Avril 2003 Par Y. POEY Initiatives

Tout a commencé un mardi soir d’octobre, il y a six ans de cela.
J’ai pour habitude, en tant que Directeur d’une école élémentaire située dans la zone d’éducation prioritaire de Montereau-Fault-Yonne, en Seine-et-Marne, de rester «en faction» devant la grille, sur le trottoir, afin de bavarder avec les parents présents, et surtout, de m’assurer qu’aucun problème ne viendra perturber la sortie des classes.
Ce soir-là, une maman m’a désigné du doigt un enfant qui n’était pas le sien, et, très en colère, m’a demandé devant lui « d’exclure ce gamin qui a des poux, parce que, vous comprenez, y’en a marre, il en refile à tous ses copains. Moi, je traite, mais pas les autres familles»
Le verbe qui m’est tellement insupportable était lâché: exclure!
Le problème, à la fois si simple et si compliqué, était posé.
Notre législation en la matière étant assez floue (« pas d’éviction si traitement », je cite la lapidaire circulaire), les infirmières et médecins scolaires étant débordés par d’autres soucis, je me retrouvais devant ce constat: je n’avais aucune réponse satisfaisante, et surtout, aucune solution fiable à apporter à cette maman en particulier et à la communauté éducative en général.
J’ai très rapidement pensé que tous seuls, dans notre coin, mes collègues et moi-même ne pouvions guère être crédibles en terme d’efficacité.
Il fallait à tout prix trouver des partenaires pour entreprendre collectivement cette lutte commune contre les poux. J’étais loin d’imaginer, à l’époque, que j’étais en train de mettre en œuvre une démarche de santé communautaire!
Il me fallait à tout prix fédérer les parents, les enfants, les enseignants, mais aussi les partenaires institutionnels habituels autour de cette lutte contre la pédiculose.
C’est pourquoi je suis allé trouver Francine Têtu , assistante sociale, (une «sainte laïque» qui porte bien son nom…), avec qui j’avais déjà mis en place des projets communs, et notamment une action d’accompagnement à la scolarité, avec les familles d’enfants en difficulté.
Francine ayant appris qu’à Tours, une expérience intéressante en la matière était tentée, nous nous sommes rendus dans cette ville, avec le premier Maire-Adjoint de Montereau, Claude Sigonneau .
Nous avons été reçus par le Professeur Catherine Combescot , alors maître de conférence à la Faculté de pharmacologie, spécialiste incontestée du pou.
Grâce à elle, nous avons pu voir dans ses œuvres un inspecteur de l’hygiène vérifiant toutes les têtes des écoles tourangelles collaborant à ce programme expérimental.

Mobilisation générale

Revenus en Seine-et-Marne, notre projet a véritablement démarré.
Nous avons évalué scientifiquement le taux de prévalence de l’école: grâce au Professeur Jacques de Nadon , collègue de Catherine, nous avons constaté que 16,1 % des enfants étaient infestés d’œufs ou de poux vivants.
Ce point de départ établi, nous avons voulu reproduire (et améliorer!) la méthode.
Nous avons dans un premier temps cherché à créer un véritable collectif afin d’imaginer, rédiger, et budgéter un projet éducatif: un médecin scolaire, deux infirmières de l’hôpital de Montereau, une infirmière de la Direction des affaires sanitaires et sociales de Seine-et-Marne, mais aussi des parents d’élèves très impliqués et très motivés sont venus nous rejoindre.
Nous nous sommes inspirés de la Charte de Santé communautaire européenne établie en partie grâce à l’Institut Théophraste-Renaudot.
Les deux infirmières sont allées se former à Tours en matière de biologie du pou, mécanisme et cycle de reproduction, calcul du taux de prévalence, traitements adéquats, etc.
Désormais, deux ou trois fois par an, elles viennent passer préventivement un peu de produit anti-poux dans toutes les têtes, y compris celles des enseignants. Les cas «lourds» sont repérés. Les familles concernées sont aidées à l’école et à domicile, si elles le désirent. Nous distribuons gratuitement des lotions et des shampoings anti-parasitaires, avec l’aide d’un pharmacien de la ville qui nous fournit les produits sans aucune marge bénéficiaire.
Nous leur indiquons la démarche appropriée pour se débarrasser des intrus. C’est en effet le coût des flacons et la méconnaissance du processus de traitement qui bien souvent freinent la lutte contre la pédiculose dans les quartiers défavorisés.
Mais ce n’est pas tout.
Il nous a fallu, parallèlement à cette démarche, dédramatiser ce problème aux yeux de tous.
Les enfants sont devenus partie prenante de cette lutte, une lutte qui permet aux enseignants de dégager des objectifs en termes d’acquisitions de connaissances scientifiques, de compétences et de savoir-faire: les enfants trouvent ainsi du sens à leurs apprentissages, ils deviennent encore un peu plus acteurs et auteurs de leur cursus scolaire.
Ils ont découvert et se sont approprié toute une bibliographie sur le sujet. Ils ont écouté des contes dans lesquels ce chétif insecte se taillait la part du lion.
Ils ont créé des pièces de théâtre, des chansons, des danses, des fresques.
Mes élèves et moi, grâce à la station locale de Radio France, avons enregistré un CD audio dédié à la prévention et au traitement vus par les enfants.
Nous avons aussi participé au documentaire TV animalier «Planète poux», qui a été diffusé dans soixante-cinq pays.
Et puis surtout, depuis quatre ans, une fête des poux vient clôturer l’année scolaire. Un lâcher de ballons très attendu symbolise la disparition des petites bêtes.
Tout le quartier participe, les familles viennent jouer, danser, échanger autour de ce thème désormais déchargé de toute connotation d’exclusion.
Le collectif anti-poux se réunit cinq ou six fois par an, afin de suivre l’évolution du projet, financé par la Municipalité, la Préfecture à la Ville, la Mutuelle bleue de Seine-et-Marne et l’Education nationale.
Nous envisageons même de créer un poste d’adulte-relais afin de suivre spécifiquement ce dossier ainsi que d’autres thèmes: lutte contre les caries dentaires, accompagnement des familles chez les professionnels de santé, implication des autres écoles, des structures municipales de loisirs, etc.
Et puis, bien évidemment, le collectif évalue les progrès en matière de prévalence. Il nous a fallu six années pour que le taux passe de 16,1 % à 1,75 % d’enfants infestés. Oserai-je faire remarquer que la lutte contre les poux est une action très… lente?
Yves Poey , directeur de l’Ecole élémentaire Jules Ferry
Adresse de l’auteur: Ecole élémentaire Jules Ferry, 8 rue Jules-Ferry, 77130 Montereau-Fault-Yonne