La Cour d’Arbitrage annule partiellement la loi cannabis
Le 20 octobre 2004 la Cour d’Arbitrage a rendu son arrêt suite au recours en annulation de l’article 16 de la loi cannabis du 3 mai 2003 introduit par une série d’associations. En annulant l’article incriminé qui comprenait des notions imprécises (usage problématique, nuisance publique, quantité à des fins d’usage personnel) elle a repris à son compte l’ensemble des arguments évoqués par les parties requérantes. Il faut dire que cet article provoquait une insécurité juridique pour les consommateurs de cannabis et une inégalité de traitement des citoyens devant la loi.
Les forces de l’ordre recevaient la tâche d’évaluer le caractère problématique ou non d’une consommation, ce qui demande des compétences médicales et psychologiques que n’ont pas nos forces de police.
Rappel des faits
Les fédérations bruxelloise et wallonne des institutions pour toxicomanes (FEDITO) regroupent les institutions actives dans la prévention, la réduction des risques, les soins et la réinsertion sociale et/ou économique des personnes souffrant d’assuétudes ainsi que dans l’accompagnement de leur entourage. Elles sont à l’origine, avec la Ligue des Droits de l’Homme et deux de leurs membres (Infor-Drogues et Prospective Jeunesse) de l’introduction à la Cour d’Arbitrage du recours en annulation partielle de la loi du 3 mai 2003.
Cette loi visait à modifier la législation du 24 février 1921 concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, désinfectantes et antiseptiques et particulièrement le cannabis. Cette modification introduisait deux notions, l’usage problématique et les nuisances publiques, comme critères décisifs de poursuites pénales; celles-ci, étant donné leur manque de clarté, créaient une insécurité juridique qui rendait impossible la mission d’information dévolue aux services spécialisés dans les assuétudes.
«Nuisances publiques»: insécurité juridique pour les citoyens
La nouvelle loi « drogues » introduisait la notion de nuisances publiques comme critère décisif des poursuites pénales pour les simples consommateurs majeurs de cannabis, dans la mesure où la nouvelle réglementation imposait non seulement la rédaction d’un procès-verbal mais prévoyait en outre des peines distinctes de la simple consommation de cannabis ou de la consommation problématique de cannabis.
En effet, une nuisance relativement banale (en tout cas ne justifiant pas de poursuites pénales) était traitée différemment selon qu’elle est commise par un citoyen en possession ou non d’une petite quantité de cannabis. Dans un cas, son comportement n’était pas sanctionnable pénalement (même s’il s’agit d’un comportement qui dérange et qui peut être sanctionné administrativement sur base de la nouvelle loi communale) et dans l’autre, il risquait une peine de prison pouvant aller jusqu’à un an et une amende pouvant monter jusqu’à 500.000 euros. Excusez du peu!
«Usage problématique»: sanction pénale des problèmes de santé
La nouvelle loi introduisait la notion d’usage problématique comme critère décisif des poursuites pénales pour les simples consommateurs majeurs de cannabis dans la mesure où la nouvelle réglementation imposait la rédaction d’un procès-verbal en cas d’usage problématique.
L’usage problématique est défini comme « Un degré de dépendance qui ne permet plus à l’utilisateur de contrôler son usage , et qui s’exprime par des symptômes psychiques ou physiques », (art. 11, §2 de la nouvelle loi).
Rappelons que la dépendance fait référence à un problème de santé défini par l’O.M.S. (Organisation Mondiale de la Santé). L’obligation donnée aux forces de police de réprimer spécifiquement cet usage problématique entraîne deux confusions majeures:
– la première consiste à considérer les policiers comme des agents capables de détecter un problème de santé, de surcroît aussi complexe que la dépendance. L’utilisation des tests « standardisés » prévus à cet effet se révèle inappropriée car elle ne réduit que peu le risque de subjectivité et ne mesure pas la dépendance;
– la seconde entraîne une confusion totale entre délit et problème de santé. En effet, un même comportement sera verbalisé ou non et donc sanctionnable sur base d’un critère de santé. C’est donc la mauvaise santé qui sera sanctionnée et non la détention du produit!
Drogues et usage de drogues
Le Service public fédéral Intérieur vient de mettre à jour sa brochure visant ‘à aider l’ensemble des personnes confrontées au phénomène de la drogue en leur fournissant des informations objectives sur les différentes sortes de drogues, leurs usages, les risques qu’elles engendrent et les comportements à adopter dans de tels cas’.
L’information sur les produits occupe la plus grande partie du document, soit une bonne vingtaine de pages sur 60. Une description des risques, l’attitude à adopter en tant que parent, enseignant, éducateur, des informations sur la législation nationale et sur les organismes actifs en prévention y sont aussi reprises.
Il y a une pleine page de publicité pour l’asbl Infor-Drogues, ce qui nous a quelque peu surpris sachant que Philippe Bastin et son équipe n’aiment pas trop le mélange des genres entre prévention, traitement et répression. Renseignement pris, Infor-Drogues n’a pas été consultée sur le contenu de ce document portant d’une certaine manière son label. Etonnant, non?
Drogues et usage de drogues, SPF Intérieur, rue de la Loi 26, 1040 Bruxelles. Tél.: 02 500 49 48. Courriel: info.spp@ibz.fgov.be .
Les FEDITO bruxelloise et wallonne se sont donc opposées à ce qu’un problème de santé aboutisse à des sanctions pénales. En effet, ce critère porte atteinte à l’égalité des citoyens devant la loi dans la mesure où il induit un traitement différencié des citoyens sur base d’une hypothétique dépendance à un produit. De plus, il introduit l’arbitraire dans les décisions judiciaires étant donné que la dépendance est extrêmement difficile à déterminer de façon objective, ouvrant ainsi la porte à l’insécurité juridique. La confiance du citoyen dans l’Etat de droit risquait de s’en trouver ébranlée.
Ces confusions ne peuvent qu’amener le public à confondre agents de l’ordre et agents de prévention et de soins. En conséquence, il ne pourra plus accorder à ces derniers la confiance nécessaire. La qualité du travail du secteur psycho-médico-social est dès lors menacée car elle ne peut s’envisager, tant en curatif qu’en préventif, que dans une relation de confiance réciproque.
Un arrêt exemplaire
Considérer le problème de la drogue comme un problème de santé publique est une excellente décision. Néanmoins cela ne doit en aucun cas se traduire par la transformation des policiers, des procureurs et des juges en médecins, infirmiers et assistants sociaux. Cela, au contraire, criminalise des problèmes de santé.
Cette disposition avait été critiquée par l’ensemble des acteurs concernés pour son ambiguïté et le pouvoir d’interprétation laissé aux forces de l’ordre. Du Collège des procureurs aux institutions spécialisées dans le domaine des assuétudes, l’unanimité s’était dégagée contre cette mesure.
Pour rappel ‘ Le principe de légalité en matière pénale (…) implique que la loi pénale soit formulée de manière à ce que chacun , au moment où il adopte un comportement , puisse savoir si ce comportement est punissable ou non ‘. Il existe des exigences de précision, de clarté et de prévisibilité auxquelles doivent satisfaire les lois pénales, exigences que ne reprenait pas la législation.
La détention d’une quantité à des fins d’usage personnel
La formule définie par le gouvernement était ‘ La détention d’une quantité de cannabis qui peut être consommée en une seule fois ou , au maximum , en 24 heures (…) Compte tenu des multiples variétés de produits et des variantes importantes de concentration de THC dans le cannabis , le Gouvernement a choisi de ne pas fixer de limite définie en fonction d’un poids maximum . A défaut d’indices de vente ou de trafic , la détention d’une quantité de cannabis ne dépassant pas le seuil de trois grammes doit être considéré comme de l’usage personnel .’
La Cour entend que ‘ Bien qu’il soit admissible en soi que le soin de déterminer cette quantité soit laissé au pouvoir exécutif , la mission que le législateur lui confie à cette fin doit imposer de façon univoque de déterminer une quantité clairement définie ‘.
Usage problématique
‘Un usage qui s’accompagne d’un degré de dépendance qui ne permet plus à l’utilisateur de contrôler son usage, et qui s’exprime par des symptômes psychiques ou physiques’.
Selon la Cour ‘ Il ressort (…) que le comportement problématique n’est pas mesuré en fonction de l’influence que l’intéressé a sur son entourage , mais qu’il est uniquement fait référence à son état personnel . Elle exige dès lors que les policiers apprécient la situation psychologique , médicale et sociale du consommateur de cannabis , afin de décider s’ils doivent ou non dresser un procès – verbal et s’il pourra par conséquent être poursuivi ou non . Le pouvoir d’interprétation qui est ainsi laissé aux verbalisants , est une source d’insécurité juridique et n’est pas conforme au principe de légalité en matière pénale ‘.
Nuisances publiques
‘Est considérée comme une nuisance publique, la détention de cannabis dans une institution pénitentiaire, dans un établissement scolaire ou dans les locaux d’un service social, ainsi que dans leur voisinage immédiat ou dans d’autres lieux fréquentés par des mineurs d’âge à des fins scolaires, sportives ou sociales’.
Selon la Cour d’Arbitrage, outre le fait que les nuisances publiques ne sont pas clairement définies, ‘ il est difficile de concevoir ce qu’il y a lieu d’entendre par les locaux d’un service social ou par voisinage immédiat .’
Elle ajoute que ‘ cette définition est tellement large qu’il convient de dresser un procès – verbal pour toute consommation de cannabis par un majeur , à un endroit qui est accessible aux mineurs ‘.
Par conséquent ‘ la notion de nuisances publiques , de par son caractère ambigu , ne satisfait pas aux exigences du principe de légalité en matière pénale ‘.
L’emploi de plusieurs notions ‘ à ce point vagues et imprécises qu’il est impossible d’en déterminer la portée exacte ‘ ont motivé la Cour d’Arbitrage à constater que ‘ cette disposition ne satisfait pas aux exigences du principe de légalité en matière pénale et qu’il convient de l’annuler ‘.
Et maintenant?
La nouvelle législation cannabis est un édifice particulièrement complexe. En effet, s’interpénètrent deux lois, un arrêté royal et une circulaire qui ne peuvent être séparés les uns des autres. De plus, les notions annulées de l’article 16 (quantité pour usage personnel, usage problématique et nuisances publiques) se retrouvent dans d’autres articles de la loi, dans l’arrêté royal et dans la circulaire.
Ainsi, nous ne pouvons déterminer si les nouvelles catégories de peines plus légères (peines administratives) pour détention de cannabis sont encore d’application.
Il appartient au Ministre de la Justice de lever au plus vite ces incertitudes. Par exemple en rédigeant une nouvelle circulaire qui tiendra compte de l’arrêt de la Cour d’Arbitrage.
D’ici là, toute détention de cannabis devrait théoriquement faire l’objet d’un procès verbal par la police. Pratiquement on en revient à une situation où chaque arrondissement judiciaire définit ses priorités et donc sa sévérité à l’égard du cannabis.
Informations communiquées par Infor-Drogues
Vous trouverez un dossier complet sur cette question est consultant le site http://www.infor-drogues.be