducation, vol.13, n°2, 2006, pp.118-126.

DoucheFLUX, le GAMS, le groupe ALARM de la Maison de quartier Bonnevie, la LUSS, le RWLP, Periferia, Globules, MDM Normandie et Tunisie.

Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté

Nudges – promotion de la santé : ligne à haute tension

Le 30 Déc 20

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Depuis quelques temps, la théorie du nudge et sa mise en application prennent une relative ampleur dans le champ de la santé publique. Le nudgingNote bas de page tutoie un vieux rêve libéral, celui de faire adopter, par des moyens ingénieux et modestes, les bons comportements sans sanctionner, faire la morale ni altérer la liberté de choix. Mais, les nudges sont-ils compatibles avec une éthique de promotion de la santé ? Constituent-ils des outils efficaces pour réduire les inégalités sociales de santé ? Ne dédouaneraient-ils pas l’État de prendre des dispositions plus coûteuses budgétairement, mais plus impactantes sur la santé des populations ? Coup d’œil sur le phénomène.

Nudges - promotion de la santé : ligne à haute tension

Qu’est-ce qu’un nudge ?

Ça y est ! La SNCF a enfin pu dissuader les voyageurs d’une de ses gares, de prendre à contresens un couloir qu’ils empruntaient allègrement pour accéder aux quais. Comment ? En remplaçant simplement le panneau « sens interdit » par la signalétique « voie sans issue ». Autre décision étonnante, celle d’une municipalité asiatique qui a repeint les marches d’un escalier public en indiquant sur chacune d’elles le nombre de calories consommées à chaque franchissement. Pourquoi ? Pour soutenir le choix de l’effort physique et encourager une mobilité bénéfique pour la santé, sans toutefois supprimer l’alternative de l’escalator. Encore un exemple de nudge : vous circulez en voiture lorsqu’un panneau lumineux vous rappelle d’être prudent ou vous remercie vertement pour le caractère adapté de votre vitesse. Et la liste pourrait être longue…

Un « nudge », littéralement « un petit coup de coude », est un dispositif technique mis en place pour inciter un individu ou un groupe d’individus à adopter sans obligation un comportement souhaité. Le principe est d’établir une « voie royale » vers le meilleur choix et/ou de dresser des obstacles sur la route de la mauvaise option. C’est une forme d’automatisation du comportement de la personne qui est visée. Quand elle s’y conforme, elle le fait malgré elle, souvent inconsciente du mécanisme sur lequel il repose. Sécurité routière, lutte contre les incivilités, écologie, don d’organes, fiscalité… Ces dispositifs graphiques, sonores, urbanistiques, sémantiques, ludiques, numériques sont utilisés dans le vaste champ des politiques publiques pour amener le citoyen à suivre une norme dans son propre intérêt et dans celui de la collectivité.

Sur quoi se base le nudge ?

C’est à la science des comportements qu’on doit le nudging. Son principal théoricien, l’économiste nobélisé Richard ThalerNote bas de page, s’est appuyé sur le constat suivant : la rationalité de nos décisions est souvent mise à mal par des émotions et des paramètres environnementaux. Chaque nudge est alors créé à partir d’une analyse de nos biais cognitifs. Il s’agit d’exploiter cette irrationnalité mais aussi le caractère prévisible de nos comportements pour modifier l’environnement de choix. Premier exemple, avec le biais de cadrage. Celui-ci renvoie à la manière dont les choix nous sont présentés. En réduisant la taille d’une assiette contenant une certaine quantité d’aliments, la satiété pourra être plus vite atteinte qu’en utilisant un plus grand format proposant le même contenu. Ici, la taille de l’assiette influence la perception de la quantité d’aliments qu’elle contient. Le biais de dotation constitue un deuxième exemple. L’exploitation de ce biais se concrétise par les formulaires préremplis. Comme nous avons généralement tendance à donner plus de valeur à ce qui nous est attribué d’office, de nombreux services publics orientent nos choix en cochant des cases par défaut (opting-out)Note bas de page.

Ainsi, aux États-Unis, un plan d’épargne proposé automatiquement aux salariés a permis d’augmenter sensiblement le taux d’épargne. Troisième et dernier exemple, le biais de conformité. L’individu a tendance à être rassuré, motivé ou responsabilisé par les expériences du plus grand nombre constituant dès lors pour lui un point de référence. Le ministère des impôts au Royaume Uni s’est appuyé sur ce biais en envoyant un sms précisant que « 90% des contribuables rendent leur feuille d’impôt dans les temps », ce qui a permis de diminuer le retard des dossiers.

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Notre cerveau parfois nous gruge. Y a-t-il une flèche plus longue que l’autre ?

Le nudge en santé publique : l’exemple du Nutri-score

Les suggestions subtiles, indirectes voire subliminales qui influencent la prise de décision servent depuis longtemps les intérêts et la communication du secteur marchand, à travers l’ingénierie marketing. La théorie du nudge a, quant à elle, été pensée dans une optique de service public. Diminution de la prévalence des maladies chroniques, augmentation de l’activité physique, limitation de la consommation d’alcool… : l’amélioration de la santé de la population fait partie des multiples engagements de l’État. Mais, les politiques de santé peinent actuellement à atteindre leurs objectifs. Toujours focalisés sur la modification des comportements, limités sur le plan budgétaire et poussés par le manque de résultat des campagnes de communication, les responsables de la prévention voient dans le nudging une stratégie à investir.

Le Nutri-score, adopté récemment par la Ministre fédérale de la santé, entre dans cette logique de nudge. Ce logo nutritionnel qui est apposé sur certains emballages de produits alimentairesNote bas de page entend faciliter les choix santé du consommateur, classant les produits du vert (A), les plus qualitatifs d’un point de vue nutritionnel, au rouge (E), les produits à consommer de manière mesurée. À travers une pondération d’indicateurs nutritionnels, il constitue une simplification de l’information. L’étiquetage obligatoire actuel noie effectivement le consommateur dans un océan de chiffres et de signes, impossibles à décrypter sans préalable éducatif. Le Nutri-score répond à cela en apparaissant comme une clé de clarification. Mais, cet étiquetage est plus qu’informatif, il vise clairement à établir un comportement-réflexe à l’aide d’un référent culturel intériorisé : le signal vert est associé à ce qui est autorisé, le rouge, à ce qui est interdit. Dès lors, consommer un aliment classé rouge s’assimilerait à braver un interdit. Dans une perspective de santé publique, le Nutri-score est une avancée dans le sens où il permet d’une part, de faire pression sur les industriels – la plupart hostiles vis-à-vis de la mesure – pour améliorer la qualité de leurs produits, et d’autre part, d’amener les consommateurs à s’intéresser un peu plus à la qualité nutritionnelle des aliments. Mais, le principe général de nudging sur lequel le dispositif repose, charrie une série de questions éthiques au regard des approches défendues en promotion de la santé.

La santé, ressource éminemment intime et subjective, se construit à partir d’un ensemble d’éléments socio-environnementaux relevant d’une responsabilité multiple, non exclusivement individuelle. Pour atteindre une meilleure santé, la promotion de la santé mobilise plusieurs stratégies d’actions, s’appuyant sur une série de valeurs parmi lesquelles on retrouve l’autodétermination, l’émancipation et l’engagement collectif. Dès lors, la théorie du nudge est-elle compatible avec ce cadre de valeurs ?

Premier point de tension éthique : le conditionnement

Intervenir à l’aide d’un nudge revient à modifier l’architecture du choix, à pousser le citoyen vers la bonne décision en utilisant ses failles cognitives. Le but, l’adoption du comportement souhaité, prévaut sur la prise de conscience de ses tenants et aboutissants. En d’autres mots, la fin justifie les moyens. Si les stratégies éducatives en promotion de la santé cherchent à maximiser les connaissances et les compétences en vue d’une autodétermination des choix pris par la personne quels qu’ils soient, le nudge vise, lui, pour reprendre les mots de Linda Cambon, à « économiser ses ressources mentales afin qu’elle puisse prendre des décisions rapides allant dans le sens voulu par la puissance publiqueNote bas de page ». On s’éloigne nettement de la citoyenneté critique revendiquée par les acteurs de promotion de la santé. Même si ces influences discrètes et subtiles sont pensées et mises en œuvre de manière bienveillante, elles nous amènent sur une pente glissante, celle d’un conditionnement de nos pensées et de nos actes.

Deuxième point de tension éthique : le paternalisme

Le paternalisme est mort, vive le paternalisme ! Puisque les citoyens ne font pas les meilleurs choix pour leur santé, l’autorité publique les y aidera. Les théoriciens du nudge se réclament d’une forme de paternalisme, le paternalisme libéral. Si, par ses apparences non-contraignantes et son caractère non-autoritaire, il semblerait plus acceptable qu’un paternalisme frontal et assumé, ce courant reste basé sur une posture en surplomb, définissant a priori la norme à suivre et le bien commun, et faisant fi des systèmes de valeurs propres à chaque individu. Et s’il ne remet pas en cause la liberté de chacun, le nudge crée les conditions d’une culpabilisation voire d’une stigmatisation des personnes qui résistent. La sanction sociale est latente.

Sollicité de toute part par une série de nudges, l’individu qui prendrait, malgré tout et pour de bonnes raisons (se faire plaisir, par exemple), la mauvaise décision pourrait entendre cette petite voix intérieure, ou la voix plus tangible de ses pairs, lui rappeler qu’il s’égare voire qu’il y met de la mauvaise volonté. La promotion de la santé nous apprend au contraire que ce qui est juste n’est pas toujours ce que l’on croit bon pour l’autre. Elle invite à comprendre le monde dans lequel chaque personne évolue. Se dégager des assignations, donner du sens aux normes voire les reconfigurer, s’approprier du pouvoir, voilà les balises d’une philosophie télescopant à maints égards les principes paternalistes, fussent-ils libéraux.

Troisième point de tension éthique : l’individualisme

Faire le choix du nudge c’est donner plus de poids à la responsabilité individuelle. David Cameron, quand il était encore premier ministre conservateur britannique, voyait dans le nudgeNote bas de page un des outils de mise en œuvre de son idéologie politique, la Big Society. Son dessein était de remplacer l’action de l’État par l’agglomération des (bonnes) volontés individuelles, postulant que la société est bien capable de s’occuper d’elle-même et qu’elle a seulement besoin de petits coups de pouce pour se responsabiliser. Plusieurs décennies de recherche en santé publique ont mis en évidence que la voie du comportementalisme ne permet pas d’améliorer durablement la santé de toutes et tous, et que ce sont les déterminants de santé structurels, dépendant avant tout de l’action publique, qui pèsent majoritairement sur la santé.

Nudgées dans l’espace social, les personnes contraintes par des réalités sociales, économiques et culturelles ne se trouveront pas moins en difficulté face à des normes comportementales téléguidées. Par exemple, si le Nutri-score n’est pas associé à d’autres stratégies, si le pouvoir public ne se penche pas simultanément sur la qualité de l’offre alimentaire et sur son coût, s’il n’agit pas sur les conditions de vie dans lesquelles s’inscrivent les choix, ce nudge nourrira une forme de marginalisation. Réduire les inégalités sociales de santé se fonde sur un investissement de l’État et un accroissement des responsabilités collectives, tout l’inverse de l’objectif avoué de la Big society qui visait surtout à les réduire.

Conclusion : un usage sous conditions

Un nudge n’est pas l’autre et un contexte d’utilisation n’est pas l’autre. Mais, pour qu’il soit éthique dans le champ de la santé publique, le nudge doit être assorti d’une série de conditions, même si celles-ci tendraient peut-être à le dénaturer.

  • Premièrement, la transparence doit prévaloir dans le dispositif. Même si des tenants du nudge disent qu’une fois dévoilé, il perdrait de son efficacité, une politique publique dans un espace démocratique ne peut se fonder sur une manipulation, même douce et bienveillante. L’autorité doit donc expliciter les intentions qui l’amène à mettre en place le nudge ainsi que les mécanismes qui le tissent.
  • Deuxièmement, avant de lancer un nudge dans l’espace social, il y a lieu de réfléchir à la norme que le nudge encourage à suivre. Quel sens a-t-elle ? Comment est-elle partagée au sein de la population et des différentes couches qui la composent ? Quels sont les freins, autres que ceux d’ordre psychologique, et les coûts liés à son adoption par les personnes ? En faisant ressortir ce contexte de société et les divers registres des valeurs et de préférence, la réflexion permettra d’estimer la pertinence de la stratégie.
  • La troisième condition se situe dans le prolongement de la précédente : le nudge ne doit aucunement nuire. Il est donc indispensable de penser en amont (notamment à travers des ballons d’essai) à ses effets collatéraux et à la distribution de ces effets au sein de la population afin qu’il ne soit pas contre-productif (sentiment d’impuissance, disqualification, stigmatisation…) et ne devienne un facteur aggravant les inégalités.
  • Quatrièmement, le nudge doit, s’il répond aux conditions précédentes, être considéré comme un outil parmi d’autres et s’inscrire dans un ensemble de mesures parmi lesquelles la mise en place de démarches éducatives nourrissant l’empowerment et la réflexion.

Dans tous les cas, les nudges ne doivent pas être considérés comme la clé de voûte des politiques de prévention. Faire le choix exclusif de stratégies d’activation des individus serait une erreur. Cela reviendrait à limiter les problèmes sociaux à l’origine des disparités de santé à des comportements individuels et à nier la complexité des interventions utiles pour promouvoir la santé qui ont, plus que jamais, besoin de soutiens et d’investissements publics.

Bibliographie

BERGERON H., CASTEL P. et al., Le Biais comportementaliste, Presses Sciences Po, 2018, 128p.CAMBON L., Le nudge en prévention… troisième voie ou sortie de route?, in : Santé Publique, 2016/1 (vol 28), pp. 43-48DEHOUCK L., TRONTIN C. & GAMASSOU C.E., Les nudges un coup de pouce pour votre santé, in : The conversation.com, novembre 2017,DRIEU LA ROCHELLE M., La théorie du nudge en santé publique : Quelles perspectives et limites pour l’avenir en France?, Thèse, Université de Poitiers, Faculté de Médecine et de Pharmacie, 2018, 96p.FRENKIEL E., La main invisible du nudge, in : Sciences Humaines, n°225, avril 2011, pp. 48-49JOURNET N., Comportements sous influence, in : Sciences Humaines, n°312, mars 2019, pp. 8-9SUNSTEIN C. & THALER R., Nudge, comment inspirer la bonne décision, Pocket, 2012, 480p.SUSSAN R., La manipulation bienveillante, in : Sciences Humaines, n°287, décembre 2016, pp. 48-49

Le fait de créer des nudges et de les placer dans l’espace social.

Il a édité en 2008 avec son co-auteur Cass Sunstein l’ouvrage de référence « Nudge : La méthode douce pour inspirer la bonne décision ».

Notons que l’efficacité de l’exploitation de ce biais est relativisée par des mécanismes de résistance face à des choix proposés par défaut (SUSSAN R., Nudge, la manipulation bienveillante, Sciences Humaines, 2016).

Aucune disposition contraignante n’a été prise par le législateur. L’industrie est donc libre de placer ou non l’étiquetage sur les emballages.

Le nudge et les sciences du comportement : l’avenir des politiques publiques?, conférence, mars 2019, sciencespo.fr

Il a créé en 2010 la Behaviourial Insights Team, un cabinet d’experts se penchant sur les nudges.

Marketing social et promotion de la santé : une association compatible ?

Le 30 Déc 20

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Les interrogations autour de l’utilisation de techniques de marketing en promotion de la santé ne sont pas neuves. Et les distances prises avec ces stratégies commerciales nous semblent légitimes, compte tenu des objectifs évidents qu’elles poursuivent.

Marketing social et promotion de la santé : une association compatible ?

Les exemples d’utilisation de ces techniques dans le domaine de la promotion de la santé sont pourtant nombreux : affiches dans les salles d’attente ; newsletters et réseaux sociaux ; focus groupes pour recueillir les représentations et besoins d’un public ; campagnes de sensibilisation et d’information… Malgré les transformations considérables apportées à ces techniques et outils de marketing pour les appliquer au champ de la promotion de la santé et en respecter les principes et l’éthique, la controverse semble être relancée avec l’avènement du nudge (technique de marketing signifiant « coup de coude »). Sans procès d’intention, mais pour amorcer le débat et la réflexion, cet article propose de considérer certains points de tension entre la communication, le marketing social (plus précisément ses stratégies), et la promotion de la santé : faut-il condamner d’emblée les techniques de marketing – et le nudge – dans notre terrain d’intervention ?

Communication et promotion de la santé : qui sert qui ?

La promotion de la santé est à la fois une philosophie d’action et un ensemble de pratiques spécifiquesNote bas de page. Elle « confère aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé et d’améliorer celle-ci »Note bas de page à travers des stratégies portant sur une « combinaison d’actions planifiées de type éducatif, politique, législatif ou organisationnel appuyant des habitudes de vie et des conditions de vie favorables à la santé d’individus, de groupes ou de collectivité »Note bas de page. A ce titre, l’importance des communications est affirmée dans la Charte d’Ottawa comme l’une des cinq stratégies complémentaires et essentielles permettant de donner à la collectivité et aux individus les moyens d’améliorer leur propre santéNote bas de page.Les gouvernements ont d’abord considéré la communication pour la santé comme un moyen suffisant pour atteindre ces objectifs. Malgré le constat que les stratégies de communication sont de puissants moteurs de promotion de la santé, des limites ont rapidement été soulevées : « Les communications pour la santé ne sont pas une fin en soi ; elles participent du contexte global où la santé devient l’affaire de tous. Les communications pour la santé sont nécessaires mais non suffisantes pour engendrer les changements socio-sanitaires pour lesquels les agences de santé les utilisent. »Note bas de page Elles sont donc un outil parmi d’autres, au service d’actions globales mises en place pour améliorer la santé et le bien-être de tous.

Communication, marketing (social), qui est qui ?

Lorsque l’on parle de communication pour la santé, de quoi parle-t-on, au fond ?
« La communication pour la santé se définit comme l’étude et l’utilisation de stratégies de communications interpersonnelles, organisationnelles et médiatiques visant à informer et à influencer les décisions individuelles et collectives propices à l’amélioration de la santé. »Les stratégies de communication pour la santé font notamment appel à des techniques de marketing commercial préalablement adaptées au domaine social, autrement dit, au marketing social : « En utilisant les principes et les techniques du marketing, on vise à influencer un public-cible afin qu’il accepte, rejette, modifie ou abandonne volontairement un comportement bénéficiant à un individu, à un groupe ou à la société dans son ensemble (Kotler et al. 2002). Dans le domaine de la santé, l’objectif principal des campagnes de marketing social est de créer, renforcer ou modifier certaines attitudes afin qu’elles génèrent des comportements davantage bénéfiques pour la santé (Courbet, 2003) » Note bas de pageLe marketing social étend donc les principes du marketing commercial aux personnes, aux causes et aux idées. De nombreuses ONG ont ainsi recours au marketing social, souvent clef de voûte de leur fonctionnement, que ce soit par le marketing direct (démarchage en rue, envoi de courrier pour récolter des fonds…), ou encore pour mobiliser pour une cause via le web (signature en ligne de pétition pour défendre les droits de l’homme par exemple)… Sans hésiter à utiliser des ressorts émotionnels forts.La finalité du marketing social en promotion de la santé est donc bien l’amélioration du bien-être des personnes et non une vente commerciale. C’est un levier de changement social puissant pour lever des tabous, pour favoriser une prise de conscience collective, modifier les représentations… Et cela ne se limite pas au changement d’habitudes de vie saines. Pensons par exemple aux campagnes réalisées par la Plateforme sida contre la stigmatisation et l’exclusion des personnes porteuses du VIH : ‘campagnes publicitaires’ co-construites avec les personnes concernées par la thématique. Ou encore les campagnes de Yapaka pour soutenir la parentalité et la bientraitance ou de Tabacstop pour l’aide à l’arrêt du tabagisme… Chacune de ces campagnes représentent un des éléments d’une stratégie plus globale de promotion de la santé mise en œuvre par les promoteurs : aide individuelle, groupes de soutien, actions communautaires, blog interactif, etc.

Le nudge, nouveau terme qui fait parler de lui, à raison ?

Le nudge (ou « coup de coude ») fait son entrée dans l’éventail des outils de santé publique et de promotion de la santé. Même si les études d’évaluation sur son impact sont encore très rares, les avis sur son utilisation retiennent largement l’attention, suscitant réflexions et controverses multiples. Et ceci à tous les niveaux de la société. Mais de quoi s’agit-il ?Amorcée en 1987 par Joule et Beauvois dans le Petit Traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, la théorie de « la soumission librement consentie – elle-même reposant sur les travaux de Kiesler (1971) – n’a cessé d’évoluer pour prendre un nouvel essor en 2008 avec la sortie de l’ouvrage de Richard H. Thaler et de Cass R. Sunstein : Le nudge. La méthode douce pour inspirer la bonne décision. Thaler et Sunstein définissent le nudge comme « tout aspect de la mise en scène des choix qui modifie de façon prévisible le comportement des gens sans interdire aucune option ni modifier de façon significative les incitations financières. »Note bas de pageLes ressorts théoriques sur lesquels reposent la plupart des nudges s’apparentent aux techniques de marketing classiques qui cherchent à déclencher les facultés non délibératives de la personne afin de l’amener à adopter un comportement défini. Ces techniques s’appuient sur des « biais cognitifs et heuristiques de jugement»Note bas de page qui font appel au système cognitif réflexif et automatique afin d’orienter les comportements. Selon les auteurs, les comportements seraient l’effet de décisions prises par ces biais cognitifs (voir encadré).

Nudge : Utilisation des biais cognitifs et heuristiques de jugement

Optimisme et excès de confiance : un optimisme irréaliste, même lorsque les enjeux sont importants, pourrait selon les auteurs expliquer de nombreuses prises de risques, en particulier dans le domaine de la santé (sous-estimation des possibilités de contracter une maladie, surestimation de sa résistance à l’alcool… alors même que les risques sont sciemment connus).Aversion à la perte : les personnes détestent perdre quelque chose. A tel point que cela rend deux fois plus malheureux de perdre quelque chose que cela ne rend heureux de l’acquérir ou de la gagner. Cette aversion à la perte contribue, selon les auteurs, à l’inertie. Prenons l’exemple du tabac : si vous ne voulez pas arrêter de fumer parce que vous ne voulez pas perdre votre taille – gagner du poids, alors vous refuserez l’opportunité qui vous est offerte d’arrêter de fumer.Tendance naturelle à rester dans la situation actuelle ( = biais du statu quo) : nous savons ce qu’il faut faire pour passer à l’acte, changer, mais nous ne le faisons pas ou le repoussons à plus tard. Par exemple, nous avons l’habitude de nous déplacer en voiture et envisager d’utiliser les transports en commun ou de faire le déplacement à pied demande un effort pour passer à l’action.La combinaison de l’aversion à la perte et du biais du statu quo fait que les options par défaut fonctionnent comme des nudges.Impact de la façon de présenter les choses (= framing) : les choix dépendent en partie de la façon dont les problèmes sont formulés. Si le médecin vous dit que sur 100 personnes qui se sont fait opérer, 95 n’ont pas eu de complications, versus s’il vous dit que sur 100 personnes, 5 d’entre elles sont mortes dans les 10 jours suivant l’opération, ces formulations n’auront pas le même impact sur votre appréhension de l’information.

Ces « coups de pouce » utilisent donc le système 1 cognitif (émotionnel et intuitif) de notre cerveau, au détriment du système 2 réflectif (logique et contrôlé). Selon nous, il serait toutefois excessif d’opposer radicalement le système réflectif au système cognitif, comme si l’un devait l’emporter sur l’autre ou si nous ne devions fonctionner qu’avec l’un des deux lorsque nous opérons un changement. KahnemanNote bas de page considère d’ailleurs que la meilleure manière de comprendre nos prises de décisions est de considérer que le cerveau fonctionne à l’aide de deux systèmes complémentaires. En ajoutant que le système 1 informe constamment le système 2, il serait donc faux de penser qu’ils opèrent indépendamment l’un de l’autre, bien au contraire.Dans l’utilisation des nudges, la notion « environnementale » est présente. Sunstein et Thaler soulignent l’importance du contexte dans lequel sont prises les décisions, en ce qu’il influence les décisions. C’est ce qu’ils ont nommé « l’architecture de choix ». La personne qui la met en place ou la modifie est un « architecte de choix » – ainsi, un architecte de choix peut être aussi bien un directeur d’école – qui décide de faciliter l’accès au buffet salade et par ailleurs de réduire l’accès aux frites – qu’un responsable de santé publique qui organise l’accès gratuit à un nouveau vaccin. Les auteurs présentent les nudges comme des mises en forme qui influencent le comportement des individus.Quelques exemples de nudgesLa règle par défaut : ce n’est pas (encore ?) le cas en Belgique mais depuis 2017 tous les Français sont donneurs d’organes par défaut.La simplification : par exemple, l’accès gratuit à un service d’aide en ligne pour les situations de violences conjugales ou pour l’arrêt du tabagisme.L’alerte, les pense-bêtes pour un acte préventif, un suivi médical, une prise de médicaments.Ou encore le rappel des normes sociales : prenons l’exemple de campagnes de sécurité routière ‘Rouler tranquille, c’est chill’ ou encore ’Laissez-vous gagner par la courtoisie’.

Le programme de dépistage du cancer de l’intestin en Wallonie.

Un exemple en médecine préventive

A partir de 50 ans, toutes les personnes reçoivent un courrier les invitant à réaliser le dépistage via un test gratuit à faire chez soi. Ce test est disponible auprès de son médecin généraliste ou peut être demandé directement via un site internet ou par téléphone. Ce test doit être réalisé tous les deux ans. La fidélisation (réaliser le test tous les 2 ans) a augmenté significativement grâce à l’envoi systématique du test aux personnes l’ayant déjà réalisé au moins une fois. On peut bien parler là d’une technique de nudging même si les organisateurs du programme ne l’ont pas nommé ainsi.Pour quel impact ? Sans cet envoi direct et systématique du test deux ans plus tard, 29% des personnes concernées refaisaient le test soit en le demandant spontanément soit suite à la lettre d’invitation (chiffres 2014). Suite à l’envoi direct du test pour le réaliser deux ans plus tard, 70,1% des personnes ont fait le test (chiffres 2018)Note bas de page. Le taux de participation pour les personnes ayant déjà réalisé le test précédemment a donc plus que doublé…

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Quelle(s) fin(s) tolérées/tolérables pour le nudge ?

Nous pouvons comprendre l’appréhension sous-jacente dans l’utilisation de la technique du nudge au profit de certains intérêts, comme celui de la promotion de la santé. A ce titre, Eric Singler répond : « Tout d’abord, il faut rappeler que tout est influence ou manipulation. Formuler cette critique à l’égard du nudge équivaut à oublier que la « manipulation ou l’influence » – ou, dit autrement, le fait de vouloir changer des comportements – est partout : l’enfant « influence » ses parents, nous « influençons » une personne lorsque nous cherchons à la séduire, les politiciens nous « influencent » pour nous inciter à voter… De fait, le nudge a bien vocation à inciter les individus à passer d’un comportement A à un comportement B. C’est ce que fait à sa façon la loi, qui nous oblige à un certain nombre d’actions, ou bien les incitations économiques (via les taxes et les subventions). Ou bien encore l’information, comme lorsque l’état oblige à apposer la mention « fumer tue » sur les paquets de cigarette. Le nudge, le fait d’agir sur les architectures de choix, est en quelque sorte la quatrième voie pour changer les comportements après les trois que nous venons de citer. Elle le fait différemment, mais aussi avec un cadre éthique extrêmement précis : il s’agit d’inciter les individus à adopter des comportements qui, comme nous l’avons évoqué, soient bénéfiques pour l’individu, sa collectivité ou notre planète. C’est ce qui explique notamment le fait que les pouvoirs publics aient été les premiers à utiliser le nudge. »Note bas de page

Emanciper, inciter, manipuler…

Est-ce que malgré ces considérations le nudge peut échapper au procès de la manipulation ? On ne peut pas ne pas être influencé. L’individu reste toujours dépendant d’un certain environnement au moment de prendre une décision, d’adopter un comportement, qu’il le veuille ou non. Et partir du postulat que l’individu est toujours maître de ses choix, selon une rationalité supposée, serait une erreur. L’axiome de l’« Homme Libre » peut laisser une certaine place à la discussion… Mais les oppositions et réticences exprimées par rapport au nudge et plus largement au marketing social et à la communication sont aussi liées au fait que leur utilisation est plutôt identifiée dans le chef de politiques publiques, de programmes top-down et que ces campagnes, affiches, nudges visent des comportements de santé – habitudes de vie ‘saines’, sous l’angle du risque et sont basées sur une vision négative de la santé.Or lorsqu’on examine les modèles théoriques de changement de comportement les plus utilisésNote bas de page, on constate que ceux-ci relèguent au second plan les facteurs environnementaux qui influencent positivement ou négativement les décisions de santé, au bénéfice des considérations individuelles. Et il n’est plus nécessaire aujourd’hui de démontrer que négliger les déterminants sociaux et environnementaux dans une stratégie de promotion de la santé relève du non-sens. Cela reviendrait à considérer l’information prodiguée comme suffisante pour faire adopter un nouveau comportement. De plus, comme le souligne à cet effet Eric Breton, « mettre en œuvre une stratégie de changement de comportement axée sur des stratégies centrées sur les connaissances, les attitudes à l’égard d’un comportement ou les habiletés à actualiser ce changement, équivaut à attribuer aux individus la responsabilité de leur comportement à risque »Note bas de page. Une dérive éthique majeure. Sans compter que les stratégies exclusivement centrées sur les caractéristiques individuelles contribuent à accroître les inégalités sociales de santé. Car « ces seuls messages ne peuvent ni prendre en compte la diversité des milieux de vie… ni leurs capacités à mobiliser les ressources dont ils disposent »Note bas de page.

Quels garde-fous ?

Pour que le marketing social reste social, pour que l’éventuelle utilisation du nudge reste en cohérence avec la promotion de la santé, comme toute autre stratégie en promotion de la santé, appuyons-nous sur les bases de la promotion de la santé :

  • prendre en compte les déterminants de la santé ;
  • veiller à impliquer les bénéficiaires dans l’élaboration de la démarche, des objectifs jusqu’aux méthodes choisies ;
  • expliciter les objectifs ;
  • tester la stratégie, les actions et outils pour en évaluer les effets (ainsi que les éventuels effets négatifs, contre-productifs) ;
  • s’assurer tout au moins que ceux-ci ne creusent pas les inégalités sociales à défaut de les réduire ;
  • une fois mis en œuvre, évaluer leurs effets.

Le marketing social, avec ses méthodes et outils variés, est donc une stratégie parmi d’autres. Il doit s’intégrer dans une démarche globale et ne peut se suffire à lui-même. C’est en effet grâce à la mise en place de différentes stratégies de promotion de la santé prenant en compte les déterminants de santé individuels et collectifs, que les personnes et populations pourront faire des choix et agir sur leur santé et celle de la collectivité.Et restons prudents… La communication dans le domaine de la promotion de la santé est d’une grande complexité. Comme dans tant d’autres domaines, les recettes toute faites n’existent pas. Il est dès lors essentiel de maintenir une vigilance, un esprit ouvert et critique, un questionnement permanent, sans pour autant tomber dans le piège de la paralysie ou encore du dogmatisme.

D. DOUMONT I. AUJOULAT, « L’efficacité de la promotion de la santé : une question de stratégies ? État de la question. », UCL – RESO, École de santé Publique, 2008

OMS, La Charte d’Ottawa a été adoptée le 21 novembre 1986.

Ibid.

L. RENAUD et C. RICO DE SOTELO, « Communication et santé : des paradigmes concurrents », Santé Publique 2007/1, Volume 19, n°1, S.F.S.P. diffusé sur Cairn.info.

L. RENAUD et C. RICO DE SOTELO, « Communication et santé : des paradigmes concurrents », Santé Publique 2007/1, Volume 19, n°1, S.F.S.P. diffusé sur Cairn.info.

A. MARCHIOLI, « Marketing social et efficacité des campagnes de prévention de santé publique : apports et implications des récents modèles de la communication persuasive. », Market Management (Marketing Communication), 2006, 1

R.THALER & C.SUNSTEIN, « Nudge – la méthode douce pour inspirer la bonne décision », Vuibert, 2010

Initiés par Tversky & Kahneman (1974)

KAHNEMAN DANIEL, Système 1 /Système 2 : les deux vitesses de la pensée, sptembre 2012, Flammarion

Chiffres communiqués par le Centre de référence pour le dépistage des cancers asbl

Eric Singler Directeur Général du groupe BVA en charge de la BVA Nudge Unit

Le modèle transthéorique de Prochaska et DiClemente, la théorie du comportement planifié de Ajzen

E. BRETON, « Du changement de comportement à l’action sur les conditions de vie », Santé Publique, 2013/HS2 (S2), p. 119-123.

Idem

2. Réduire les inégalités sociales de santé : quelles stratégies ? In La réduction des inégalités sociales de santé. Un défi pour la promotion de la santé

Le 30 Déc 20

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Pour agir en faveur de la santé tout au long du gradient social, il faut sortir de la seule dimension sanitaire pour arriver à une prise en compte de tous les facteurs environnementaux qui agissent défavorablement en amont. Des actions dans les champs du logement, de l’emploi, de l’éducation, de tout ce qui concerne l’autonomie sociale auront un impact sur la santé. Par ailleurs, des actions dans le domaine de la santé en général, sont à mener pour réduire les inégalités sociales de santé : amélioration de l’accès aux soins de santé (couverture sociale et coût des soins), aux offres de prévention et de promotion de la santé. C’est de ces actions et stratégies de promotion de la santé dont il sera question dans la suite du document. Ainsi, en réponse aux causes macro- ou micro-sociales des inégalités sociales de santé, les pistes d’intervention peuvent aussi concerner les niveaux macro- et/ou microsocial.
– Stratégies macro-sociales : la sensibilisation et le plaidoyer politique, l’obtention de mandats pour un travail intersectoriel, l’adoption d’un rôle de leader par le secteur de la santé, la démocratisation de l’éducation, la création de services universels, la couverture sociale, le renforcement de ressources et des capacités pour l’action locale…
– Stratégies micro-sociales : l’empowerment (capacité à dire et à agir), les approches participatives centrées sur les citoyens, l’ancrage sur les besoins évolutifs de publics cibles, les approches fondées sur les atouts plutôt que sur les déficits, le renforcement des capacités de collaboration,… Les groupes de travail (Closing The gap et Consortium Determine) mis en place par l’Union européenne proposent ainsi des lignes de force et des recommandations qui combinent généralement des pistes d’intervention de ces deux types. Cette combinaison se retrouve aussi dans les exemples de stratégies fournis par les professionnels interrogés en Communauté française de Belgique. Au niveau macro-social, les illustrations ci-dessous font prévaloir la nécessité de
– renforcer l’universalité de l’offre et de la pérenniser,
– communiquer sur l’offre;
– accentuer la cohérence des objectifs et des actions entre différents niveaux de pouvoirs ;
– intégrer structurellement la question des inégalités dans les services;
– organiser des échanges et des coopérations entre services;
– organiser un plaidoyer sur la question de la réduction des inégalités sociales (de santé). Au niveau micro-social, on rencontrera des recommandations plus familières aux acteurs de promotion de la santé en Communauté française :
– mettre en lien les publics et les professionnels;
– augmenter les compétences des professionnels;
– encourager la participation du public,
– intégrer la voix des personnes concernées;
– favoriser l’empowerment et le développement des compétences;
– mobiliser et enrichir les représentations;
– développer les connaissances.

2.1. Préserver, voire renforcer, l’universalité des offres de santé sur le continuum des soins à la promotion de la santé
« L’organisation du programme de vaccination comme un programme de santé publique cohérent vise à permettre l’accès de tous aux recommandations vaccinales inscrites dans un calendrier vaccinal et ainsi éviter l’instauration d’inégalités sociales de santé. L’expérience montre qu’en l’absence de gestion globale et cohérente du programme, la mise sur le marché d’un nouveau vaccin génère des inégalités sociales d’accès à la vaccination. Les dernières enquêtes de couverture vaccinale des nourrissons (2003, 2006 et 2009) montrent, de façon récurrente, que la gratuité des vaccins et le recours aux structures préventives permettent de neutraliser les inégalités sociales de santé. »

L’offre de santé comprend les soins, la prévention et la promotion de la santé. Des offres universelles de santé existent : programmes de vaccination ou de dépistage, promotion de la santé à l’école, services de l’ONE, campagnes d’information,…
Ces offres sont essentielles et constituent un socle à préserver sur lequel les intervenants de proximité s’appuient. En effet, organiser une offre universelle n’est qu’un volet du problème. Pour permettre aux différents publics d’accéder à ces offres universelles, pour toucher tous les groupes de population concernés, il faut également développer des stratégies complémentaires, diversifiées et de proximité….
Il importe aussi d’être exigeant sur l’universalité de l’offre en matière de promotion de la santé.
Il s’agit en particulier de s’assurer que dans les services universels existants, une part significative des activités et des missions soit consacrée à la promotion de la santé.

2.1.1. Rendre l’offre de santé accessible en l’adaptant
« L’approche de promotion de la santé à l’école (PSE) classique est-elle pertinente ?
En ce qui concerne les bilans de santé dans l’enseignement fondamental et la transmission des résultats de ce bilan et des recommandations aux parents, la transmission des observations par l’intermédiaire de formulaires écrits, tout autant que le recueil de l’anamnèse par l’écrit sont totalement inadéquats. En effet, les parents des populations défavorisées, « infériorisés » par ce mode de communication, sont très souvent dans l’incapacité d’en comprendre (si ce n’est le moindre mot) en tout cas les nuances et la présentation par choix multiples.
Une approche de proximité s’impose. Notre expérience de rencontre individualisée des parents des élèves de 3e maternelle nous permet d’en apprécier la pertinence.
Elle est malheureusement irréalisable à grande échelle dans les conditions de subsidiation actuelle. » « Encourager la pro-activité de nos différents services vis-à-vis des membres. Ceci implique d’aller davantage vers le membre, et dès lors de prévoir des lieux de rencontre et de dégager du temps. » « La quasi-totalité de nos activités est accessible aux personnes sourdes (la surdité relevant d’une inégalité de santé non sociale en soi), car une interprète en langue des signes est présente : si les personnes sourdes de milieux favorisés peuvent plus aisément accéder à l’information d’une part et aux soins d’autre part par la mise en place de stratégies compensatoires au handicap (recours à l’information par la lecture ou par le biais d’interprète, formations qualifiantes, etc.), tel n’est pas le cas des personnes cumulant handicap physique et handicap social par l’appartenance à des catégories socio-économiques vulnérables et/ou précaires et/ou défavorisées. » « Accessibilité à l’offre : géographique et financière. La prévention du diabète passe par l’accès à des activités à des prix très démocratiques (50 cents à 1 euro) : activités physiques, activités liées à la diététique (consultations, ateliers, formations), soins podologiques et soins dentaires (en développement). » « Nos objectifs généraux et opérationnels sont par exemple attentifs à augmenter pour les jeunes/les enfants (et leurs familles) l’accès et le recours (adapté) aux services, réseaux, ressources (informations, outils, savoir-faire et savoir-être) promotrices de bien-être/de santé. » « Notre objectif principal est de donner la possibilité aux personnes en situation de précarité sociale extrême, d’accéder aux soins de santé pour ensuite, en fonction du processus de resocialisation, les réorienter vers un réseau de soins classique. »

Plusieurs voies se dégagent pour adapter l’offre universelle de départ en vue d’une meilleure accessibilité à des publics diversifiés.
– Favoriser l’accès en fonction de la maîtrise de la langue orale et écrite, de la prise en compte des représentations culturelles de la santé, de la prise en compte des différences sensorielles,…
– Recueillir les points de vue du public sur les contenus et l’organisation de l’offre.
– Faire de l’accessibilité un des objectifs du service.
– Réorganiser les services pour une meilleure accessibilité dans le temps et dans l’espace (horaires et lieux).
Ces critères d’accessibilité doivent être également pris en compte pour les activités de promotion de la santé que pour les activités de soins et de prévention
– Veiller à l’accessibilité financière, géographique de la promotion de la santé via des services de proximité.
Développer des actions dans les milieux de vie.
2.1.2. Pérenniser l’offre de promotion de la santé

« Nous bénéficions en cela de l’ancienneté de l’asbl : si le maintien de la fréquence des participants et leur renouvellement est un travail de chaque instant, la pérennité de l’infrastructure participe à nous maintenir dans un cercle vertueux du point de vue de la fréquentation et de la mixité des publics ; le bouche à oreille participe d’ailleurs de ces outils efficaces liés à l’ancienneté d’une association comme la nôtre. »
La pérennisation est une condition nécessaire au maintien de l’universalité de l’offre tout comme à son accessibilité. La pérennisation de l’offre en promotion de la santé est également cruciale.
Garantir des programmes, services et offres de promotion de la santé pérennes permettant de construire et de maintenir le lien avec les usagers, assurant la présence à long terme de professionnels. compétents et reconnus.
2.1.3. Communiquer sur l’offre de santé
« Mais pour rendre la prévention accessible à toute la population et éviter que des sous-groupes sociaux ne soient pas informés de leur droit à y accéder, le programme doit veiller à développer des stratégies de communication vers les publics peu ou pas lettrés, de langue étrangère, peu familier avec le français. Ces stratégies doivent éviter la stigmatisation d’une population analphabète et donc utiliser des méthodes participatives de construction d’outils. De plus, les outils d’information ainsi élaborés, tout en étant ciblés sur ce public peu lettré sont également utiles à un public plus général. C’est ce que nous avons voulu réaliser avec le nouvel outil ‘les rendez-vous des vaccins’ ». « Adaptation à notre public de nos modes de communication :
1. recours à la communication verbale si nécessaire pour les anamnèses, autorisations diverses, conseils (par téléphone),
2. mise au point de formulaires explicatifs simples et explicites (support de dessins),
3. invitation des parents à participer à une des activités au moins d’un projet-santé mené dans l’école. » « Depuis 10 ans, le Centre local de promotion de la santé a mis en place une dynamique de concertation des professionnels de l’arrondissement de Liège qui vise à mettre en évidence des besoins, des enjeux et des pistes de travail pour faire face aux inégalités sociales de santé. Plus de 600 intervenants, issus de secteurs très divers et interpellés par les inégalités sociales de santé ont élaboré une série de recommandations (pistes de réflexion et d’action) destinées aux responsables politiques et institutionnels. Elles sont rassemblées dans un document. »

La diversification des modes et formes de communication a pour but non seulement d’adapter l’offre de services elle-même (2.1.1.) mais aussi de faire connaître cette offre, d’en assurer la visibilité en particulier pour les activités de promotion de la santé.
2.1.4. Accroître le dialogue entre les publics et les professionnels
« Cela peut impliquer de notre part la création de dynamiques/projets locaux qui augmentent (en les adaptant aux spécificités du public) l’offre d’espaces/lieux où les habitants/jeunes d’un quartier par exemple, peuvent se retrouver autour de la santé/du bien-être/de préoccupations éducatives, être en contact avec les ressources des habitants ou de professionnels locaux. » « Outre la priorité accordée aux écoles D+ en ce qui concerne les projets de promotion de santé, l’antenne met l’accent sur les stratégies ciblant les relations de proximité avec les parents. Rencontre individuelle des parents de chaque élève de 3e maternelle avec le médecin ou l’infirmière au sein même de l’école pour la remise des conclusions du bilan de santé.
Ce dialogue a pour objectifs :
1. de porter l’information qui, lorsqu’elle est écrite, n’est pas assimilée,
2. de mettre l’accent sur les aspects positifs de la santé physique et mentale de l’élève avant d’aborder les défaillances éventuelles de manière à promouvoir l’image positive de l’enfant et du parent (image souvent dévalorisée par les rapports difficiles des parents à l’institution scolaire),
3. de constituer la base d’une relation ultérieure de confiance plutôt que de défiance,
4. d’apporter l’aide indispensable pour les prises de contact avec d’autres services,
5. d’ébaucher une démarche de promotion de santé individualisée, basée sur les demandes et les besoins des personnes. »
« Dans le cadre de la commission santé de C., un des projets portés par notre association, nous mettons en contact les habitants et des professionnels qui n’ont pas d’occasion, de contexte pour se rencontrer (chercheurs, politiques, etc.) ou si c’est le cas, pour certains corps de métiers, qui, selon les dires des habitants, ‘ne prennent pas toujours ou n’ont pas le temps d’expliquer aussi bien en face à face’. »

Pour adapter leurs interventions à des publics diversifiés échelonnés le long du gradient social, il faut encourager les professionnels à construire un dialogue avec les usagers. Seul ce dialogue construit en individuel et en collectif permettra de poser les bases d’une meilleure adaptation des services et offres de santé (promotion de la santé, prévention, soins).
De façon complémentaire, il faut favoriser et soutenir les usagers dans leurs contacts avec les professionnels de santé (empowerment/ capacité de dire et d’agir : confiance en soi face au professionnel, langage spécifique, parler de soi, faire entendre son avis dans le choix d’un traitement ou d’une recommandation, etc.).
2.1.5. Renforcer les compétences des professionnels
« Le projet vise à aider les professionnels, œuvrant spécifiquement ou non en petite enfance, à participer à la réduction des inégalités sociales de santé sur leur territoire, en documentant mieux la question des inégalités sociales de santé et des mécanismes d’action, pour mieux prendre en compte ces réalités, leviers et ressources des inégalités sociales de santé, et adapter leurs actions en vue d’une réduction des ISS.
…Il vise à dégager et communiquer un ensemble de pistes méthodologiques pouvant aider les professionnels à adapter leurs pratiques pour prendre en compte les ISS sur leur territoire. Il s’agit de proposer un recueil de ressources et de points de repères qui permettront au professionnel qui le souhaite de s’inspirer en partie, de confronter ou compléter ses idées, méthodes, pratiques… » « Développer les compétences des professionnels pour mener des projets de promotion de la santé auprès de personnes en situation de précarité ; participer à la construction de nouveaux savoirs et pratiques spécifiques à la promotion de la santé des publics en situation de précarité. » « – Outiller les animateurs afin qu’ils prennent en compte les ISS dans l’utilisation d’outils pédagogique en santé
– Outiller, guider les concepteurs d’outils afin qu’ils prennent en compte la question des ISS dans la réalisation des outils pédagogiques en santé
– Susciter des interactions entre utilisateurs, concepteurs, experts : échange de pratiques, d’expériences, faire remonter les réalités et demandes du terrain vers la 2e ligne. »

L’intégration des stratégies de réduction des inégalités sociales de santé dans les pratiques professionnelles nécessite de renforcer les compétences des professionnels. Ceux-ci doivent notamment être capables de :
– analyser les mécanismes de production des inégalités sociales et des inégalités sociales de santé ;
– développer un travail intersectoriel en réseau ;
– identifier les stratégies les plus porteuses en terme de réduction des inégalités sociales et des inégalités sociales de santé;
-adapter et utiliser des méthodes, des ressources et des outils aux défis posés par la réduction des inégalités sociales de santé;
– s’adapter à des publics de profils variés, échelonnés le long du gradient social et plus particulièrement aux personnes en situation de précarité.

2.2. Intéresser les politiques et les institutions aux stratégies de promotion de la santé
2.2.1. Echanger et coopérer
« Les facteurs qui déterminent les inégalités échappent à l’action directe des services de santé. Celles-ci tiennent plus à la structure et au mode de fonctionnement de notre société, ainsi qu’aux modes de vie qu’elle suscite, qu’à des causes d’ordre purement médical. Il s’agit entre autres des décisions politiques, des mesures législatives, du contexte socio-économique mais aussi de la qualité de l’habitat et de l’environnement, de l’accès à l’éducation et à la qualification professionnelle, de la profession exercée, de la qualité de la vie sociale et de l’environnement culturel, … Une intervention sur ces « déterminants de santé » nécessite la réflexion, l’organisation et l’action de divers secteurs, ainsi qu’une interface entre professionnels et politiques. » « Intersectorialité et travail en réseau (projet commun avec le secteur de l’alphabétisation, avec l’insertion socioprofessionnelle, les asbl locales). » « Stratégie de concertation intersectorielle entre tous les acteurs de la vaccination :
– réunir autour d’un même projet tous les intervenants ;
– inciter à utiliser des outils communs : «Carnet de l’enfant », « Carte de vaccination », dépliants pour l’information des parents ;
– travailler à la prise de décision politique pour maintenir un véritable programme de vaccination.» « Créer un réseau de professionnels partenaires :
– dans le secteur social,
– dans le secteur médical,
– dans le secteur de la santé mentale. » « L’approche multidisciplinaire/trans ou interdisciplinaire (!) et le travail en réseaux (internes ou externes à notre institution) sont pour nous des garanties à la prise en compte des inégalités sociales de santé, et des déterminants de la santé en général. Nous pouvons cependant déplorer une démultiplication des réseaux et un déplacement (trop important) de l’énergie des travailleurs vers l’alimentation de ces réseaux sans retour (immédiat/à moyen terme) pour les publics finaux/bénéficiaires. On pourrait parfois parler d’une coupure (trop importante) de la réalité des publics…»

Le travail en partenariat et en réseau, l’intersectorialité, la pluridisciplinarité… naissent de la nécessité de travailler ensemble pour agir simultanément sur différents déterminants des inégalités sociales de santé. Ces échanges s’imposent entre les professionnels, les associations et organismes présents sur le terrain, mais aussi entre structures institutionnelles et dispositifs politiques.
Les dispositifs et pratiques de réduction des inégalités sociales de santé ne peuvent exister sans une reconnaissance du temps nécessaire pour construire ces partenariats et les rendre efficients dans la durée. Ce temps devrait être intégré dans les tâches des différents professionnels concernés et dans les programmes de promotion de la santé.
2.2.2 Assurer une cohérence entre différents niveaux de pouvoir
« La résorption des inégalités sociales de santé est rendue possible grâce à une action à plusieurs niveaux mettant en lien l’expérience de vie des publics concernés, l’expertise des professionnels et le pouvoir décisionnel des politiques. » « Plus de cohérence à tous les niveaux :
1. Favoriser plus de cohérence dans les décisions politiques afin d’établir plus de liens entre les différentes compétences liées à la santé (enseignement, soins de santé, social, environnement, …)
2. Favoriser la coordination entre les différents niveaux de pouvoir (communal, provincial, communautaire, régional, fédéral).
3. Favoriser la cohérence entre les décisions politiques et les besoins rencontrés sur le terrain par les professionnels et les populations précarisées.
4. Impulser et soutenir les dynamiques intersectorielles.
5. Accorder une attention prioritaire aux publics précarisés dans toute décision politique. »

Le manque de cohérence des décisions politiques et institutionnelles est une entrave à l’application sur le terrain de stratégies convergentes et efficaces en faveur de la réduction des inégalités sociales (de santé).
Il est important de soutenir les interventions intégrées en renforçant l’articulation entre les différents niveaux de pouvoir (ligne hiérarchique institutionnelle et territoriale)
Par exemple :
– Des accords de collaboration entre secteurs différents concernés et l’explicitation de ces articulations dans les missions des services.
– La création de synergies entre les politiques des Communauté – Région dans l’accès à la santé dans ses aspects de soins, prévention, promotion.
2.2.3 Intégrer de façon structurelle les questions d’inégalités sociales
« La recommandation générale est que la question des inégalités doit être intégrée, de manière structurelle, dans les différents niveaux de fonctionnement et de gestion, ainsi que dans nos missions, afin de les combattre durablement. »

Les deux recommandations précédentes sont étroitement liées à une intégration structurelle des questions de réduction des inégalités sociales de santé et à leur opérationnalisation dans les plans, programmes et services ainsi que dans les stratégies de gouvernance.
Cette intégration structurelle renforcerait la prise en compte des inégalités sociales de santé dans les actions et les pratiques des professionnels de secteurs variés.
Enfin, elle est aussi garante de la continuité, essentielle pour que les interventions portent leurs fruits en termes de réduction des inégalités sociales de santé.
2.2.4 Organiser le plaidoyer
« A noter que l’interpellation politique/des décideurs dans une visée de prévention et de promotion de la santé n’est pas forcément inscrite dans la culture et les priorités professionnelles des travailleurs de notre équipe…voire de notre institution. De manière plus rare, nous sommes également présents (avec d’autres partenaires et d’autres secteurs) dans des démarches d’interpellation et de mobilisation des décideurs (politiques et autres) pour participer à l’adaptation de pratiques professionnelles (par exemple pas assez tournées vers la prévention) ou de cadres décrétaux (peu opérationnels, voire ne favorisant pas une approche globale du bien-être de l’enfant)… impactant de près ou de loin sur la qualité de vie des enfants et des jeunes. » « Notre groupe de personnes diabétiques a participé à ce qu’une offre alimentaire saine soit proposée sur le marché annuel où un certain type de restaurateurs ne s’aventuraient peut-être pas en fonction des représentations qu’ils se font des publics et de leurs attentes sur ce genre de lieux (nous sommes présents sur ce marché dans le cadre d’une action de sensibilisation au diabète, en réponse à une impulsion de la commune). Nous espérons ainsi avoir sensibilisé tous les partenaires par cette demande : la commune, le restaurateur impliqué, les habitants (diabétiques ou non). Or, un des préalables au changement social consiste à agir sur les représentations individuelles et collectives, sur ces préjugés qui empêchent souvent les remises en question. Ceci étant en cours, il faut aussi, et ce n’est pas le moindre des combats, que cela soit concrètement possible : si nous avons pu obtenir un stand d’alimentation saine, l’offre restait peu accessible économiquement et en concurrence déloyale, de ce point de vue là, avec les stands de fricadelles… Notre demande l’année suivante a donc été axée sur le maintien d’un stand alimentaire sain, mais également accessible économiquement. Le combat progresse mais n’est pas fini… Agir en amont pour réduire les comportements à risque (comme manger non sainement, a fortiori pour des personnes diabétiques) est en effet un combat de fond, donc très lent, devant agir dans tous les domaines (économique, politique, etc.) malgré les conflits d’intérêts en jeu. »

Il est également important de sensibiliser et de former les décideurs et institutionnels pour qu’ils intègrent la réduction des inégalités sociales de santé dans des mesures de gouvernance.
Pour ce faire, il importe de faire connaître aux responsables institutionnels et politiques
•les problématiques vécues par les différents publics,
•les actions et stratégies menées, ici et ailleurs ;
•leur efficacité potentielle ;
•les résultats engrangés. Il importe aussi d’être attentif à l’emprise des contraintes exercées par le monde économique et de proposer des modalités pour atténuer celles-ci.

2.3. Renforcer la capacité des groupes à s’engager pour leur santé
2.3.1. Agir en santé dans les communautés
« La santé communautaire semble bien souvent pertinente à condition de prendre en compte la difficulté particulière de ces publics à éprouver un sentiment d’appartenance alors même qu’ils se vivent davantage comme marginaux et exclus. Il conviendra de se donner du temps pour mieux saisir ce que la participation signifie pour chacun de nous. Une confusion semble, en effet, parfois apparaître entre le concept de participation et celui d’adhésion. » « Agir plus spécifiquement avec une stratégie communautaire est une des réponses mises en place pour lutter globalement contre les inégalités sociales de santé. Action en amont sur les déterminants de santé, santé au sens global du terme, action tant avec des habitants qu’avec des professionnels et des élus, caractère participatif de la construction à l’évaluation des projets… »

L’action communautaire en santé n’est pas une stratégie spécifique, réservée à la réduction des inégalités sociales de santé, mais elle en est une stratégie importante. C’est en effet une voie privilégiée pour développer l’empowerment individuel et collectif ainsi que pour améliorer les conditions et la qualité de vie au plus proche des personnes concernées.
2.3.2. Encourager la participation des personnes concernées et intégrer leur voix
« Le développement d’outils participatifs : par exemple les projets communautaires, les activités collectives, l’entretien individuel motivationnel, etc. » « Nos stratégies privilégiées pour y arriver sont (entre autres) : l’approche communautaire mobilisant le public (dynamique participative), dans la mesure de leurs possibilités (et de leur désir d’être acteurs)… » « La démarche de prévention utilisée évite la stigmatisation, car elle se base sur des stratégies de communication qui donnent la parole aux jeunes, sans jugement ni critique, et qui accordent une place fondamentale à leur participation active et au respect de leur autonomie. » « La consultation, l’implication, la participation des personnes aux « actions » qui leur sont destinées apparaissent comme les conditions « éthiques » qui rendraient acceptable le travail de promotion de la santé destiné aux personnes précarisées. » « Intégrer de manière structurelle la voix des plus vulnérables au sein de nos instances et via des partenariats; le regard des plus vulnérables dans notre communication »

La participation du public doit être une des bases de la réduction des inégalités sociales de santé. C’est le moyen de concilier efficience et éthique.
– Le public est le meilleur juge pour définir quels changements sont possibles et par quelles voies.
– Le public reste libre de ses choix. Quand il devient acteur de changement, les modifications ont plus de chances de persister sur la durée.
– L’intégration structurelle d’usagers concernés dans les projets et les services peut être une manière de renforcer la participation du public.
– La mixité des publics consultés, leur hétérogénéité est une façon d’aborder la question du gradient social et de la cohésion sociale.

2.4. Renforcer les compétences individuelles en matière de santé
2.4.1. Favoriser l’empowerment et le développement de compétences non cognitives
« Soutenir les dynamiques qui font émerger ou qui redynamisent les compétences, l’esprit critique et renforcent la confiance en soi des personnes précarisées. Le but est qu’un maximum d’entre elles puissent être actrices de leur vie et faire des choix éclairés. Il s’agit de donner l’occasion aux personnes précarisées de se réapproprier leur vie et leur santé plutôt que de les culpabiliser. » « Développer les aptitudes des personnes en situation de précarité à devenir acteur de leur santé .» « Favoriser chez les jeunes le développement des compétences psychosociales qui agissent comme facteurs de protection face aux assuétudes (esprit critique à l’égard du contexte social, capacités de communication interpersonnelle, capacité de réfléchir au sens donné aux consommations, rapport à la loi…) » « Notre appartenance à un Service de santé mentale et un CPAS nous permet d’allier à (1) une approche globale et positive de la santé et un travail sur les déterminants tels que l’estime de soi et les compétences sociales, (2) le soutien à la résolution de problématiques sociales ou de difficultés psychiques individuelles… Le tout participant pour nous d’une démarche de promotion de la santé. » « Soutenir les dynamiques qui reconnaissent les savoirs, les ressources, les compétences, les besoins réels des personnes précarisées et qui s’appuient sur ceux-ci pour développer les projets dans une démarche de co-construction. »

Développer la capacité d’agir des personnes et des collectivités en accordant suffisamment d’attention aux compétences personnelles (estime de soi, développement de l’esprit critique, patience, reconnaissance de sa capacité d’exercer un contrôle sur sa santé et ses déterminants…) et sociales (inclusion, …)
L’éducation pour la santé émancipatrice est et reste un des fondements de la promotion de la santé et de la réduction des inégalités sociales de santé.
2.4.2. Renforcer le développement des connaissances
« De façon essentiellement individuelle. Dans les demandes particulières que font les gens. Ils viennent pour des demandes sociales ou de logement. Ils ont besoin d’informations. Leur demande particulière contient des demandes plus globales. Nous voulons les recevoir en les considérant avec respect et comme une personne globale. Nous leur donnons des informations, nous les orientons. » « Mais pour rendre la prévention accessible à toute la population et éviter que des sous-groupes sociaux ne soient pas informés de leur droit à y accéder, le programme doit veiller à développer des stratégies de communication vers les publics peu ou pas lettrés, de langue étrangère, peu familier avec le français. ».

Le développement des connaissances vise aussi bien les normes et recommandations en matière de santé que la compréhension des processus par lesquels la santé s’installe, se maintient ou se dégrade. Les connaissances doivent aussi porter sur l’existence et le fonctionnement des services de santé (soins de santé, prévention et promotion de la santé)
Renforcer les connaissances des usagers et des collectivités sur les questions de santé et sur les mécanismes sociaux et institutionnels des offres de santé et de promotion de la santé permet une approche citoyenne de la réduction des inégalités sociales de santé (démocratie sanitaire).
2.4.3. Mobiliser et enrichir les représentations
« En pratique, lutter contre les inégalités sociales de santé en travaillant dans le champ de la promotion de la santé, et dans notre cas plus spécifiquement avec une démarche communautaire, met nécessairement l’accent sur la nécessité de travailler notamment avec ces publics. Notamment car agir sur les représentations collectives fait partie de la stratégie et que pour cela, il faut agir sur les représentations individuelles pour que l’ensemble de nos participants œuvrent vers un changement sociétal ; or cela passe nécessairement, dans les activités, par une mise en contact d’individus de différents milieux socio-économiques. De plus, il n’est nullement question de remplacer une injustice par une autre, des exclusions par d’autres. » « Construire une représentation partagée des liens entre la santé des populations précarisées et les réalités sociales en région liégeoise. » « Travail sur les représentations des professionnels. »

Les représentations sont déterminantes quant aux choix de santé. Or, les représentations se constituent à partir de notre vécu corporel, de nos expériences d’interactions avec les autres et notre environnement, mais aussi des informations, savoirs. Elles déterminent la façon dont nous appréhendons les événements de la vie courante. Elles créent un sens commun, elles permettent de classer et d’identifier les objets qui nous entourent. Et peuvent donner lieu à des stéréotypes ou des préjugés.
Tant les usagers que les professionnels de santé sont habités par des représentations. Favoriser une prise de conscience de ces mécanismes, en tenir compte et les mettre en débat, sont des éléments fondamentaux pour un renforcement des capacités des personnes et des collectivités à agir pour leur santé.

La réduction des inégalités sociales de santé. Un défi pour la promotion de la santé. Introduction

Le 30 Déc 20

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« Adapter les stratégies pour faire face aux inégalités devant la santé » est le premier des principes d’action prioritaires fixés par le programme quinquennal de promotion de la santé 2004-2008, prolongé jusque décembre 2011. La réduction des inégalités devant la santé devient la finalité du plan communautaire opérationnel 2008-2009. En référence au rapport de la Fondation Roi Baudouin publié en 2007, il y est précisé que « les personnes défavorisées (difficultés économiques, psychosociales,…) sont davantage confrontées à la maladie que d’autres. Mis à part quelques très rares exceptions, les gradients sociaux de santé se retrouvent pour chaque problématique de santé, et sont visibles tant en termes de mortalité (dont par exemple l’espérance de vie) que de morbidité (santé physique mais aussi santé mentale et bien-être). » En 1991, le rapport « Dalhgren et Whitehead» permet une première diffusion du concept d’inégalités sociales de santé. En 2008, l’OMS publie le rapport de la Commission des déterminants sociaux de la santé et rappelle que « les inégalités sociales de santé sont le fruit de l’injustice sociale » . La réduction des inégalités sociales de santé devient une priorité politique pour de nombreux pays, les publications et groupes de travail régionaux, nationaux ou internationaux se multiplient. L’Union Européenne développe ses propres groupes de travail (Closing The gap et Consortium Determine) qui tentent de recenser des projets issus de différents pays ou régions et d’en tirer des lignes de force et des recommandations. C’est dans ce contexte que le Conseil supérieur de promotion de la santé a rédigé ce document avec l’appui d’un groupe de travail spécifique, à l’intersection entre promotion de la santé et inégalités sociales de santé. Ce document vise à montrer en quoi la promotion de la santé – et plus spécifiquement le secteur promotion de la santé en Communauté française – peut participer à la réduction des inégalités sociales de santé ou du moins, comment elle peut éviter de les augmenter . En d’autres termes, quelles sont les réponses que la promotion de la santé apporte en vue de réduire les inégalités sociales devant la santé ? Notamment, il s’agit :
-d’identifier et d’expliciter les enjeux sous-jacents à la réduction des inégalités dans les différents contextes d’intervention des acteurs de promotion de la santé en Communauté française (y compris en médecine préventive) ;
-de mettre en évidence la diversité des approches et des méthodes qui tendent à réduire les inégalités (diversité, qualité, caractère innovant,…) ;
-d’identifier les leviers que la promotion de la santé peut mettre en œuvre afin de réduire les inégalités sociales de santé en distinguant et en articulant les divers territoires d’intervention (local, loco-régional, communautaire…). Il paraît également indispensable, en introduction à ce document, de rappeler que la santé exige un certain nombre de conditions et de ressources préalables, l’individu devant pouvoir notamment : se loger, accéder à l’éducation, se nourrir convenablement, disposer d’un certain revenu, bénéficier d’un éco-système stable, compter sur un apport durable de ressources, avoir droit à la justice sociale et à un traitement équitable. Tels sont les préalables indispensables à toute amélioration de la santé, énoncés dans la Charte d’Ottawa.