Mars 2018 Par Juliette VANDERVEKEN Education Santé Réflexions

« Au moins un patient sur dix est en difficulté avec l’écrit et peut être en danger si on n’en tient pas compte ! ». Education Santé a participé à une matinée de sensibilisation à la problématique de l’illettrisme, organisée par l’asbl Lire & Ecrire à destination des professionnels de la santé.

Au programme de cette matinée, nous avons tout d’abord interrogé nos représentations de l’illettrisme, avant d’en aborder les causes et les conséquences. Ensuite, nous avons échangé sur le lien entre l’illettrisme et la santé, les « trucs et astuces » pour le reconnaître auprès des patients et oser l’aborder.

Au moins un patient sur dix

L’illettrisme vous semble être une problématique d’un autre âge ? Pourtant, aujourd’hui on estime qu’il concerne environ 10% de la population en Belgique. Il n’existe pas de données statistiques précises, les estimations sont issues de données croisées entre les résultats des études PISA, des recherches, les observations de terrain, etc.

Qu’entend-t-on par « illettrisme » ?

L’illettrisme ne se limite pas à l’analphabétisme, c’est-à-dire « l’état d’une personne qui n’a jamais appris à lire et écrire ». Il caractérise les personnes « qui n’arrivent pas à lire et à comprendre un texte simple et court en rapport avec sa vie quotidienne (et dans sa langue maternelle) ». Il ne concerne donc pas non plus les personnes d’origine étrangère qui ne maîtrisent pas notre langue. Chez Lire & Ecrire, de nombreux apprenants sont des « belgo-belges » francophones qui ne maîtrisent pas la lecture et l’écriture, ou qui l’ont perdue. Parmi ces derniers, les animatrices nous relatent que la grande majorité d’entre eux pensent être les seuls dans ce cas et en éprouvent un sentiment de honte très fort.

Les causes sont multiples et variées. Souvent, on retrouvera un contexte de précarité financière mais pas dans tous les cas. Sont cités aussi : la précarité sociale, des troubles de l’apprentissage non pris en compte, un entourage non stimulant… Les causes ne sont pas uniques et se retrouvent  pour chacun dans une combinaison de facteurs.

Bien que l’école primaire soit obligatoire en Belgique, « si on ‘rate le coche’ à l’école vers ses 7 ans, passé la première ou deuxième primaire, c’est trop tard dans notre système éducatif » souligne une animatrice. Et le moyen de remédiation massivement appliqué chez nous est le redoublement des élèves. « Ce système ne fait pas ses preuves, on fait porter la responsabilité à l’enfant, ou ses parents, et on apporte une réponse collective à un problème individuel. », ajoute-t-elle.

Des conséquences lourdes pour la santé

La problématique de l’illettrisme nous renvoie au concept de la « littératie en santé », ou la capacité d’une personne à obtenir, interpréter et comprendre des informations en lien avec la santé afin de pouvoir faire des choix éclairés pour maintenir ou améliorer sa santé ou celle de son entourage. Or, de très nombreuses situations requièrent l’accès à la lecture et l’écriture pour obtenir et comprendre les informations : de la prise de rendez-vous (trouver le bon interlocuteur, noter les informations de rendez-vous, s’orienter dans un hôpital…) à la médication (lire les notices, comprendre les effets indésirables, adapter les posologies…) en passant par les explications et recommandations du médecin, les papiers pour la mutuelle ou autres démarches administratives… Les obstacles sont nombreux et les conséquences peuvent être dramatiques pour la santé.

L’anxiété, l’isolement et l’impact négatif sur l’estime de soi sont trois thèmes qui reviennent tout au long de la matinée de sensibilisation. D’autres conséquences émergent aussi au fil des discussions : la difficulté pour trouver un emploi, la difficulté à sortir des terrains connus (son quartier où l’on a ses habitudes par exemple), la dépendance aux autres, le peu d’autonomie, la contrainte pour la famille (des enfants qui se trouvent à traiter des problèmes d’adultes pour aider leurs parents, par exemple), etc.

La problématique de l’illettrisme, ses causes et conséquences touchent aux inégalités de santé.

« Une femme de 25 ans disposant d’un diplôme de l’enseignement supérieur peut espérer vivre 18 ans de plus en bonne santé qu’une femme du même âge n’ayant suivi aucun enseignement » (projet TAHIB, ISSP, 2010)

Le détecter…

Plusieurs signes peuvent mettre la puce à l’oreille auprès des professionnels de santé. Par exemple, si une personne vient toujours accompagnée en consultation, si elle a systématiquement « oublié ses lunettes pour lire», si les enveloppes ne sont jamais ouvertes dans son sac, le recours systématique aux urgences de l’hôpital pour être sûr de voir un médecin… Chacun dans la salle évoque des moment où  il a « eu des soupçons », mais personne n’a osé poser la question.

…Et l’aborder

« Brisez le tabou ! » nous exhortent les animatrices. Elles ont trop souvent entendu les apprenants qui viennent chez Lire & Ecrire dire « j’attendais qu’on me le demande, je n’ai pas osé le dire mais je l’aurais dit si on me l’avait demandé ».

Gilles Henrard, médecin généraliste, a entamé tout un travail en partenariat avec Lire & Ecrire. Suite à ses rencontres avec des patients illettrés, il propose quelques pistes à ses confrères pour « améliorer sa communication, particulièrement avec les patients analphabètes » :

  • ralentissez;
  • évitez le jargon médical ;
  • montrez ou dessinez des illustrations ;
  • limitez le nombre d’informations données à chaque contact et répétez-les ;
  • faites répétez ce que vous avez dit, faites faire par le patient les gestes que vous avez décrits pour confirmer sa compréhension ;
  • soyez empathiques et encouragez le patient à participer à ses soins.

La matinée de sensibilisation organisée par Lire & Ecrire a permis de remettre en lumière cette problématique encore trop «  taboue » dans nos pratiques de santé et trop souvent oubliée dans les projets, les animations, les campagnes de prévention… Dans une perspective de promotion de la santé, n’oublions désormais pas/plus de prendre en compte ce public concerné par l’illettrisme.

Pour en savoir plus sur l’asbl « Lire & Ecrire » : www.lire-et-ercire.be