Par Carole FEULIEN Initiatives

Éducation Santé: D’où vous est venue l’idée de votre projet?
Guillaume Petit : Fréquemment interpellés par nos apprenants sur des questions de santé, nous n’étions pas toujours suffisamment outillés pour leur répondre mais nous souhaitions vivement canaliser ces demandes au sein d’une action cohérente et pérenne.
C’est pour cela que nous avons répondu à l’appel à projets lancé par la Fondation Roi Baudouin en matière de promotion de la santé cardiovasculaire. Partant du postulat d’un étudiant en médecine qui établit des liens entre illettrisme et inégalités d’accès au système de soins, nous avons cherché à comprendre, analyser et mettre en place un plan d’action annuel auprès de notre public, les adultes analphabètes belges ou d’origine étrangère, dans le but d’y remédier.
Les différentes régionales du mouvement Lire et Écrire considèrent le processus d’alphabétisation comme un vecteur d’émancipation dans la mesure où l’apprentissage des savoirs de base doit permettre à chacun de poser ses choix en acteur éclairé et responsable dans une société en constante mutation et génératrice d’une grande quantité d’information, en particulier dans le domaine de la santé. C’est dans cette optique que nous avons conçu notre projet «Bien-être et santé du cœur: agir pour prévenir les maladies cardiovasculaires».
ES: Comment vous y êtes-vous pris?
GP : Durant une phase préparatoire de trois mois, nous avons mis en place des éléments permettant de nourrir la réflexion lors des débats-tables rondes que nous avions programmés. Ainsi, les textes, séquences et autres supports d’alphabétisation que nous utilisons dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture se sont teintés de problématiques liées à la santé et tout particulièrement à la prévention des pathologies cardiovasculaires.
Cette période nous a permis, apprenants et formateurs, de faire le point sur nombre de notions gravitant autour de cette thématique et de les rendre accessibles: par exemple, nous avons veillé à ce que les apprenants définissent avec leurs mots les concepts de ‘prévention’, de ‘symptôme’, les termes courants de posologie…
À ce stade, il nous a paru crucial de redéfinir ensemble quelles étaient les finalités à poursuivre: réduire, grâce à une information claire et structurée, les risques de maladies cardiovasculaires, sensibiliser chaque participant aux habitudes de vie saines, proposer un lieu d’expression permettant en outre de dépasser les sentiments de désarroi, d’isolement, d’impuissance et de culpabilité liés aux questions de santé et enfin, apporter des réponses concrètes validées par des spécialistes de la santé. Le principal écueil que nous voulions éviter était qu’une fois informés, nos apprenants souhaitent se soigner par eux-mêmes et abusent de l’automédication. Ce socle commun posé, nous nous sommes lancés dans l’action à proprement parler.
ES: Comment?
GP : Tout d’abord par le biais d’une enquête-santé à destination de l’ensemble de nos groupes en formation et du personnel de l’asbl. Nous cherchions à dresser un état des lieux du bien-être recensant le degré de consultation personnelle chez le médecin, la quantification du stress ressenti sur une échelle de 1 à 10, ce que l’on souhaite améliorer dans son état de santé et ce que l’on est prêt à entreprendre pour cela. Cent vingt-deux personnes ont reçu le formulaire et 79% y ont répondu. Cette étape constituait l’une des clés permettant l’activation de la participation des apprenants et la collecte d’informations afin de mieux connaître leurs besoins. Ce fut en quelque sorte le déclencheur de l’action pour notre public.
Dès lors s’est initié un travail préparatoire à la tenue des premières tables rondes organisées le 12 juin 2009: dans nos groupes en formation d’alphabétisation à l’oral, nous avons travaillé la prise de parole, le vocabulaire et la compréhension orale en situation; chez ceux en apprentissage à l’écrit, l’analyse d’articles de journaux et revues de santé ainsi que l’écriture des questions qu’ils souhaitaient poser. Forts de cette convergence des objectifs et de cette préparation, le jour J est arrivé.
Au programme de cette matinée, nous avons présenté les résultats de l’enquête, les intervenants et la méthodologie des deux tables rondes: l’une consacrée à la nutrition était animée par Mme Lejeune (nutritionniste à Carolo-Prévention-Santé) et l’autre sur les facteurs de risque cardiovasculaires par le Dr Schröder (cardiologue à Mont-Godinne).
À tour de rôle, les apprenants répartis en deux sous-groupes d’une quarantaine de personnes ont participé à chacune des deux tables rondes. Lors de celles-ci, ils ont pu poser toute question en matière de comportements à risque, de prévention, d’habitudes de vie saines à développer et de relais médicaux auxquels s’adresser, ceci afin de s’informer ou de consulter facilement et à moindre frais.
L’ensemble des travailleurs de Lire et Écrire a été mobilisé en amont dans l’organisation mais aussi le jour même afin d’accompagner les apprenants dans les débats, de rapporter les propos tenus, de prendre des photos…
À ce stade du projet, nous avons cherché à comprendre l’impact qu’il avait eu sur notre public par des feedbacks dans les différents groupes. Les résultats de cette évaluation ont très nettement dépassé nos attentes. Nous savions que tous étaient très motivés par cette rencontre, mais nous n’espérions pas observer si vite des signes d’application concrètes des conseils promulgués.
Et ceux-ci furent nombreux: trois apprenants ont arrêté depuis ce jour le tabac, une dizaine ont pris rendez-vous auprès d’un service de conseils nutritionnels à tarif social, certains ont entamé des démarches pour reprendre une activité physique en famille ou entre amis, et la majorité des groupes a souhaité approfondir certains points soulevés lors des tables rondes (pyramide alimentaire, facteurs de stress par exemple). De plus, beaucoup ont véhiculé l’information reçue dans leur sphère familiale et leurs connaissances proches.
ES: Évaluation plutôt positive donc. Quels ont été les leviers de la réussite d’après vous?
GP : En définitive, nous sommes convaincus qu’une activation des participants a été la condition sine qua non de réussite puisqu’ils se sont pleinement investis dans le projet, depuis l’enquête jusqu’aux tables rondes, et ont par eux-mêmes défini l’orientation que l’action a prise. Nous souhaitons d’ailleurs dans cette ligne associer les apprenants à l’organisation des deux prochaines tables rondes, conscients que l’on ne peut souhaiter l’émancipation de nos stagiaires qu’à condition de les impliquer dès le début, et jusqu’au bout.
Propos recueillis par Carole Feulien
Pour plus d’informations: Guillaume Petit, Responsable pédagogique, Lire et Écrire Charleroi Sud-Hainaut asbl, Avenue des Alliés 19, 6000 Charleroi, 071 30 36 19, guillaume.petit@lire-et-ecrire.be. Site: http://www.lire-et-ecrire.be .