Première partie: construction d’une démarche de promotion de la santé
Envisager de nouvelles pistes de prévention concernant les jeunes et le tabac, en situation de vulnérabilité, voilà le défi que s’est donné le Service Prévention tabac de la FARES. Qui plus est, découvrir des pistes en plaçant le tabac dans le cadre plus général des assuétudes et de la promotion de la santé. L’intérêt de décloisonner tabac et autres assuétudes est multiple. Parmi les nombreux aspects dont peut bénéficier la prévention tabac, j’en épingle deux: la consommation et la dépendance.
Consommation et dépendance
Pour des drogues dites dures, des démarches de consommation à moindre risque ont été développées: c’est ce qu’on nomme la réduction des risques (RDR). Cette démarche permet de se situer dans un modèle explicatif des usages de drogues qui tient compte de la personne, de l’environnement, du produit et des interactions entre ces différentes données. Cette démarche n’induit pas une prise de position morale par rapport aux consommations. Depuis quelques années des scientifiques se penchent sur la question de la réduction des risques et du tabac, de nombreuses questions devraient faire l’objet de recherches. L’asbl Modus Vivendi intégrait cette question dans un atelier des Assises de la réduction des risques (RDR) en décembre dernier.
En ce qui concerne la dépendance, la prévention tabac a tout intérêt à bénéficier du travail réalisé depuis de nombreuses années à propos d’autres assuétudes, si l’on postule que la dépendance s’exerce en terme d’intensité des interactions entre une personne, un produit et un environnement. Des organismes s’occupant des drogues ont intégré depuis de nombreuses années ce type d’approche dans une démarche pédagogique. Infor-Drogues et Prospective Jeunesse en font partie.
La construction du partenariat
Le principe d’une recherche-action, menée avec des partenaires reconnus dans la prise en compte des drogues illicites mais aussi la promotion de la santé, a été adopté.
Le partenariat est une des trois stratégies fondatrices de la démarche participative entreprise, avec la mise en réseau et l’accompagnement de projet. Le Service Prévention tabac de la FARES, le Centre local de promotion de la santé de Bruxelles, Infor-Drogues et Modus Vivendi ont voulu apporter un éclairage nouveau à la prévention tabac par un travail spécifique avec les acteurs de terrain.
Les différents partenaires amènent des éclairages et des compétences particulières, les approches ont été considérées comme complémentaires: l’approche méthodologique promotion santé, l’approche prévention des drogues au sens large, l’approche réduction des risques. Deux partenaires viennent de rejoindre le groupe, PROMES-ULB et Prospective Jeunesse pour le travail avec les relais jeunes.
Les partenaires ont été sollicités dès avant l’introduction d’une demande de financement auprès de la Communauté française. Une ou plusieurs rencontres avec chaque partenaire ont permis de placer des balises. Pas évident pour une institution de se positionner face à une démarche dans laquelle presque tout est à construire encore, mais ensemble!
Le partenariat s’est constitué en Groupe de recherche, baptisé GR par analogie avec les sentiers de Grande Randonnée. La collaboration mise en place nécessite en effet une boussole, une bonne paire de chaussures pas trop neuves, la volonté manifeste pour chacun d’aboutir, du leadership aux croisements non identifiés, de l’humour et le dernier ingrédient n’est pas le moins important, du temps pour penser à ce que l’on veut.
A l’évaluation, le climat instauré par le groupe s’est confirmé tout aussi important que les compétences de chacun des partenaires. Des composantes du climat ont été identifiées comme facteurs facilitant le changement et l’innovation(1). Il s’agit de l’humour, la liberté, la confiance, l’implication personnelle, le temps de réflexion, l’absence de conflits, l’ouverture aux idées, le débat, la prise de risques. De même que la concertation avant la prise de décision, la poursuite de résultats tangibles, l’évaluation continue sont des éléments porteurs dans une dynamique de partenariat.
L’élaboration d’un premier référentiel commun a été poursuivie, en déterminant entre partenaires les notions clés à mettre en question avec les acteurs de première ligne.
Démarche participative: l’écoute des acteurs de terrain
Même si, et surtout parce que, beaucoup de choses ont déjà été dites et écrites à propos du tabac, il a semblé essentiel de revenir à la source même de nos actions, de rencontrer le public des professionnels, d’écouter, ce qu’ils souhaitent dire (croyances, avis, attentes, actions…) par rapport au tabac et à la prévention tabac: le tabac est-il prioritaire pour eux? Savent-ils ce que les jeunes en pensent? Travaillent-ils déjà ces questions avec les jeunes et comment? Comment sont vécues les consommations dans leur institution? Avec le cannabis est-ce la même chose? Le tabac est-il une ‘drogue’? Pensent-ils avoir un rôle à jouer?
Il nous a paru nécessaire de réunir des données qualitatives afin construire un socle de base avec les acteurs de terrain, en vue d’élaborer des pistes d’actions intégrées dans une dynamique de projet. Le travail avec les relais (2) est privilégié afin de pouvoir intégrer la problématique tabac/assuétudes à une dynamique de projet en accord avec les missions des institutions.
C’est avec ces professionnels que nous avons choisi de mener un travail de sensibilisation et d’amélioration des compétences sur la problématique tabac/assuétudes. L’idée n’est pas de donner une mission supplémentaire mais bien d’apporter l’éclairage promotion santé dans les pratiques professionnelles mises en place pour accomplir les missions.
Au travers de ces différents milieux d’action, la famille est également visée et les parents considérés comme des acteurs de santé. Même si la famille n’a pas été interrogée directement comme milieu de vie, l’environnement familial est présent en filigrane dans les différentes démarches de travail des relais: soit directement en vertu de leur mission (milieux résidentiels ou non résidentiels d’aide aux jeunes), soit indirectement comme les écoles, même si c’est pour faire un constat en termes de manque d’interactions avec les parents.
Les milieux de vie considérés ont été choisis de manière précise. En effet, les associations prises comme références accueillent (peu ou prou) des jeunes en situation de vulnérabilité sociale et familiale: Accueil en Milieu Ouvert, services d’Aide à la Jeunesse, internats scolaires accueillant des élèves de l’enseignement technique et professionnel, écoles techniques et professionnelles, centres d’éducation et de formation en alternance (CEFA), maisons de jeunes, centre d’accueil de réfugiés, services sociaux, maisons de quartier, centres de planning familial…
On ne pouvait interroger les adultes sans, à un moment ou un autre, interroger les jeunes à leur tour. La méthode utilisée est celle des ‘focus groupes’ appelés aussi ‘groupes Es-pairs’ (l’expression vient de l’asbl Modus Vivendi et a un double signifié: expert et entre pairs). L’objectif de ces groupes est de confronter les jeunes aux représentations des adultes relais, dans l’hypothèse que leurs points de vue seraient sans doute divergents.
Cette démarche de proximité est mise en œuvre localement avec l’appui des centres locaux de promotion de la santé.
Nous aborderons prochainement de manière plus détaillée la perception qu’ont les acteurs de terrain de la problématique et la construction de la démarche avec les relais.
Cécile Plas , chargée de projet à la FARES
Pour suivre
Un deuxième article explorera les regards des acteurs de terrain, et un troisième sera consacré à la construction de la démarche avec les relais.
(1) EKVALL G., ARVONEN J., WALDENSTROM-LINDBLAD I., « Creative organisational climate: construction and validation of a measuring instrument » Stockholm, Sweden: The swedish Council for Management and Organisational Behaviour 1983.
(2) Relais: acteurs professionnels de première ligne ayant une mission auprès des jeunes dans leurs différents milieux de vie.