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Les fictions médicales, une ressource pour la promotion de la santé?

Le 30 Déc 20

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D’après les sondages, la télévision reste la première source d’informations sur la santé et la maladie pour un public dont l’accès au savoir médical est relativement limité. Elle arrive avant la presse écrite et avant les médecins. Afin de pourvoir aux besoins de leurs audiences, les chaînes offrent une multitude de documentaires et de programmes éducatifs. Mais les spectateurs n’obtiennent pas leurs renseignements uniquement par les émissions à but pédagogique, loin s’en faut. Une de leurs ressources préférées est ‘l’infotainment’, un mélange d’informations et de divertissement (1): leur définition d’un bon feuilleton est «une émission qui amuse tout en traitant des problèmes du spectateur ordinaire» (2).
Les ‘soaps operas’, les ‘talk shows’ et les ‘medical dramas’ ont tous des qualités informatives selon leurs fans. Ce chevauchement de la distraction et de l’éducation est confirmé par le nombre élevé de demandes d’information après la diffusion de telles émissions métissées.
Nombre de campagnes de promotion de la santé dans les pays en voie de développement corroborent l’efficacité des programmes de fiction pour la dissémination des conseils de santé; par exemple, après la diffusion d’une série de mini-drames, 60% des patients d’une clinique de planning familial au Niger donnaient la télévision comme leur ressource principale pour les conseils et l’orientation sur la contraception (3).
Il s’ensuit que les ‘medical dramas’, feuilletons du style Urgences , programmes semi-factuels semi-fictionnels à contenu (proto-)médical, pourraient être particulièrement utiles pour la promotion de la santé. Mais l’interprétation et l’utilisation de ces émissions sont jusqu’à maintenant restées inconnues. Cet article découle d’une étude de la réception de la série américaine Urgences basée sur près de deux cents lettres de téléspectateurs qui confirme le rôle pédagogique de cette série à teneur médicale et suggère que ces programmes pourraient aider à améliorer la promotion de la santé (4) (5).

Urgences-le-documentaire

Urgences est perçu comme un programme éducatif par les spectateurs qui le décrivent régulièrement comme ‘un documentaire’ et, de façon plus idiosyncrasique, comme ‘une étude sociologique’, ‘un reportage fiction-analyse’, du ‘cinéma-vérité’, étiquettes qui révèlent l’inclusion d’éléments pédagogiques.
Le ‘medical drama’ guide ses fans dans la découverte d’un univers peu familier où ils peuvent donner libre cours à leur fascination pour toutes choses médicales: l’ambiance de l’hôpital, sa politique intérieure, le fonctionnement des urgences, la formation du personnel médical, les erreurs et les négligences des professionnels, les dilemmes éthiques, les problèmes financiers. Le public peut ainsi partager les soucis des infirmières et des docteurs, il peut voir – et ressentir – comment c’est de travailler dans un hôpital .
Qu’apprennent les spectateurs en regardant Urgences? Ces émissions offrent, disent-ils, une occasion parfaite d’informer le public sur des maladies qu’ils pourraient rencontrer et leurs difficultés, que ce soit la maladie d’Alzheimer ou les chocs allergiques.
Et l’occasion est avidement saisie, puisqu’ils assimilent de nombreuses données médicales et socio-médicales, des éléments de physiologie, les maladies et leurs symptômes, des traitements et médicaments nouveaux, des gestes médicaux et des procédures d’urgence:
Un cancer peut se manifester par une jambe cassée, je ne savais pas ça du tout.
Je ne savais pas qu’on pouvait faire des massages cardiaques internes.

De nombreux spectateurs pensent que l’équipe de production essaie, dans la mesure du possible et sans diminuer la tension et le suspense, d’avertir des dangers de certains comportements (les drogues, le tabac, renifler de la colle, la conduite dangereuse, les armes à feu, l’infection du sida):
Nous apprenons toutes sortes de choses, le dommage qu’un accident de voiture peut faire, les conséquences si on se drogue ou qu’on boit trop.
Ils aident avec la promotion de la santé quand ils peuvent. Ils nous préviennent de ce qui peut arriver si on se drogue ou si on fume.

De plus, Urgences stimule la curiosité et la quête d’informations supplémentaires:
Je suis fascinée par les termes médicaux. Je suis incroyablement curieuse. Je n’arrête pas de poser des questions à mes amis étudiants en médecine…
Urgences me donne envie d’en savoir plus. Je voudrais qu’un médecin m’explique les gestes et les mots.
Quelques réserves sont exprimées: ces messages et ces images pourraient rendre hypocondriaques des gens cependant bien portants; certains spectateurs pensent qu’ils consulteraient leur médecin s’ils avaient des symptômes similaires à ceux de la série, surtout s’ils sont susceptibles d’indiquer une maladie sérieuse mais d’autres au contraire disent qu’ils les ignoreraient (et, dans quelques cas, les avaient ignorés) parce que ces signes seraient probablement psychosomatiques et ne nécessiteraient pas l’attention d’un médecin. Les informations d’ Urgences pourraient aussi être mal comprises ou mal assimilées et les connaissances partielles et limitées étant dangereuses, avoir des effets négatifs. Les conseils acquis par le biais de la télévision doivent donc être soigneusement évalués. Plusieurs personnes soulignent que si le savoir médical était si facile à absorber et à appliquer, les médecins n’auraient pas besoin de faire une formation universitaire si longue.
L’intérêt des spectateurs n’est pas limité aux questions de santé et de maladie. Les problèmes sociaux – la violence, la pauvreté, l’inégalité, les sans-abri, les abus, sont souvent mentionnés par les spectateurs qui les croient représentés plus ouvertement dans les programmes américains considérés comme moins censurés (ce qui n’est pas toujours vrai: certains sujets, l’homosexualité en particulier, subissent la foudre des censeurs) et donc moins édulcorés que les émissions européennes. Urgences fait contrepoids aux séries hollywoodiennes comme Dallas et Dynastie qui dépeignent une Amérique de rêve, fantaisiste, riche et bien portante:
L’intérêt principal de la série, à part le divertissement et le stress, c’est qu’à travers les urgences on découvre la vie sociale aux Etats-Unis, les problèmes d’assurance, de violence, d’abus.
De plus, les séries produites aux USA fournissent un point de comparaison des structures de sécurité sociale européennes et américaines. Elles permettent aux spectateurs d’évaluer leur système de santé local, qui est invariablement jugé supérieur au modèle ‘pas-de-paiement-pas-de-traitement’ d’Outre-Atlantique basé sur une idéologie de marché et sévèrement critiqué.
Ces représentations les inquiètent et les mènent à se demander si ce qu’ils voient sur le petit écran n’est pas un avant-goût de ce qui les attend dans quelques années, lorsque les problèmes des Etats-Unis atteindront nos contrées.
Ceci ne veut pas dire que regarder Urgences n’est plus un loisir, une détente, un plaisir. La série est instructive et divertissante tout à la fois:
Je regarde Urgences pour la distraction et c’est bien à 100%… mais ça me plaît aussi parce que la médecine, les opinions et les sentiments des patients m’intéressent.
Je crois que j’aime regarder parce que c’est dramatique mais c’est aussi comme regarder un documentaire.

L’utilité des ‘medical dramas’ pour la promotion de la santé

Premièrement, il va sans dire que pour avoir connaissance d’informations, il faut les avoir vues ou entendues. Mais il n’est pas facile de s’assurer que les populations ciblées y sont exposées. Certaines études suggèrent que ce sont surtout les personnes en mauvaise santé qui cherchent et recueillent les renseignements médicaux. De nombreuses occasions de faire entendre des conseils de prévention sont ainsi perdues. Les séries du style Urgences attirent de larges audiences pour des raisons ludiques (l’action, la familiarité avec les personnages, leurs romances, la suggestion d’intrigues possibles pour les épisodes suivants, etc.) et augmentent ainsi l’exposition aux messages.
Deuxièmement, les ‘medical dramas’ aident à améliorer l’assimilation de l’information parce que les spectateurs s’identifient à leurs personnages favoris: par exemple, des informateurs disent explorer le pavillon des urgences à travers les yeux de Dr Carter, le jeune étudiant, avec qui ils se sentent des points communs: étudiant et spectateurs sont également naïfs, et, ensemble, ils subissent les mésaventures des nouveau-venus dans le service et apprennent par leurs erreurs.
L’identification et la sympathie augmentent les réponses émotionnelles et l’acceptation des messages alors que la distance et le détachement favorisent les «illusions d’invulnérabilité» (6), conduisent à un rejet des conseils, perçus comme non pertinents, et font obstacle à la modification du comportement que l’identification peut faciliter.
Ceci est particulièrement important pour la promotion de la santé car, contrairement à l’idée répandue que l’obtention d’informations nouvelles peut directement et logiquement provoquer un changement d’habitudes, les réactions aux messages de la promotion de la santé ont plus à voir avec l’émotionnel que le rationnel (7).
Troisièmement, la répétition est une partie centrale de l’éducation. Or, les séries et feuilletons médicaux ne peuvent pas éviter les répétitions, de par leur format continu et leurs narratifs qui contiennent souvent des discussions réitérées entre docteurs et patients, docteurs et familles, docteurs et infirmières, infirmières et patients, etc.
Quatrièmement, les messages qui jouent sur la peur, couramment utilisés pour la promotion de la santé, ont rarement donné les résultats positifs escomptés et ont parfois provoqué des effets ‘boomerang’. Les fictions médicales peuvent avoir des passages inquiétants mais, en fin de compte, elles sont jugées rassurantes:
Nous aimons Urgences de façon rassurante. Nous voulons croire que ce sera pareil si nous nous retrouvons aux urgences.
De telles représentations positives ont plus d’impact que d’autres approches (8).
Cinquièmement, les exhortations didactiques n’ont pas non plus, en général, achevé leur but. Le public tend à ignorer ou à refuser les demandes-commandes trop directes. Faire réfléchir les spectateurs et les laisser libre de décider peuvent être plus efficaces que des méthodes plus prescriptives. Les ‘medical dramas’ des années 1990, empreints d’incertitude post-moderniste, donnent à penser sans prêcher, sans imposer des valeurs. Ils permettent au spectateur de peser le pour et le contre de chaque situation et de parvenir à sa propre conclusion:
Ils ne font pas de démonstration. On ne nous dit pas ‘ceci est bien, ceci est mal’. On nous montre des faits et des comportements. C’est à nous d’y réfléchir.
Sixièmement, les sources d’un programme influencent sa valeur perçue. Les spectateurs sont intransigeants: les réalisateurs doivent s’assurer que les données médicales sont exactes et que le public n’est pas induit en erreur. La présence de médecins et leur rôle dans l’équipe de production sont bien connus et sont considérés comme une garantie de fiabilité, de même que l’origine des narratifs médicaux dans de vrais cas traités rapportés par des patients ou des professionnels de la santé. La provenance des informations offertes par Urgences est manifestement considérée suffisamment sérieuse pour inspirer confiance.
Septièmement, le réalisme est vu par la majorité des spectateurs comme le cachet de la série. Urgences c’est réel, c’est comme la vie, on s’y croit. Le feuilleton reflète bien ce qui se passe à l’hôpital et rappelle leurs expériences à ceux qui y sont allés. Cette perception est un atout crucial car le réalisme est le premier critère d’une bonne série d’ ‘infotainment’.
Huitièmement, un point plus général. Les médias font partie, explicitement ou implicitement, de nombreuses théories de psychologie de la santé; par exemple, les théories de cognition sociale incluent la façon dont les gens se représentent leur univers et, dans une société post-moderne et médiatisée, ceci comprend nécessairement la télévision.
L’analyse des données expose un lien fort et complexe entre la réalité et la télévision qui n’est plus simplement le miroir du monde: les deux se fondent et se confondent, et certains spectateurs vont jusqu’à s’étonner que la réalité ne ressemble pas à la fiction. Ces réactions ne devraient pas nous surprendre à l’ère des ‘docusoaps’ où le public est fort conscient des similarités entre les programmes dits de fiction comme Urgences et, par exemple, les reconstructions du style La nuit des héros : les deux programmes sont basés sur des cas réels dramatisés pour l’occasion et dont les protagonistes sont joués par des acteurs, mais des experts assurent la véracité du côté médical/technique, de vrais appareils médicaux sont utilisés, et ils sont filmés (avec des steadycams, caméras légères portables) et montés (avec des images imparfaites et pas toujours claires) à donner une impression de spontanéité et d’amateurisme. Ces réactions soulignent le rôle central mais flou des médias dans la vie quotidienne.
Ni les producteurs, qui continuent à imaginer des spectateurs stéréotypes du style ‘ménagère de moins de 50 ans’, ni les organisateurs de campagnes de la protection de la santé, qui tendent souvent à penser que les recherches empiriques de leurs populations ciblées ne sont pas indispensables, ne savent grand-chose sur leur public. Les campagnes ‘traditionnelles’ de prévention de la maladie et de promotion de la santé sont loin d’avoir un taux de réussite élevé ; les efforts énormes entrepris pour lutter, par exemple, contre le tabagisme, n’ont pas eu les effets espérés. Il y a de bonnes raisons de penser que ‘l’infotainment’ peut être plus efficace que les publicités et les programmes à but ouvertement éducatif.Solange Davin , psychologue, spécialiste en anthropologie médicale
Adresse de l’auteur: 171b Shernall Street, London E17 9HX(1) ‘Infotainment’ est un condensé de deux mots anglais, information et entertainment.
(2) Elkamel, F 1995 The use of television series in health education Health Education Research 10, 2: 225-232.
(3) Voir le résumé de Rogers, E M et Singhal, A 1999 Entertainment-Education Mahwah, NJ: Erlbaum.
(4)Très appréciées dans les pays anglo-saxons depuis les années cinquante, les fictions médicales n’ont pas été particulièrement nombreuses sur les écrans européens de langue française, ni très populaires.
(5) Ceci s’applique aussi à d’autres ‘medical dramas’ comme Casualty qui, quatorze ans après son apparition, attire encore onze millions de fans britanniques qui le voient aussi comme une ressource fiable (voir Davin, S 1998 Les programmes TV médicaux et leurs spectateurs MédiasPouvoirs 4: 18-29).
(6)Weinstein, N 1984 Why it won’t happen to me Health Psychology 3: 431-457.
(7) Frankham, J 1991 ‘Aids – it’s like one of those things you read in the newspapers… it doesn’t happen to you’ in J F Shostak ed. Youth in Trouble London: Kogan.
(8) Montazéri, A et al 1998 Fear-inducing and positive image strategies in health education campaigns Intern. J. of Health Promotion and Education 36, 3: 68-75.
(9) Theory of Planned Behaviour, Health Action Process Approach, par exemple.
(10)Wallack, L M 1981 Mass Media Campaigns: the odds against finding behaviour change Health Education Quarterly 8, 3: 209-258.

La prévention du tabagisme vaut le coup

Le 30 Déc 20

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Ces derniers temps, la prévention du tabagisme bénéficie d’une attention soutenue du monde politique. Ce phénomène ne se limite plus aux Etats-Unis où les procès contre les grands producteurs de tabac font depuis des mois déjà les titres des journaux, mais chez nous aussi, il gagne en importance.
L’idée de la ministre Aelvoet consistant à créer un fonds pour la prévention du tabagisme en est une bonne illustration. Les opposants à cette idée avancent que cela n’aurait aucun sens étant donné que la prévention du tabac ne serait guère efficace. Toutefois, de nombreuses études indiquent qu’une politique de prévention et d’aide au sevrage peut changer les choses, pour autant que l’on y investisse suffisamment.

Le sens de la prévention

Il n’existe plus aucun doute quant à l’intérêt de mesures préventives contre la consommation de tabac. Une enquête menée par une équipe dirigée par Sir Richard Doll , publiée dans le British Medical Journal du mois d’août souligne d’ailleurs une fois de plus l’importance de ces mesures (1).
Entre 1950 et 1990, la consommation de tabac chez les hommes d’âge moyen a chuté de moitié, et parallèlement la mortalité due au cancer bronchique a fortement diminué. Le risque cumulatif de décéder d’un cancer du poumon (il s’agit du résultat de la combinaison du risque relatif de l’étude de 1990 avec les données nationales en matière de mortalité) à 75 ans est passé durant la période 1950-1990 de 6 % à 16 % pour les hommes et de 1 % à 10 % pour les femmes.
Chez les anciens fumeurs, tant masculins que féminins, le nombre de cancers du poumon n’était que très faible en comparaison avec le nombre de cas constatés chez les fumeurs. En outre, ce nombre diminuait encore en fonction du nombre d’années écoulées depuis l’arrêt du tabac, même si le risque n’était jamais aussi faible que chez les personnes n’ayant jamais fumé.
En 1990, la réduction du nombre de fumeurs a permis de diminuer de moitié le nombre de cancers qui seraient apparus si la population avait conservé ses habitudes tabagiques. Chez les hommes qui cessent de fumer à l’âge de 60, 50, 40 et 30 ans, le risque cumulatif de développer un cancer du poumon à 75 ans passe respectivement à 10 %, 6 %, 3 % et 2 %. Chez les femmes qui stoppent à l’âge de 60 et 50 ans, ce risque cumulatif est de respectivement 5 % et 2 %. L’enquête confirme donc que les personnes qui cessent de fumer à un âge moyen évitent en grande partie le risque de cancer du poumon et que le fait d’arrêter avant l’âge moyen permet de réduire ce risque de plus de 90%.

Investir au bénéfice de la santé

L’exemple du Massachusetts (2) prouve que la prévention du tabac est efficace pour autant que l’on daigne y investir correctement. Avec une population de 6 millions d’habitants, cet Etat du nord-est des Etats-Unis consacre chaque année 6,5 $ par habitant à la prévention du tabac. Il s’agit de l’investissement le plus important au monde.
Depuis le lancement du programme en janvier 1993, le Massachusetts a déjà investi plus de 200 millions de dollars dans la prévention du tabac (environ 39 millions $ par an). Le programme de prévention inclut des initiatives en vue d’aider les adultes à cesser de fumer, d’éviter que les jeunes ne tombent dans ce cercle vicieux et de réduire l’exposition à la fumée de tabac dans l’environnement (tabagisme passif).
Avant le lancement du programme, la diminution de la consommation de tabac était dans le Massachusetts d’environ 3 à 4 % par an, ce qui correspondait au niveau des 48 autres Etats américains. Seule la Californie, connue pour son approche très ferme du problème du tabac connaissait un meilleur résultat. En 1992-1993, la consommation a continué de diminuer lentement de 4 % dans tous les Etats, sauf au Massachusetts où elle a chuté de 12 %. Depuis 1993, alors que les autres Etats doivent se contenter d’une maigre réduction annuelle de 1 %, le Massachusetts enregistre un taux annuel de 4 %. Cette différence s’explique intégralement par le programme intensif de prévention du tabagisme.

Taxer pour agir

S’il faut consacrer davantage de moyens à la prévention, il faut bien les trouver quelque part. Au Massachusetts, cette opération a été réalisée via une taxe supplémentaire de 25 cents (environ dix francs) par paquet de cigarettes.
Cette stratégie ne permet pas uniquement de collecter des fonds, mais présente en outre un avantage supplémentaire. La majoration des accises constitue en effet un des moyens les plus efficaces pour réduire la consommation de tabac. Ceci ressort d’ailleurs des résultats d’une étude de la littérature en 1997 à laquelle a également collaboré le VIG . Différentes études démontrent que l’augmentation des droits d’accise sur les produits du tabac engendre une réduction de la consommation, mais aussi une diminution du taux de mortalité y afférent. Une enquête menée à grande échelle par 40 scientifiques de 13 pays, dont les résultats ont été récemment communiqués par l’Organisation mondiale de la santé et la Banque mondiale , aboutit à cette même conclusion.
Il est également important de préciser qu’une augmentation des droits d’accise ne se limite pas à faire diminuer la consommation de tabac au sein de la population générale, mais de surcroît, cette mesure engendre des effets positifs dans les classes socio-économiques défavorisées ainsi que chez les jeunes – à savoir des groupes cibles moins faciles à atteindre avec les méthodes dites «classiques » d’éducation pour la santé.
Dans les pays en développement, cette méthode s’avère également efficace. Une augmentation du prix des cigarettes de 10 % via une augmentation des droits d’accise dans le monde inciterait 42 millions de personnes à cesser de fumer et permettrait d’éviter 10 millions de décès dus au tabac. Le Dr Brundtland , le directeur général de l’OMS, estime qu’une plus grande taxation des produits du tabac constitue une mesure prioritaire pour lutter contre ce fléau.

La Belgique participe

Le message du Dr Brundtland est bien passé en Belgique. La ministre fédérale de la santé publique, Magda Aelvoet, a annoncé cet été avoir l’intention de consacrer chaque année un demi milliard à la prévention du tabagisme. Elle considère que la Belgique ne doit pas seulement poser des normes d’interdiction, mais qu’il faut développer une politique globale de prévention. Pour pouvoir mener une telle politique, il convient de disposer de davantage de moyens qui peuvent être puisés dans les recettes provenant des taxes sur le tabac.
Là où le bât blesse, c’est que les accises sur le tabac sont une matière fédérale, tandis que la politique de prévention appartient aux compétences des Communautés. Le transfert de fonds fédéraux vers les communautés constitue un véritable casse-tête qui requiert des décisions prises par l’ensemble du Gouvernement fédéral. Par ailleurs, cette question est sensible au niveau communautaire. Il reste à espérer que les bonnes intentions de la ministre seront traduites dans la pratique.

Investir dans l’efficacité

Si l’initiative de la ministre Aelvoet se concrétise, les Communautés en Belgique disposeront dans un avenir proche de moyens significatifs en vue de mener une politique intégrée et continue en matière de prévention du tabagisme.
Toutefois, même si le fait de disposer de larges moyens financiers est nécessaire, cela ne suffit pas. Les moyens doivent en effet être employés de manière efficiente. Dans le cas présent, cela signifie qu’il ne faut pas présenter toujours « la même chose », mais que l’offre doit être améliorée, tant en ce qui concerne la quantité que la qualité. Une politique de prévention de qualité sous-entend qu’en fonction des objectifs déterminés, il convient d’opter pour une série de mesures et d’interventions complémentaires en vue de changer à terme le comportement tabagique des groupes cibles.
Il serait en effet regrettable que les moyens supplémentaires soient consacrés par exemple uniquement à de grandes campagnes médiatiques qui attirent l’attention du grand public, mais qui n’engendrent que peu de modifications de comportement. En agissant de la sorte, l’expérience et les constats accumulés ces 25 dernières années via la pratique et les recherches en éducation pour la santé seraient jetés aux orties. Cette expérience nous apprend qu’en cette matière aussi, il est préférable d’investir dans des initiatives qui ont apporté la preuve de leur efficacité (evidence-based).
Cette « évidence » est toutefois encore loin d’être acquise. Il est plus qu’urgent de mener davantage d’études quant aux déterminants de la consommation tabagique et sur l’abandon de cette habitude, ainsi que sur les nouvelles méthodes de prévention et d’arrêt.
De telles études supposent une continuité, une concertation et une collaboration entre les responsables politiques, les personnes sur le terrain et les chercheurs dans les différentes disciplines. Les moyens actuellement disponibles pour la recherche ne permettent pas de mener de telles recherches. L’éventuel fonds de prévention du tabagisme permettrait de pallier ce manque. Veiller à la qualité est un must, surtout lorsque des centaines de millions sont disponibles.
Marleen Lambert, Stephan Van den Broucke , Vlaams Instituut voor Gezondheidspromotie
Traduction d’un article paru dans VIGoureus, la lettre d’information du VIG, n° 3, septembre 2000. (1) Petro R Darby S, Deo H, Silcocks P, Whitley E, Doll R (2000). Smoking, smoking cessation, and lung cancer in the UK since 1950: Combination of national statistics with two case-control studies, British Medical Journal, 321.
(2) Biener L, Harris JE, Hamilton W (2000). Impact of the Massachusetts tobacco control programme : population based trend analysis, British Medical Journal, 321.
(3) Pandelaere M., Van den Broecke S. & Van den Bergh O (1997). Het effect van omgevingsinterventies op gezondheidsgerelateerd gedrag. Dans Preventieve Gezondheidszorg : Vlaams Preventie-congres 1997, Diegem ; Kluwer.
(4) Jha P& Chalpuka J. (2000) ; (Eds). Tobacco control in developing countries. Oxford University Press.
(5) WHO (2000) Higher taxes key to battle against tobacco, says new WHO/World Bank Publication. Press Release WHO/53,8 août 2000.