J’ai lu l’article ‘Volontariat et emploi: frontières incertaines’ paru dans le numéro de décembre dernier d’Éducation Santé avec un intérêt particulier, vu que je suis un de ces bénévoles qu’il évoque (je préfère le terme de bénévole à celui de volontaire, même si le premier traîne quelques relents caritatifs, parce que le second relève un peu trop de l’euphémisme).Pour que l’on me situe, disons que, préretraité forcé, j’anime des ateliers créatifs dans une maison de quartier, des tables de conversation en français dans une organisation d’éducation populaire et que de temps en temps, on me demande ou je propose un texte comme celui-ci. L’article cité plus haut m’a poussé à mettre en forme des réflexions que je trimbale depuis un moment.D’abord, il faut peut-être rappeler que le «duo terrible» salarié/bénévole est ancien: la question était présente lorsque j’ai commencé à travailler dans les années 1970. Nombre d’associations étaient/sont nées et se sont développées au départ d’initiatives où le bénévolat jouait un grand rôle, voire le rôle premier. Et par la suite, cela n’allait pas toujours sans tensions entre salariés et bénévoles.Lorsque ces associations se sont, assez récemment, regroupées en ‘secteurs’ (voir, pour Bruxelles, le décret de la COCOF sur l’ambulatoire santé-social), elles s’étaient largement professionnalisées et le bénévolat y avait pris beaucoup moins de place.Même si cela n’était et n’est toujours pas vrai pour d’autres secteurs, il peut paraître surprenant que la question fasse un come-back.
Concurrence
En quoi cette question est-elle neuve aujourd’hui? Il y a bien sûr le risque voire la réalité d’une concurrence entre bénévoles et salariés pour des raisons économiques: c’était l’objet de l’article.Mais ce point de vue institutionnel devrait être élargi: quid de ces raisons économiques? L’affirmation d’une rare platitude que l’on entend au jour le jour depuis quelques années – «Il n’y a plus d’argent, faut faire avec ce qu’on n’a pas» – ne tient pas trois secondes: on a trouvé en un tournemain des milliards pour «sauver les banques», sans leur imposer de contrepartie pour les empêcher de poursuivre leur gabegie ruineuse (ruineuse, mais pas pour tout le monde).Il est trop facile aussi de dire que «c’est la faute à la crise»: ce refrain qu’on nous serine depuis des décennies n’est que le camouflage d’un choix politique que l’on pourrait résumer comme suit: mort au supposé État Providence, vive l’État social actif! Ça vous semble simpliste? Regardez ces deux termes avec attention, vous verrez ce qu’ils cachent de tordu.
Professionnalisation
Autre aspect de la question: la professionnalisation du bénévolat. Certes, il ne suffit plus d’être de bonne volonté, et tant mieux: on sait ce que les bonnes intentions avancées peuvent cacher d’arrivisme, d’autopromotion, d’appétit de pouvoir sur les autres. Mais, de plus en plus, des savoirs et des savoir-faire spécifiques sont recherchés (comptabilité, droit, expérience dans tel domaine professionnel…), un CV est demandé, une formation ad hoc est proposée voire exigée.Cette exigence se justifie parfois – je pense par exemple aux services de permanence téléphonique genre SOS… (remplissez les pointillés) – mais le recours au bénévolat est-il alors un vrai choix ou un pis-aller en raison du manque de moyens?Il est assez clair pour moi que les pouvoirs publics, au prétexte de la prétendument inévitable ‘austérité’ – le mot s’est imposé dès les années 80, hein, ce n’est pas nouveau – se désengagent (ou ne se sont jamais engagés que du bout des lèvres et du budget) de missions sociales pourtant fondamentales et s’en déchargent sur les épaules de l’associatif.
Exemple vécu
J’exagère, je pinaille, je suis un exalté, un agitateur?… Allez, un exemple vécu.Dans mes recherches de travail bénévole, je suis tombé sur une offre d’enseignement du français langue étrangère. Le ton de l’annonce était sympa. Je prends rendez-vous. C’est une maison d’habitation chichement aménagée en locaux de bureaux, de réunions, etc. Si je fais abstraction des écrans d’ordinateurs et des imprimantes, je crois me retrouver trente-cinq ans en arrière, et ça ne me remplit pas vraiment de nostalgie.La coordinatrice intérimaire a reçu mon CV et m’explique le boulot: par semaine (hors congés scolaires), trois matinées d’enseignement, plus la préparation des cours, plus une sortie accompagnée de temps en temps, plus la concertation avec l’animatrice de l’atelier du vendredi, le tout assorti d’une formation sur le tas (observation du cours donné par l’autre prof) et, bien sûr, la possibilité – l’absolue nécessité, à mes yeux – de suivre des formations auprès de Lire & Écrire.Je résume: «C’est un gros mi-temps, quoi.»Réponse: «Oui… Mais vous pourrez sûrement négocier un défraiement.»Moralité: des associations sous-financées sont contraintes de recruter des chômeurs ou retraités bénévoles, sous-formés voire pas formés du tout, pour travailler avec les étrangers pauvres auxquels le bon peuple et maints élus reprochent de ne pas s’intégrer.Salariat? Bénévolat? On n’est pas principalement face à une question déontologique ou morale. On est face à une question politique qui se pose non seulement à l’associatif mais à nous tous, citoyens (pas juste électeurs), et à ceux qui sont censés exercer le pouvoir en notre nom.
‘Volontariat et emploi: frontières incertaines’, C. De Bock, Éducation Santé n° 317, décembre 2015.