Nous avons publié récemment un texte de réflexions de Martin de Duve, directeur de l’asbl Univers santé, plaidant en faveur de la création d’un Conseil fédéral de la publicité (1). Cet article a suscité un droit de réponse du Conseil de la Publicité asbl. Nous le reproduisons ci-dessous, assorti des commentaires de l’auteur de l’article (en italiques à la fin).
Depuis 2008 (et non 2007 comme mentionné par erreur dans l’article dont question), le Jury d’Éthique Publicitaire (JEP) est composé de façon paritaire, à savoir que la moitié de ses membres provient de la société civile (membres proposés par Test-Achats, membres sélectionnés en collaboration avec la Fondation Roi Baudouin, membres issus du secteur académique, membre proposé par l’Institut pour l’égalité entre les femmes et les hommes, etc.) et que l’autre moitié émane du secteur publicitaire (annonceurs, agences et médias). Il est donc totalement erroné de prétendre, comme dans l’article en question, que dans le JEP, « les représentants commerciaux du secteur restent majoritaires » et que « le conflit d’intérêt est donc flagrant ». La liste des membres du JEP figure sur le site http://www.jep.be .
Il convient ensuite d’être exhaustif dans la liste des types de médias relevant du domaine de compétence du JEP, à savoir la presse quotidienne, la presse régionale gratuite, les périodiques, les magazines, la radio, la télévision, le cinéma, l’affichage, l’internet, les e-mailings et le direct mail.
Vu que l’article évoque des questions de santé, il est important de souligner qu’en matière de messages promotionnels portant sur l’alcool, le JEP est compétent pour « toute communication ayant comme but direct ou indirect de promouvoir la vente des boissons contenant de l’alcool , quel que soit le lieu ou les moyens de communication mis en œuvre » (article 1 de la Convention en matière de conduite et de publicité des boissons contenant de l’alcool – above et below).
Concernant la Convention précitée, l’article en question affirme erronément que « de telles mesures concernant la publicité ( l’autorégulation , telle la convention réglementant la publicité pour l’alcool ) ne devraient pas être proposées par le secteur lui – même ». En réalité, cette Convention a été conclue en 2005, sous l’égide du Ministre de la Santé publique, par les acteurs du secteur professionnel concerné d’une part mais également par des associations de consommateurs, à savoir Test-Achats et le CRIOC. C’est le Ministre susmentionné qui a proposé de conférer un cadre légal à cette Convention.
Par ailleurs, il est utile de noter que le JEP, agissant notamment sur la base de plaintes, dispose d’un véritable pouvoir lui permettant de faire modifier ou stopper la diffusion des publicités non conformes aux textes légaux et/ou autodisciplinaires. Les annonceurs respectent en effet volontairement les décisions du JEP dans 98% des cas. À défaut, le JEP s’adresse aux médias concernés qui arrêtent sur le champ la diffusion des publicités litigieuses. Il s’agit de l’essence même du système autodisciplinaire. Il est également intéressant de relever qu’en cas de récidive d’un annonceur, le JEP a le pouvoir d’exiger que ce dernier lui soumette sa prochaine campagne avant diffusion.
En outre, il est intéressant de constater que le JEP présente toutes les caractéristiques du « Conseil fédéral de la publicité » faisant l’objet d’un plaidoyer dans l’article en question. Sa procédure est « claire , précise et transparente ». Le JEP fonctionne en effet sur la base d’un règlement disponible sur son site. Les Codes d’éthique qu’il applique et les décisions qu’il rend sont également consultables sur ce site. Il a un « pouvoir réellement contraignant », produit des « résultats effectifs et mesurables » comme expliqué ci-avant. Il est rapide dans la mesure où il traite les dossiers dans un délai moyen de 10 jours. Lorsqu’il n’est pas compétent pour certaines matières, il renvoie le cas échéant les plaignants vers des organes tels que le Service médiation et contrôle du SPF Économie, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le Vlaamse Mediaraad, etc. L’intérêt de créer un organe supplémentaire (qui devrait encore faire ses preuves) reste donc pour le moins obscur.
Enfin, on ne peut que souscrire à une affirmation reprise dans l’article, à savoir que « promouvoir des contextes plus favorables à des consommations responsables implique aussi de promouvoir des politiques publiques saines ». Parmi les différents rôles que la publicité joue dans notre société (fonction économique, émergence d’innovations, financement des médias, rôle d’information), relevons l’opportunité de se mettre au service de la bonne cause au travers des messages d’intérêt général qui n’utilisent pas d’autres codes que ceux de la publicité.
Sandrine Sépul , Directrice du Conseil de la Publicité asbl
Il est évident que le secteur «commercial» et le secteur «associatif», du moins en partie, et ce depuis bien longtemps, ne partagent pas la même vision de la responsabilité, de l’engagement sociétal, de l’intérêt public, de l’éthique, du service à la société, des politiques publiques saines ou encore du conflit d’intérêts… Il est raisonnable de croire que lorsque les intérêts divergent, en général les interprétations divergent aussi.
À lire les réactions autour de ce projet de création d’un Conseil fédéral de la publicité, organe de régulation des pratiques commerciales transparent, aux missions multiples et publiques, ces divergences sont flagrantes, comme en témoigne le droit de réponse de Madame Sépul, au-delà des mises au point ponctuelles qu’elle exprime.
À jouer sur les mots ou les concepts, voici quelques remarques et/ou précisions par rapport à la lecture que le secteur de la publicité a fait de mon texte.
Premièrement, je reconnais volontiers avoir attribué une volonté de ‘démocratisation’ du Jury d’éthique publicitaire antérieure à ce qui a été effectivement mis en place. Le JEP a modifié sa composition en 2008, en non en 2007 comme je l’indiquais dans mon article. Je lui faisais donc crédit d’une année supplémentaire d’engagement citoyen…
Par ailleurs, concernant l’ensemble des médias sur lesquels le JEP s’octroie la compétence, les interprétations divergent: là où j’entends «presse écrite», le JEP dit «presse quotidienne, presse régionale gratuite, périodiques, magazines», ce qui semble donc exclure de facto certains autres médias écrits; là où j’évoque «l’Internet», le JEP dit «l’internet, les e-mailings et le direct mail», voilà qui est peut-être plus précis mais qui n’étend pas pour autant son champ de compétence aux principaux médias «below the line».
Quant à la convention «Arnoldus», exemple emblématique selon moi de dysfonctionnement de l’autorégulation, il y est fait une interprétation assez naïve de l’engagement des acteurs publics et privés: les associations de consommateurs étaient en effet présentes lors de la signature de cette convention, mais le nombre de signataires du secteur commercial (8) et du secteur de la protection des consommateurs (2) confirme le déséquilibre flagrant que nous dénonçons.
J’invite également le Conseil de la publicité à bien relire notre projet de création d’un Conseil fédéral de la publicité. Ses missions divergent bien de celles du JEP qui se limite à l’autocontrôle de ses membres. Notre projet vise en effet des fonctions plus larges et complémentaires: contrôle public de l’éthique et sanctions lorsque nécessaire, analyse des pratiques commerciales et publicitaires, soutien à l’éducation aux médias. Les caractéristiques de ce Conseil fédéral sont donc bien éloignées des missions d’autocontrôle que le JEP s’octroie aujourd’hui et de l’organe dont il est issu, qui a pour mission principale «la promotion, la valorisation et la défense de la communication publicitaire et de sa liberté, facteur d’expansion économique» tel qu’indiqué dans le premier paragraphe de son règlement.
Je terminerai en soulignant le fossé entre nos points de vue lorsqu’on évoque la nécessité de mise en place de politiques publiques saines. Le JEP y voit l’intérêt de la publicité dans ses fonctions économiques et informatives (rappelons, si c’était nécessaire, que la publicité n’est pas de l’information) et confond publicité commerciale et campagnes de prévention d’intérêt général. Nous rappelons que la publicité se définit comme une action de communication ayant pour but direct ou indirect de promouvoir la vente d’un produit.
Nous laissons le lecteur juge de l’étendue de nos divergences et le laissons bien entendu aussi libre de considérer la préoccupation éthique comme une responsabilité légitime du secteur commercial de la publicité ou comme une responsabilité collective et publique exempte de tout risque de conflit d’intérêt telle que nous l’entendons.
Martin de Duve , Directeur d’Univers santé asbl
(1) Intérêts économiques et santé publique: équation impossible? Plaidoyer en faveur d’un Conseil fédéral de la publicité, par Martin de Duve, Éducation Santé n°268, juin 2011, http://www.educationsante.be/es/article.php?id=1383 .