Un rapport portant sur la cybersanté dans la Région européenne de l’OMS révèle que des progrès tangibles ont été réalisés, avec des avantages évidents pour de nombreux pays. Pourtant, malgré les exemples édifiants de réussites dans ce domaine, l’adoption de la cybersanté n’est pas uniforme au sein de l’Union européenne. Qu’en est-il en Belgique?
Les enjeux de la cybersanté
La cybersanté désigne toute activité dans laquelle un moyen électronique est utilisé pour fournir des informations, des ressources et des services d’ordre sanitaire. Elle couvre de nombreux domaines, notamment les dossiers de santé électroniques, la télésanté, la santé mobile, l’apprentissage en ligne dans le domaine sanitaire, les médias sociaux, etc.
Zsuzsanna Jakab, directrice de l’OMS Europe, a déclaré «le 21e siècle est balayé par une vague technologique, apportant avec elle un énorme potentiel d’innovation sanitaire. Dans de nombreux pays, la cybersanté est en train de révolutionner la prestation des soins de santé ainsi que l’information sanitaire requise à cet effet. Les patients deviennent de plus en plus autonomes parce qu’ils ont accès aux informations et aux conseils. La qualité des soins s’améliore en conséquence, mais cette situation remet en cause le rôle traditionnel des professionnels de santé». En effet, notre système de santé doit faire face au vieillissement de la population, à l’augmentation des maladies chroniques et à la complexité des pathologies. Un nombre toujours plus important de différents professionnels de santé est impliqué dans la prise en charge d’un patient, ce qui nécessite des changements dans les processus thérapeutiques. Les technologies numériques investissent aujourd’hui de plus en plus ce champ et permettent sans nul doute de répondre à cette nouvelle évolution. Elles offrent un fort potentiel d’amélioration de la qualité du suivi, renforcent la sécurité du patient, favorisent la collaboration des professionnels, facilitent l’échange d’informations entre ceux-ci et le patient et in fine, permettent une plus grande efficacité du système de santé.
Europe, un engagement clair et des efforts à poursuivre
Le rapport paru en mars 2016 révèle que 93% des États membres de l’Union européenne (42 pays) ont consacré des fonds publics aux programmes de cybersanté. 81% (35 pays) déclarent que leurs organisations de soins de santé utilisent actuellement les médias sociaux pour promouvoir les messages de santé dans le cadre de campagnes sanitaires. 91% (40 pays) indiquent que les personnes et les communautés ont recours aux médias sociaux pour s’informer davantage sur les questions de santé.
Ces chiffres révèlent l’intérêt témoigné au rôle potentiel des médias sociaux comme mode de communication à l’adresse des patients et des professionnels de santé. Néanmoins, 81% des États membres déclarent ne disposer d’aucune politique nationale régissant l’utilisation de ceux-ci dans les soins de santé qui, par conséquent, reste informelle et non réglementée. De la même façon, 73% des États membres (33 pays) ne disposent pas d’un organisme chargé de la surveillance réglementaire des applications mobiles dans le domaine de la santé afin d’en garantir la qualité, la sécurité et la fiabilité. Les pays sont donc exposés à un risque potentiel, là où 80% d’entre eux ont pourtant légiféré dans le domaine de la protection de la confidentialité des données personnelles contenues dans les dossiers de santé électroniques.
Le rapport conclut en soulignant l’engagement des États membres en faveur de la cybersanté, qu’il considère comme facteur-clé dans l’accès aux services et informations de santé en Europe, de la même manière que dans le processus de collecte, de gestion et d’utilisation des données. Il propose une structure de gouvernance précise en vue de superviser, entre autres, la mise en œuvre, la législation, les registres cliniques et la protection juridique. Il plaide enfin pour la définition des normes de la cybersanté et pour un financement durable permettant de continuer à investir dans ce champ afin de réaliser les objectifs de la politique Santé 2020.
Belgique, eHealth: une plateforme multi-services pour les professionnels et les patients
En Belgique, lorsque l’on parle de cybersanté, on songe naturellement à la plateforme eHealth, instituée par la loi du 21 août 2008. Il s’agit d’une institution publique créée afin d’instaurer un échange sécurisé de données à caractère personnel relatives à la santé entre les acteurs des soins de santé. Cette plateforme propose gratuitement une série de services de base, qui offrent les garanties nécessaires en termes de sécurité des informations, de protection de la vie privée du patient et du prestataire de soins et de respect du secret médical.
Ainsi, la plate-forme eHealth a pour mission:
- de promouvoir et de soutenir une prestation de services et un échange d’information mutuels électroniques bien organisés, entre tous les acteurs des soins de santé;
- avec les garanties nécessaires en ce qui concerne la sécurité de l’information, la protection de la vie privée du patient et du prestataire de soins et le respect du secret médical.
Et de cette façon:
- d’optimaliser la qualité et la continuité des prestations de soins de santé;
- d’optimaliser la sécurité du patient;
- de simplifier les formalités administratives pour tous les acteurs des soins de santé;
- et d’offrir un soutien solide à la politique en matière de soins de santé.
En 2012, un premier Plan d’action e-Santé concret est établi pour 5 ans. Les résultats ne se font pas attendre puisque début octobre 2015, 1,93 millions de Belges avaient déjà donné leur consentement pour l’échange électronique de leurs données médicales entre prestataires de soins (ce chiffre était de 352 000 au début octobre 2014). Durant le mois de juillet 2015, les prestataires de soins belges avaient échangé entre eux 3,7 millions de messages via la eHealthBox sécurisée (contre 2,5 millions en juillet 2014). Et chaque mois, les prestataires de soins, essentiellement les pharmaciens, se renseignaient plus de 11 millions de fois sur la situation d’assurabilité de leurs patients.
Au vu de ce succès, en octobre 2015, le Plan d’action fédéral est actualisé par la Ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, Maggie De Block et ses huit collègues régionaux, qui s’engagent à exploiter de manière optimale les possibilités de l’e-Santé.
Les 10 missions du Plan d’action e-Santé
- Le développement d’une vision et d’une stratégie en matière d’eHealth.
- Déterminer des normes, des standards, des spécifications fonctionnelles et techniques et une architecture de base utiles en matière d’ICT.
- Enregistrer des logiciels pour la gestion de dossiers électroniques de patients.
- Concevoir, développer et gérer une plateforme de collaboration pour l’échange électronique de données sécurisé, ainsi que les services de base connexes.
- S’accorder sur une répartition des tâches et sur les normes de qualité et vérifier si les normes de qualité sont respectées.
- Promouvoir et coordonner la réalisation de programmes et de projets.
- Gérer et coordonner les aspects ICT de l’échange de données dans le cadre des dossiers électroniques de patients et des prescriptions médicales électroniques.
- Intervenir en tant que tiers de confiance pour le codage et l’anonymisation de données à caractère personnel relatives à la santé pour le compte de certaines instances énumérées dans la loi, à l’appui de la recherche scientifique et de la politique.
- Être le moteur des changements nécessaires en vue de l’exécution de la vision et de la stratégie en matière d’eHealth.
- Organiser la collaboration avec d’autres instances publiques chargées de la coordination de la prestation de services électroniques.
Ainsi, le Plan d’action actualisé comporte 20 points d’action concrets. Les principales adaptations par rapport à la première version sont:
- un focus encore plus important sur la collaboration multidisciplinaire entre prestataires de soins: face au vieillissement et à l’augmentation des maladies chroniques, la collaboration entre les professionnels de santé est cruciale. Il est important qu’ils puissent communiquer facilement et rapidement à propos du patient et aient toujours accès à l’information médicale la plus récente. Les applications d’e-santé semblent parfaitement adaptées pour répondre à ces besoins;
- le volet complètement nouveau concernant le «mobile health»: grâce à des applications et des appareils mobiles, les patients peuvent mieux suivre et faire suivre leur santé. C’est pourquoi un volet du plan d’action est entièrement dédié aux applications et appareils mobiles, à leur qualité et leur sécurité;
- une attention particulière à la simplification administrative: l’un des objectifs est qu’à partir du 1er janvier 2018, tous les médecins généralistes puissent envoyer électroniquement l’attestation des soins donnés à la mutualité, ce qui fera progressivement disparaître les attestations vertes et blanches. Dans cette optique, le développement du service efact permettant la facturation électronique du tiers-payant via MyCareNet (entre le médecin généraliste et les mutualités) se répand peu à peu puisque 2000 médecins généralistes l’ont déjà utilisé au moins une fois (chiffres de février 2016);
- des alternatives en cas de difficulté: le bon fonctionnement des e-applications est une autre préoccupation des prestataires de soins. Les acteurs concernés par l’e-Santé sont nombreux (mutualités, fournisseurs de logiciels, plateforme eHealth, plateforme MyCareNet, etc.). Une panne chez l’un d’eux peut avoir des conséquences sur l’ensemble du système. C’est pourquoi l’institution publique plateforme eHealth souhaite analyser chaque problème et pouvoir proposer des alternatives qui pourraient être activées si l’un des systèmes habituels ne fonctionnait pas bien. Par ailleurs, la plateforme eHealth a maintenant plusieurs médecins ‘relais’ experts en ICT dont le rôle est d’avertir immédiatement la plateforme lorsqu’un problème apparaît dans leur cabinet médical;
- le patient comme copilote: les applications d’e-santé mobiles et autres contribuent à renforcer le rôle central du patient dans ses soins de santé. À partir du 1er janvier 2018, les citoyens pourront consulter leurs propres données médicales en ligne grâce au ‘personal health record’. Au moyen d’appareils mobiles et d’applis validés, ils pourront suivre personnellement des paramètres de santé (comme le pouls et la pression artérielle). Les patients chroniques pourront communiquer à distance avec leurs prestataires de soins. Les prestataires de soins auront quant à eux la possibilité de transmettre à leurs patients des informations digitales. Dans cette optique, l’objectif à terme est que les patients puissent participer encore plus activement à leurs soins et deviennent de véritables acteurs de leur santé;
- partager l’information: l’une des conditions principales pour que l’e-santé soit une réussite est un échange d’information rapide, ce qui nécessite absolument que les patients donnent leur accord (leur consentement éclairé) aux prestataires de soins pour qu’ils puissent partager leurs données médicales. Le patient quant à lui a ainsi la certitude qu’il sera toujours traité sur la base des informations les plus récentes de son dossier médical. De plus, les doubles examens superflus peuvent être évités grâce à un échange électronique aisé des données médicales. Ainsi, le Plan d’action accorde une attention particulière à la sécurisation et au respect de la vie privée en matière de données médicales lors du partage d’information. Les données de santé sur un patient sont systématiquement cryptées. Il revient au patient de décider si ces données peuvent être partagées électroniquement et de manière sécurisée et, le cas échéant, entre quels prestataires de soins.
Pour plus d’informations concernant le Plan d’action actualisé 2015-2018, consultez: www.plan-esante.be ouwww.plan-egezondheid.be/wp-content/uploads/Actieplan-eGezondheid-Plan-daction-eSante.pdfPour plus d’informations sur la plateforme eHealth: www.ehealth.fgov.be/fr/propos
Cybersanté et promotion de la santé
De nombreuses études étrangères ont déjà démontré le potentiel du média web en promotion de la santé. S’il permet d’augmenter la portée des actions de communication dans le domaine et permet de viser de manière précise un public donné, il permet aussi surtout de favoriser l’interactivité et la communication bidirectionnelle, si chère à la promotion de la santé.
Dans cette optique et dans une volonté de rester proches de leurs publics en constante évolution, les acteurs de la promotion de la santé francophone entrent progressivement dans l’ère numérique, réinventent leurs techniques de communication et d’intervention et innovent.
L’exemple d’aide-alcool.be
Lancé fin 2012 par les asbl Le Pélican (Bruxelles) et Le Centre Alfa (Liège), www.aide-alcool.be est un site d’informations et d’accompagnement en ligne, avec ou sans thérapeute, qui s’adresse à toutes les personnes en Belgique francophone se posant des questions sur leur consommation d’alcool ou celle d’un proche.
Au-delà du simple outil d’information, il permet également d’offrir à son public du soutien via deux programmes d’aide en ligne: le selfhelp, à réaliser de façon autonome et l’accompagnement, qui est quant à lui soutenu par un psychologue. Ces consultations se déroulent sous la forme de chats, par écrit, sans son ni image, d’une durée d’une heure, sur rendez-vous, avec le même psychologue et pendant maximum trois mois.
Cette nouvelle pratique demande de nouvelles réflexions et une adaptation constante des compétences des thérapeutes en ligne. Leur pratique clinique est également enrichie par ces suivis basés uniquement sur des échanges écrits.
Le site comptait en mai 2014 plus de 385.000 visites, près de 1400 personnes inscrites aux deux programmes d’aide proposés et plus de 1400 consultations psychologiques en ligne.
Un succès qui tient notamment au fait que le projet répond à une demande existante et vise en particulier les groupes les moins représentés dans les structures d’aide classiques, à savoir les femmes, les personnes en activité et les personnes d’un niveau d’éducation supérieur. En effet, l’anonymat, la possibilité de se faire suivre de chez soi et à un horaire compatible avec l’activité professionnelle et les responsabilités familiales sont autant de facteurs favorisant cette première démarche de soins. Ainsi, la complémentarité de ce projet par rapport au suivi traditionnel permet de s’adresser à des personnes qui n’avaient jamais osé pousser la porte d’un centre de soin.
Si le projet répond vraisemblablement à une demande du public lui-même, il semble aussi à la fois innovant et riche sur le plan intellectuel et relationnel pour les professionnels qui l’encadrent.
Ainsi, à l’instar d’autres pays européens, avec son Plan d’action ambitieux, la Belgique a ouvert des perspectives aussi importantes qu’intéressantes en matière de cybersanté. Perspectives auxquelles le secteur de la promotion de la santé est certainement sensible, grâce notamment à l’accent qu’il met sur la collaboration multidisciplinaire entre les professionnels et l’impact positif attendu sur la qualité des soins, mais aussi au développement, annoncé en 2018, de nouvelles technologies favorisant le renforcement du rôle central du patient en tant qu’acteur de sa propre santé.
Merci à Adélie Jonckheere pour sa relecture
OMS Europe, 2016.
“From innovation to implementation – e-Health in the WHO European Region, OMS Europe, mars 2016.
En juillet 2016, 3,7 millions de Belges ont déjà donné leur consentement éclairé.
L’eHealthBox est un service proposé par la plateforme eHealth permetttant aux prestataires et aux administrations (hôpitaux, mutualités, etc.) de communiquer de manière sécurisée.
Jo Vandeurzen (Communauté et Région flamande), Maxime Prévot (Wallonie), Rudy Demotte (Fédération Wallonie-Bruxelles), Joëlle Milquet (Fédération Wallonie-Bruxelles), Guy Vanhengel (COCOM), Didier Gosuin (COCOM), Cécile Jodogne (COCOF), Antonios Antoniadis (Communauté germanophone).
Plateforme centrale orientée service, au profit des prestataires individuels et institutions, par laquelle des informations peuvent être échangées avec les mutualités, d’une manière simple, fiable et sécurisée.
Voir la campagne de l’Inami “Simplifiez-vous la santé (mai 2015).
Lire à ce propos, références et exemples dans l’ebook produit par l’asbl Question Santé: «Promotion de la santé et web 2.0. Réflexions et bonnes pratiques», Question Santé asbl, Février 2015.