En 2022, la Plateforme Prévention Sida a lancé un nouveau projet participatif dans le but d’améliorer la santé sexuelle des femmes afro-latino-caribéennes en Belgique francophone. Ce projet est le résultat de constats récurrents concernant l’irrégularité de la fréquentation des lieux et des services de santé sexuelle (planning familiaux, associations de prévention…) par les femmes afro-latino-caribéennes. Les acteurs de terrain constatent également une certaine difficulté dans le fait d’aborder la sexualité avec ces femmes. Ce projet s’inscrit dans une volonté de tenir compte des violences de genre dont elles sont victimes dans la prise en charge de leur santé sexuelle.[1]
Avec ce projet nous avons voulu renverser la question fréquemment posée à savoir : “Pourquoi les femmes afro-latino-caribéennes ne fréquentent-elles pas les lieux de prévention et de promotion de la santé sexuelle ?”, et nous interroger sur ce dont les femmes ont réellement besoin (en termes de lieux, de ressources, de personnes de contact, de sujets à aborder…) pour prendre soin de leur santé sexuelle.
Ce projet, initié par la Plateforme Prévention Sida, est participatif et regroupe un ensemble de partenaires actifs auprès des femmes afro-latino-caribéennes, d’associations communautaires et de femmes “relais” issues du public concerné : Culture et Santé, Free Clinic, Entr’Aide des Marolles, Gams, Siempre, Woman Now, GFAIA, Croix Rouge (centre Jette), Muso Yiriwaton, Collectif des femmes sans papier, Mandela.
Où sont les femmes migrantes ?
Les femmes représentent plus de la moitié des personnes qui migrent [2], pourtant elles sont peu représentées parmi les personnes qui ont accès aux services de santé sexuelle. En effet, il n’est pas rare d’entendre les professionnel·les de la santé et de de la promotion de la santé évoquer leurs difficultés à aborder les questions relatives à la santé sexuelle avec les femmes migrantes. Pour certain·es, s’ajoute aussi la difficulté de les mobiliser autour de ces questions ou encore le fait qu’elles ne se déplacent pas en consultation. Par exemple, lors de nos actions de dépistage, nous recevons une majorité d’hommes. En effet, pour l’année 2021, nous avons dépisté 274 hommes pour 159 femmes. [3]
Cependant, lors de certaines de nos activités, nous avons déjà pu constater une demande de la part des femmes d’avoir un meilleur accès à l’information. Nous constatons aussi une grande réceptivité de leur part lorsque des actions de prévention à leur intention leur sont proposées.
Au sein du projet FABSS, nous avons donc souhaité questionner cette invisibilité des femmes afro-latino-caribéennes et en comprendre les mécanismes afin de dépasser les arguments, souvent entendus, de type « les femmes migrantes ne sont pas intéressées par la santé sexuelle » ou encore « elles ne veulent pas en parler ».
Les objectifs du projet FABSS
Le projet consiste à réaliser une recherche-action auprès et avec des femmes afro-latino-caribéennes en leur donnant la parole afin de déterminer ce qui correspond le mieux à leurs besoins et attentes en termes de services de prévention et d’accompagnement de la santé sexuelle (en termes de lieu, d’action, de personnes ressources et d’accueil…). L’objectif final étant de définir avec les femmes des recommandations dans ce domaine qui tiennent compte de leurs besoins. Le projet a pour objectif de favoriser l’empowerment des femmes impliquées dans le projet, et plus largement, de toutes les femmes. Les attentes et besoins des groupes cibles sont pris en compte dès le début du projet pour assurer l’adéquation entre les besoins et les réalisations, communications comprises. Nous avons également souhaité, par l’intermédiaire de ce projet, offrir une visibilité et une reconnaissance au travail fourni par les associations communautaires auprès des femmes afro-latino-caribéennes.
La participation au cœur du projet
Dès le départ, nous avons souhaité placer la participation active du public cible au cœur de nos réflexions sur la mise en place du projet. Nous souhaitions en effet faire participer ce public au maximum et le plus rapidement possible dans le processus. La participation des publics a été envisagée afin d’atteindre deux objectifs : d’un côté, augmenter l’adéquation entre les besoins réels du public et les réponses mises en place ; et de l’autre, favoriser l’empowerment des participantes en leur offrant une expérience transformatrice qui leur permette d’acquérir des compétences utiles pour prendre en charge leur santé sexuelle et celle de leur(s) communauté(s).
Bien qu’il s’agisse d’une « participation invitée » [4] puisque la Plateforme Prévention Sida est à la base de la création du projet, nous avons voulu laisser la place aux participantes pour donner leur avis sur les étapes à mettre en place et la façon de les réaliser. Nous pouvons donc parler d’une « participation-action » telle que définie par Charbonnier [5], dans le sens où le public a pu s’exprimer et s’investir tout au long du projet à partir du moment de sa mobilisation. Concrètement, un groupe de travail composé de femmes relais issues du public et formées à la mobilisation a été amené à s’exprimer et s’engager à chaque étape du projet (rédaction des grilles d’entretien, mobilisation, focus group, analyse des résultats, préparation de la journée de mobilisation…). Il en a été de même pour un comité d’accompagnement qui regroupait à la fois des professionnel·les de la santé en lien avec le public et des associations communautaires (soutien à la méthodologie, mobilisation, préparation de la journée et implication dans sa mise en place…).
Afin de nous assurer une large participation et de permettre également à des publics vulnérables de participer aux différentes étapes, nous avons mis en place un ensemble de mesures pour éviter les freins à la mobilisation du public. Lors de notre journée de mobilisation du 25 juin, par exemple, nous avons insisté sur la convivialité en alternant les moments formels et informels, en favorisant un lieu facile d’accès, en assurant la gratuité et le remboursement des frais de transports, en mettant une garderie à disposition, en assurant la présence de traduct·rice·eurs, etc.
Au-delà de la participation, nous souhaitions valoriser et faire reconnaître l’expertise des publics impliqués dans le projet, non seulement en rémunérant au juste prix leur participation aux focus groups mais également en leur offrant un espace pour promouvoir leur savoir et construire ensemble les recommandations en matière de prévention en santé sexuelle.
Résultats préalables et perspectives
Le projet a permis de mettre en avant un certain nombre de recommandations afin d’améliorer la santé sexuelle des femmes afro-latino-caribéennes. Ces recommandations ont été validées lors de la journée de mobilisation et regroupées en quatre catégories, en fonction des différents niveaux auxquels elles se référent : le niveau individuel, le niveau relationnel, le niveau institutionnel et le niveau sociétal/communautaire. Elles ont ensuite été priorisées et des actions pour les mettre en œuvre ont été envisagées pour certaines d’entre elles. Le rapport final reprenant toutes ces recommandations sera disponible sur www.cool-and-safe.org à partir d’octobre 2022.
Nous pouvons déjà mettre en avant l’importance, au niveau individuel, d’augmenter les connaissances des femmes concernant leur corps afin qu’elles puissent se le réapproprier et ainsi augmenter leur autonomie dans la prise en charge de leur santé sexuelle. Au niveau relationnel, les femmes ont mis en avant l’importance d’ouvrir le dialogue sur les questions liées à la sexualité et les représentations de genre entre hommes et femmes mais également entre générations au sein des familles. Elles demandent notamment à être renforcées et soutenues dans cette démarche. Au niveau institutionnel, les femmes sont demandeuses d’être d’accompagnées dans la prise en charge de leur santé sexuelle dans des lieux adaptés et sécurisants, avec des professionnel·les formé·es et avec qui elles peuvent établir un lien de confiance. Elles demandent que les professionnel·les créent l’opportunité d’aborder les questions de santé sexuelle. Enfin, au niveau sociétal, il est important de travailler la question des violences et des inégalités basées sur le genre dont sont victimes les femmes afro-latino-caribéennes, et ce, dans une perspective intersectionnelle. Il s’agit de proposer des solutions concrètes qui tiennent compte de leurs réalités de vie.
La grande mobilisation autour de ce projet, avec pour exemple la mobilisation de 60 femmes lors de la journée du 25 juin et l’accueil plus que favorable qu’il a reçu auprès des femmes, nous confortent dans l’idée que le projet FABSS répond à un besoin réel des femmes. Notamment celui d’être non seulement sollicitées, mais également impliquées dans la prise en charge de leur santé sexuelle, ainsi que leur besoin d’informations et de renforcement de capacités dans ce domaine. Cela nous encourage à poursuivre ce projet et à maintenir la mobilisation pour permettre la mise en application des recommandations.
Contact
Plateforme Prévention Sida, Place de la Vieille Halle aux blés 29-28, 1000 Bruxelles.
+32 (0)2 733 72 99 – info@preventionsida.org
https://preventionsida.org/fr/
Références
[1] Florquin, Stéphanie (2021). Besoins et demandes en matière de santé et droits sexuels et reproductifs des femmes concernées par les mutilations génitales féminines en Région de Bruxelles-Capitale, Rapport du diagnostic communautaire mené dans le cadre du Réseau bruxellois contre les MGF. Bruxelles, Ed : GAMS Belgique.
[2] HCR. http://www.unhcr.org/fr/femmes.html
[3] Rapport Activité Projet Action Test (2022), Plateforme Prévention Sida.
[4] Cornwall A. Unpacking « Participation » : model, meanings and practices. Community Development Journal 2008 ; 43(3) : 269-83
[5] SCHEEN B. Promotion de la santé et démarche participatives : Décryptage et point d’attention, Woluwe-Saint-Lambert : RESO, 2018