Septembre 2025 Par Clotilde de GASTINES Réflexions

Contrairement aux idées reçues, le bonheur augmente avec l’âge ! Pour Stéphane Adam, directeur de l’Unité de Psychologie de la Sénescence à l’Université de Liège, il est urgent de combattre l’âgisme, ce phénomène qui conduit à la discrimination, à l’isolement et à la négligence des personnes âgées et impacte leur santé.

Quelle vision la société a-t-elle du vieillissement ?

s adam portrait dr uliège

La vision qui prédomine est essentiellement négative. Par exemple, on pense que « les vieux sont tristes et déprimés ». Même les professionnels du soin pensent que 50% des personnes de plus de 65 ans souffrent de dépression. Alors que la réalité est seulement de 11%. À titre de comparaison, il y a deux fois plus de dépression chez les jeunes ! Les études montrent d’ailleurs que le bonheur augmente avec l’âge contrairement à ce que l’on pourrait croire.

Les professionnels de la santé estiment qu’ils connaissent trop peu le public des personnes âgées. Ils ne se sentent pas assez bien équipés. Pourquoi ?

Dans le cursus de base des professionnels de santé et du paramédical, la question des besoins spécifiques des personnes âgées représente seulement 4 à 5% des contenus de formation, alors qu’ils représentent 50% de la patientèle des médecins généralistes, 70% des patients suivis en oncologie, 85% des personnes bénéficiant de soins et aide à domicile, et 100% de celles vivant en maison de repos.

Les grandes lacunes dans la formation initiale des professionnels ont tendance à accentuer la réponse purement médicale, avec son cocktail des traitements médicamenteux (anxiolytiques/antidépresseurs/somnifères/etc.). Il y a beaucoup de problèmes de santé mentale en maison de repos : une personne sur deux est dépressive, et 60% dit souffrir de solitude modérée à sévère, et paradoxalement il n’y a pas de psychologue dans les normes d’encadrement… ce qui accentue la réponse médicamenteuse.

En 2024, la Région wallonne a obtenu des fonds structurels européens pour financer un poste de psychologue-coordinateur dans sept maisons de repos (et de soins) et mettre en place un programme d’e-learning qui vise à renforcer les connaissances des professionnels autour de la psycho(pathologie) de la personne âgée. Pourquoi existe-t-il encore de telles lacunes dans la formation initiale ?

Je pense que c’est lié au fait que nous sommes dans une société âgiste. Des personnes âgées inspirent le plus souvent la compassion et la pitié, ou l’indifférence. La société estime qu’elles ne sont pas productives. Alors que l’économie en Belgique liée aux activités des plus de 55 ans représente 2,3 milliards d’euros : le bénévolat, la garde d’enfants et l’encadrement des activités dans les clubs de sport, les musées, etc…

Les personnes âgées sont aussi invisibilisées dans l’espace public. Par exemple, 20% de la population à plus de 65 ans. Pourtant, à peine 1,5% des personnes que l’on voit à la télévision, et 5% des personnages de dessins animés appartiennent à cette tranche d’âge.

Plus inquiétant encore, elles sont aussi absentes des études cliniques. 30% des essais cliniques les concernent alors qu’elles représentent 70% des personnes concernées par le cancer. Idem pour le vaccin contre le COVID, il a été testé sur des personnes de moins de 60 ans alors que les personnes âgées étaient les premières concernées par la vaccination !

C’est la même chose pour les anxiolytiques ou les antidépresseurs, les tests sont menés sur les moins de 60 ans et donc il y a une vraie inconnue concernant les effets secondaires de ces traitements pour les personnes de plus de 65 ans.

senior woman smiling while drawing with the group.

Sur quels leviers faudrait-il agir : réserver des espaces adaptés ? Améliorer l’accès aux espaces publics ? Favoriser les lieux de liens ? 

Certaines communes décident de créer une plaine de jeux seniors puis se rendent compte que personne n’y va. Rien que le qualificatif « senior » déclenche  une forme d’aversion. La meilleure aide, le meilleur aménagement sont ceux qui font que je ne me sens pas vieux. Quand la commune place un banc public tous les 10 mètres, elle n’a pas besoin de préciser que c’est pour les vieux alors que ces aménagements favorisent clairement leur mobilité et leurs déplacements.

Pendant le COVID, les seniors étaient les personnes les plus à risque de comorbidité. La société a donc pris des mesures pour être hyper protectrice et hyper vigilante. Certaines personnes âgées de la tranche 65-66 ans expliquent qu’elles ne se sont jamais senties aussi vieilles depuis le COVID car les actions « protectrices » les ont fait prendre « un coup de vieux » … Le jour où quelqu’un se lèvera dans le bus pour vous laisser vous asseoir, vous allez vous prendre un sacré coup de vieux …

En quoi est-ce un problème de sentir vieux ?

Nous avons mené une étude assez éclairante avec deux groupes autour de la marche et de l’équilibre. Avant l’activité, le premier groupe patientait dans une salle d’attente avec des campagnes de sensibilisation autour des chutes, de l’importance de l’activité physique, de la publicité pour un ascenseur intérieur. Un autre groupe patientait dans une salle neutre. Puis ils participaient tous à une activité de 5 minutes de marche aller-retour, d’équilibre sur une jambe. En sortant du test, même s’ils l’avaient réussi et que leurs constantes étaient bonnes, ceux qui avaient patienté dans la salle avec la sensibilisation contre les chutes se sentaient « plus vieux ».

Or d’autres études suggèrent que l’âge ressenti est un meilleur prédicteur de votre santé que l’âge chronologique. En d’autres termes, un médecin a plus à gagner à poser la question « quel âge ressentez-vous avoir ? » que « quel âge avez-vous ? » s’il veut estimer en gros votre niveau de santé.

Se sentir vieux a donc un impact sur la santé physique ?

Oui, des études longitudinales montrent que les personnes qui se sentaient plus vieilles que leur âge avaient plus de risques de développer des problèmes de santé en vieillissant, d’avoir une maladie d’Alzheimer dans les mois et années qui suivent. L’âge ressenti prédit même le risque de mortalité ! Si je me sens plus vieux, je vis moins longtemps.

La vision que nous avons du vieillissement est également, comme l’âge ressenti, un bon prédicteur de notre évolution de santé physique et mentale dans les mois et années à venir. Une personne avec une vision négative du vieillissement vit 7 ans en moins que celle qui en a une vision plus positive et elle est aussi beaucoup moins encline à se mettre en adéquation avec des comportements de santé positifs : moins boire d’alcool, moins fumer, faire un peu de sport, etc…

Dans le cadre du programme FSE+ 2021-2027 « A000751 – Renforcer les connaissances et compétences psycho-sociales des professionnels du secteur de l’hébergement et de l’accueil des aînés en Wallonie », 7 maisons de repos et de soin pilotes ont pu engager un psychologue-coordinateur, dont le rôle était de renforcer les connaissances et compétences des équipes en matière d’accompagnement psychosocial des résidents et de construire des liens durables avec le réseau externe de santé mentale wallon. L’AVIQ, Agence pour une vie de qualité, coordonne ce projet qui se clôture le 31 décembre 2025.

old smiling man and his granddaughter looking each other

L’âgisme en Belgique encore trop répandu


Les préjugés et les stéréotypes associés à la vieillesse sont le plus souvent négatifs : dépendance, perte de capacités physiques ou cognitives, maladie, fragilité etc. Pire, les aîne.és sont parfois considéré.es comme un fardeau voire une menace sur le financement des retraites et des soins, compromettant l’équilibre entre les générations. On parle d’âgisme, quand ces représentations sociales négatives produisent des discriminations. Largement partagé et accepté socialement et institutionnellement, l’âgisme reste insuffisamment étudié et documenté même si la pandémie de Covid 19 a fait émerger le sujet dans l’opinion publique. Le rationnement des soins de santé sur des critères exclusifs d’âge avait alors fait polémique.

En Belgique, l’âgisme envers les personnes de 55 ans est très répandu selon une enquête menée par Amnesty International en 2021. Plus d’un.e aîné.e sur quatre (27%) est confronté.e à au moins un type de maltraitance, sept sur dix sont victimes de préjugés et de stéréotypes en raison de leur âge, près d’un aîné·e sur trois se sent vieux·vieille dans le regard des autres alors qu’ils.elles sont 89% à se sentir jeunes d’esprit et 87% à se sentir bien dans leur peau. Des chiffres confortés par l’OMS dans son premier rapport sur l’âgisme : une personne sur deux dans le monde a des attitudes âgistes.

L’âgisme est banalisé et souvent institutionnalisé dans les secteurs de la santé et des services sociaux, bancaire, professionnel (dans l’accès ou le maintien à l’emploi), les médias, le système juridique. Une revue systématique de littérature menée en 2020 a montré que dans 85 % des 149 études recensées, l’âge avait servi à déterminer qui serait bénéficiaire de certains actes médicaux ou traitements. Il n’est pas rare non plus que « l’individualisation des soins soit refusé ou impensé par le corps médical ou la famille en raison de l’âge, rapporte Pascale Broché de l’ASBL Respect Seniors,  que ce soit pour un refus de prothèse de hanche pour une personne de 80 ans qui souhaite pourtant continuer la randonnée, ou encore la pratique de la mastectomie sans proposer de reconstruction mammaire dans le cadre d’un cancer du sein ». 

Ainsi, l’âgisme a un coût social élevé. Les études montrent qu’il est associé à une moins bonne santé physique et mentale, à un plus grand isolement social, à une solitude accrue, à plus d’insécurité financière, à une baisse de la qualité de vie, à des décès prématurés… qui sont aggravés lorsque la personne victime de l’âgisme a elle-même une représentation négative du vieillissement. Pour désigner cet âgisme intégré, les Canadiens utilisent le concept d’autoâgisme.

« En acceptant comme un compliment le « tu fais jeune pour ton âge » nous entretenons ce jeunisme omniprésent » explique Pascale Broché. L’emprise du temps a beau étreindre tout un chacun, « le vieux c’est l’autre, car même une personne âgée ne veut pas se voir vieille. Et ce rejet du vieillissement va de pair avec le refus d’envisager la mort ».  

Déborah Flusin

Références

– Amnesty International Belgique : sondage-agisme-aines-chiffres-2021
OMS : rapport sur l’âgisme
– Revue de littérature : pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31940338/
– Rapport de l’OMS 2021 who.int/fr/news/item/18-03-2021-ageism-is-a-global-challenge-un
– Le rapport Age et discrimination de l’ASBL AGO – février 2025
– Fiche de synthèse de la Chaire canadienne de recherche sur la maltraitance des aînés  : Âgisme et autoâgisme : Prendre conscience des perceptions qui nous nuisent